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CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.1 Analyse du cycle de vie, modélisation de la phase d’utilisation et effet rebond

2.1.1 La modélisation de la phase d’utilisation

La phase d’utilisation peut être responsable de 50 à 80 % des impacts environnementaux de l’ensemble du cycle de vie pour certains systèmes (par exemple pour les équipements ménagers)

(di Sorrentino et al., 2016). Ce chiffre peut atteindre 90 % pour le bâtiment (Buyle et al., 2013). Par conséquent, les variations possibles de la phase d’utilisation peuvent grandement changer les résultats de l’analyse du cycle de vie pour ces systèmes. Par exemple, différentes hypothèses sur le temps passé à prendre les nouvelles selon le type de média (journal imprimé ou numérique) peuvent changer les conclusions de l’ACV (Reichart, 2002). Les scénarios décrivant la phase d’utilisation en ACV sont, cependant, souvent basés sur des hypothèses rudimentaires (di Sorrentino et al., 2016). Afin de parfaire le réalisme de l’ACV et son utilité en tant qu’outil d’aide à la décision, il est donc primordial de porter une attention particulière à la modélisation de la phase d’utilisation, lors de l’ACV des systèmes pour lesquels cette phase contribue grandement aux impacts environnementaux.

Du fait de l’emploi de l’unité fonctionnelle, le choix des scénarios d’utilisation lors d’une ACV comparative, est souvent celui d’une parfaite substitution entre les alternatives. En réalité, un individu n’adopte pas forcément les mêmes comportements selon l’alternative. Un article de synthèse sur les ACV comparant des produits en papiers et des alternatives numériques montre ainsi que la plupart des études considèrent l’unité fonctionnelle comme étant un produit et non un service (Bull & Kozak, 2014). Cette approche facilite la modélisation pour le praticien, mais ne permet pas de quantifier l’impact de l’utilisation réelle du produit (Bull & Kozak, 2014). Par exemple, une étude comparant magazines imprimés et magazines numériques, note que les conclusions sont limitées par le manque de données sur l’utilisation des médias permettant la lecture d’un magazine (Ahmadi Achachlouei, Moberg, & Hochschorner, 2015). Une autre étude a montré que le temps passé à prendre les nouvelles sur différents médias diverge (25 minutes pour un journal télévisé contre 10 minutes sur un journal numérique), et que la fonction de chaque média n’était pas exactement équivalente (Reichart, 2002). Un journal imprimé est souvent lu plus minutieusement qu’un journal numérique où l’utilisateur survole plusieurs courts articles, l’unité fonctionnelle n’étant par conséquent pas exactement la même (Reichart, 2002). Cette remarque a été généralisée à l’ensemble des TIC où bien souvent les paramètres choisis pour la phase d’utilisation vont grandement influencer les résultats de l’ACV (Arushanyan et al., 2014). Les utilisateurs ne se comportent pas non plus de la même manière selon par exemple leurs milieux socioculturels, leurs âges ou leurs sexes. Prendre en compte cette hétérogénéité peut non seulement améliorer le réalisme de l’ACV, mais aussi fournir des éléments permettant d’évaluer le potentiel et les moyens permettant des changements de comportements (par exemple pour

permettre l’atteinte de l’objectif de développement durable 12.8) (di Sorrentino et al., 2016; Raihanian Mashhadi & Behdad, 2018). Raihanian et al. (2018) ont ainsi démontré que l’efficacité d’un appareil de retour d’information sur la consommation énergétique à changer les comportements des utilisateurs dépendait entre autres de l’attitude et du réseau social de l’utilisateur, deux éléments propres à ce dernier (Raihanian Mashhadi & Behdad, 2018).

L’étude de Raihanian et al. (2018) est aussi un exemple d’évaluation d’une technologie visant à changer les comportements de ses utilisateurs : un compteur intelligent accompagné d’un dispositif de retour d’information comparatif. Ce retour d’information comparatif constitue un « nudge », une politique comportementale visant à changer les comportements. Plus précisément, un nudge (littéralement « coup de coude » en anglais, mais plutôt traduit par « coup de pouce » en français) est une architecture de choix visant à influencer la prise de décision des individus dans une direction prévue tout en préservant leurs libertés de choix. Comprendre quelle architecture de choix est plus favorable d’un point de vue environnemental est donc un autre avantage à une modélisation plus fine de la phase d’utilisation.

La structure actuelle de l’ACV ne permet pas non plus de prendre en compte les dynamiques des comportements des utilisateurs (Miller, Moysey, Sharp, & Alfaro, 2013; Raihanian Mashhadi & Behdad, 2018). Comprendre et modéliser ces dynamiques sont cependant primordial pour évaluer les impacts environnementaux des systèmes pouvant changer les comportements des utilisateurs, par exemple les TIC (di Sorrentino et al., 2016). Ces dernières contribuent en effet à changer les façons de travailler, se déplacer ou de magasiner (par exemple avec le télétravail, les services d’autopartage et les achats en ligne respectivement) (Börjesson Rivera, Eriksson, & Wangel, 2015; Pohl et al., 2019; Røpke & Christensen, 2012). En déterminant, par exemple, si c’est l’utilisation du produit qui va être étudié ou le service délivré par celui-ci, le choix de l’unité fonctionnelle joue aussi un rôle crucial dans la modélisation de la phase d’utilisation.

Certaines études ont ainsi cherché à redéfinir la notion d’unité fonctionnelle afin de mieux prendre en compte les comportements humains lors de la phase d’utilisation. Par exemple, Hofstetter et al. proposent d’utiliser comme unité de comparaison la satisfaction et l’augmentation du bonheur au lieu de la description traditionnelle de l’unité fonctionnelle en unité physique (Hofstetter, Madjar, & Ozawa, 2006). Ce changement de paradigme permettrait de mieux saisir la consommation durable dans le duo consommation durable/production durable,

ainsi que d’inclure dans l’analyse environnementale des effets indirects tels que les effets rebonds (Hofstetter et al., 2006).

Une approche plus pragmatique a été proposée par Goedkoop et al. (1999). Selon ces derniers, plusieurs niveaux de définition de l’unité fonctionnelle (étroite ou large) peuvent être envisagés selon le contexte de l’étude (Goedkoop, 1999). Dans le cas d’un système de transport, une définition étroite de l’unité fonctionnelle serait « une personne-kilomètre ». Une définition plus large serait « les déplacements domicile-travail d’un ménage pendant un mois ». Dans le premier cas, on s’intéresse aux impacts environnementaux des moyens de transport (par exemple comparer l’utilisation de la voiture et du train). Dans le second cas, on étudie les impacts environnementaux d’une activité, dont l’accomplissement peut impliquer différents moyens de transport (selon le jour de la semaine par exemple). Une définition plus large de l’unité fonctionnelle (et finalement du champ de l’étude) peut ainsi nécessiter des informations vis-à-vis des comportements des utilisateurs d’un système. Par exemple, lorsque l’on évalue les impacts environnementaux de l’introduction d’un système de transport en autopartage, il est nécessaire de se questionner sur les changements que cela peut entraîner sur la façon dont la voiture, les transports en commun et le vélo vont être utilisés (Goedkoop, 1999).

Une définition plus large de l’unité fonctionnelle (ou champ de l’étude) peut également amener l’analyse à s’intéresser aux effets rebonds potentiels du système étudié (Goedkoop, 1999), un phénomène intimement lié aux comportements des utilisateurs.