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La matière première alimentaire, production locale et valorisation

& marqueur du temps quotidien

B. La matière première alimentaire, production locale et valorisation

Une hiérarchie alimentaire s’établit en fonction de la valeur, de l’accessibilité et de la valeur énergétique. Elle distingue à sa base, les céréales et les huiles, puis les fruits et légumes, puis les viandes et les œufs.

La Syrie se place parmi les premiers pays agricoles de la région proche et moyen orientale. Cela s’explique par une volonté politique d’autonomie alimentaire menée depuis de nombreuses années, par la fertilité de ses sols et par la présence de conditions climatiques favorables.

1. Les céréales et les légumineuses

En se référant aux statistiques agricoles de l’année 2002 en Syrie, nous apprenons que les productions céréalières majeures sont : le blé (1 679 000 hectares de culture), l’avoine (1 234 000 ha), le maïs (57 300 ha) et le millet (3 600 ha).

Pour les légumineuses, également base du système alimentaire, les lentilles sont cultivées sur 121 000 hectares, les pois chiches 102 000 ha et les fèves 1 100 ha.

La civilisation alimentaire proche orientale est fondée sur le blé, les légumineuses et les produits laitiers. Berceau de la domestication du blé, sa culture marque le paysage de cette région, tout comme celles de la vigne et des oliviers, triptyque caractéristique de la région méditerranéenne (Hubert, 1985).

Avec la farine de blé on fabrique le pain, aliment consommé à chaque repas, qui revêt un caractère sacré en Syrie. Béni et signe de Dieu, il ne doit jamais être jeté.

Auparavant, le pain cuisait dans un four en terre nommé tannour. Chaque quartier

possédait son four tannour, subventionné par l’état. Ce four, creux et arrondi dont le foyer

indépendant se situe à la base. La galette de pain, déposée sur ses parois, cuit puis se détache.

Les étapes de fabrication : pétrissage, levée et cuisson et sa composition

déterminent différents types de pain. Le plus commun est celui du khobs, grande galette

ronde et plate d’une trentaine de centimètres de diamètre, à double épaisseur et de couleur claire. A l’intérieur du local, la chaleur est brûlante. La galette de pâte initiale qui a la taille d‘une paume de main, chemine dans un circuit qui l’aplatit, la retourne, la

chauffe, la retourne encore avant d’être acheminée vers la sortie. [photo planche 3 en bas à droite]. Le boulanger la saisit brûlante et la sert à son client qui la laisse refroidir avant de la ramener.

La composition du pain a fortement évolué. On peut aujourd’hui trouver tout type de pain, y compris des baguettes. Autrefois, le kilo de pain coûtait 10 livres, (un franc) son prix actuel est de 25 livres par kilo. Le pain est acheté quotidiennement et souvent en grande quantité dans les fours à pain, subventionnés par l’état et qui sont repérables par leurs longues files d’attente, bien que les personnes ne soient pas exactement en file ordonnée. D’après un informateur, le boulanger n’est plus un artiste mais un ouvrier. L’évolution du mode de fabrication du pain, base de la nourriture, induit un changement plus global dans la préparation et la transformation des aliments.

Le grain de blé est nommé de diverses manières selon le stade de maturité à la récolte et le traitement du grain.

- Le friké désigne en effet le jeune blé vert brûlé juste après avoir été récolté. Il est

consommé dans le plat traditionnel bédouin le mansaf : gigot d’agneau sur lit de friké,

mélangé parfois au riz. La surface de ce plat est parsemée de fruits secs grillés (amandes,

noix de cajou, pignons) et il s’accompagne de laban, yaourt épais.

- Le bourghol désigne le blé récolté mûr, étuvé : on fait bouillir les grains de blé pour

éviter la germination. Une fois cuits, ils sont laissés sécher au soleil jusqu’à ce qu’ils soient durs. Ils sont alors concassés.

Le mot bourghol vient de la langue persane et son aire de répartition s’étend

jusqu’à l’Arménie et la Grèce. Les gens d’Alep pilent le bourghol. Il existe une machine

pour concasser le blé. Certains vendeurs ambulants la transportaient et, quand venait la

saison du bourghol, proposaient aux riverains d’en faire usage.

Le bourghol qui passe à travers un tamis très fin est appelé Sresêrré. Celui qui sort d’un

crible plus large est appelé Ineaém.

En dehors d’Alep se cultive une variété de blé dont le grain est plus ferme, ce qui

est mieux pour la fabrication des kebbés car le grain ne fond pas et son adhésion est

bonne. Les kebbé seraient-elles un indice d’adaptation de l’homme à son milieu ?

Au blé s’est substitué peu à peu le riz, importé de l’Asie, qui est aujourd’hui la céréale la plus répandue. D’après Sami Zubaida (2000), jusqu’à récemment encore, le riz était considéré comme un mets luxueux, réservé à la table des nantis pour des occasions spéciales. Cela marque la séparation en deux classes : ceux qui consomment le riz, les riches et ceux qui ne peuvent le consommer, c'est à dire les pauvres.

Un proverbe syrien dit « Al’ezz lal rezz wel bourghol chanaq halo » : « Avec

l’appréciation pour le riz, le bourghol s’est pendu de chagrin ». Ou encore : « Le bourghol,

s’il refroidit doit être jeté aux poules et aux coqs. Le riz, s’il refroidit doit être apporté aux rois ».

Le riz connaît plusieurs modes de préparation, faisant varier les durées de rinçage, trempage, volume d’eau de cuisson, ajout de matière grasse…

Au-delà de l’accompagnement des plats, le riz est également présent dans les farcis, pour la garniture des feuilles de vignes et courgettes et aubergines principalement et tout ce

qui se désigne sous le nom de Mahchîs. Dans certaines familles, des vermicelles fins sont

ajoutés à la cuisson du riz afin de donner au plat une texture différente et légèrement collante.

Les légumineuses constituent une base alimentaire importante. Pois, lentilles ou fèves franchissent aisément les frontières entre les familles pauvres et les familles riches. De nombreuses variantes de préparation et sauces d’assaisonnement les valorisent.

Un proverbe alépin dit «Il est vieux et croque du pois chiche sec ». Il est commenté ainsi : « c’est une honte de ne pas savoir, à l’âge de la sagesse, déguster le pois chiche en crème » (source : « Les recettes de Layla »). Un autre dit : « Si la viande de mouton te

manque, tourne toi vers le fabriquant de hommos ». Le hommos est une purée de pois

chiche qui constitue une base ou un accompagnement. R. Bistolfi et F. Mardam-Bey ont consacré à ce pois un ouvrage : « Traité du pois chiche » (1999).

Les beignets falafel sont obtenus à partir d’anneaux épais à base de purée du pois

chiche, mélangée à de l’oignon, de la coriandre, du poivron et autres aromates et frits dans l’huile. Ils sont très célèbres en Syrie, Liban, Egypte et Jordanie. Ils sont consommés nature ou en garniture de sandwiches avec de la tomate, de la salade, des grains de grenade en saison, et de la sauce. Ils se consomment à toute heure de la journée.

Le foul, c'est-à-dire la fève est un plat spécial, consommé de façon rituelle chaque

vendredi. Une boutade dit : les fèves sont bonnes le matin pour la prière, le midi pour les

pauvres et le soir pour les âmes. « Al sabh bil as masba, Al zohr bil faqir, Al masa lil asir”.

Il existe à Alep un vendeur de foul très renommé, Abou Abdou, connu pour « faire de l’or avec ses mains » [cf. photo planche 2 en bas à gauche]. De plus en plus de vendeurs de

de coutume avec une assiette de foul. La sauce d’accompagnement varie. A base d’huile, elle peut être pimentée, citronnée…

Les lentilles, orange ou brunes, sont très valorisées dans la cuisine d’Alep. Elles sont préparées en soupes nature ou mélangées avec les céréales. Par exemple la makhlouta comprend la moitié de lentilles orange, un quart de riz et un quart de bourghol. Le tout cuit ensemble pendant presque une heure. Pour les autres préparations,

elles sont à base de lentille brune : la richtayé est une soupe aux lentilles et aux

tagliatelles. La mujadara est un mélange de lentilles avec du riz ou avec du bourghol. La

mujaddara se consomme froide ou chaude, Ces différents plats sont hautement

diététiques, ils mélangent en effet légumineuse et céréale. [cf. recette en annexes 5].

Ces légumineuses et céréales ont la particularité de donner de jolis coloris aux étals alimentaires qui déclinent une palette de couleurs pastel.

2. Les légumes et les fruits26

Jusqu’à la fin du XIX° siècle, avec les céréales, les légumes sont les éléments de base de l’alimentation méditerranéenne, la viande étant alors plus rare (Aubaile, 2000). Depuis l’Antiquité, les légumes se sont diversifiés au contact des différents apports. Après la découverte de l’Amérique, maïs, tomates, piments, haricots et potiron ont fait leur entrée dans le paysage méditerranéen ce qui a considérablement enrichi la cuisine. Le XVI° siècle est ainsi marqué par une révolution alimentaire dans le domaine végétal (Aubaile, 2000).

Les légumes ont une place primordiale dans l’alimentation. Leurs saveurs, leur texture variable selon le degré de cuisson, leurs couleurs et leurs vertus diététiques sont autant de qualités qui rendent leur usage très courant. D’anciens traités d’agronomie et de diététique attestent leurs vertus multiples. La verdure des légumes est associée au renouveau de la vie, à la fertilité.

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Un index botanique est reporté en Annexe 6, celui-ci est issu de la bibliothèque de l’Ifpo de Damas.

Comme nous l’avons vu dans l’introduction, la région d’Alep, ses alentours et la Syrie en général sont très productrices et se placent en tête de la production agricole fruitière au Proche Orient.

Les données agricoles concernant les cultures maraîchères, à échelle industrielle, sont fournies par le rapport agricole national de l’année 2005. Actuellement la culture de la tomate s’étend sur 19 000 hectares, les concombres 9 700 ha, les aubergines 6 100 ha, les aromatiques 5 000 ha (dont l’ail), les haricots 3 900 ha, les cornes grecques 3 700 ha, les citrouilles 2 900 ha, les poivrons 2 800 ha, les choux 2 400 ha et les salades 2 200 ha. (Source : Rapport de l’ICARDA, 2002).

La tomate, inconnue jusqu’au XVI° siècle devient quatre siècles plus tard la base ou la garniture de toutes sorte de plats, cuite comme crue. C’est à partir des pays européens qui l’avaient eux-mêmes ramenés du Mexique, qu’elle a été introduite au Proche Orient,

alors nommée frangî comme tout ce qui arrivait en provenance de l’Europe (Ollivry, 2006).

L’aubergine est très valorisée dans la cuisine alépine. A la fin du XVI° siècle,

l’aubergine était cultivée dans les jardins sous le nom de badindjan.

En Syrie se trouvent des variétés d’aubergine douce, dont la saveur est différente de celle de l’aubergine noire. Tadef, petit village proche d’Alep, possédait une aubergine striée qui

s’appelle l’aubergine Tetfî. Elle a aujourd’hui quasiment disparu.

Dans les souks d’Alep, on peut trouver deux autres variétés d’aubergines : les aubergines

noires : harmî, du village d’Harem et celles plus rondes et volumineuses : byad el-ijil qui

servent de base pour le caviar d’aubergine. [cf. étal alimentaire planche de photos 2 en bas]

La texture un peu spongieuse de la chair ainsi que sa teneur relative en saponosides à noyau stréroïdique (substance de la famille des savons) rendent l’aubergine avide d’huile

lors de la préparation culinaire27 (Pitrat et Foury, 2003).

Plats à base d’aubergine : la maklouba (la renversée) : Au fond de la casserole : une

couche de viande avec de l’oignon et de l’ail, puis une couche d’aubergine préalablement grillées et enfin une couche de riz, l’eau bouillante est versée sur l’ensemble. On ajoute

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Une anecdote raconte qu’une jeune fille Orientale, très douée pour la cuisine, fut demandée en mariage par un imam. Sa dot était constituée de douze jarres d’huile d’olive. Elle en consomma la totalité en onze jours, pour confectionner sa spécialité : un plat d’aubergines farcies à la viande et au riz. En découvrant les jarres vides, l’imam s’évanouit d’émotion et mourut. Depuis on confectionne toujours le plat de « l’imam Bayildi » c'est-à-dire l’imam évanoui. Une autre version dit que l’Imam s’est évanoui de plaisir en mangeant ce plat (Sources : Pitrat et Foury, 2003 ; Ollivry, 2006).

un peu de poudre de piment, de cumin et de coriandre. Lorsque l’aubergine est cuite et le riz chaud, le plat est renversé (d’où son nom).

En Syrie, on trouve aussi des concombres longs et minces dits qetté, une variété

d’haricots fins nommés loubîyé, de petites courges duvetées et striées ‘ajour et de petits

piments verts les haskourîyé (Ollivry, 2006).

Les haricots verts sont très présents avec de la viande ou avec de l’huile. Coupés en morceaux de la taille d’un demi doigt, ils cuisent dans l’huile avec de l’ail écrasé et de la coriandre, ou encore avec des petits morceaux de tomates fraîches, du sel, une pointe de tomate concentrée.

Le chou fleur se consomme cru ou frit, mais la cuisson est longue. Pour aller plus vite, il est mis dans une marmite avec de l’eau et de l’ail écrasé, avec de la viande hachée et à la fin, des feuilles de coriandre sèches. A Alep on trouve la coriandre sous forme sèche (graines ou feuilles) seulement alors qu’a Damas, on peut en trouver de la fraîche (en tiges).

Les cœurs d’artichaut sont garnis. Il y a plusieurs variantes de garniture avec des petit pois, des tomates, des courgettes, des oignons, des carottes. Le tout revient à la poêle, dans l’huile avant d’être enfourné.

La mulûkhîyé, plante d’origine égyptienne correspond à la corète potagère. Elle est d’abord cuite dans l’eau bouillante, séparée de l’eau puis cuite dans l’huile. Elle se prépare avec du poulet (quand ses feuilles sont entières) et on peut y ajouter une autre

viande (quand ses feuilles sont hachées). Sa texture est un peu gluante. La mulûkhîyé