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La forêt Montmorency, un exemple d’aménagement intégré

Version MAE – Lise Parent Adapté de Gagnon et Chabot, 1988

5.2.4 La forêt Montmorency, un exemple d’aménagement intégré

En guise de conclusion à ce chapitre, nous vous présentons la stratégie d’aménagement de la forêt Montmorency, gérée par l’Université Laval de Québec6.

Localisation, territoire et caractéristiques abiotiques

Le territoire de la forêt Montmorency, d’une superficie de 6 668 hectares, est une enclave dans les limites de la réserve faunique des Laurentides, à environ 80 km au nord de la ville de Québec (Figure 5.6). Ce territoire, propriété du gouvernement du Québec, a été affermé à l’Université Laval pour une période de 99 ans en 1964. Il est devenu une forêt d’enseignement et de recherche selon la Loi sur les forêts en 1987. Selon le cadre d’affectation des terres publiques, la forêt Montmorency est située dans une zone où la coupe forestière est permise mais

6 La première partie de cette section est tirée de Bélanger et al., 1992.

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non prioritaire. Cette forêt est considérée comme un site d’utilité publique; plus spécifiquement, elle est une forêt d’enseignement et de recherche. À ce titre, seules les activités sylvicoles permettant d’atteindre des objectifs d’enseignement et de recherche y sont autorisées. De plus, elle a le statut de pourvoirie à but non exclusif depuis 1990; on y offre la pêche sportive.

La forêt Montmorency, de forme polygonale, est traversée du nord au sud par la rivière Montmorency et un de ses affluents, soit la rivière Noire (Figure 5.6).

Son territoire est subdivisé en cinq unités territoriales d’aménagement pour répondre à des fonctions spécifiques : récréation intensive, conservation, recherche, paysage et faune. Le climat, de type continental froid et humide, est passablement rigoureux, car la température moyenne annuelle est inférieure à 0,41 C et la température moyenne de juillet n’est que de 14,7 °C. En conséquence, les précipitations de neige sont importantes; il y tombe en moyenne 600 centimètres de neige annuellement, comparativement à 250 cm dans la région de Montréal (données antérieures à 1980).

La forêt Montmorency a comme mission prioritaire de favoriser l’enseignement et la recherche appliquée dans les domaines liés à l’aménagement des ressources forestières. En conséquence, il s’agit de faire de cette forêt un modèle d’aménagement intégré des ressources en forêt boréale.

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Figure 5.6. Localisation de la forêt Montmorency

Caractéristiques floristiques

On trouve trois principaux types d’associations végétales dans ce territoire : la sapinière à bouleau blanc et, en moindre importance, la sapinière à bouleau jaune et la sapinière à épinette noire. De manière plus précise, on peut cependant iden-tifier neuf types de sapinières sur la base de l’existence de sous-groupes écologiques particuliers.

On qualifie ces sapinières d’écosystèmes cycliques, c’est-à-dire des écosystèmes capables de se reconstituer, en fonction d’un cycle de perturbation, grâce à la présence d’une régénération naturelle abondante. La dynamique naturelle de ces forêts se caractérise par une mortalité par peuplement, de quelques dizaines d’hectares de superficie, plutôt que par une mortalité d’individus isolés. Les peuplements de sapins sont périodiquement détruits par les épidémies de tordeuses, par des chablis ou des incendies, mais la régénération naturelle

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s’installe rapidement. En conséquence, les peuplements sont plutôt de type équien parce que les arbres naissent et meurent en même temps.

La stratégie d’aménagement mise en place dans la forêt Montmorency est désignée sous le vocable de forêt mosaïque7. Cette approche préconise la dispersion des coupes à blanc, afin de créer une mosaïque de peuplements de dimensions et de compositions diverses ainsi que de différents âges. L’utilisation de cette approche est fondée sur les principes suivants :

 Adapter les procédés de coupe à la dynamique naturelle de l’écosystème.

 Contrôler la dimension et la dispersion des coupes.

 Harmoniser la forme des coupes au paysage.

 Maintenir un réseau routier permanent.

Ainsi, la forêt Montmorency est consitituée de la façon suivante : 20 % en forêts anciennes (aucune intervention humaine);

20 % en forêt irrégulière;

20 % en régénération;

20 % en forêt jeune;

20 % en forêt mûre.

On constate que plusieurs de ces principes font partie des modalités d’intervention en milieu forestier, précédemment discutées. Dans la forêt Montmorency, l’aménagement consiste surtout à imiter les perturbations naturelles propres aux sapinières boréales; une telle approche étant qualifiée d’écosystémique. Voyons maintenant la signification de cette approche.

Afin de s’adapter à l’écosystème, on procède à des éclaircies et à des coupes à blanc permettant de maintenir un caractère cyclique. La récolte des peuplements se fait notamment de manière à prélever les peuplements les plus vieux ou ceux qui sont menacés par une importante perturbation comme une épidémie de tordeuses. Après la coupe, on favorise la régénération naturelle préétablie qui est abondante, ce qui accroît la croissance du peuplement en raison, notamment, du fait que les arbres établis naturellement sont mieux adaptés au milieu et, habituellement, plus résistants aux stress que les arbres plantés.

Le contrôle de la dimension des coupes se fait surtout par la pratique de coupes à blanc par trouées (Figure 5.3). Dans la forêt Montmorency, ces coupes sont réalisées sur des superficies restreintes (de 3 à 40 ha, moyenne de 10 ha) dont le périmètre est irrégulier. Ces superficies correspondent à la dimension des peuplements de la forêt et permettent ainsi de mieux imiter les perturbations naturelles.

La dispersion des coupes doit normalement s’intégrer à deux niveaux : régional et local. Au niveau régional, l’application du principe du rendement soutenu se fait en déterminant des blocs forestiers de 10 000 à 20 000 hectares. À cette échelle, il est possible de concilier l’aménagement faunique et le prélèvement de la matière ligneuse. La forêt Montmorency, avec sa superficie de 6 668 hectares, a été

7 Les informations de la présente et de la prochaine section proviennent de Bélanger, 1992b et étaient à jour en 2010 (www.fm.ulaval.ca/).

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considérée comme un bloc forestier. Au niveau local, soit à l’intérieur d’un bloc forestier, on suggère la création d’une structure forestière par compartiments de 300 hectares. De manière générale, chaque compartiment devrait avoir, en parts égales, des peuplements jeunes (25-50 ans), matures (50-75 ans) ou en régénération (0-25 ans). Cette répartition de différentes classes d’âges est à la source de l’emploi du terme mosaïque.

L’harmonisation de la forme des coupes vise à diminuer, sur le plan de l’esthétisme, les conséquences des interventions. De manière générale, on vise à respecter les grandes lignes naturelles du paysage, notamment les crêtes de montagnes, en évitant de faire des coupes par bandes ayant des contours rectilignes.

L’établissement d’un réseau routier permanent permet d’avoir un accès rapide et économique à l’ensemble du territoire. Un tel réseau permet d’augmenter la production de bois en optimisant la période de récolte des peuplements et, de plus, il est essentiel afin de mettre de l’avant une stratégie de lutte intégrée contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette, comme nous l’avons mentionné précédemment.

Avantages et difficultés d’une stratégie fondée sur la forêt mosaïque

En plus des avantages mentionnés ci-dessus, l’aménagement en forêt mosaïque permet de créer des habitats fauniques qui fournissent la diversité nécessaire pour soutenir la richesse faunique du territoire. La présence concomitante de peuplements en régénération et matures permet généralement de répondre à la plupart des besoins. On a aussi adopté le principe de l’espèce représentative afin de déterminer la qualité des habitats. De plus, en raison de la dimension restreinte des coupes, il n’est pas nécessaire de créer des « îlots à orignaux » dans une forêt mosaïque.

Contrairement à ce que pensent les tenants de la coupe à blanc sur de grandes surfaces, la forêt mosaïque permet d’augmenter la production de matière ligneuse.

Le fait de circonscrire les coupes à certains peuplements permet d’optimiser le moment de la récolte en fonction de l’accroissement de la matière ligneuse ou de la perte de ce peuplement par une perturbation quelconque. Puisque l’accessibilité est permanente, on peut planifier la récolte des arbres de manière à ne pas intervenir trop tôt ou trop tard. De plus, la possibilité de lutter plus efficacement contre les insectes et les maladies fait diminuer la perte de bois.

Malgré plusieurs avantages, on se questionne toutefois sur le modèle de la forêt mosaïque dans le cadre du concept de la nouvelle foresterie écosystémique, notamment en raison de ses effets sur la biodiversité; on a identifié au moins un problème à cet égard. Le morcellement des parcelles forestières augmente l’effet de lisière ou de bordure; il s’agit de secteurs perturbés dans lesquels la forêt est soumise à un plus grand stress, comme des variations climatiques plus importantes. Ces stress sont défavorables à certaines espèces qui doivent vivre dans des secteurs non perturbés sur de grandes superficies. Par ailleurs, un plus grand accès au territoire, découlant de la présence de chemins forestiers permanents, peut favoriser le braconnage ou augmenter la pression de chasse.

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En forêt privée, la stratégie développée dans la forêt Montmorency pourrait être adoptée facilement par ceux qui ne vivent pas prioritairement du commerce du bois. Quant à son application à l’ensemble de la forêt publique, elle se heurte actuellement à des contraintes liées aux coûts de planification, d’établissement et d’entretien d’un réseau routier permanent. Par ailleurs, ce modèle n’est pas universel; il pourrait même être inapproprié dans certains types de forêts. Il indique cependant que la mise en valeur simultanée de la faune, du potentiel récréatif et de la matière ligneuse est possible au Québec.

Projet expérimental de développement de GIR

Nous résumons dans cette section le projet expérimental de développement de gestion intégrée des ressources (GIR) qui fut mis sur pied en 1991 par trois ministères québécois8. Ce projet constitue une étape de plus vers l’application du développement durable en milieu forestier.

Jusqu’au début des années 1980, les gestionnaires des ressources forestières, fauniques et récréatives agissaient de manière sectorielle en planifiant l’utilisation de la ressource selon des objectifs parfois divergents; dans ce contexte, il n’y avait pas réellement d’utilisation polyvalente du milieu forestier, même si un énoncé en ce sens fut présenté en 1965. Dans une perspective de gestion intégrée des ressources, les ministères du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, des Forêts ainsi que de l’Environnement ont signé un protocole d’entente visant à élaborer un projet de développement de gestion intégrée des ressources.

Ce type de gestion en milieu forestier consiste essentiellement à tenir compte de toutes les composantes du milieu afin de mesurer leurs interdépendances et d’éviter qu’une intervention sur l’une des ressources ne cause des préjudices aux autres. On tente donc de réunir les informations propres à chaque composante du milieu (forêt, eau, faune, paysages, etc.) et leurs modalités d’utilisation. Ce projet, mis sur pied par les trois ministères mentionnés ci-dessus, devrait permettre de comprendre comment on peut mieux intervenir dans les divers écosystèmes forestiers. L’objectif principal consiste à évaluer les relations existant entre certains éléments d’un écosystème et à les incorporer dans des modèles permettant l’élaboration de scénarios d’intervention.

Afin de réaliser ce projet expérimental, deux territoires pilotes ont été retenus, soit la réserve faunique Mastigouche, au nord du parc de la Mauricie, et une portion située au sud de la réserve faunique des Laurentides qui fait l’objet d’un contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) par une papetière. Nous présentons brièvement les caractéristiques de ces deux territoires.

La réserve faunique Mastigouche, d’une superficie de 157 400 hectares, se trouve dans la zone de la forêt feuillue, plus précisément dans l’érablière à bouleau jaune; son territoire comprend cependant 44 % d’essences conifériennes. On compte quelque 25 espèces commerciales d’arbres dont les plus importantes sont le sapin baumier, le bouleau à papier, l’érable à sucre et le bouleau jaune. En ce qui a trait à la faune terrestre, l’orignal (4 bêtes/10 km2) et l’ours noir caractérisent

8Les informations de cette section proviennent de Lafleur et LaRue, 1992, et de MFO-MENVIQ, 1991a, 1991b. Elles ont été mises à jour suite au dépôt du rapport final, en 1998 (MRN, 1998).

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la grande faune. Le petit gibier est surtout constitué de gélinottes huppées, de lièvres, de castors et de martres (Duchesneau et al., 1992a).

Le secteur de la réserve faunique des Laurentides choisi est une portion de 135 400 hectares représentative de la forêt coniférienne boréale dont près de 70 % est située dans la sapinière à épinette noire, et 30 % dans la sapinière à bouleau blanc; en conséquence, les essences résineuses, dominées par le sapin, constituent 85 % de la strate arborescente. Les feuillus sont surtout représentés par des espèces pionnières comme le bouleau à papier et l’aulne. Quant à la faune, les espèces les plus importantes sont l’orignal (1 à 3 individus/10 km2), l’ours noir, la gélinotte huppée, le tétras du Canada, le lièvre, la martre, le castor, le rat musqué, le renard roux et le lynx du Canada (Duchesneau et al., 1992b).

Quatre éléments, soit la forêt, la faune, la ressource hydrique et le paysage forestier ont été retenus dans le cadre de ce projet pilote. Ils sont analysés conjointement afin d’élaborer des scénarios d’intervention.

Dans le cas de la forêt, il faut d’abord évaluer la possibilité annuelle de coupe dans une perspective de rendement soutenu. Des inventaires forestiers sont effectués et complétés par des données portant sur les pentes du terrain, le matériau géologique de surface, le drainage et le type de succession végétale. On doit recueillir les données non seulement pour la production forestière, mais aussi pour les besoins de la faune. Ainsi, des données sur le nombre de chicots peuvent aider à déterminer le nombre d’abris et la quantité de nourriture disponible pour plusieurs espèces animales.

L’examen des besoins de la faune ne peut pas porter sur les quelque 150 espèces présentes dans les deux secteurs retenus à cause de limitations pratiques et budgétaires. On détermine plutôt des grands ensembles écoforestiers (habitats) et les espèces qui y sont associées. Parmi ces dernières, un certain nombre d’espèces représentatives ont été sélectionnées; ce sont les espèces cibles. L’utilisation de critères précis comme la sensibilité aux modifications de l’habitat, la rareté de l’espèce ou son importance socio-économique ont permis de dresser une liste d’espèces à « grand » et à « petit » domaine vital. Le tableau 5.2 fait état de la liste des espèces proposées et de celles dont l’étude doit se faire en priorité (partie ombragée).

À titre d’exemple, mentionnons que dans la réserve Mastigouche on a identifié l’orignal, une espèce qui occupe un grand domaine vital composé d’une variété de couverts forestiers et successionnels (herbacé, arbustif et arboré), ainsi que le lièvre, une espèce à petit domaine vital qui joue un rôle clé sur le plan écologique au sein de la chaîne alimentaire. On a aussi identifié le grand pic, une espèce associée à de vieux peuplements feuillus matures ou surannés. Dans la réserve des Laurentides, on a notamment retenu la martre qui caractérise les vieilles forêts boréales, et le campagnol à dos roux qui est à la base de l’alimentation de la martre. Pour chacune des espèces retenues, on doit évaluer divers paramètres;

dans le cas de la martre, par exemple, on devra étudier le stade de développement des peuplements et la présence au sol d’arbres morts.

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TABLEAU 5.2 A) PROPOSITION D’UNE LISTE D’ESPÈCES CIBLES DANS LA RÉSERVE MASTIGOUCHE

B) PROPOSITION D’UNE LISTE D’ESPÈCES CIBLES DANS

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