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1.4 L’imagerie directe pour l’observation des disques

1.4.2 La haute résolution angulaire via l’optique adaptative

La résolution angulaire d’un télescope est limitée intrinsèquement par la diffraction de son ouverture principale, encore appelée pupille d’entrée. Pour un télescope ayant une pupille

d’en-trée circulaire de diamètre D, la résolution angulaire est donnée par l’expression λ/D, où λest

la longueur d’onde d’observation. Cela correspond à la largeur à mi-hauteur de la figure de dif-fraction, ou tache d’Airy. Elle se mesure typiquement en milliseconde d’angle (mas), le tableau

1.2 donne les valeurs de résolution angulaire pour un télescope de diamètre D= 8m comme le

VLT, dans les principaux filtres (ou bandes) utilisés dans ce travail.

Table 1.2 – Résolution angulaire d’un télescope de 8m limité par la diffraction dans les

principales bandes du visible et de l’infrarouge proche.

Bande V R I J H Ks Lp

λ(µm) 0.55 0.65 0.82 1.22 1.63 2.2 3.8

Résolution agulaire (mas) 14 17 21 31 42 57 98

Depuis le sol, l’atmosphère terrestre empêche en pratique d’atteindre la limite théorique de diffraction du télescope car le front d’onde incident sur la pupille du télescope est déformé par la turbulence atmosphérique. L’effet dominant est dû aux fluctuations de phase de l’onde, les fluctuations d’amplitude (phénomène de scintillation) étant négligables. Ces fluctuations sont liées aux variations de l’indice de réfraction de l’air dans les différentes couches atmosphériques traversées. Les aberrations de phase du front d’onde interfèrent pour créer des tavelures dans le plan image, par exemple sur un détecteur, comme illustré sur les deux images du haut de la Figure 1.8. Ces tavelures d’origine atmosphérique ont un temps caractéristique très court appelé temps

de cohérence τ0, de l’ordre de la milliseconde. Elles se moyennent sur une image à longue pose

en formant un halo autour de l’étoile appelé halo de seeing qui dégrade la résolution angulaire (image en bas à droite de la Figure 1.8). La limite de résolution imposée par la turbulence, ou

seeing, est alors λ/r0, oùr0 est le paramètre de Fried. Il est proportionnel à λ6/5 (Fried 1965)

et évolue en fonction des conditions de stabilité de l’atmosphère. Il vaut environ 10cm à 0.5µm,

ce qui correspond à un seeing de ∼1′′, mais atteint 60cm à 2.2µm. Le temps de cohérence est

proportionnel lui aussi àλ6/5. Il est directement lié à la vitesse du ventv dans la ou les couches

turbulentes de l’atmosphère par l’expressionτ0 = 0.314r0

v (Roddier 1999). Différentes techniques

1.4. L’imagerie directe pour l’observation des disques

Figure 1.8 – Haut : deux images de courte

pose dégradées par la turbulence de l’étoile bi-naire HIP 24800. Bas : Image corrigée de la turbulence par la technique d’interférométrie des tavelures (gauche) comparée à une simple addition des images courtes poses (droite). Ces images proviennent de l’instrument NaCo en

bande Ks (Rengaswamy et al. 2014).

du télescope.

On citera la technique pionnière de l’interferométrie des tavelures (Labeyrie 1970), une tech-nique de post-traitement réalisable sur des images courtes poses de quelques millisecondes qui figent la turbulence (image en bas à gauche de la Figure 1.8). Bien que cette technique soit

tou-jours employée dans certaines conditions (e.g. Rengaswamy et al. 2014) , l’optique adaptative

(OA) est maintenant la principale technique pour corriger la turbulence atmosphérique. Elle a pris son essor dans les années 1990 (Rousset et al. 1990) bien que le concept soit plus ancien (Babcock 1953). Il s’agit d’un système d’asservissement mécanique qui corrige en temps réel la phase perturbée du front d’onde à l’aide d’un miroir déformable (Figure 1.9).

Comme tout système asservi, on distingue donc trois composants principaux :

• la mesure de la phase se fait par l’intermédiaire de l’analyseur de surface d’onde. On distingue différents types d’analyseurs selon qu’ils soient situés en plan focal (méthode de diversité de phase par exemple) ou en plan pupille et qu’ils fassent appel à l’interferométrie ou à l’optique géométrique. Ces derniers sont les plus répandus, on citera par exemple l’analyseur de courbure (Roddier 1988), l’analyseur à pyramide (Ragazzoni 1996), et l’analyseur de Shack-Hartmann (Shack & Platt 1971) utilisé sur NaCo, SPHERE et GPI. Celui-ci se compose d’une matrice de micro-lentilles en plan pupille, permettant ainsi d’échantillonner le front d’onde. Chaque micro-lentille focalise la lumière sur un foyer, dont la mesure de la position à l’aide d’une caméra permet de remonter au gradient local de la phase.

• la correction de la phase se fait en compensant la différence de marche introduite par l’atmosphère. Elle se fait en général sur deux étages, grâce à un miroir plan dédié à la correction du basculement du front d’onde, et à un miroir déformable dédié à la correction des aberrations de plus hauts ordres, dont la caractéristique principal est le nombre d’actuateurs et leur vitesse de réaction. Plus ils sont nombreux, plus le système dispose de degrés de liberté pour corriger le front d’onde.

• la commande est calculée en temps réel par un contrôleur. Optimiser ses gains est un paramètre critique pour une bonne performance du système, et ce fut l’un des princi-paux objectifs du commissioning de SPHERE. En pratique, on décompose la commande sur une base, souvent la base de Karhunen-Loève (Loève 1948) ou celle de Zernike, et l’optimisation se fait mode à mode.

Figure 1.9 – Schéma d’une optique adaptative, tiré de la documentation technique de l’ins-trument NaCo.

Les performances de l’optique adaptative dépendent de la force de la turbulence, et

princi-palement des deux paramètresτ0etr0. La qualité des images est définie par le rapport de Strehl

noté SR, rapport entre le maximum de la fonction d’étalement de point (FEP) et le maximum théorique donné par la figure de diffraction de la pupille du télescope (une fonction d’Airy de seconde espèce pour une pupille circulaire sans obstruction centrale). La FEP correspond à la réponse impulsionnelle du système, c’est-à-dire l’image d’un objet ponctuel, une étoile, à travers le télescope et l’instrument. Plus le rapport de Strehl est élevé et proche de 1, meilleure est la

correction de l’OA.Roddier(1981) montre que sous de bonnes conditions de correction,

SR≈1−σφ2 (1.3)

oùσφ2 est la variance de phase résiduelle après correction. Cet indicateur a l’avantage de pouvoir

être facilement mesuré sur une FEP. Dans le cas d’une faible variance de phase, il est identique à

l’énergie cohérente (Rousset et al. 1991) définie par l’expressionEc =eσ2φ. Ces deux indicateurs

scalaires renseignent directement sur la concentration de l’énergie dans le pic de diffraction, mais dans le cas du haut contraste on souhaite également préciser la forme et l’amplitude des résidus.

Pour cela il est intéressant d’analyser les contributeurs à la variance de phase résiduelleσ2

φ:

σφ2 fitting2 aliasing2 servolag2 2noise2NCPAcalib2 (1.4)

σfitting2 correspond à l’erreur liée au sous-échantillonnage spatial du front d’onde : on ne

dispose que d’un nombre fini d’actuateurs qui ne permet pas de reproduire toutes les

fréquences spatiales avec le miroir déformable. On montre que σ2

fitting ∝Nact5/6rD

0 5/3

,

d’où l’intérêt de disposer de beaucoup d’actuateurs Nact et d’opérer sous de bonnes

conditions atmosphériques (r0 élevé). C’est le terme dominant dans le budget d’erreur

1.4. L’imagerie directe pour l’observation des disques fréquences spatiales, donc du niveau et de la forme du halo au delà de la zone bien corigée par OA.

σaliasing2 correspond à l’erreur de repliement de spectre : l’analyseur de surface d’onde

dispose d’un nombre fini de micro-lentilles et échantillonne mal les hautes fréquences spatiales, qui se replient alors sur les basses fréquences. Ce phénomène appelé alia-sing en anglais peut être atténué par un filtrage des hautes fréquences spatiales en amont de l’analyseur de surface d’onde, comme c’est le cas sur SPHERE qui dispose d’un diaphragme en plan image ajustable aux conditions de seeing. En règle général,

σaliasing2 ≈σ2fitting/3

σservolag2 est l’erreur liée au retard entre l’évolution du front d’onde turbulent sur des

échelles de l’ordre du temps de cohérence τ0 et la correction de l’OA. La fréquence

d’échantillonnage temporelle de la boucle d’asservissementftest en général de l’ordre du

kilohertz, et σ2servolag ∝(ftτ0)5/3. Ce terme est surtout responsable de résidus proches

de l’axe optique.

σnoise2 correspond à l’erreur de mesure de l’analyseur de surface d’onde, principalement liée

au bruit de photons et de fond pour chaque sous-pupille. Elle peut être importante dans le

cas d’une étoile faiblement brillante, de magnitude V supérieure à∼12 pour NaCo. Pour

une étoile plus faible, les performances sont dégradées, voire la boucle d’asservissement ne peut être fermée.

σ2

NCPA correspond aux aberrations communes du système, NCPA signifiant

non-common path aberrations. La voie d’analyse est en effet différente de la voie de science à partir de la lame séparatrice (voir Figure 1.9) qui permet d’envoyer une partie de la lumière vers l’analyseur de surface d’onde pour la mesure et le reste vers la caméra scientifique. Par conséquent le front d’onde mesuré ne prend pas en compte les aberrations différentielles entre les deux voies. Elle peuvent être calibrées, par exemple en utilisant la diversité de phase. Son amplitude est faible mais ces résidus et leur évolution lente peuvent néanmoins être gênants sur de longues poses car ils se moyennent mal.

σcalib2 correspond aux erreurs liées à la calibration du système. Cela regroupe

principale-ment la calibration de la matrice d’interaction qui relie la commande des actionneurs du miroir déformable à la déformation résultante du front d’onde, et la calibration des pentes de référence qui représentent les positions des spots de diffractions dans un analyseur de surface d’onde type Shack-Hartmann en l’absence de turbulence.

L’OA a connu un essor formidable depuis ses permiers résultats avec le système COME-ON (Malbet 1992) installé au foyer du télescope de 3.6m de l’observatoire de la Silla. Un instrument en particulier illustre la diversité des domaines astrophysiques à laquelle l’OA a bénéficié : NaCo

(Rousset et al. 2003; Lenzen et al. 2003). C’ est un instrument très demandé sur le VLT pour

la variété des ses modes d’imagerie et de spectroscopie et ses performances en haut contraste et haute résolution angulaire. Il connut sa première lumière en novembre 2000. Il est toujours en opération après plusieurs changements de plate-forme, mais ne dispose actuellement plus d’étoile guide laser qui représentait un attrait pour l’étude dynamique du centre de la galaxie (e.g. Clénet et al. 2004) et a notamment contribué à sa renommée. Il combine en amont un système d’OA appelée Nasmyth Adaptive Optics System (NAOS), et en aval un ensemble de caméras, spectromètre, polarimètre et coronographes appelé COudé Near-Infrared CAmera (CONICA). Cette versatilité a largement contribué au succès de cet instrument. NAOS dispose d’un miroir déformable de 185 actuateurs (Figure 1.10) avec deux analyseur de surface d’onde de type Shack-Hartmann fonctionnant dans le visible ou le proche infrarouge. Elle a été conçue pour obtenir

une erreur de phase résiduelle typique deσφ2 ≈219nm, correspondant à un rapport de Strehl de

∼67%à 2.2µm, dont environ 180nm proviennent de l’erreur liée au sous-échantillonnage spatial

Figure 1.10 – Le miroir déformable de NaCo, consti-tué de 14 par 14 actuateurs.

Strehl de 50% à 2.2µm. NaCo est l’instrument principal que j’ai utilisé pour les analyses

astrophysiques présentées dans ce travail de thèse.