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Chapitre 3 : La créativité lexicale

3.1 La dynamique lexicale et la créativité lexicale

« L’innovation lexicale est […]

contenue potentiellement dans la langue, ce sont des déterminations sociales qui provoquent son émergence à un moment donné » (Hermans et Vansteelandt 1999).

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la créativité lexicale est l’une des causes importantes de l’incomplétude lexicale. En effet, une fois les noms propres exclus de la liste des mots inconnus d’un lexique, il reste un ensemble de mots, compris du locuteur, mais pas encore inséré dans un lexique artefactuel.

En effet, « chaque langue […] est articulée de manière à permettre la créativité lexicale avec un arsenal diversifié de procédés morphologiques et sémantiques » (Pruvost et Sablayrolles 2003). Plusieurs mécanismes composent cet arsenal et la typologie de ces mécanismes varie selon les auteurs. Pour individualiser ces mécanismes, Tournier propose de décrire sur le même plan toutes les règles de formation (qu’il nomme règles lexicogéniques) qui sont à l’origine de la formation des lexèmes présents dans le lexique répertorié. Il considère en effet que les unités lexicales du lexique potentiel sont formées par les mêmes règles que celles déjà réalisées dans le lexique réel.

Ces matrices, sur lesquelles nous reviendrons, font partie des différents mouvements de la dynamique lexicale. Comme nous l’avons vu au chapitre 1, il existe d’une part un

26 Le terme « créativité lexicale » peut prêter à confusion. Ici, nous parlons de créativité lexicale à l’instar de (Guilbert 1975).

Le terme créativité lexicale est donc à considérer comme un hypéronyme de tout un ensemble de phénomènes (production néologique, emprunt, etc) que nous expliciterons tout au long de ce chapitre et des suivants. En ce sens, ce terme se rapproche de ce que (Bauer 2001) nomme innovation lexicale.

mouvement qui part du xénolexique pour atteindre le lexique réel (il s’agit alors d’une matrice lexicogénique externe, généralement désignée par le nom d’emprunt), et d’autre part, un mouvement interne à un système linguistique, entre le lexique potentiel et le lexique réel, et réalisé grâce à des matrices internes de formation des mots. Dans ce chapitre, nous nous attardons sur ces matrices lexicogéniques internes, mais avant cela, nous clarifions la notion de néologie.

3.1.1 La notion de néologie

La créativité lexicale est étroitement liée à la notion de néologie. Dans un article de 1976, (Rey) faisait le constat que la néologie, le phénomène, et le néologisme, l’objet, étaient des concepts relativement peu étudiés en linguistique. Même si ce constat n’est plus forcément d’actualité, il n’en reste pas moins que le concept même de néologisme peine à trouver sa place dans les modèles linguistiques. Le titre même de l’article d’A. Rey précédemment cité : « néologie : un pseudo-concept ? » est évocateur de la difficulté de définir le néologisme. Les définitions du terme néologisme sont également très nombreuses et parfois très divergentes dans la littérature. Au terme de son article, A. Rey propose une définition qui est, à notre connaissance, la plus complète, et qui prend en compte trois paramètres différents :

« […] le néologisme est une unité du lexique, mot, lexie, ou syntagme, dont la forme signifiante ou la relation signifiant-signifié, caractérisée par un fonctionnement effectif dans un modèle de communication déterminé, n’était pas réalisée au stade immédiatement antérieur du code de la langue. » (Rey 1976, p. 17).

Le premier paramètre qui définit le néologisme est son caractère d’unité du lexique, simple ou complexe. Il est en effet rare de dire d’une unité plus petite (phonème, affixe, …) qu’elle est néologique, et encore moins d’une phrase (Gaudin et Guespin 2000), même si certaines locutions peuvent être ainsi qualifiées. La distinction opérée par A. Rey entre

« forme signifiante » et « relation signifiant-signifié » renvoie à la distinction dont nous parlerons plus tard entre néologie formelle et néologie sémantique.

Le second paramètre a trait au fonctionnement de cet objet dans un code déterminé. Rey insiste en effet sur la dimension sociologique de la situation de communication dans laquelle apparaît le néologisme. Il n’est en effet pas rare qu’une unité perçue comme néologique dans la langue courante soit déjà bien établie dans une langue de spécialité.

Enfin, le troisième paramètre concerne l’aspect nouveau. En effet, de nombreuses définitions du concept de néologisme contiennent un aspect novateur. A ce sujet, Rey distingue la nouveauté objective, datée (et donc insérée dans un lexique artefactuel), de la nouveauté subjective, quand un mot est ressenti comme nouveau par les locuteurs.

Finalement, Rey suggère qu’il n’y a pas de « néologisme en soi, mais par rapport à un ensemble d’usages arbitrairement définis ». Ainsi, le concept de néologisme est très pratique d’un point de vue méthodologique.

A cette définition, nous pouvons ajouter la dimension de la fonction du néologisme.

Bien souvent, un néologisme est créé pour dénommer une réalité nouvelle. Mais cette fonction de dénomination n’est pas la seule. En effet, le néologisme, suivant les types de discours dans lequel il apparaît, peut revêtir des fonctions plus « stylistiques », comme celles de deixis textuel, d’hypostatisation ou simplement pour attirer l’attention du lecteur (pour une

définition de ces termes et un plus large panorama sur la fonction du néologisme, cf.

(Hohenhaus 2007)).

En traitement automatique des langues, l’aspect « nouveau » du néologisme est matérialisé par le fait qu’il est absent d’un lexique de référence. Ainsi, un néologisme en TALN ne sera pas forcément considéré comme tel par un locuteur. De plus l’absence d’un lexique ne constitue pas la condition unique pour qu’un mot inconnu soit qualifié de néologisme, étant donné que les mots inconnus peuvent également être des noms propres ou des mots erronés, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents. Le traitement automatique des néologismes doit donc également prendre en compte les autres aspects du néologisme, et notamment sa forme ou la relation signifiant-signifié nouvelles qu’il instaure.

Pour implémenter un tel traitement, une connaissance approfondie des moyens de formation néologique est essentielle. C’est pourquoi nous présentons dans la suite les différents procédés possibles de formation de mots nouveaux. Nous nous attardons ensuite sur les différentes questions posées en particulier par la néologie formelle.

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