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La fluctuation des rapports entre communistes et socialistes

Entre convergences et processus parallèles

Section 1. Les variations d’un système d’alliances partisan

A. La fluctuation des rapports entre communistes et socialistes

Les relations entre le PCF et le PS sont particulièrement fluctuantes en fonction des époques et des lieux. Dès 1963, des contacts s’établissent entre PCF et PS conduisant à un « dialogue

idéologique »1, avant de soutenir la candidature de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1965. La stratégie du programme commun est adoptée par le PCF en 1971, tandis qu’au congrès d’Epinay, le PS adopte un discours plus radical et opte pour l’union de la gauche. Cette

convergence, fondée sur des intérêts différents2, conduit à la signature du programme commun en

1972. Cette alliance (particulièrement concurrentielle, sinon conflictuelle), en apparaissant rapidement comme plus favorable au PS, est rapidement remise en cause par la direction du PCF qui revendique la réactualisation du programme commun, et adopte sur ce thème une position maximaliste dans une configuration qui ne lui est, a priori, guère favorable : le résultat obtenu par le

1

Vigreux Jean, « Le parti communiste à l’heure de l’union de la gauche », in Tartakowsky Danielle et Bergounioux Alain (dir.), L’union sans unité, op. cit., p. 45-56.

2 Comme le montrent Jean Vigreux et Denis Lefebvre. Cf. Vigreux Jean, « Le parti communiste à l’heure de l’union de la gauche », op. cit. ; Lefebvre Denis, « Le parti socialiste à l’heure de l’union de la gauche », in Tartakowsky Danielle et Bergounioux Alain (dir.), L’union sans unité, op. cit. , p. 35-43.

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candidat commun de la gauche lors de l’élection présidentielle de 1974, couplé aux résultats des élections locales de 1976 (qui voient les candidats socialistes devancer les communistes) sont autant d’éléments fragilisant la position du PCF dans les négociations avec le PS, dont la direction n’est guère incitée à accepter un rééquilibrage en direction des propositions communistes. La rupture du programme commun s’accompagne au PCF du développement d’un positionnement « violemment

antisocialiste »1. Celle-ci s’accompagne de la production et de l’installation durable au sein du PCF d’une représentation négative du programme commun. Il est ainsi courant, lors de notre enquête, de l’entendre lors de discussions avec des dirigeants et plus encore des militants communistes. L’union de la gauche aurait désavantagé le PCF en permettant au PS de « siphonner » les suffrages

communistes2 comme le souligne Jean Vigreux : « Après avoir été un mot d’ordre rassembleur, il [le

programme commun] devint bientôt un élément de discorde, puis une référence négative. Le PCF qui

en avait été le promoteur prend ses distances à son égard et lui impute dans les années 1980 la responsabilité de son déclin »3. De nombreux travaux scientifiques ont depuis démontré la fragilité de cette grille de lecture forgée au sein du PCF. D’une part, Stéphane Courtois et Marc Lazar ont rappelé la disparité d’objectif entre PCF et PS, soulignant ainsi l’ambition des dirigeants communistes, lors de

la signature du programme commun, de maintenir le PS dans une position dominée4. D’autre part,

Bernard Pudal considère que le programme commun n’a pas contribué au déclin du PCF, mais au

contraire, que cette stratégie d’union a pu en masquer temporairement les premiers effets5. Florent

Gougou démontre également la déconnexion entre programme commun et rupture de l’union de la

gauche d’une part, et déclin électoral du PCF d’autre part6. Il remarque par ailleurs l’utilité de cette

stratégie pour le PCF en ce que l’union de la gauche va permettre à ce parti de constituer et/ou renforcer son réseau d’élus municipaux. Bénéfique au niveau local, l’union de la gauche va très largement résister à son échec national et, comme le rappelle Rémi Lefebvre, devenir « un des socles

de la vie politique local et un élément central des systèmes d’alliances qui la structurent. Constitutive

1 Dreyfus Michel, PCF. Crises et dissidences, op. cit., p. 160-161.

2

Cette grille de lecture a l’avantage, pour les militants communistes, d’imputer – ne serait-ce que partiellement – le déclin électoral et social de leur parti à un allié peu fiable… La mise en place du FG s’est par ailleurs accompagnée d’une adaptation de cette grille de lecture pour justifier la méfiance vis-à-vis du PG et de son leader qui, en tant qu’« ex-socialiste », est régulièrement soupçonné de vouloir « faire une OPA » sur le PCF. Dans les débats militants, le programme commun alimente ainsi des représentations majoritairement négatives légitimant, au gré des circonstances, la méfiance vis-à-vis des alliés socialistes ou du PG.

3

Vigreux Jean, « Le parti communiste à l’heure de l’union de la gauche », op. cit., p. 56.

4

Courtois Stéphane et Lazar Marc, Histoire du Parti communiste français, op. cit., p. 353-357.

5 Pudal Bernard, Un Monde défait, op. cit., p.99.

6 Gougou Florent, « Le programme commun à l’épreuve des élections. Union de la gauche et changement électoral dans les années 1970 », in Tartakowsky Danielle et Bergounioux Alain (dir.), L’union sans unité, op.

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de véritables cultures locales, reproduites par la socialisation militante, elle a résisté à de nombreuses vicissitudes de la vie politique nationale et des relations entre le PCF et le PS »1.

A partir de 1981, le PCF renoue avec la pratique gouvernementale (situation que ce parti n’avait plus connue depuis 1947), mais dans une configuration bien moins favorable qu’à l’époque. Colette

Ysmal rappelle opportunément que le PCF entre au gouvernement dans une « position subalterne »2.

En effet, le PCF n’est plus le parti dominant à gauche et l’élection présidentielle de 1981 a montré un fort décrochage de ses résultats électoraux, puisque Georges Marchais perd plus de cinq points par rapport au résultat obtenu en 1969 par Jacques Duclos (le PCF ayant soutenu François Mitterrand dès le premier tour en 1974). Sa participation gouvernementale (quatre ministres) se fait donc sous

la domination nouvelle du PS à partir de 1978-19813. Les différences de positions sont

particulièrement saisissantes si on compare les négociations entre le PCF et la SFIO pour les élections

de 19654 aux différentes configurations après 1981. Une première période est caractérisée par la

fragmentation et l’affaiblissement du socialisme renforçant la domination électorale du PCF sur la gauche. Le PCF est cependant contraint, au regard de sa position relativement marginale dans le champ politique, d’accepter des concessions peu avantageuses. A partir de la fin des années soixante-dix, la refondation du PS menée depuis 1969 et les importants décrochages électoraux du PCF aboutissent à un réalignement durable à l’avantage du premier. La participation du PCF à un gouvernement dominé par le PS caractérise une séquence marquée, pour Alain Bergounioux et

Gérard Grunberg, par une « union froide »5. Le départ des ministres communistes du gouvernement

en 1984 conduit à une quasi-absence de relations entre les deux partis jusqu’au milieu des années 1990, et à un durcissement du discours communiste par rapport au gouvernement socialiste, tandis que les résultats électoraux enregistrés par le PCF continuent à faiblir. En 1988, le candidat officiel du PCF à l’élection présidentielle, André Lajoinie, se voit concurrencé par un candidat communiste

dissident, Pierre Juquin, soutenu par la LCR et des communistes refondateurs6.

En 1994, la désignation de Robert Hue au poste de secrétaire national7 permet le rétablissement

de relations inter-partisanes entre communistes et socialistes, et aboutit à une tension réformatrice

visant à transformer fortement le PCF, qui s’accompagne rapidement, après la « victoire surprise »8

1

Lefebvre Rémi, « La construction de l’union de la gauche au niveau municipal », op. cit., p. 209.

2 Ysmal Colette, Les partis politiques sous la Ve République, op. cit., p. 134.

3

Bergounioux Alain et Grunberg Gérard, L’ambition et le remords, op. cit., p. 395-396.

4

Duhamel Alain, « Le Parti communiste et l’élection présidentielle », in Revue française de science politique, 16 (3), 1966, p. 539-547.

5

Bergounioux Alain et Grunberg Gérard, L’ambition et le remords, op. cit., p. 258-280.

6

Sur cette dissidence, cf. Dreyfus Michel, PCF. Crises et dissidences, op. cit., p. 177-189 ; Courtois Stéphane et Lazar Marc, Histoire du Parti communiste français, op. cit., p. 400.

7 Sur cette désignation, cf. Andolfatto Dominique, PCF. De la mutation à la liquidation, op. cit., p. 123-129.

8

Selon le titre de la chronique électorale consacrée à ces élections. Cf. Perrineau Pascal et Ysmal Colette (dir.),

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de la gauche aux élections législatives anticipées de 1997, d’une nouvelle participation gouvernementale dans une configuration encore moins favorable au PCF qu’en 1981. Le soutien indéfectible de la direction communiste à la participation gouvernementale va conduire à une

identification progressive de la « mutation »1 à cette dernière et à l’alliance privilégiée du PCF avec le

PS (comme à l’acceptation implicite de la position dominée qu’une telle alliance induit).