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CHAPITRE 2 REVUE DE LA LITTÉRATURE

2.1 Analyse du cycle de vie, modélisation de la phase d’utilisation et effet rebond

2.1.2 L’effet rebond

L’effet rebond se définit comme l’augmentation de la demande en réponse à l’amélioration de l’efficacité d’un produit/service. Sa découverte est attribuée à l’économiste du XIXe siècle William Stanley Jevons. Ce dernier a remis en cause la pertinence des stratégies de préservation des ressources de charbon au Royaume-Uni qui visaient à améliorer l’efficacité des technologies utilisant ce minerai. Il défendait ainsi la thèse selon laquelle un gain d’efficacité augmenterait la consommation du charbon au lieu d’en préserver les ressources (Figure 2.2) (Alcott, 2005). L’effet rebond est depuis débattu et étudié au sein du domaine de l’économie de l’énergie et s’est

immiscé dans d’autres domaines de recherche tels que l’écologie industrielle ou l’étude du transport (Vivanco & van der Voet, 2014).

Figure 2.2 Paradoxe de Jevons : la quantité d’énergie utilisée après l’amélioration de l’efficacité énergétique (B) est supérieure à celle qui précède l’amélioration de l’efficacité énergétique (A) Quatre grands types d’effet rebond sont usuellement définis dans la littérature (Pohl et al., 2019; Vivanco & van der Voet, 2014) :

1. L’effet rebond direct : est un changement individuel de consommation ou de production d’un produit/service à la suite d’un changement d’efficacité de ce même produit/service ; 2. L’effet rebond indirect : est un changement individuel de consommation ou de production

d’autres biens et services (que celui qui subit un changement) à la suite d’un changement d’efficacité d’un produit/service ;

3. L’effet rebond structurel : est un changement global de consommation ou de production comme réponse systémique du marché au changement de la demande totale, elle-même induite par un changement d’efficacité d’un produit/service ;

4. L’effet rebond transformationnel : est un changement global de consommation ou de production comme réponse sociétale systémique au changement des préférences des consommateurs, des institutions sociales ou de l’organisation de la production, lui-même induit par un changement d’efficacité d’un produit/service.

Un exemple d’effet rebond direct est l’augmentation de la consommation d’ampoule suivant l’introduction d’ampoules à diodes électroluminescentes (Hicks & Theis, 2014). La réduction de la consommation énergétique due à l’efficacité des ampoules à diode électroluminescente entraîne une réduction de la facture énergétique. Celle-ci permet au consommateur d’installer des

ampoules supplémentaires, modérant ainsi la réduction de la consommation énergétique initiale (Hicks & Theis, 2014).

Un exemple d’effet rebond indirect est celui de la réduction du gaspillage alimentaire. Celle-ci entraîne une diminution des dépenses pour l’achat de nourriture ce qui entraîne à son tour une augmentation des dépenses dans d’autres secteurs de la consommation. Les réductions d’impacts environnementaux (dus à la diminution du gaspillage alimentaire) sont alors atténuées par les impacts des produits ou services qui ont été acquis grâce aux économies liées à la réduction du gaspillage (Druckman et al., 2011).

L’effet rebond structurel a été modélisé, par exemple, dans le cas d’un changement de diète des habitants de l’Union européenne (Tukker et al., 2011). Trois scénarios de régime alimentaire ont été modélisés, dont un réduisant la consommation de viande rouge. Un modèle entrées-sorties européen étendu à l’environnement (E3IOT) et un modèle d’équilibre partiel pour le secteur agricole (CAPRI) ont ensuite été utilisés pour modéliser l’effet de chaque scénario sur l’économie de l’Union européenne et les impacts environnementaux associés. Selon l’étude, la réduction de consommation de viande rouge permet de diminuer de 8 % les impacts environnementaux. En prenant en compte l’effet rebond indirect (lié aux économies réalisées par les ménages), cette réduction diminue à 1,8 % puis, en prenant en compte l’effet rebond structurel (lié aux changements de la demande en produits agricoles), cette réduction d’impact diminue à 0,5 %. Les auteurs expliquent que selon le modèle CAPRI, la diminution de consommation de viande rouge n’entraîne pas une diminution significative de la production puisque la viande est alors exportée.

En raison de la complexité des phénomènes en jeux, l’effet rebond transformationnel n’a été que peu étudié. Une étude ACV sur les bus utilisant des piles à combustible a cependant modélisé un tel effet rebond (Sandén & Karlström, 2007). Afin de prendre en compte des changements qui vont au-delà des relations de cause à effet entre l’offre et la demande, l’étude utilise une courbe d’expérience et des scénarios prospectifs. Les auteurs ont ainsi démontré que les effets de rétroaction positifs liés à l’introduction d’une nouvelle technologie (hors de simples mécanismes de marché), comme les économies d’échelle et l’apprentissage, pouvaient entraîner un effet rebond négatif (c’est-à-dire des réductions d’impacts environnementaux supplémentaires).

Il existe également d’autres types de classification de l’effet rebond, par exemple selon l’échelle de temps considéré ou le mécanisme causant l’effet rebond (par exemple psychologique plutôt que purement économique (Hofstetter et al., 2006; Pohl et al., 2019; Santarius & Soland, 2018)). Les sciences environnementales et l’écologie industrielle ont donc élargi la notion d’effet rebond des économistes de l’énergie en prenant en compte plusieurs métriques environnementales, et en considérant différentes causes de l’effet rebond (par exemple le temps, le volume, et les facteurs psychologiques) (Vivanco & van der Voet, 2014). Plusieurs approches pour son estimation ont aussi été développées. Elles combinent souvent plusieurs outils ou méthodes, par exemple l’ACV et la SMA (Hicks & Theis, 2014), ou l’ACV et les tables entrées-sorties étendues à l’environnement (Font Vivanco, Freire-González, Kemp, & van der Voet, 2014).

Lors d’une ACV, l’hypothèse de ceteris paribus ou de demande constante est souvent implicitement supposée (Girod, de Haan, & Scholz, 2011). Cependant, la prise en compte du changement (d’une variable économique, d’un comportement) pouvant être induit lors de l’introduction d’une alternative à un produit/service peut parfois changer significativement les conclusions de l’étude. Par exemple, augmenter annuellement de 50 % l’efficacité de l’utilisation d’eau en Espagne pourrait au contraire en augmenter légèrement sa consommation au lieu de la diminuer si l'on inclut l’effet rebond structurel (Freire-González, 2019). Au demeurant de n’être que rarement inclus dans les études environnementales (Hellweg & i Canals, 2014; Pohl et al., 2019), plusieurs éléments limitent actuellement la prise en compte de l’effet rebond. Le premier est le besoin d’une clarification du concept (Font Vivanco, McDowall, Freire-González, Kemp, & van der Voet, 2016a). Une autre amélioration possible serait la standardisation de la méthode et des données utilisées ; par exemple de l’ACV hybride (c’est-à-dire l’utilisation de l’ACV en combinaison avec les tables EEIO) qui est souvent utilisé pour évaluer l’effet rebond (Crawford, Bontinck, Stephan, Wiedmann, & Yu, 2018; Font Vivanco, Tukker, & Kemp, 2016b). Enfin, la prise en compte d’aspects temporels tel que l’émergence de nouveaux comportements (Font Vivanco et al., 2016a) et l’utilisation de données comportementales sont deux limites de la recherche sur l’effet rebond qui sont particulièrement pertinentes pour la modélisation de la phase d’utilisation (Pohl et al., 2019).

2.1.3 Les limites actuelles de la modélisation de la phase d’utilisation et de