• Aucun résultat trouvé

Chapitre 8 : Analyse contrastive de la préfixation

8.1 Classification sémantique de la préfixation

Pour élaborer notre tertium, nous choisissons d’aborder notre étude contrastive des préfixes de l’italien et du français selon le sens exprimé par les règles dont ils sont les exposants, car l’objectif (la traduction des mots préfixés) est fondamentalement un procédé de

« transfert » sémantique. Évidemment, une approche globale devrait alors mettre en regard tous les procédés de construction de sens, qu’ils soient morphologiques ou non. Dans ce travail, nous nous limitons à la préfixation dans les deux langues, en restant conscient de la limite épistémologique que cela pose.

Pour prendre la sémantique comme cadre d’étude, nous avons besoin d’une classification sémantique de la préfixation qui puisse potentiellement s’appliquer à toutes les langues, ou tout au moins à toutes les langues morphologiquement proches de celles de notre travail. Nous commençons par présenter les différentes classifications de préfixes existantes, en nous concentrant sur les classifications sémantiques.

8.1.1 Classifications existantes

Pour l’italien, plusieurs linguistes ont proposé une classification des préfixes. (Dardano 1978) distingue par exemple les préfixes nominaux (qui se placent devant des noms ou des adjectifs) des préfixes verbaux. Cette distinction a très vite été remise en cause (notamment par Scalise 1994), car la plupart des préfixes s’accolent à toutes les catégories. Mais il est intéressant de souligner qu’à l’intérieur de la première classe, Dardano regroupe certains préfixes en différentes sous-classes, comme pour les préfixes « intensifs » ou les préfixes négatifs.

L’ouvrage le plus récent sur la préfixation en italien (Iacobini 2004) propose une classification exclusivement centrée sur la fonction sémantique du préfixe. Ainsi, son auteur rejette la classification des préfixes en fonction de la base sur laquelle ils s’accolent, arguant que cette distinction s’applique fort bien à la suffixation mais qu’elle est très réductrice pour la préfixation. En effet, selon (Iacobini 2004), un quart des préfixes productifs peut s’accoler devant des bases des trois catégories principales (adjectif, nom, verbe).

Montermini propose également une classification sémantique des préfixes. Il considère que la répartition sémantique qu’il opère « ne représente que l’ancrage, la clé pour donner une représentation du système selon lequel les préfixes s’organisent » (Montermini 2002). Il propose donc six classes de préfixes : les préfixes de changement d’état, les préfixes négatifs,

les préfixes modaux, les préfixes quantitatifs, les préfixes de repérage, et les préfixes évaluatifs.

Iacobini, pour sa part, distingue huit classes de préfixes : (1) position (2) négation (3) altération (4) quantification (5) répétition (6) inchoativité (7) réflexivité (8) union/réciprocité.

Cette classification est très proche de celle de Montermini. Les différences se trouvent principalement dans une division de la classe des « modaux » en trois classes (répétition, réflexivité et union/réciprocité). Évidemment, ces huit catégories principales sont parfois affinées par des subdivisions. réciprocité, l’opposition, et l’absence. (Béchade 1992) fournit une « typologie » sémantique assez proche de celle de Iacobini. Dans son tableau des « préfixes du français », il fournit pour chaque préfixe une ou plusieurs « significations », qui sont suffisamment cohérentes70, mais qui ne sont pas ordonnées ou hiérarchisées.

Pour (Corbin 2004), la sémantique du préfixe en français est fondamentalement associée à la notion de repérage, de laquelle découlent les notions de « localisation spatiale, temporelle, aspectuelle (et de façon dérivée, évaluation),[…] comparaison, quantification (y compris négation) ».

Comparer ces différentes classifications nous permet de dégager certaines tendances.

Ainsi, il ressort de ces classifications quatre classes principales sur lesquelles tout le monde semble plus ou moins s’accorder. Premièrement, on trouve les préfixes de « position », qui sont souvent décrits comme provenant de prépositions ou d’adverbes (ce qui autorise donc certains à considérer le procédé comme de la composition). Deuxièmement, nous trouvons les préfixes « d’évaluation ». La troisième catégorie regroupe les préfixes de négation, et la quatrième les préfixes de changement d’état (ou inchoatifs). Les autres préfixes sont traités de manière variable. Tantôt, une nouvelle classe est ajoutée, tantôt les préfixes « dissidents » sont mis dans des catégories plus ou moins pertinentes. Ainsi, Iacobini crée des catégories supplémentaires pour pouvoir classer certains préfixes. C’est notamment le cas de la classe des préfixes de réflexivité, qui contient seulement le préfixe auto , ou encore de la classe des

« quantitatifs », qui contient les préfixes multi, poli et pluri qui, pour certains auteurs, ne peuvent pas être considérés comme des préfixes.

8.1.2 Notre classification

Pour pouvoir classer et analyser de manière contrastive les préfixes de l’italien et du français, nous avons élaboré notre propre classification, en nous inspirant des différentes approches citées ci-dessus. Nous avons tout d’abord maintenu les quatre classes présentes

70 Béchade se sert des attributs suivants : à côté, à demi, à la place, à travers, après, arrière, au-delà, au-dessous, au-dessus, augmentation, auparavant, autour, avant , avec, bien, complètement, contre, dans, de nouveau, demi, dessus, deux, deux fois, difficulté, direction, éloignement, en arrière, en deçà, entre, hors de, mal, moitié, négation, pour, presque, privatif, réciprocité, sans, sous, superlatif, transformation , trois.

dans la majorité des études (inchoatif, évaluatif, position, négation). A ces quatre grands groupes unanimement présents dans toutes les descriptions linguistiques décrites précédemment, nous avons ajouté une classe présente dans la classification de (Iacobini 2004) pour les préfixes quantitatifs, et une classe pour les préfixes modaux qui était proposée par (Montermini 2002) et qui regroupe les préfixes de réitérativité, de réflexivité et d’union et de réciprocité.

En revanche, nous avons opéré quelques modifications, en définissant plus précisément certaines sous-classes. Par exemple, les préfixes de position sont soit de type locatif, soit de type temporel. Parmi les préfixes de position locatifs, Iacobini opère des subdivisions en fonction de la position qu’ils indiquent. Nous avons conservés cette distinction en créant des sous-classes : « devant », « derrière », « à côté », « dedans, au milieu », « dehors »,

« dessus », « dessous », « au-delà » et les « relations hiérarchiques »71. Nous avons également ajouté une classe pour le préfixe indiquant un « soutien partisan », que Iacobini préfère maintenir dans les préfixes indiquant la position « devant » et que (Montermini 2002) classe également dans les préfixes de repérage. Pour les préfixes de location temporels, nous distinguons les valeurs « avant », « après » et la valeur de « nouveauté », à laquelle nous avons opposé bien évidemment la valeur d’ancienneté, que Iacobini préférait inclure dans la classe des « avant ». Ensuite, en ce qui concerne les préfixes évaluatifs, nous les avons tout d’abord subdivisés en fonction de la valeur positive ou négative qu’ils dénotent, avant des les subdiviser à nouveau en fonction des aspects qualitatif ou de grandeur sur lequel ils portent.

C’est dans cette classe d’évaluatifs que nous avons introduit une sous-classe particulière pour les « préfixes d’approximation », ainsi qu’une sous-classe pour la valeur d’atténuation. Puis, parmi les préfixes de négation, nous avons créé trois sous-classes (là où Iacobini en distingue cinq). Les deux premières sont unanimement reconnues, il s'agit des classes d’opposition et des classes de contradiction. Ensuite, nous avons regroupé les trois classes restantes de Iacobini dont la distinction est, de l’aveu même de l’auteur, beaucoup plus subtile. En effet, le contraire, la privation et la réversion sont trois ensembles de préfixes qui ont une grande aire d’intersection dans nos langues de travail et qu’il convient de traiter ensemble, du moins d’un point de vue contrastif.

Nous avons également divisé la classe des préfixes quantitatifs en une classe pour les préfixes qui désigne la pluralité indéterminée (Amiot 2005b), puis en une classe particulière pour les quantités uniques ou nombrées, elle-même subdivisée suivant la valeur numérique exprimée (1, 2, 3, …). Une dernière sous-classe a été ajoutée pour l’expression de la totalité, bien que cette valeur semble encore assez peu étudiée.

Le schéma ci-dessous décrit de manière détaillée les sous-divisions opérées dans notre classification.

71 Nous excluons volontairement les valeurs « en face, position opposée », « autour », et « en deçà », car elles sont exprimées par des préfixes plus du tout productifs dans les deux langues de notre travail. Pour utiliser cette classification dans d’autres langues, ces sous-classes devraient être incluses.

Figure 26 : Classification sémantique de la préfixation Préfixe

position

évaluation

négation

quantitatif

modaux

inchoatif

position locative

position temporelle

évaluation positive

évaluation négative

évaluation atténuative évaluation approximative

opposition contradiction

contraire, privation, réversion pluralité indéterminée

quantité nombrée

totalité

réflexivité union, réitérativité

devant derrière à côté dedans dehors dessus dessous au-delà

rel. hiérarchique soutien partisan avant

après nouveau ancien

grandeur et quantité qualité

grandeur et quantité qualité

unique deux trois …

Cette classification nous sert donc de tertium comparationis sur lequel nous projetons les préfixes des deux langues. Les données proviennent essentiellement de descriptions linguistiques des deux langues, comme nous les avons décrites dans le chapitre précédent.

L’annexe II présente plus précisément chaque classe de ce tertium et résume les informations sur les préfixes tirées de nos différents auteurs de référence, qui nous ont permis de projeter ces préfixes sur cette classification.

Nous décrivons dans la section suivante les résultats de cette projection, puis nous montrons comment, de cette projection, nous pouvons retirer les informations nécessaires à la constitution de RCL bilingue, ce qui nécessite évidemment un affinage des résultats de la projection (section 8.2.3).

Documents relatifs