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La gestion intégrée des ravageurs forestiers

Version MAE – Lise Parent

5.2.2 La gestion intégrée des ravageurs forestiers

La gestion intégrée des ravageurs forestiers peut être définie comme

« l’utilisation harmonieuse d’un ensemble de tactiques de lutte dans un cadre économique, social et environnemental, de façon à créer et maintenir des situations défavorables au développement des populations entomologiques ou pathologiques au-dessus d’un seuil de nuisance » (Coulombe et al., 2004, p. 91).

Les interventions en forêt visant à limiter les impacts des ravageurs sur les ressources forestières devraient donc se faire en ce sens.

Avant d’intervenir contre une infestation d’insectes ou un problème pathologique, les étapes suivantes devraient être complétées : la détection, la mesure des impacts, l’évaluation biologique, c’est-à-dire la détermination des attributs des populations des ravageurs et des mécanismes de résistance du milieu, la détermination des tactiques de lutte envisageables et l’évaluation économique, plus précisément des coûts des opérations de lutte en comparaison de la valeur actualisée des bois épargnés grâce à cette lutte. (Bauce, 2000)

Le Ministère s’est doté d’un système régionalisé de cueillette de données sur les ravageurs forestiers. Il gère aussi un laboratoire de diagnostic et une collection de références sur les insectes et les maladies. De façon générale, il est en mesure d’identifier correctement les agents de perturbation naturelle qui sévissent dans les forêts du Québec. C’est ainsi qu’environ 75 espèces d’insectes et de pathogènes forestiers sont détectées chaque année. En cas d’infestation, ce système de détection est jumelé à des survols aériens afin d’évaluer l’ampleur spatiale des dommages, lorsque les budgets du Ministère sont suffisants pour effectuer une couverture adéquate du territoire. Il faut souligner que le système de surveillance du Ministère est, à la base, axé sur plusieurs aspects pertinents à l’atteinte d’une gestion intégrée des ravageurs forestiers. Ainsi, dans ses objectifs, le Ministère vise à mesurer les fluctuations des populations de ravageurs, à évaluer la gravité et l’étendue des dégâts, à prévoir l’évolution des épidémies et à mesurer les répercussions sur le milieu forestier (DCF, 2004).

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« Globalement, l’approche est efficace pour mesurer les fluctuations des populations et l’étendue spatiale des dommages causés au milieu forestier. Par contre, il existe d’importantes carences en informations de base sur la majorité des ravageurs forestiers, ce qui retarde la mise en place d’une gestion intégrée » (Coulombe et al., 2004, p. 75).

Le concept de lutte intégrée, qui a été développé dans les années 1950, a été d’abord appliqué au milieu agricole. Bien que la gestion intégrée soit utilisée pour détruire tant les mauvaises herbes, ou la végétation compétitrice, que les insectes ravageurs, nous nous intéresserons plus particulièrement ici à la lutte contre les insectes4.

Le concept de lutte intégrée a évolué depuis les années 1950 de telle manière que quatre éléments en forment actuellement l’essentiel. Ainsi, la lutte intégrée :

 se fonde sur des principes écologiques qui impliquent la connaissance des relations existant entre les diverses composantes de l’écosystème;

 implique une combinaison de méthodes de lutte; l’ensemble de ces interventions constituant une stratégie qui vise à régulariser la distribution et l’abondance des populations de ravageurs;

 vise la réduction ou le maintien des insectes nuisibles, des agents phyto-pathogènes ou de la végétation compétitrice à des niveaux acceptables.

Cette approche fait appel au concept de seuil de dommages écono-miquement acceptables, qui correspond au maintien d’une population d’éléments nuisibles au-dessous duquel le coût des dommages est inférieur à celui des moyens de lutte;

 doit faire partie intégrante de l’aménagement forestier global.

La prévention constitue l’essence même de la stratégie de protection des forêts mise de l’avant par le gouvernement du Québec au début des années 1990. Elle est fondée sur le respect de principes qui permettent de réduire l’envergure et les conséquences négatives de certaines perturbations en créant ou en maintenant des conditions défavorables à l’émergence des insectes ravageurs ou de la végétation compétitrice. Parmi les approches retenues, mentionnons l’aménagement des forêts en accord avec la dynamique naturelle des peuplements ainsi que le recours à la régénération naturelle lorsque cela est possible. La prévention se fait surtout par l’intermédiaire de diverses coupes ou éclaircies qui tiennent compte des caractéristiques écologiques des agents perturbateurs et qui favorisent le maintien d’un peuplement forestier sain.

La détection est très importante dans la mesure où il importe de connaître très tôt toute manifestation, par exemple, d’un début d’épidémie d’insectes ou d’une maladie. La détection permet d’intervenir rapidement et de limiter les pertes et les efforts de lutte. En ce qui concerne les insectes, on doit effectuer des relevés en forêt dans des stations d’échantillonnage permanentes, temporaires ou ponctuelles, selon les besoins.

La lutte est l’étape qui consiste à réduire les populations d’insectes ravageurs et

4 Les informations de la première partie de cette section sont tirées de Comtois, 1988 et de MER, 1991.

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d’agents phytopathogènes ou la végétation compétitrice lorsque le problème atteint un niveau de dommages socialement ou économiquement inacceptable. On parle de réduction parce que l’élimination est, à toutes fins utiles, impossible. Seules des substances comme le DDT avaient un pouvoir toxique suffisant pour détruire presque entièrement des populations d’insectes.

La lutte intégrée contre les insectes en milieu forestier fait essentiellement appel à deux approches :

 la lutte biologique, qui peut se subdiviser en deux types d’intervention, soit la réduction du potentiel biotique des ravageurs et l’utilisation de bio-insecticides;

 la répression mécanique.

La lutte biologique

Dans son sens le plus strict, la lutte biologique consiste à utiliser des orga-nismes vivants pour en contrôler d’autres qui sont qualifiés de nuisibles. Cette lutte peut s’effectuer en modifiant le potentiel biotique des ravageurs ou par l’emploi de bio-insecticides qui causent la mort des individus.

La réduction du potentiel biotique se fait en s’attaquant aux mécanismes reproducteurs, hormonaux ou physiologiques des insectes. On réduit ainsi, de manière indirecte, les populations en modifiant le comportement des individus ou en s’attaquant à leur fécondité. L’une des méthodes les plus utilisées en agriculture fait appel aux phéromones, c’est-à-dire à des substances sécrétées par un animal, qui ont une influence sur le comportement d’autres individus de la même espèce.

On peut, par exemple, les employer afin de créer de la confusion comportementale ou sexuelle. En milieu forestier on les utilise couramment dans la détection et la surveillance des ravageurs (par exemple, en attirant les mâles avec une phéromone sexuelle), mais les essais laissent entrevoir peu d’applications concrètes dans un contexte de lutte. Par ailleurs, l’emploi d’hormones responsables de la régularisation de certains phénomènes physiologiques importants comme la mue, la métamorphose ou la croissance peut permettre de s’attaquer à certaines espèces présentes surtout dans les plantations; le charançon du pin blanc et la tordeuse des bourgeons de l’épinette sont deux cibles potentielles pour ce type d’intervention.

Les bio-insecticides s’attaquent aux ravageurs en provoquant directement la mort des individus atteints. Les bio-insecticides sont dits inertes lorsque ce sont des molécules d’origine naturelle qui sont purifiées en laboratoire; ils agissent alors de la même façon que les produits de synthèse, en empoisonnant les insectes qui viennent en contact avec eux. Toutefois, la majeure partie des interventions actuelles et potentielles se font avec des bio-insecticides autonomes qui sont des micro-organismes entomopathogènes (causant des maladies aux insectes) ou des insectes entomophages ou parasitoïdes, soit des insectes vivants relâchés dans l’environnement qui s’attaquent aux ravageurs.

En milieu forestier, le micro-organisme entomopathogène le plus répandu est certainement le Bacillus thuringiensis (B.t.). Précisons qu’en plus de réduire les populations de tordeuses des bourgeons de l’épinette, ce bio-insecticide peut aussi

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réprimer des insectes qui s’attaquent à la pruche et au pin gris. Les virus sont des micro-organismes qui ont un avenir prometteur en lutte biologique, car ils ont la capacité de se perpétuer dans une population d’insectes et de se transmettre ainsi d’un individu à l’autre. Mentionnons que depuis les années 1930, l’introduction accidentelle d’un virus a permis de limiter les dégâts causés par un insecte qui s’attaque surtout aux pins, le diprion de LeConte. Des recherches permettent de penser qu’un virus pourra un jour s’attaquer à la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

Les insectes entomophages ou prédateurs sont des organismes qui s’attaquent à d’autres insectes en les dévorant. Cependant, leur utilisation comme agents de lutte ne vise pas le contrôle des populations à l’état épidémique. Il serait préférable de les utiliser lorsque les populations de ravageurs sont faibles, car les entomophages jouent un rôle important dans le passage d’un état endémique à un stade épidémique. De nombreuses espèces d’insectes ont un potentiel de prédation, mais un seul projet a été récemment mis de l’avant, soit l’introduction de deux espèces de fourmis rouges contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette;

l’utilisation de ces fourmis ne pourrait cependant se faire que sur une base locale.

Les parasitoïdes sont des insectes qui pondent leurs œufs à l’intérieur d’un insecte hôte. Les œufs donnent naissance à des larves qui se développent aux dépens de l’hôte, qui finit par mourir. À l’instar des prédateurs, leur emploi est préférable lorsque les populations de ravageurs sont faibles. Bien que l’on connaisse plusieurs parasitoïdes actifs contre les insectes ravageurs en milieu forestier, les efforts portent actuellement sur la sélection d’espèces qui pourraient être actives contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

La répression mécanique

Il existe quelques techniques de répression mécanique qui peuvent être utilisées contre les insectes ravageurs, dont le piégeage et la destruction du peuplement hôte. La première technique fait appel à des pièges lumineux ou des substances adhésives qui attirent les insectes et les font mourir. Cependant, aucune technique de piégeage n’est actuellement opérationnelle à grande échelle.

Les méthodes mises au point pourraient présenter un certain intérêt lorsque les superficies à traiter sont restreintes. La destruction du peuplement hôte consiste à éliminer les arbres ou une portion de forêt qui agit comme réservoir de ravageurs.

Cette méthode peut être applicable contre des insectes qui ont une distribution spatiale limitée et un rythme de progression plutôt lent. Certains insectes présents dans les plantations ainsi que le diprion de Swaine, l’un des plus importants ravageurs du pin gris, pourraient être combattus par une telle intervention.

Prévention des pertes attribuables à la tordeuse des bourgeons de l’épinette

En terminant cette section, nous donnons un exemple qui montre très bien le niveau d’intégration nécessaire pour arriver à mettre sur pied de véritables programmes de lutte ou de gestion intégrée. Il s’agit d’une méthode mise au point par le ministère des Forêts (MFO) en vue de protéger les forêts contre la tordeuse

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des bourgeons de l’épinette (TBE). Le développement de cette méthode comporte trois étapes, soit l’évaluation de la vulnérabilité des forêts à la TBE, l’identification des facteurs influençant la vulnérabilité et l’application de ces connaissances afin de modifier les pratiques sylvicoles. Cette méthode est fondée sur une approche écophysiologique requérant la connaissance de l’écologie du milieu et de la physiologie des arbres.

La vulnérabilité d’un peuplement forestier à la TBE se définit comme étant la probabilité qu’il a d’être endommagé ou détruit lors d’une infestation d’insectes.

Cette vulnérabilité est essentiellement liée à la composition des peuplements (espèces, âge, densité) ainsi qu’aux caractéristiques des sols (drainage, épaisseur et texture). L’analyse des épidémies antérieures a permis de mettre en évidence certaines constantes (Figure 5.5) :

 Les sapins sont plus vulnérables que les épinettes.

 Les jeunes peuplements (30 ans et moins) sont moins vulnérables que les vieux.

 Les peuplements très denses sont plus vulnérables.

 Les peuplements établis sur des sites trop humides ou trop secs, sur des sols minces ou durs sont plus vulnérables.

 Les peuplements croissant sur des sols à texture trop fine ou trop grossière (gravier) sont plus sensibles.

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