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« Les changements d'une organisation. Le Parti socialiste, entre configuration partisane et cartellisation (1971-2007) »

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HAL Id: tel-00485941

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Submitted on 23 May 2010

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“ Les changements d’une organisation. Le Parti

socialiste, entre configuration partisane et cartellisation

(1971-2007) ”

Thierry Barboni

To cite this version:

Thierry Barboni. “ Les changements d’une organisation. Le Parti socialiste, entre configuration partisane et cartellisation (1971-2007) ”. Science politique. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2008. Français. �tel-00485941�

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NIVERSITÉ

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COLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE

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ENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE LA

S

ORBONNE

LES CHANGEMENTS D’UNE ORGANISATION.

LE PARTI SOCIALISTE, ENTRE CONFIGURATION

PARTISANE ET CARTELLISATION (1971-2007).

Thierry Barboni

Thèse pour l’obtention du doctorat de science politique

sous la direction de M. le Professeur Jean-Claude Colliard.

Jury :

Dominique Andolfatto, maître de conférences à l’Université de Nancy II.

Jean-Claude Colliard, professeur à l’Université de Paris I.

Gérard Grunberg, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

Rémi Lefebvre, professeur à l’Université de Reims.

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I

L’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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III

Remerciements

L’écriture d’une thèse ne saurait se réduire à un travail individuel. En l’occurrence, cette thèse n’aurait pu être menée à bien sans le concours de nombreuses personnes.

Ma reconnaissance va d’abord à mon directeur de thèse, M. Jean-Claude Colliard. Par son accompagnement tout à la fois souple et exigeant, la qualité de ses relectures et de ses critiques et ses encouragements, il a contribué au premier chef à l’aboutissement de ce travail.

Je tenais à remercier ensuite le Département de science politique de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) qui, en 2003, m’a attribué l’allocation de recherche qui m’a permis de conduire ma recherche dans de bonnes conditions ; ainsi que l’École doctorale de science politique de l’Université Paris I et le Centre de recherches politiques de la Sorbonne, qui ont pris en charge une partie des frais occasionnés par les colloques et congrès où j’ai pu exposer les premiers résultats de ce travail. Ce soutien matériel n’a pas été des moins importants dans la réalisation de ce travail.

Cette thèse s’appuie fortement sur des ressources documentaires. Merci donc aux archivistes du siège du Parti socialiste, de la Fondation Jean-Jaurès et de l’Office Universitaire de Recherche Socialiste qui m’ont permis d’y accéder et, plus particulièrement à Frédéric Cépède, pour ses avis et ses conseils toujours éclairés.

Une thèse est, à bien des égards un travail collectif, notamment à travers la confrontation des points de vue. Je tiens ainsi à remercier l’ensemble des doctorants, docteurs et enseignants-chercheurs avec lesquels j’ai eu la chance de pouvoir échanger, pour les discussions que nous avons pu avoir, à propos de la recherche, mais pas seulement.

La phase d’écriture de la thèse est une étape toujours difficile de la recherche. Que tous ceux qui ont accepté de relire les premières versions du manuscrit soient donc ici remerciés pour leur disponibilité, leurs commentaires et remarques toujours éclairants. Merci plus particulièrement à Laurent Olivier, Marc-Olivier Déplaude et Ludivine Vanthournout : chacun d’entre eux a grandement contribué à améliorer ce travail.

Je ne me serais jamais lancé dans « l’aventure » de la thèse sans le soutien, la disponibilité et les encouragements constants de celui qui fut alors mon professeur de maîtrise en science politique, M. Laurent Bouvet. Qu’il veuille bien trouver dans ce travail l’expression de toute ma gratitude.

Merci également à mes amis, qui ont toujours été présents quand il le fallait, spécialement Alexandre et Thomas et, bien évidemment, Christophe.

Enfin, cette thèse a été aussi une « affaire de famille ». Durant ce travail, mes parents d’abord m’ont toujours soutenu et encouragé. Qu’ils sachent que leur soutien a toujours constitué une source de motivation pour moi.

Pour terminer, je voudrais ici exprimer toute ma reconnaissance à ma compagne, Céline. Elle a d’abord pleinement accepté mon projet de réaliser cette thèse et m’a toujours poussé à le concrétiser, quelles que soient les circonstances. Tout au long de ces années, elle a partagé les joies mais aussi les affres de la recherche. Ce travail est donc également le sien. Qu’elle y trouve toute ma reconnaissance, et bien plus encore !

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INTRODUCTION

INTRODUCTION

INTRODUCTION

INTRODUCTION.

Le 6 mai 2007, Ségolène Royal, la candidate du Parti socialiste, est nettement défaite au second tour de l’élection présidentielle. Pour la troisième fois consécutive, le PS perd cette élection. Immédiatement, des voix s’élèvent au sein du parti pour pointer les responsabilités de ce nouvel échec. Classiquement, les critiques les plus vives sont adressées à la candidate elle-même. L’organisation de la campagne est également montrée du doigt : inefficacité ou bien encore rapports trop distants entre la candidate et le parti sont notamment mis en avant pour expliquer l’échec. De manière plus inattendue, l’organisation du parti est elle aussi mise en cause : choix du candidat trop tardif, absence de leadership, impréparation idéologique sont les principaux arguments mobilisés pour étayer la thèse d’une défaillance collective. Le constat s’impose alors, résumé par un des représentants de l’aile gauche du parti, J-L. Mélenchon : « l’organisation était à l’UMP ». Constat paradoxal pour un parti où le modèle d’organisation a longtemps été celui du parti de masse et qui continue de se penser encore comme un parti de militants. Constat problématique pour un parti qui n’a jamais été aussi bien implanté dans les exécutifs locaux : le PS dirige depuis 2004 vingt régions sur vingt-deux ; pour la première fois, depuis 2005, il détient la majorité des conseils généraux ; jamais, jusqu’au soir des élections municipales de mars 2008, il n’avait dirigé autant de ville de plus de 100 000 habitants : 25 contre 12 pour la droite. Constat … surprenant enfin : le PS n’a-t-il pas intégré dans son mode de fonctionnement la centralité de l’élection présidentielle dans la compétition politique française ? N’est-il pas devenu un parti de gouvernement, une force d’alternance incontournable puisque dominante à gauche ? N’a-t-il pas fait depuis longtemps son « Bad-Godesberg »1, renonçant explicitement, comme tout bon parti social-démocrate, à la révolution pour mieux se consacrer à la réforme ? Surtout, ses luttes internes ne sont-elles pas organisées autour des « présidentiables », ces dirigeants habilités à prétendre à la fonction de chef de l’Etat ?

Ces jugements fréquents invitent à s’interroger sur ce parti, tant ils en sous-entendent la spécificité. Il y aurait donc un « problème au » PS, un « problème du » PS : façonné pour conquérir le pouvoir à l’échelon national, ce parti ne serait plus capable que de l’exercer au niveau local. Incidemment, les éléments communément admis pour expliquer les échecs du PS renvoient à ce qu’est ce parti. Tout semble se passer comme si, y compris pour ses membres, le PS était lui-même à la source des maux qui le frappent de manière récurrente : n’a-t-il pas perdu en 2007 une « élection imperdable » car la campagne n’a pas été préparée comme il l’aurait fallu2 ? Si la défaite de 2002 n’est qu’un « accident », la sortie de route n’est-elle pas liée au fait que le PS a « perdu le peuple » en cours

1

Pratiquement dès 1983, soit moins de deux après son arrivée au pouvoir, avec le « virage de la rigueur » ; d’un point de vue doctrinal en 1990, modifiant en ce sens sa déclaration de principe au congrès de l’Arche.

2

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de trajet3 ? D’ailleurs, si le PS ne parvient plus à s’imposer que localement, n’est-ce pas parce qu’il se « sfioise », autrement dit qu’il retombe dans les travers d’une SFIO régentée par les intérêts de ses élus locaux, SFIO dont il a conservé dans une large mesure la structure après le congrès de la refondation à Epinay en 1971 ?

Il convient donc de réinscrire l’étude de ce parti dans un temps suffisamment long pour en apprécier les changements. L’enjeu n’est pas en effet à proprement parler de savoir pourquoi le PS a gagné ou perdu une élection en particulier, mais bien de comprendre comment, plus globalement, un parti électoralement exsangue au début des années 1970 a pu devenir parti d’alternance, de telle sorte que justement l’échec électoral apparaisse aujourd'hui comme un « problème ». Comment, autrement dit, le PS d’Epinay est devenu cette « machine électorale » régulièrement enrayée (à l’occasion de l’élection présidentielle) mais le plus souvent très efficace ?

Qu’il s’agisse de ses modes de fonctionnement, de sa stratégie électorale ou bien encore des rapports au parti de ses adhérents et dirigeants, ces différentes facettes sont liées par un dénominateur commun : l’organisation du PS. Dans cette perspective, il faut s’interroger sur ce qu’est précisément cette organisation, sur ce qu’elle dit des « façons d’être » et de « vivre ensemble » des socialistes, sur leurs pratiques et leurs usages, sur leurs manières d’investir et de s’investir dans le parti. Ce questionnement s’impose d’autant plus qu’il n’est que trop rarement envisagé en tant que tel, y compris du point de vue de la science politique. Et pourtant, et c’est en tout cas une hypothèse qui structurera la recherche, saisir le PS dans sa complexité impose d’analyser sa forme, son organisation : celle-ci, reflet des contradictions qui le traversent, rend compte de la singularité d’un parti dont on pourrait dire qu’il est à la fois jeune de son renouveau entamé après 1971 et vieux d’une tradition socialiste séculaire qui continue à maints égards à peser encore sur lui.

En outre, parmi les transformations qui ont affecté le Parti socialiste depuis sa refondation, il convient de s’interroger plus spécifiquement sur le rapport qu’entretient le PS aux institutions. Parti accédant « au » gouvernement en 1981, le PS est aujourd'hui un parti « de » gouvernement. Cette évolution, politiquement évidente dès 1983, supposait néanmoins une adaptation très importante des structures du parti à son nouveau statut. Cette adaptation n’a été rendue possible qu’au prix d’ajustements parfois douloureux de sa culture, de sa doctrine, des relations entre ses membres et entre les différentes instances qui le composent. En d’autres termes, le PS a dû devenir un parti de gouvernement. S’interroger sur les changements de l’organisation socialiste permet alors d’envisager les modalités pratiques qui ont fait du PS un parti d’alternance, tout en permettant de se demander également « ce que l’Etat fait au parti ». De par son histoire, le PS offre en effet un terrain empirique particulièrement adapté à ce dernier questionnement : accéder aux responsabilités étatiques impliquait

3

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pour les dirigeants socialistes d’intégrer un nouveau rapport à l’Etat, rapport dont les évolutions organisationnelles du PS rendent compte en ce qu’elles synthétisent les ajustements problématiques qui en découlent nécessairement. En outre, plus généralement, l’Etat ne représente plus seulement un pouvoir à conquérir pour le Parti socialiste. Désormais, en vertu des lois de financement de la vie politique, l’Etat finance largement ce parti, à hauteur actuellement de 40 % de son budget. Surtout, la professionnalisation des élites socialistes s’inscrit très largement autour de ses élus, de telle sorte qu’aujourd'hui, de nouvelles filières de recrutement se dessinent sur cette base et que l’économie du parti se recompose autour de cet ancrage institutionnel. Si le socialisme n’est pas encore complètement soluble dans les institutions, il ne saurait donc se penser indépendamment d’elles. Autrement dit, s’interroger sur l’organisation du Parti socialiste c’est, dans une large mesure, questionner les effets des interactions entre les institutions publiques et ce parti.

Cette recherche est donc structurée autour d’un pivot théorique, une approche organisationnelle des partis politiques, et d’une interrogation analytique : comment mesurer les effets de l’inscription institutionnelle d’un parti ? Avant d’envisager les matériaux empiriques mobilisés et le bornage temporel de la recherche, il convient de présenter l’appareillage théorique qui articule les deux présupposés de ce travail, manière de plaider pour une analyse organisationnelle renouvelée du PS. Il faut donc de revenir sur la mobilisation de cette approche dans le cadre de ce travail. De là, il faudra ensuite présenter les raisons qui justifient le recours au modèle d’organisation partisane qui sera sollicité tout au long de la recherche, à savoir le modèle du parti cartel élaboré par Richard Katz et Peter Mair. Ceci dit, si l’on s’appuie sur ce modèle, l’appareillage théorique mobilisé ne se résume pas à celui-ci. On verra en effet que, pour saisir les changements du parti socialiste, les seules analyses organisationnelles sont finalement insuffisantes et doivent être complétées par les apports des approches sociétales.

A. De la construction de l’appareil théorique.

Comme tout objet, le PS possède ses propres particularités. S’il s’agit d’en analyser prioritairement l’organisation et de saisir les liens qu’il entretient avec les institutions, la recherche ne saurait se limiter à la confrontation du PS au modèle du parti cartel. Il importe en effet davantage de s’interroger sur le cheminement qui a conduit à faire du PS ce qu’il est aujourd'hui. Dans ce but, c’est bien à une analyse processuelle du changement partisan qu’il faut se livrer ; une analyse qui insiste donc sur ce qui fait la singularité du parti, davantage que sur la recherche dans son organisation d’un décalque forcément imparfait du modèle du parti cartel. Afin d’éviter de retomber dans un comparatisme sclérosant entre le modèle et l’objet, entre le parti cartel et le PS, la démarche analytique s’appuiera alors sur le programme de recherche énoncé par F. Sawicki ; programme enjoignant de développer des passerelles théoriques entre approches organisationnelles et sociétales des partis

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politiques. Cette injonction semble en effet particulièrement pertinente dès lors que l’on s’interroge sur le processus de changement du PS. Il s’agit, par conséquent, il dans un premier temps de présenter les lignes directrices qui fondent la démarche théorique de ce travail. En premier lieu, il faut justifier de l’usage de l’approche organisationnelle en général et du modèle du parti cartel en particulier. A partir de là, on verra comment enrichir l’appareillage théorique à partir des apports des approches sociétales. Cette démarche suppose toutefois des arbitrages théoriques que l’on présentera ici et qui forment les soubassements du modèle développé dans la thèse. Autrement dit, il s’agit de donner corps à l’injonction de F. Sawicki à partir d’une étude processuelle du changement du parti, étude qui permettra d’envisager, à travers les transformations de l’organisation socialiste, les changements qui ont nécessairement touchés ceux qui la composent.

1. Approche organisationnelle et modèle du parti cartel.

Ainsi que l’affirme J. Charlot, « on ne peut pas étudier un parti de tous les points de vue à la fois »4. En dernier ressort, et l’on suit par là F. Sawicki, les analyses des partis politiques peuvent être distinguées en deux types d’approche « selon qu’elles mettent l’accent sur leur hétéronomie ou sur leur autonomie par rapport au social »5. Les premières, les approches sociétales, d’inspiration marxienne, envisagent les partis comme le reflet des clivages sociaux, tandis que les secondes, les approches organisationnelles, d’inspiration wébérienne, soulignent leur autonomie organisationnelle. F. Sawicki invite au dépassement de ces clivages théoriques, manière d’atteindre une compréhension moins fragmentée du fait partisan6. La démarche suppose pourtant toujours un choix initial ontologique entre organisation et reflet social : le rapprochement des points de vue ne peut masquer la divergence première des perspectives. En l’espèce, il s’agit donc de partir de « l’organisationnel » pour aller vers « le sociétal ».

Or, après avoir constitué le cœur de l’analyse des partis politiques, les analyses organisationnelles ont connu à partir de la fin des années 50, une éclipse d’une trentaine d’année, au profit d’autres problématiques, comme celle par exemple des clivages socioculturels7. Cette éclipse s’est poursuivie avec la remise en cause du rôle des partis, ceux-ci apparaissant comme un « objet

4 Charlot (J.), « Théorie des partis politiques », Etudes et Recherches, Université de Liège, 2, 1975, p. 14. L’auteur distingue

sept type d’approches: historique, organisationnelle, idéologique, fonctionnaliste, socio-économique, tactique et stratégique et, enfin, typologique, cette dernière devant malgré tout s’analyser à partir d’un critère principal, choisi parmi les six approches précédentes.

5

Sawicki (F.), Les réseaux du Parti socialiste, Paris, Belin, Col. Socio-histoire, 1997, p. 7-17. Pour une analyse du même ordre en langue anglaise, voir Sartori (G.), « The sociology of parties : a critical review » in Mair (P.) (dir.), The West

European Party System, Oxford, Oxford University Press, 1990. 6

Sawicki (F.), « Les partis politiques comme entreprises culturelles », in Cefaï (D.) (dir.), Cultures politiques, Paris, PUF, col. La politique éclatée, 2001, p. 197.

7

Cf. Lipset (S. M.), Rokkan (S.), « Cleavage Structures, Party Systems, and Voters Alignments: an Introduction » in Lipset (S. M.), Rokkan (S.) (Dir.), Party system and voters alignments: cross-national perspective, New York, The Free Press, 1967, p. 1-64.

(10)

perdu »8, dont l’organisation semblait perdre de sa substance et dont l’existence même posait problème. En témoigne l’émergence d’une littérature centrée sur le déclin voire l’anachronisme des partis, à l’image des « trois D » identifiés par John Aldrich : décadence des partis, déclin et décomposition. Aux « trois D » ont pourtant succédé les « trois R » : réémergence, revitalisation, renouveau9. Signe de ce renouveau, de nouvelles typologies sont élaborées : parti cartel10, « modern catch-all party »11 ou bien encore parti électoral-professionnel12, pour ne citer que les principales. Preuve cependant de la permanence de la dichotomie entre approches organisationnelles et sociétales, ces contributions restent avant tout centrées sur l’organisation des partis, ignorant très largement l’approche sociétale. Le modèle du parti cartel reproduit cette dichotomie. Il convient donc d’en présenter non seulement les propriétés mais également l’usage qui peut en être fait, dans le cadre de la démarche théorique esquissée précédemment.

Soucieux de renouveler l’analyse des partis politiques, Katz et Mair ont proposé, au milieu des années 1990, un modèle particulièrement stimulant13. Il s’agissait pour eux de rompre avec l’idée selon laquelle les partis de gouvernement, pensés sur le « modèle duvergerien » du parti de masse, seraient des organisations en crise et en voie de dépassement. Hier partis de masse puis partis attrape-tout, les partis politiques seraient donc aujourd'hui devenus partis cartels, autrement dit des agences semi étatiques entretenant peu de liens avec la « société civile »14, maîtrisant de manière oligopolistique le marché électoral et conduites par des professionnels de la politique.

Leur modélisation a été brillamment synthétisée par Yohann Aucante : le parti cartel est une « fusée à deux étages : le premier, explosif, inverse la tendance primordiale supposée entre partis et société ou un groupe social et postule un rapprochement croissant entre ces organisations et l’Etat, la sphère publique. Une des conditions essentielles de cette transformation serait la mise en place de

8

Perrineau (P.), « Un objet perdu : les partis politiques » in Guillaume (M.) (dir.), L’état des sciences sociales en France, Paris, La découverte, 1986, pps. 281-285.

9

Aldrich (J. H.), Why parties ? : The Origin and Transformation of Political Parties in America, Chicago, University of Chicago Press, 1995. Pour une autre étude de ce passage des « trois D » aux « trois R », voir Daalder (H.), « Parties : Denied, Dismissed, or Redundant ? A Critique » in Gunther (R.), Montero (J. R.), Linz (J. J.) (dir.), Political Parties. Old Concepts,

New Challenges, Oxford, Oxford University Press, col. Comparative politique, 2002, pp. 39-57. 10

Katz (R. S.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party », Party Politics, vol. 1 (1), 1995, pps. 5-28.

11

Koole (R.), « The Vulnerability of Modern Cadre Party in Netherlands» in Katz (R. S.), Mair (P.), (dir.), How Parties

Organize: Change and Adaptation in Party Organization in Western Democracies, London, Sage, 1994. 12

Panebianco (A.), Political Parties. Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.

13 Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel

Party », op. cit. Pour une présentation critique du modèle, voir Aucante (Y.), Dezé (A.) (dir.), Les systèmes de partis dans les

démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses de Science Po, 2008. 14

L’expression « société civile » sera toujours utilisée entre guillemets en raison de sa plasticité extrême. Sur le contenu de cette notion selon eux, cf. Katz (R. S.), Mair (P.), « Cadre, Catch-all or Cartel ? A Rejoinder », Party politics, vol. 2 (4), 1996, p. 528-529, en réponse à l’argumentation de R. Koole qui conteste l’idée qu’Etat et « société civile » puissent s’envisager de manière indépendante : « society itself became more and more penetrating by the State », cf. Koole (R.), « Cadre, Catch-all or Cartel ? A Comment on the Notion of the Cartel Party », Party politics, vol. 2 (4), 1996, p. 510. Pour une mise au point théorique soulignant les limites d’utilisation de cette expression par Katz et Mair, cf. Kitschelt (H.), « Citizens, politicians and party cartelization : Political representation and state failure in post-industrial democracies »,

European Journal of Political Research, 2000, 37, p. 149-179. Plus généralement, voir le numéro coordonné par M. Offerlé,

(11)

systèmes de financement public de l’activité politique assez généreux pour permettre une autonomie plus ample. Le lien avec les forces sociales et les intérêts ne disparaît pas, il va dans le sens d’une modification structurelle et d’un affaiblissement [i.e. les partis deviennent des courtiers entre l’Etat et la société]. Le deuxième est largement effet du premier, à savoir que le contrôle des ressources publiques, l’accès privilégié aux médias avantagent les partis installés dans la compétition électorale. Cette dernière n’est pas abolie mais encadrée et un degré important de collusion entre élites devient presque naturel entre des forces politiques en contact étroit et permanent [i.e. le cartel] »15.

Le modèle est particulièrement ambitieux. Il souffre néanmoins d’une tendance évolutionniste implicite. Ainsi, à chaque étape du développement des démocraties, correspondrait un modèle de parti : le parti de cadres avec le suffrage censitaire ; le parti de masse après l’avènement du suffrage universel ; le parti attrape-tout après la seconde Guerre mondiale ; le parti cartel enfin, à partir des années 1970. Chaque type d’organisation étant le reflet d’une étape du fonctionnement démocratique des sociétés occidentales, le parti cartel serait la forme partisane convenant à une démocratie pacifiée, où les impératifs de gouvernance s’imposeraient, le fonctionnement des démocraties contemporaines exigeant, plutôt que le changement, la stabilité que des partis cartels doivent permettent politiquement d’obtenir. Le parti cartel par son ancrage à l’Etat, ne ferait donc que représenter une évolution des systèmes démocratiques selon laquelle « la démocratie cesse d’être considérée comme un moyen de contrôle ou de limitation de l’Etat par la société, pour devenir un service fourni par l’Etat à la société »16.

S’ils estiment que leur modèle rend compte d’une nouvelle étape du développement démocratique, Katz et Mair n’en donnent toutefois pas de définition précise, en présentant seulement les principales propriétés (cf. Tab. 1). Or, une difficulté du modèle consiste en la combinaison d’une dimension systémique et d’une dimension individuelle des partis politiques.

15 Aucante (Y.), « L'hégémonie démocratique » : institutionnalisation des partis sociaux-démocrates suédois et norvégien comme partis d'Etat, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Paris, 2003, p. 57.

16

Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party », op. cit., pps. 22. Cette dimension du travail de Katz et Mair est peut-être la plus stimulante de part les questionnements qu’elle pose relativement au rôle des partis politiques dans le fonctionnement des démocraties contemporaines. Si le fonctionnement de ces démocraties ne sera pas directement envisagé dans ce travail, il sera néanmoins abordé indirectement à partir de l’introduction de nouvelles techniques de mobilisation des adhérents des partis, techniques précisément présentées par leurs instigateurs comme une « démocratisation ». Sur la nécessité mais aussi les difficultés de lier analyse des partis politiques et fonctionnement des démocraties, cf. van Biezen (I.), Saward (M.), « Democratic Theorist and Party Scholars : Why They Don’t Talk to Each Other, and Why They Should », Perspectives on Politics, 2008, vol 6 (1), pps. 21-35. Les auteurs soulignent la nécessité de dépasser les cloisonnements disciplinaires qui empêchent d’analyser conjointement ces deux phénomènes pourtant inévitablement liés.

(12)

Epoque 19e siècle 1880-1960 1945- 1970- Caractéristiques Parti de cadres Parti de masse Partis attrape-tout Parti cartel

Degré de participation

politique

Suffrage censitaire Suffrage universel Suffrage universel Suffrage universel Degré de distribution des principales ressources politiques Très restreint Relativement

Concentré Moins concentré Relativement diffus

Principaux objectifs de la

politique

Distribution des privilèges

Réforme sociale (ou

opposition à celle-ci) Amélioration sociale

Professionnalisation politique Fondements de la

compétition politique

Statut social Capacité de

représentation Efficacité politique

Capacité managériale Type de

compétition électorale

Contrôlée Mobilisation Compétition ouverte Maîtrisée

Nature des campagnes et du travail partisans

Sans objet Travail intensif de terrain Travail intensif de terrain et investissement en capital Investissement en capital Principaux canaux

de ressources Contacts personnels

Cotisation et contributions Contributions diverses Subventions publiques Relations entre les

membres ordinaires et les

cadres

Les élites sont les membres « ordinaires »

« Bottom up ». Les élites sont responsables devant

les membres

« Top down ». Les adhérents sont

des relais pour les élites

Stratarchie et autonomie

Caractéristiques de

l'adhésion Limitée et élitiste

Elargie et homogène, recrutée activement et intégrée ; adhésion identitaire et accent sur le droits et obligations Adhésion ouverte et encouragée (hétérogène) ; accent sur les droits plutôt que

les obligations ; adhésion moins importante pour l'identité des individus

Ni droit ni obligations importantes (faible

distinction entre membres et non membres) ; accent sur les individus plutôt que

le collectif ; contribution à une légitimité artificielle Canaux de communication Réseaux

interpersonnels Organes du parti

Compétition entre partis pour l'accès aux media non

partisans

Accès privilégié à des canaux de communication régulés par l'Etat Position du parti

entre société civile et Etat

Frontières floues entre l’Etat et les strates politiquement pertinentes de la société Le parti appartient à la société et d’abord à ses segments politiquement émergents Partis comme courtiers concurrents

entre société et Etat

Partis intégrés dans l'Etat

Style de

représentation Gérant Délégué Entrepreneur Agent de l'Etat

Tab. 1. Caractéristiques des modèles de partis selon Katz et Mair17.

17

Schéma tiré de Katz (R. S.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party », op. cit., p. 18, extrait de Aucante (Y.), Dezé (A.) (dir.), Les systèmes de partis dans les démocraties

(13)

Ainsi, lorsqu’ils évoquent le cartel, Katz et Mair raisonnent en terme de système partisan (les partis de gouvernement formant le cartel s’entendant pour exclure les nouveaux entrants), le cartel générant l’émergence d’un type particulier d’organisation partisane, le parti cartel. Ainsi une propriété générale du système partisan se traduirait individuellement dans la forme de chaque parti. La combinaison de propriétés propres aux organisations partisanes et d’autres relatives aux systèmes partisans rend la mobilisation du modèle malaisée. Plus précisément, le modèle de Katz et Mair peut-être divisé en deux « sous modèles », l’un centré sur les partis pris individuellement ; l’autre sur les interactions de ces partis entre eux. A cet égard, la description de Y. Aucante est d’autant plus pertinente qu’elle indique bien ces deux niveaux. Dans le cadre d’une recherche centrée sur un seul parti, c’est donc le « premier étage de la fusée » qui sera mobilisé en priorité, davantage que l’interrogation quant à l’existence d’un cartel de partis en France. Le cœur de l’argumentation de Katz et Mair repose sur l’idée que les partis de gouvernement, pour assurer leur pérennité dans un environnement qui leur est défavorable (cf. notamment l’augmentation de la volatilité électorale, de l’abstention, l’émergence de concurrents politiques, l’affaiblissement des effectifs militants), s’appuient sur l’Etat conçu comme un dispensateur de ressources, notamment économiques, cet ancrage étatique induisant des modifications substantielles tant des organisations partisanes, que des propriétés de leurs dirigeants. C’est donc ce rapport à l’Etat qui sera analysé en premier lieu ici18.

Les propriétés « individuelles » du parti cartel peuvent alors se ranger en deux catégories : celles relatives à l’organisation ; celles relatives au personnel politique.

Pour les premières, l’élément central est bien l’instauration des financements publics. Introduits pour compenser l’érosion des effectifs militants mais également pour contrer les dérives liées aux dons des entreprises, ces financements sont désormais une des principales ressources des partis politiques. Le parti cartel est donc d’abord un parti financé par l’Etat, conséquence dont on verra qu’elle dépasse le strict cadre financier. Vient ensuite la stratarchie. Cette notion est tirée des propositions de Samuel Eldersveld. Pour cet auteur, les différents échelons d’un parti fonctionnent d’abord en fonction de leur inscription dans le niveau correspondant du système politique : niveau national pour les instances centrales des partis ; niveau local pour leurs échelons décentralisés. Par là, les échelons du parti tendent à fonctionner dans un isolement relatif les uns vis-à-vis des autres19. Katz et Mair reprennent cette idée en insistant sur l’indépendance croissante entre les échelons national et local du parti. Troisième propriété, la participation des adhérents, avec notamment l’introduction de procédures de consultation directe de ceux-ci et de modalités d’adhésion simplifiées. Cette individualisation de la participation interne, qui renvoie à une conception atomistique de

18

D’ailleurs, Katz et Mair avaient initialement développé ce seul aspect de leur modèle, rajoutant le « deuxième étage de la fusée », l’idée de cartellisation du système partisan, dans leur article de 1995. Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), « The Evolution of Party Organizations in Europe: the Three Faces of Party Organizations », in Crotty (W.) (dir.), Political Parties in a Changing Age , Special Issue of The American Review of Politics, 14, 1993, pps. 593-617.

19

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l’engagement, doit permettre aux leaders nationaux du parti de bénéficier d’une marge de manœuvre supplémentaire vis-à-vis des échelons intermédiaires. Cette « démocratisation » rend plus floue la distinction entre adhérents du parti et non-adhérents, l’idée étant de favoriser un contact renouvelé avec « la société civile », manière de compenser l’érosion de l’ancrage social des partis. Dernier élément, les partis conduisent des campagnes électorales nécessitant un investissement financier d’autant plus important qu’ils doivent faire face à des modes de communication politique toujours plus complexes (du fait de la médiatisation de la vie politique) et qu’ils doivent composer avec un capital militant d’autant moins important que le nombre d’adhérents lui-même diminue.

Aux transformations de l’organisation répondent alors celles du profil de leurs dirigeants. Ceux-ci deviennent des professionnels de la politique à part entière, qui cherchent à s’assurer un contrôle le plus complet possible sur les ressources matérielles du parti et sur les positions électives. Ces professionnels sont entourés de staffs toujours plus étoffés. Or, la croissance des staffs s’explique par la technicisation de l’activité politique, ce à quoi Katz et Mair renvoient quand ils évoquent la capacité managériale des dirigeants : « les objectifs de la politique sont – du moins temporairement – davantage auto-référentiels ; l’activité politique devient une profession à part entière [...] où il faut pouvoir démontrer ses capacités de gestionnaire public »20. Les dirigeants ne sont plus alors seulement les représentants de la « société » auprès de l’Etat, ils sont aussi les représentants de l’Etat auprès de la « société ».

Pour cette raison, les partis dépendant financièrement de l’Etat, deviennent des agences semi étatiques, des courtiers entre la société et l’Etat. Le parti cartel est « une sorte de Janus. D’un côté les partis agrègent et transmettent des demandes de la société vers la bureaucratie de l’Etat tandis que de l’autre, ils forment les agents de cette bureaucratie dont ils défendent les options politiques face à l’opinion publique »21. La recherche permettra de revenir sur l’ensemble de ces propriétés brossées ici à grands traits et de préciser les notions d’Etat et de « société civile » que l’approche macroscopique des deux auteurs rend floues. De même, la propriété principale qui fonde le modèle, l’idée d’une collusion entre partis de gouvernement contingentant la compétition politique, sera évoquée incidemment, puisqu’il faudra s’interroger sur l’ampleur et les effets du financement public sur le PS, interrogation qui ne prendra tout son sens qu’à partir d’une mise en perspective du cas français.

Ce modèle repose donc sur des hypothèses théoriques fortes. Pour ses auteurs d’ailleurs il est une « abstraction radicale »22. De cette abstraction radicale, il faut retenir avant tout les deux

20

Katz (R. S.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party », op. cit., p. 19.

21

Ibid., p. 13.

22 Cette abstraction a suscité de nombreuses critiques, sur lesquelles nous reviendrons et dont on signalera ici les principales.

Ainsi Ruud Koole pointe l’ambiguïté du terme même de cartel : s’agit-il du système politique qui est « cartellisé » ou des partis pris individuellement? Cf. Koole (R.), « Cadre, Catch-all or Cartel ? A Comment on the Notion of the Cartel Party »,

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présupposés qui la fondent, à savoir l’idée que comprendre les organisations partisanes contemporaines exige de saisir les relations que celles-ci entretiennent avec l’Etat, ce qu’indique explicitement la mise en place des financements publics ; et l’idée que l’activité politique connaît une intense rationalisation, qui se marque à travers la professionnalisation des élites partisanes. Ces deux points seront ainsi plus particulièrement mis en évidence dans la recherche.

Abstraction radicale enfin, car Katz et Mair envisagent leur modèle d’un point de vue idéal-typique, ce qui invite à en user comme tel. Cet usage doit alors être précisé. Katz et Mair élaborent en effet une typologie pour rendre compte, à travers un type d’organisation partisane unique, des évolutions du système politique dans son ensemble. Dans ce but, dans le sillage d’ Eldersveld et Sorauf23, ils décomposent les organisations partisanes en trois « faces » ; les transformations de chacune d’elles et des rapports qu’elles entretiennent les unes par rapport aux autres dans le parti explicitant les évolutions générales du système24. Une analogie est donc réalisée entre la compétition interne au sein des partis et l’intégration de ceux-ci aux systèmes politiques. Les partis politiques sont donc « découpés » entre le party in the public office (le parti au pouvoir : au parlement ou au gouvernement) ; le party on the ground (le parti « sur le terrain » : adhérents, activistes) et le party in the central office (les instances dirigeantes du parti : l’organisation centrale proprement dite)25. En mettant en exergue les tensions entre les trois faces des partis comme moteur de leur évolution organisationnelle, Katz et Mair proposent un cadre permettant de mieux appréhender l’idée de changement partisan26. Si pour eux, ce changement est essentiellement dépendant de variables exogènes, proposition inévitable puisque l’organisation du parti doit refléter des évolutions systémiques, il n’en demeure pas moins soumis également à des variables endogènes dont témoigne l’équilibre qui s’établit entre les « faces » du parti27. Les deux auteurs, s’ils n’excluent donc pas l’idée des variables endogènes au changement partisan, ne proposent toutefois que des indicateurs permettant de rendre compte des relations internes entre les « faces » (i.e. le pourcentage d’élus dans les instances centrales, le financement public). Ce faisant, ils s’empêchent de mettre véritablement en évidence la

politiques. Il pointe, par exemple, le hiatus qu’il y aurait à considérer que les élus du parti, sorte de managers de la politique, iraient délibérément à l’encontre de la volonté des membres de leur parti pour mieux satisfaire aux exigences gestionnaires de l’Etat. Il indique par là un point aveugle de l’analyse proposée par Katz et Mair, en s’interrogeant ensuite tout à fait logiquement sur le fait de savoir si les leaders du parti « violent » d’eux-mêmes la volonté de leurs militants ou s’ils obéissent en cela à l’administration étatique, cf. Kitschelt (H.), « Citizens, politicians and party cartellization : Political representation and state failure in post-industrial democracies », European Journal of Political Research, 2000, 37, p. 149-179. Klauss Detterbeck, enfin, constate que l’émergence ou non de ce contingentement de la compétition politique n’est pas nécessairement corrélé avec l’existence de partis cartels en tant que tels, cf. Detterbeck (K.), « Cartel Parties in Western Europe », Party politics, 2005, vol. 11, n°2, pps. 173-191.

23

Cf. Elsderveld (S. J), op. cit. et Sorauf (F. J.), Political parties in the American System, Boston, Little & Brown, 1964. Pour une critique, voir Schlesinger (J. A.), Political Parties and the Winning of the Office, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1991. L’auteur pointe les limites dans l’appréhension du phénomène partisan de ce qu’il qualifie de « piece meal

approach ».

24 Katz (R. S.), Mair (P.), « The Evolution of Party Organizations in Europe: the Three Faces of Party Organizations », op. cit., p. 594 : « we believe it to be possible to identify subsystems within parties that, by virtue of their location in the party

and the wider political system, will interact with one another in understandably patterned way ».

25

Ibidem. La définition de ces « faces » se révèle parfois approximative, cf. pour le party in the public office, infra p. 181.

26

Ibid., p. 595.

27

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singularité de chaque parti, pour mieux insister sur les tendances générales des changements partisans. Ce choix illustre leur volonté de constituer le parti cartel en idéal-type et renvoie mécaniquement à l’élaboration de propositions théoriques marquées par leur caractère abstrait. Ainsi pour eux, il importe prioritairement surtout de constater, à partir d’indicateurs généraux, la supériorité du party in the public office sur les deux autres « faces » du parti, supériorité exemplifiant l’inscription croissante des partis de gouvernement dans l’Etat.

Ce choix théorique prête alors nécessairement le flanc aux critiques dénonçant l’évolutionnisme des taxinomies organisationnelles. Aussi Katz et Mair indiquent bien que leur modèle n’est qu’un idéal-type dont les partis actuels tendent à se rapprocher sans toutefois se confondre avec lui28. Leur théorie repose donc en premier lieu sur la comparaison d’idéaux types, au détriment d’une analyse concrète et située des partis politiques. Pour sortir de cette impasse théorique, il conviendra donc de concilier approche idéal-typique des partis politiques et analyse processuelle du changement partisan. Les évolutions apportées au modèle invitent d’ailleurs à orienter la recherche en ce sens.

2. Evolution du modèle des partis cartels.

En effet, si l’on compare l’article fondateur de Katz et Mair avec celui publié conjointement une décennie plus tard par Katz et Marc Blyth29, l’évolution théorique est incontestable. Les titres eux-mêmes illustrent ce basculement, le premier utilisant le terme « parti cartel » tandis que le second recourt à celui de « cartellisation ».

L’article de Katz et Blyth témoigne d’une réelle prise en considération des critiques du modèle, tout en en conservant la matrice initiale, notamment le jeu entre les « faces » des partis, et en continuant de s’inscrire dans un effet de période30. Il propose de nombreux enrichissements qui en renforcent une lecture processuelle. Le choix du terme cartellisation n’est pas indifférent : il favorise en effet une lecture davantage compréhensive du changement partisan. En effet, la comparaison entre

28

Voir par exemple Katz (R. S.), Mair (P.), « Cadre, Catch-all or Cartel ? A Rejoinder », op.cit., p. 525-534. Pour eux, les partis, même s’ils s’orientent vers l’Etat, n’en conservent pas moins des traits distinctifs relevant de modèles antérieurs, notamment du type des « catch-all parties ».

29

Blyth (M.), Katz (R. S.), « From Catch-all Politics to Cartelization : The Political Economy of the Cartel Party », West

European Politics, vol. 28 (1), 2005, pps. 33-60.

30 Il convient de signaler que si l’on se réfère prioritairement ici à la théorie des partis cartels, c’est justement en raison de cet

effet de période, lequel est indispensable dans le cadre du modèle théorique envisagé dans le cadre de ce travail. Cela n’induit cependant pas que l’on se refuse à envisager les analyses organisationnelles relevant de l’effet de génération. En revanche, il paraît plus conforme à la démarche de se situer dans le cadre des théories relevant de l’effet de période. Benoît Rihoux distingue effets de période et effets de génération, les premiers identifiant un modèle à une période temporelle déterminée, les seconds « marquant » l’organisation partisane à sa création (i.e. la notion de patrimoine génétique développée par A. Panebianco) et produisant le maintien de la multiplicité des formes partisanes, cf. Rihoux (B.), Les partis politiques :

organisations en changement, le test des écologistes, Paris, L’Harmattan, col. Logiques politiques, 2001, p. 85. Si les effets

de génération semblent plus conformes à la réalité du développement des formes partisanes, il faut remarquer qu’un assouplissement des théories relevant des effets de période (telle celle des partis cartels) conduit in fine à un résultat presque similaire : celui de la diversité des formes partisanes. C’est ce que proposent en tout cas Katz et Mair, lorsqu’ils indiquent, par exemple, que le modèle des partis cartels n’est pas un aboutissement des formes politiques.

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un modèle et son objet empirique se réduit trop souvent, selon une démarche inductive, à une confrontation entre les propriétés théoriques du modèle et le parti. C’est justement cet écueil que la notion de cartellisation permet, dans une certaine mesure, d’éviter. En désignant un processus, la cartellisation permet d’envisager des alternatives à une évolution alors moins systématique. Il devient possible, par là, de passer d’un évolutionnisme théorique à un évolutionnisme empirique31.

La notion de cartellisation est ensuite précisée. Alors que dans les versions antérieures du modèle, la mise en place du cartel était postulée principalement à partir de la part des financements publics dans le budget des partis politiques, Katz et Blyth s’attachent là, à expliciter les éléments empiriques pouvant contraindre les dirigeants d’un parti de gouvernement à agir de la sorte. Ils analysent alors les politiques publiques conduites, ainsi que les discours politiques des leaders32, afin de mettre en évidence l’existence du cartel33. Pour mieux défendre du modèle, Katz et Blyth ont ainsi dépassé la rigidité du cadre initial en l’enrichissant par l’analyse de matériaux nouveaux et des outils théoriques adéquats. Significativement, ils écrivent : « we do feel that for the concept of the cartel party to move beyond that of « descriptive ideal-type » some discussion of the logics of the cartels and the applicability of this to the political world is necessary »34.

C’est ensuite la manière d’appréhender les organisations partisanes à partir de catégories généralisantes tant en ce qui concerne l’organisation elle-même (les « faces » des partis) que les individus qui la composent (les élus, les adhérents) qui évolue. Les auteurs ne partent plus en effet du modèle tel qu’élaboré mais des changements qu’ils considèrent comme des contraintes auxquelles l’organisation doit s’adapter, pour identifier, par là, les stratégies qui s’offrent aux élites partisanes pour y faire face. Ainsi, les acteurs partisans retrouvent alors une – relative – centralité absente dans la version antérieure du modèle tandis que, et de manière décisive, les relations entre les trois « faces » des partis sont envisagées en termes d’opportunités stratégiques, comme une solution parmi d’autres pour faciliter l’adaptation aux nouvelles formes de la compétition politique35. L’article de Katz et Blyth doit se comprendre ainsi comme le prolongement et l’accentuation de la volonté de décentrer théoriquement le modèle des partis cartels d’une analyse organisationnelle réifiante.

Ces apports proposent une lecture enrichie du modèle des partis cartels, lecture fondée sur une évolution décisive proposée par l’article. L’usage du terme de cartellisation prend tout son sens ici si

31

On se permet ici de reprendre très librement la distinction opérée par N. Heinich, en réponse aux critiques des postulats éliassiens, cf. Heinich (N.), La sociologie de Norbert Elias, Paris, La découverte, col. Repères, 2002, p. 26.

32

Il faut y voir un prolongement des travaux de M. Blyth, cf. Blyth (M.), Great Transformation : Economic Ideas and

Institutional Change in the Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 33

Ils reconnaissent qu’un cartel peut exister sans que cela ne suppose nécessairement d’entente collusive explicite entre les dirigeants des partis de gouvernement.

34

Blyth (M.), Katz (R. S.), « From Catch-all Politics to Cartellisation : The Political Economy of the Cartel Party », op. cit., p. 38, souligné par nous.

35

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l’on admet que le modèle idéal-typique passe au second plan, sans disparaître, tandis que c’est l’adaptation des membres des partis aux évolutions qu’ils perçoivent, plus ou moins consciemment, qui passe au premier. Cependant, bien qu’ils notent que la « cartellisation est un processus multidimensionnel »36, Katz et Blyth ne semblent pas avoir tiré profit de l’ensemble des potentialités ainsi ouvertes : ils ne formalisent pas théoriquement le glissement opéré par la notion de cartellisation. Leur article montre toutefois que si le parti cartel renvoie prioritairement à l’organisation des partis politiques, la cartellisation dépasse largement ce strict cadre. Autrement dit, cet article démontre que la théorie des partis cartels peut être mobilisée sans risquer de tomber dans le piège d’une démarche de recherche inductive, dès lors que l’on accepte de l’utiliser dans sa perspective dynamique et que l’on croise les approches théoriques. C’est cette piste de recherche que cette analyse du PS voudrait emprunter. Or, si la notion de cartellisation appelle indubitablement à un élargissement des outils théoriques sollicités, la sociologie française des organisations partisanes offre alors un vaste réservoir dans lequel il convient de puiser.

3. Etat des travaux français et perspectives de recherches.

Faisant exception au renouveau des approches organisationnelles au niveau international, la France est restée largement étrangère à ce mouvement37, non sans que soient développées d’autres approches des partis politiques susceptibles d’enrichir l’usage du modèle des partis cartels38. Ainsi, une analyse des partis politiques en tant que construits sociaux émerge aujourd'hui, analyse dont l’origine se situe au niveau sociétal.

36

Ibid, p. 53 : « cartelisation is a multi-dimensional process ».

37

Cf. Haegel (Fl.), « A la recherche de la « densité » des phénomènes organisationnels : l’exemple du RPR » in Andolfatto (D.), Greffet (F.), Olivier (L.), Les partis politiques, quelles perspectives ?, Paris, L’Harmattan, Col. Logiques politiques, 2001, p. 83. Un des exemples les plus frappant de cette lacune reste sans nul doute l’ouvrage collectif dirigé par Katz (R.S.), Mair (P.), Party organizations : a data handbook on party organizations in Western democracies, 1960-90, London, Sage, 1992, lequel est issu d’un programme de recherche centré sur une dizaine de pays européens et sur les Etats-Unis, et à partir duquel les deux auteurs proposeront ultérieurement leur modèle des partis cartels. Or, dans cet ouvrage, le cas de la France n’est significativement pas étudié. Ce retard tend à être comblé, cf. Haegel (Fl.) (dir.), Partis politiques et système partisan en

France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007 et Aucante (Y.), Dezé (A.) (dir.), Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti-cartel en question, op. cit..

38

Parmi les contributions les plus récentes cf. Massart (A.), UDF : naissance et organisation d’un regroupement de partis, Thèse pour le doctorat en science politique, Lille 2, 1997 ; Sauger (N.), Les scissions de l’UDF (1994-1999). Unité et

dissociation des partis, mécanismes de transformation de l’offre partisane, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP

de Paris, 2003 ; Fretel (J.), Militants catholiques en politique. La Nouvelle UDF. Thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris I, 2004 ; Sawicki (F.), Les réseaux du Parti socialiste, op. cit. ; Lefebvre (R.), Le socialisme saisi par

l’institution municipale. Jeux d’échelles, Thèse pour le doctorat en science politique, Lille 2, 2001 ; Verrier (B.), Loyauté militante et fragmentation des partis. Du CERES au MDC, Thèse pour le doctorat de science politique, Université Robert

Schuman – Strasbourg III, 2003 ; Faucher-King (Fl.), Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 ; Garcia (X.), Analyse d’une transition partisane : Le parti travailliste britannique depuis 1979, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2003 ; Aucante (Y.), L’Hégémonie démocratique :

institutionnalisation des partis sociaux-démocrates suédois et norvégiens comme partis d’Etat, Thèse pour le doctorat en

science politique, IEP de Paris, 2003 ; Combes (H.), De la politique contestataire à la fabrique partisane : le cas du Parti de

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Les travaux de Michel Offerlé ont véritablement ouvert la voie à ce type d’approches39. Selon lui, un parti politique doit être considéré « comme un espace de concurrence entre des agents, comme une entreprise politique d’un type particulier »40. L’accent est donc porté prioritairement sur les membres du parti et les ressorts de leur participation à cette sociation. Ce qui renvoie, par suite, à la notion d’entreprise politique. Par ce terme, M. Offerlé intègre la notion de marché politique, sur lequel s’insère cette entreprise dont le but est alors de produire des biens politiques. Le parti politique n’est plus envisagé abstraitement mais au contraire analysé à partir de l’action de ses membres, « agents [qui] investissent des capitaux pour recueillir des profits politiques en produisant des biens politiques »41. La forme du parti importe peu ici : le parti est appréhendé alors comme un champ de forces, c'est-à-dire un « espace de concurrence objectivé entre des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour la définition légitime du parti [...] dont ils contribuent par leur compétition à entretenir l’existence »42. Dès lors que l’on considère qu’un parti est un espace de concurrence, il importe de saisir les frontières de cet espace et les relations qui s’établissent entre les agents contribuant à le faire exister. Les structures d’organisation constituent, par là, une source de ressources collectives. En revanche, la forme de l’organisation n’est pas étudiée. Ce choix renvoie au postulat selon lequel envisager l’organisation per se conduirait à établir une vision du parti qui ne correspondrait pas aux usages sociaux dont il est l’objet. Or, si la focale permet d’éclairer et de détailler les contours sociologiques du parti, elle en pixellise l’image organisationnelle, de telle sorte que l’on obtient une représentation fidèle de ceux qui le composent, mais plus du parti lui-même.

Dans le prolongement des travaux de M. Offerlé, ceux de F. Sawicki mettent en exergue la nécessité d’envisager non plus seulement le parti mais le milieu partisan et les réseaux qui le composent, ce qui doit permettre de mieux souligner la manière dont les partis politiques « agrègent des groupes divers dotés de dispositions contrastées tout en appréhendant la manière dont les formes du militantisme et d’organisation qui prévalent en une situation donnée reflètent ces dispositions et cette diversité »43. Mais là encore, si l’on perçoit mieux qui sont les membres du parti et la manière dont les agencements relationnels s’établissent entre eux, on perd une vue d’ensemble du parti, ce qui est renforcé par la perspective localiste adoptée44.

Ce type d’approches permet donc moins de savoir ce qu’est l’organisation qu’il ne renseigne sur ceux qui la font. Deux éléments doivent alors être soulignés. Ceux-ci permettront de préciser la

39

Cf. Offerlé (M.), Les partis politiques, Paris, PUF, Col. QSJ, 2002 (4ème éd.).

40

Offerlé (M.), Les partis politiques, op. cit., p. 5.

41

Ibid, p. 12.

42

Ibid, p. 15.

43 Sawicki (F.), Les réseaux du Parti socialiste, op. cit., , p. 32. 44

Voir en ce sens l’ouvrage précurseur de Lagroye (J.), Lord (G.), Mounier-Chazel (L.), Palard (J.), Les Militants politiques

dans trois partis français : Parti communiste, Parti socialiste, Union des démocrates pour la République, Bordeaux, Pédone,

1976. Du reste, si F. Sawicki a privilégié l’échelon local, sa méthode est aisément transposable à l’échelon national, ainsi qu’il a pu le démontrer par ailleurs, cf. Sawicki (F.), La structuration du Parti socialiste. Milieux partisans et production

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manière dont on entend dépasser la dichotomie entre organisations et reflet social. Premier constat, le choix d’envisager le parti comme relation sociale, s’il n’empêche pas d’étudier l’organisation, ne permet pas de rendre compte de ce qu’elle est intrinsèquement. Or, s’interroger sur ce qu’est l’organisation partisane, autrement dit sur sa forme, nécessite de replacer celle-ci au premier plan. Il convient par conséquent de comprendre comment les membres d’un parti s’associent et organisent leur action pour la faire fonctionner. Dès lors que l’on envisage de déterminer pourquoi un parti change, il convient de s’appuyer sur ses formes pour situer ce changement, avant de pouvoir, dans un second temps, appréhender ceux qui en sont les acteurs. Deux étapes apparaissent ainsi : d’abord identifier le changement à l’œuvre à travers les modifications subies par l’organisation partisane ; identifier ensuite les acteurs de ce changement et, par là, l’arbitrage réalisé durant cette phase entre leurs ressources mobilisables, les contraintes qui pèsent sur leur action et les résultats attendus de cet arbitrage. M. Offerlé écrit à juste titre que, derrière le même sigle, des réalités très différentes peuvent coexister. Mais, toutes choses égales par ailleurs, la proposition inverse peut aussi être valable : derrière le même personnel, différentes formes de parti peuvent coexister.

Si l’on en revient, dans le sillage de la définition de Max Weber, à une appréhension du parti en fonction de la finalité de la sociation, à savoir la conquête des suffrages pour parvenir au pouvoir, la nécessité de s’interroger en premier lieu sur les moyens que les membres du parti communalisent pour y parvenir passe au premier plan, puisqu’elle invite à analyser le produit collectif de cette sociation, à savoir l’organisation qui devra permettre la réalisation de cet objectif. Ce qui ne veut pas signifier que les membres de la sociation n’ont par exemple pas d’intérêts particuliers à la réalisation de l’objectif collectif mais que l’organisation partisane transcende ces intérêts divers par la réalisation de ceux qui lui sont collectivement assignés. On peut alors s’interroger sur les modalités de réalisation de cette ambition collective et, pour ce faire, envisager l’organisation, les formes qu’elle prend, les biens qu’elle produit et les transformations qu’elle subit en fonction de la réalisation ou de la modification des objectifs collectifs qui lui ont été assignés. Dans cette perspective, les agents partisans ne peuvent être ignorés, mais doivent être envisagés en tant qu’individus sociologiquement situés dans un second temps. Ce second temps devra permettre de saisir comment l’articulation des fins de l’organisation est travaillée par ceux qui la composent.

Choisir de se placer du point de vue organisationnel suppose donc d’envisager ce qu’est structurellement le parti sans toutefois négliger que sa forme, et par suite l’évolution de celle-ci, est étroitement corrélée aux propriétés et « façons de jouer le jeu interne » de ceux qui la composent. Mettre en évidence les changements qui affectent l’organisation partisane suppose alors de parvenir à articuler l’étude de l’organisation dans un modèle qui laissera toute sa place aux membres du parti. On propose alors de fixer comme cadre de départ à la construction théorique la proposition suivante :

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envisager les changements à l’œuvre dans une organisation partisane implique d’analyser les transformations subies par l’entreprise partisane.

Affirmer ceci, c’est vouloir mettre en évidence trois points. C’est, d’abord, préciser la notion de changement partisan en dépassant la perspective organisationnelle qui n’envisage ce phénomène que comme une variable d’ajustement alors que le propre d’une organisation partisane est de subir de perpétuelles modifications, dans sa forme ou à travers les individus qui y participent.

C’est, deuxièmement, refuser de tomber dans l’illusion typologique des organisations partisanes. Délice de l’approche organisationnelle45, recourir aux typologies partisanes porte en germe le risque, on l’a vu, de devenir une fin en soi46. En revanche, la typologie permet d’interroger les moyens par lesquels les membres d’un parti cherchent à réaliser le but collectivement fixé à l’organisation. Ainsi, se fonder sur les typologies partisanes constitue un outil théorique pertinent pour appréhender les transformations des partis politiques, à condition toutefois d’éviter deux écueils. Il faut d’abord, déconstruire le processus transformationnel, c'est-à-dire intégrer dans l’analyse non seulement les transformations telles qu’elles se sont produites, mais également les possibles non réalisés47. Il ne s’agit pas de « refaire l’histoire », mais de saisir en quoi les solutions proposées par les acteurs étaient déterminées par les circonstances et pourquoi, en fin de compte, telle solution a été privilégiée plutôt que telle autre48. Garder à l’esprit les alternatives qui jalonnent le processus transformationnel permet, en outre, d’éviter le second écueil lié à l’utilisation d’une typologie partisane. Il s’agit donc, ensuite, de ne pas renverser la perspective et de conformer l’objet au modèle. Identifier les étapes du développement de l’organisation et les alternatives possibles au changement que chacune d’entre elles offre permet par conséquent d’adopter une démarche distanciée par rapport au modèle partisan. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de conserver une démarche soucieuse de considérer le parti comme relation sociale. Le changement n’est plus un phénomène abstrait dans ces conditions, mais un processus réalisé et incarné par des individus dont les intérêts contradictoires s’affrontent et trouvent à s’exprimer nécessairement durant ce processus.

Cela suppose, enfin, troisième point, de dépasser la distinction classique des analyses organisationnelles entre dirigeants/élus et adhérents, pour insister sur la fluidité des positions de chacun et les regroupements qui s’opèrent et qui transcendent cette distinction.

45

Cf. le nombre de types partisans répertoriés par D-L. Seiler dans la classification des organisations partisanes qu’il établit

in Seiler (D-L)., Les partis politiques, Paris, A. Colin, col. Compact, 2000 (2ème éd.), p. 175.

46

Pour une discussion sur ce thème, voir Gunther (R.), Diamond (L.), « Species of Political Parties. A New Typology »,

Party Politics, 9, 2003, pp. 167-199. Plus généralement, sur la pensée typologique, voir Rowell (J.), Le totalitarisme au concret : les politiques du logement en RDA, Paris, Economica, col. Etudes politiques, 2006.

47

Sur la notion de « possibilité avortée », voir Veyne (P.), Comment on écrit l’Histoire, Paris, Seuil, 1996 (1ère éd, 1971), p. 145.

48

L’idée de solution élaborée pour absorber le changement ne doit pas laisser croire que les solutions proposées ne peuvent être que des actions positives. Au contraire, les membres d’un parti peuvent très bien décider … de ne rien décider ni de faire, privilégiant le statu quo.

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Ces précisions préalables s’avèrent d’autant plus nécessaires qu’elles doivent être considérées comme les soubassements à partir desquels une modélisation combinant approches organisationnelles et sociétales et visant à rendre compte des changements partisans, sera proposée. La notion de changement semble alors pouvoir constituer le pont reliant ces deux types d’approches. A condition toutefois d’être débarrassée de ses oripeaux systémiques et, notamment, de ne plus être considérée comme étant une simple variable.

4. Appréhender les organisations partisanes à partir de la notion de changement.

Interroger les évolutions d’une organisation partisane conduit inévitablement à rechercher, d’une part, ce qui la fait changer et à examiner, d’autre part, les manières dont elle change49.

Le changement au prisme des approches organisationnelles.

La sociologie des organisations partisanes appréhende le changement essentiellement selon deux acceptions différentes. La première l’envisage comme une série de variables : endogènes ou exogènes ; incrémentales ou discontinues ; nécessaires ou contingentes ; intentionnelles ou non50. La seconde renvoie à l’idée de processus : un parti passe d’une forme d’organisation à une autre. Les deux sont cependant régulièrement confondues, notamment quand une typologie partisane est élaborée.

Les approches organisationnelles qui insistent sur la construction de ces typologies tendent à analyser le changement en tant que processus, tandis que celles qui insistent plus spécifiquement sur le changement en tant que variables élaborent des modèles d’analyses permettant de les interpréter51. La construction de typologies entraîne alors leurs auteurs à considérer l’organisation de manière d’autant plus abstraite que leur analyse accorde une influence importante aux variables externes. C’est le cas par exemple pour Katz et Mair pour qui, in fine, le changement du parti est déterminé par son environnement52. En revanche, ceux qui s’attachent davantage aux changements en tant que variables proposent des modèles tenant à la fois compte de la structure réelle de l’organisation et des relations qu’entretiennent entre eux leurs membres. Cependant, même les auteurs les plus soucieux d’éviter le piège évolutionniste, à l’image de Koole ou de Panebianco, sont conduits à construire un modèle en

49

Pour une approche générale de la notion de changement, voir Dupuy (F.), Sociologie du changement : pourquoi et

comment changer les organisations, Paris, Dunod, 2004. 50

Cf. Rihoux (B.), Les partis politiques : organisations en changement, le test des écologistes, op. cit., pp. 99 à 107.

51 Cf. Harmel (R.), Janda (K.), « An Integrated Theory of Party Goals and Party Change », Journal of Theoretical Politics,

vol. 6 (3), 1994, pps. 259-287.

52 « And while the reasons for this change are myriad, with the immediate source being usually found in the internal politics

of the party, the ultimate source can often be traced back to the environment in which the party operates » : Katz (R. S.), Mair. (P.), « The Ascendancy of the Party in the Public Office » in Gunther (R.), Montero (J. R.), Linz (J.), Political Parties,

Figure

Tab. 1.  Caractéristiques des modèles de partis selon Katz et Mair 17 .
Tab. 2-1. Résultats électoraux de la gauche non-communiste aux élections législatives (1er tour) de 1968 à  1978 212
Tab. 2-2. Répartition du vote socialiste en fonction du clivage rural-urbain (1967-1978) 214
Tab. 2-3. Le vote PS lors des élections du 12 mars 1978 selon la profession exercée (en %) 217
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Références

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