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La métadonnée, métaphore d’une indétermination photographique

CHAPITRE 3. L’AMERICAN INDEX OF THE HIDDEN AND UNFAMILIAR DE TARYN SIMON CAS D’ÉTUDE POUR UNE RÉVÉLATION TECHNOLOGIQUE

3.3. Portées du texte

3.3.3 La métadonnée, métaphore d’une indétermination photographique

Un parallèle se dresse entre l’utilisation de textes dans l’espace de la galerie par Simon et la présence des textes qui accompagnent de manière invisible les représentations photographiques dans le cyberespace ; toutes les deux compliquent la question de l’autorité photographique et indiquent que l’ambigüité est une condition fondamentale

de la photographie contemporaine. Cette ambigüité indique que « tout potentiel d’agentivité politique [de la photographie] dépend de la possibilité d’une multitude d’interprétations », ce qui nous encourage à proposer une lecture aesthétique – ou du moins aartistique – de la photographie contemporaine (Rubinstein et Sluis 2013, n.p.).

Le site web personnel de Taryn Simon, qui présente un aperçu de la pratique

photographique de l’artiste, abrite une sélection d’une quinzaine d’images, choisies à partir des 62 photographies légendées qui composent son Index. Dès la première consultation, le site semble aux antipodes de l’expérience des œuvres en galerie. La consultation des œuvres dans l’espace de la galerie compte sur l’effet « qualitatif » (Rubinstein 2009, 5) des images captées par Simon, alors que la rareté et la disposition exacerbent la « valeur cultuelle » (Benjamin 2000) de ses représentations. Les épreuves chromogènes de haute qualité tirées à quelques rares exemplaires, les murs plus blancs que blancs, l’éclairage ultra brillant et les légendes en petits caractères laissent place, sur le site web, à des photographies de format moyen, présentés sur fond noir, à la même échelle que les textes qui les accompagnent et qui sont, sur chacune des pages, très facilement lisibles. En effet, l’espace matériel et l’espace virtuel offrent deux types de visibilité à la photographie qui conditionnent l’expérience du spectateur et son rapport à l’oeuvre. En agissant comme l’index d’un index par la sélection des

représentations dignes d’être (re)produites et (re)publicisées sur le Web, le site de l’artiste désamorce la rareté des images en facilitant leur circulation abondante sur le Web sémantique et insiste sur le pouvoir équivalent du texte et de l’image dans la consultation du projet.

Le travail textuel de l’artiste semble se distinguer des métadonnées et des autres contenus textuels cachés derrière les photographies numériques, en ce qu’il emprunte des formes plus traditionnelles dérivées de textes épistolaires (les lettres envoyées aux autorités qui contrôlent les sites photographiés) ou didactiques (les textes rédigés par l’artiste pour expliquer les photographies). Pourtant, le texte, chez Simon, agit au même titre que les métadonnées peuvent agir sur le contenu photographique pour en modifier

profondément le contexte de réception. Selon Daniel Rubinstein et Katrina Sluis (2013, n.p.), les métadonnées « offrent la possibilité d’ajouter des signes linguistiques à une image (ou à un autre objet de données), afin de faciliter sa classification, son archivage, sa récupération et d’indiquer sa provenance (sa paternité, sa propriété, ses conditions d’utilisation) ». Les auteurs font ensuite la distinction entre deux types de métadonnées photographiques. Le premier type, « descriptif », « est généré mécaniquement pendant la création de l’image ou ajouté peu après la création de l’image » ; il « contient des détails comme la date et l’endroit de la prise de vue, le fabricant de la caméra, son propriétaire et certains mots-clés » (Rubinstein et Sluis 2013, n.p.). Son équivalent, dans l’espace muséal, serait le cartel qui ne fait que donner systématiquement les informations relatives à l’objet exposé.

Le deuxième type de métadonnée collige toutes les informations relatives à la vie sociale de l’image sur divers réseaux : les mots-clés que d’autres utilisateurs lui ont accolés, le nombre de visionnements des images, le nombre d’usagers qui ont aimé la photographie (Rubinstein et Sluis 2013, n.p.). La fonction principale des métadonnées est de qualifier par autant de variables possibles le contenu photographique circulant sur les réseaux afin que les usagers – et, éventuellement, les ordinateurs – puissent traiter l’information de la manière la plus efficace possible. Ce deuxième type permet d’attacher une importance à la sociabilité de la photographie dans ses séries de

médiations, confirmant que ce n’est pas uniquement dans son existence matérielle que la photographie est, mais dans son partage et sa dissémination. La fonction de cette métadonnée s’apparente à la fonction qu’occupe le texte dans le rapport

qu’entretiendra le regardeur avec le contenu photographique pendant et après sa consultation.

Les métadonnées, comme la mise en réseau de l’image, nous encouragent également à repenser la place que prend l’artiste-auteur dans notre compréhension de la

« The blackboxing of the networked image is also established by the destabilization of the author-audience paradigm, as every participant within the network is simultaneously a viewer and a performer of the image. This is not so much the death of the author per se, but a reconfiguration of the notion of authorship as happening in several parallel instances and potentially simultaneous contexts » (Rubinstein et Sluis 2013, n.p.).

Simon met en place une reconfiguration de l’espace public qui indique que la

représentation efficace des citoyens et de leur monde ne se fait pas uniquement dans le jeu parlementaire ou dans la gouvernementalité, ni par le statut que chacun de ces citoyens occupe dans l’espace professionnel, mais également par une reproduction dans l’acte photographique et un déploiement textuel. En quelque sorte, « l’image fait – ou défait – le sujet » (Rubinstein et Sluis 2013, n.p.). Bruno Latour pointe vers cette multiplication indéterminée de l’espace social où les acteurs sont appelés à (se) représenter dans Making Things Public. Il affirme : « The objects of science and technology, the aisles of supermarkets, financial institutions, medical establishments, computer networks – even the catwalks of fashion shows! » et, en quelque sorte, les médiations photographiques de ces sites sociaux « – offer paramount examples of hybrid forums and agoras, of the gatherings that have been eating away at the older realm of pure objects bathing in the clear light of the modernist gaze » (Latour et Weibel 2005, 13-14) Une critique de la technique moderne passe par la considération de tous ces espaces qui permettent une socialisation et une organisation politique.