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Partie I Cadre théorique et étude du contexte

Chapitre 2. Enseigner la grammaire française

2.1. Pratiques pédagogiques

2.1.2. La formalisation

2.1.2.1. Démarche inductive et démarche déductive

Commençons par faire la distinction entre les démarches inductive et déductive. Selon les principes de la démarche inductive, « la pratique guidée de certaines régularités doit conduire l‘étudiant à induire la règle qui les organise » (Besse, Porquier, 1991 : 86). Elle consiste à « passer du particulier au général : les exemples pratiques d‘abord, la règle ensuite »(Germain, 1993 : 105). La démarche déductive, quant à elle, ne part pas de la pratique guidée pour conduire à la formulation de la règle, mais de la règle présentée par le professeur à la pratique sous la forme d‘exercices d‘application.

D‘ailleurs, il est souvent question de différencier la grammaire explicite (ou les connaissances explicites) de la grammaire implicite (ou des connaissances implicites). « On entend par grammaire explicite la représentation ou la formulation descriptives et explicatives de règles et fonctionnement de la langue, au moyen de catégories métacognitives et métalangagières » (Cuq (dir.), 2003 : 127). Il s‘agit de « l‘enseignement/apprentissage, systématique ou ponctuel, d‘une description grammaticale […] explicitée par l‘enseignant »(Besse et Porquier, 1991 : 93).

La grammaire implicite, quant à elle, correspond à un « ensemble des règles intériorisées que l‘on s‘est forgées incidemment, spontanément et souvent inconsciemment lors de communications réelles […] » (Defays, 2003 : 200). La grammaire est enseignée avec du « silence métalinguistique »par « l‘exemple et la manipulation de structures » (Ladmiral, 1975 : 11, cité par Damar, 2009 : 61). La différence réside donc dans le fait que pour la grammaire explicite, « la règle apparaît forcément au niveau de la conscience » des apprenants, si tant est qu‘on puisse en juger, alors que pour la grammaire implicite, comme la prise de conscience n‘est pas manifeste, « on ne peut avoir de certitude àce sujet »(Candelier, 1975 : 372, citépar Besse et Porquier, 1991 : 86).

Pour le formuler plus simplement, une démarche explicite ou implicite en matière d‘enseignement de la grammaire implique l‘annonce ou non des règles aux apprenants. L‘opposition inductif/déductif signifie que c‘est l‘apprenant qui formule lui-même la règle ou que c‘est l‘enseignant qui la lui fournit en début de séance. « Un enseignement explicite de la grammaire va de pair avec un apprentissage, soit du type déductif, soit du type inductif », en revanche, « une grammaire implicite est nécessairement apprise de manière inductive »(Germain, 1993 : 105).

Si nous considérons à présent l‘enseignement de la grammaire en contexte chinois, il nous semble difficilement convenable d‘avoir recours à la grammaire implicite. Nous partageons l‘opinion de

Zhao Jipeng, « non seulement en raison de la conception traditionnelle des Chinois, de leurs habitudes d‘apprentissage et du manque d‘environnement linguistique réel, mais aussi parce que les étudiants doivent se préparer aux examens scolaires et nationaux qui nécessitent de bonnes connaissances en grammaire. » (2018 : 94). Ainsi, les étudiants chinois ont besoin de règles explicitement établies dans l‘enseignement-apprentissage de la grammaire française. Cela ne signifie pourtant pas l‘impossibilité de recourir à la démarche inductive. Il nous parait en effet envisageable de recourir à la démarche inductive, bien que la démarche déductive occupe traditionnellement une place prédominante. Plutôt que de vouloir à tout prix critiquer, voire modifier cet état de fait au mépris de toute culture éducative (projet ni réaliste ni même souhaitable), notre travail vise au contraire àdécrire au plus près les manières chinoises de penser la didactique de la grammaire du français pour mieux cerner la marge de négociation possible dans la combinaison des deux démarches, tout en tirant parti au maximum des avantages de l‘une et de l‘autre. C‘est d‘ailleurs ce qu‘affirme Defays (2003 : 202) : pour lui les deux types de démarche se combinent et doivent être encouragées par l‘enseignant.

2.1.2.2. Démarche de la conceptualisation

Outre les démarches inductive et déductive, il nous semble nécessaire de présenter la conceptualisation. Elle met l‘accent sur une conscientisation du fonctionnement linguistique de la langue cible. Besse et Porquier (1991 : 113) appellent exercices de conceptualisation une démarche qui s‘appuie sur la réflexion grammaticale explicitée des apprenants. L‘apprenant doit avoir « la liberté d‘exprimer comme il l‘entend et par les moyens qu‘il peut (langue maternelle, langue étrangère, schémas, dessins…) la manière dont il comprend le fonctionnement des données de la langue étrangère qu‘il est en train d‘acquérir, à un moment de son apprentissage. » (Besse, 1977, cité par Cuq, 1996 : 86).Selon Cuq et Gruca, « Il s‘agit d‘une volonté d‘organiser les données de l‘observation pour en déduire des fonctionnements opératoires et réutilisables en cas de confrontation ultérieure àun problème comparable »(2017 : 353).

Examinons ensemble les étapes d‘une activitéde conceptualisation :

- « prise de conscience d‘un manque ou d‘un problème langagier »;

- « émission d‘hypothèses sur le fonctionnement de la langue cible sur le point étudié »;

- « confrontation à des connaissances établies, fournies par l‘enseignant ou un matériel didactique

approprié »;

- « modification éventuelle et négociée de la règle au regard de ces comparaisons »;

L‘enseignant prend le prétexte d‘un « problème langagier », soit une erreur grammaticale selon Besse et Porquier (1991), commise par certains apprenants mais non pratiquée par d‘autres (ce qui peut indiquer que ces derniers ont déjà intériorisé la règle dans laquelle s‘inscrit l‘erreur). Il demande aux apprenants de produire des phrases qui incluent le problème grammatical et les aide à regrouper celles qui sont correctes de celles qui sont erronées. De cette manière, les apprenants sont amenés à constater un écart entre les deux types de corpus et à élucider eux-mêmes la règle avec leur propre métalangage. À noter que dans une démarche inductive, c‘est l‘enseignant qui présélectionne le corpus d‘observation. La mise en commun aboutit à une comparaison des métalangages avec le modèle fourni par l‘enseignant. Les apprenants peuvent ainsi discuter entre eux, vérifier et éventuellement modifier leur règle.

Pour les apprenants, il s‘agit de conceptualiser leur propre règle mais non de retrouver la description grammaticale prévue comme dans la démarche inductive. L‘enseignant joue un rôle d‘animateur métalinguistique qui détermine les points particuliers sur lesquels il convient de se focaliser. Il sensibilise également les apprenants aux problèmes cibles et les oriente dans leur processus de conceptualisation. Il est indispensable de « tenir compte de la maturité de l‘apprenant sur tel ou tel point de son interlangue » (Cuq et Gruca, 2017 : 354). D‘ailleurs, en fonction du niveau de l‘apprenant, l‘ensemble des étapes d‘une activité de conceptualisation peut se dérouler en langue maternelle ou dans la langue cible, « mais en privilégiant le plus tôt possible la langue cible » (Ibid.).

Le tableau suivant proposé par Vigner (2004 : 126) résume les caractéristiques des démarches qui viennent d‘être présentées :

démarche déductive : de la règle aux exemples

démarche inductive : des exemples ou des productions

àla règle

démarche par résolution de problème (conceptualisation) :

d‘un corpus àson organisation • la règle est présentée par le

professeur ou figure dans le manuel

• les exercices suivent la règle et sont des exercices d‘application

• les exemples sont choisis par le professeur pour faciliter le travail d‘induction

• la règle formulée est la plus proche possible de celle figurant dans les manuels

• le professeur signale l‘existence de propriétés hétérogènes

• recherche d‘un principe explicatif

• règle formulée dans le langage propre aux élèves

2.1.2.3. Choix du métalangage et de la terminologie

Le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde définit ainsi le métalangage de la manière suivante : « l‘ensemble des discours tenus par l‘apprenant et par l‘enseignant sur la grammaire, sur le langage et, plus généralement, sur leurs activités d‘enseignement et d‘apprentissage » (Cuq (dir.), 2003 : 164). Selon Damar, cette notion concerne « tout terme ou énoncéqui se réfère au langage »(2009 : 63). L‘auteure apporte un élément complémentaire à cette définition en précisant que le métalangage comprend à la fois « la terminologie grammaticale et les explications relatives au fonctionnement de la langue »(Ibid.). Quant à nous, nous caractérisons le métalangage comme les explications relatives au fonctionnement de la langue et la terminologie comme « un ensemble de termes, définis rigoureusement, par lesquels elle [toute science] désigne les notions qui lui sont utiles » (Dubois et al., 1994 : 481). Cette dernière peut être comparée aux étiquettes grammaticales, telles que nom, verbe, complément, qui servent à nommer les constituants de la langue.

Damar est peu favorable à l‘emploi du métalangage en didactique : « trop de temps passé à la familiarisation avec les concepts métalinguistiques risque de nuire à l‘apprentissage de la langue » (2009 : 63). Selon elle, la terminologie traditionnelle semblepeu opératoire aux apprenants. Il faut réduire au minimum le métalangage et limiter la terminologie. Selon l‘analyse de l‘enquête présentée dans le cadre du Master (Ling, 2014), difficile, compliquée, complexe, stricte sont les adjectifs utilisés fréquemment par les étudiants chinois pour décrire la grammaire française. Cette représentation grammaticale est-elle liée à la terminologie employée lors de l‘enseignement ? Pour tenter de répondre à cette question, nous examinerons cet aspect de l‘enseignement dans les ouvrages chinois de FLE. Par ailleurs,Cuq signale que « la décision d‘emploi d‘une terminologie spécialisée (grammaticale) relève d‘un choix méthodologique » (1996 : 72). Nous analyserons le(s) choix terminologique(s) des concepteurs afin d‘identifier des orientations méthodologiques.

Notre analyse sera basée sur le principe qu‘une terminologie grammaticale de compromis devrait être formée de trois types de termes :

- « des termes techniques nouveaux quand il n‘y a pas de termes anciens récupérables ou

réadaptables (ex. : nouveau concepts ou objets de la linguistique contemporaine) »;

- « des termes traditionnels qui renvoient àdes notions stables »;

- «des termes usuels, qui appartiennent àla langue courante »(Ibid. : 74).

La terminologie grammaticale correspondant à un ensemble commun de termes indispensables à l‘analyse du fonctionnement de la langue et à l‘étude du discours a été élaborée par le ministre de

l‘Éducation nationale française en 1998. Étant une référence terminologique destinée aux professeurs de collège ou de lycée de français langue maternelle, elle nous permet cependant d‘avoir un point de vue général sur la nomenclature surtout en ce qui concerne la phrase et les classes de mots.

Nous nous référons davantage aux renouvellements terminologiques sur le plan de la syntaxe résumés par Cuq et Gruca (2017 : 356) :

a) le terme de type de phrase remplace forme, le discours rapporté supplante le style indirect ; b) trois grands types de relation syntaxique : coordination ; juxtaposition ; subordination ;

c) les fonctions autour du verbe et du nom sont limitées à l‘essentiel : attribut du sujet ; complément de l’adjectif : complément du nom ; sujet ;

d) le complément circonstanciel est très souvent remplacépar le complément de phrase ; e) l‘antécédent apparait souvent en lien avec la place importante accordée aux pronoms.