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Chapitre 4 : La créativité lexicale et le contact entre les langues

4.1 Les emprunts

« L’emprunt […] est le procédé par lequel les utilisateurs d’une langue adoptent intégralement, ou partiellement, une unité ou un trait linguistique […] d’une autre langue » (Loubier 2003).

Jusqu’à maintenant, nous avons passé en revue des matrices internes à la langue (les procédés de création lexicale), voyons à présent la matrice externe, les emprunts, qui correspondent au mouvement du xénolexique vers le lexique réel, dans le schéma de la dynamique lexicale (Tournier 1985) présenté au chapitre 1. Au-delà de cette définition qui peut paraître simple, la classification des emprunts dans les typologies de néologismes ne fait pas vraiment l’objet d’un consensus. Les emprunts sont en effet tantôt considérés comme une classe à part (Rondeau 1984), tantôt intégrés à la classe de la néologie formelle (Rey 1995), car la forme empruntée est nouvelle pour le système linguistique qui l’emprunte. (Adamo et Della Valle 2003) vont même jusqu’à inclure les emprunts dans la catégorie des néologismes de sens.

Mais la principale question que soulève la définition de Loubier, citée en tête de cette section, réside dans l’opposition « intégralement ou partiellement » qui semble être au cœur du manque de cohérence entre les différentes typologies de l’emprunt. Cette distinction entre

« intégral et partiel » se retrouve dans la définition de (Gaudin et Guespin 2000), pour qui, dans le transfert lexical, (« mouvement résultant du contact des langues »), il faut distinguer le calque de l’emprunt, car dans le calque, il y a « emprunt et traduction ». Cette précision est toute relative, tant le terme « traduction » est peu précis, comme nous allons le voir.

Ainsi, l’emprunt intégral désigne la situation où « un signe s’installe dans un système linguistique en étant emprunté à un autre, sans subir de modifications formelles » (Gaudin et Guespin 2000). Par exemple, design et irish coffee sont des emprunts de l’anglais par le

français (Gaudin et Guespin 2000) et day care est un emprunt de l’anglais, mais par la langue italienne (Adamo et Della Valle 2003).

Le calque, de son côté, désigne la traduction de la forme de la langue source dans la langue cible, langue dans laquelle le signifié n’existait pas. Le signifié est alors emprunté, mais le signifiant est adapté à la langue d’arrivée (comme dans le cas de gratte-ciel qui est l’adaptation française de l’anglais sky-scraper (Pruvost et Sablayrolles 2003)).

Mais entre les deux concepts très nets de l’emprunt intégral et du calque, il existe toute une gamme de cas qui ne sont ni vraiment des emprunts, ni vraiment des calques, car ils ne relèvent ni d’un emprunt intégral de la forme, ni vraiment d’une traduction totale du signifié.

(Tournier 1985) souligne en effet que l’arrivée d’un emprunt dans un système linguistique nécessite forcément un processus d’adaptation, processus qui peut être plus ou moins important. En effet, rappelons que même dans les cas d’emprunt intégral, il y a forcément une assimilation, au moins phonologique (Tournier 1985)(design (/dizajn/) en français, est relativement adapté au système phonologique de cette langue).

C’est pour toutes ces raisons que l’emprunt ne peut se résumer à une notion binaire (intégral ou partiel). En effet, tout comme les matrices lexicogéniques internes, la matrice de l’emprunt peut être théoriquement catégorisée selon trois critères, « selon que l’emprunt concerne à la fois le signifiant et le signifié, ou seulement le signifié, ou seulement le signifiant » (Tournier 1985).

L’emprunt unique de la forme est un phénomène très rare (Tournier cite le nom anglais cineaste, emprunt de la forme française, mais qui en anglais désigne le cinéphile). L’emprunt morphosémantique est le cas le plus répandu. Ce sont des véritables xénismes, comme week-end en français. Or, l’intégration du xénisme dans la langue d’arrivée n’est pas forcément parfaite. Comme nous l’avons déjà mentionné, (Tournier 1985) distingue différents stades d’assimilation, comme l’assimilation graphique (l’accentuation ou la perte d’accent), l’assimilation phonique, l’assimilation flexionnelle (utilisation ou non des pluriels étrangers) ou l’assimilation sémantique (élargissement ou restriction d’un champs notionnel).

L’emprunt uniquement sémantique est lui un peu moins rare. Il concerne par exemple les cas où un sens provenant de la langue étrangère est ajouté à un mot de la langue emprunteuse. Ainsi, l’emploi de réaliser dans le sens de se rendre compte est un emprunt sémantique à l’anglais to realise. C’est dans cette classe d’emprunt sémantique que Tournier place le calque qui est « une traduction littérale […] de lexies construites » (Tournier 1985).

Il est intéressant de faire un parallèle entre cette typologie de Tournier et une autre, plus précise, proposée par (Loubier 2003). Nous avons volontairement exclu de cette typologie les emprunts formels (que Tournier appelle emprunts morphologiques) qui regroupent les

« faux emprunts » où seuls les traits formels d’une autre langue sont transférés pour créer un néologisme inexistant dans la langue source (brushing, relooking, pressing en français).

Nous reproduisons ci-dessous un schéma simplifié de la typologie de Loubier.

Figure 11 : Typologie des emprunts selon Loubier

La différence importante entre cette typologie et celle de Tournier réside d’une part dans la spécification des deux types d’emprunts sémantiques (là où Tournier ne semble faire du calque qu’un simple sous-ensemble de l’emprunt sémantique) et d’autre part, dans la nette distinction opérée entre les emprunts morphosémantiques (là où Tournier spécifie différents degrés d’assimilation).

Mais Loubier classe sous le terme emprunt morphosémantique hybride un regroupement intéressant de toutes ces unités lexicales construites qui sont transférées dans une autre langue en adoptant qu’une partie du système linguistique de la langue d’arrivée, par les différents degrés d’assimilation déjà mentionnés.

Le calque morphologique se distingue de l’emprunt morphosémantique hybride, car dans ce dernier, un des éléments du mot construit est emprunté littéralement de la langue source, alors que dans le cas des calques morphologiques, tous les éléments du mot construit sont « traduits ». (Loubier 2003) donne d’ailleurs comme définition du calque morphologique : « emprunt sémantique dont la forme étrangère est traduite et remplacée dans la langue emprunteuse par une forme nouvelle qui imite le modèle morphosyntaxique étranger et reproduit plus ou moins exactement l’image véhiculée par la langue étrangère. » Les calques morphologiques sont donc clairement une reconstruction du mot avec des éléments propres à la langue emprunteuse, mais ils suivent le modèle morphosémantique de la langue source. Une des sources de ce type de phénomène est sans doute l’activité traduisante, dont nous reparlerons plus bas.

4.1.1 Emprunt et morphologie

Dans tous ces types d’emprunts, seuls les emprunts morphosémantiques hybrides et les calques morphologiques intéressent les études morphologiques, car ces deux procédés mettent en œuvre des règles de construction morphologique fidèles au système lexical dans lequel ils opèrent.

Notons au passage que la catégorie des emprunts formels (ou emprunts morphologiques pour (Tournier 1985)) – faux emprunts où seuls les traits formels sont conservés (comme parking en français) - est aussi intéressante, mais d’un autre point de vue, car elle regroupe des cas qui seraient des exceptions à toute formalisation des processus d’emprunts.

Emprunt morphosémantique Emprunt sémantique

intégral hybride calque

sémantique calque

morphologique

week-enden week-endfr

dopingen dopagefr

brushabilityen brossabilitéfr

siteen<sem=x>

sitefr<sem=x>

Les emprunts

Ainsi, l’emprunt, tout comme la néologie formelle, engendre l’apparition de nouvelles formes dans la langue. Et ces deux phénomènes semblent converger, quand un emprunt s’assimile au système morphologique de la langue emprunteuse et se rapproche par là-même des procédés de la néologie formelle. C’est cette convergence et ce brassage qui nous poussent à réfléchir à une approche contrastive de la créativité lexicale, qui fera l’objet de la deuxième partie de ce travail. Mais avant cela, il nous faut nous arrêter quelque peu sur d’autres aspects du contact entre les langues.

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