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La distinction institutionnelle entre siège et parquet

§1 Une distinction de la formation de jugement propre au Parquet général de la Cour de cassation

A. La distinction institutionnelle entre siège et parquet

356. L’avocat général se singularise du rapporteur public par la distinction institutionnelle d’avec le siège (1). Combinée à d’autres caractéristiques, cette spécificité est susceptible d’accentuer la distinction entre avocat général et rapporteur (2).

1. La contribution de la séparation institutionnelle à la réalisation de l’altérité

357. La Cour de cassation ne fait pas exception à la règle de dualité entre siège et parquet des juridictions judiciaires. Inspirée par cette séparation organique478, l’institution du commissaire

du gouvernement s’en est pourtant éloignée. Désignés parmi les membres du Conseil d’État, les rapporteurs publics sont statutairement et fonctionnellement dans une situation identique à celle des autres membres du corps et de la juridiction479. L’arrêt Escalatine insiste sur cette

particularité du rôle du commissaire : « il participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre480 ». L’exercice de cette fonction est temporaire, son titulaire siègera à

nouveau au sein de la formation de jugement à son issue.

358. La séparation organique entre le siège et le parquet au sein de la Cour de cassation participe de l’altérité du Parquet général vis-à-vis de la formation de jugement. Elle favorise la distinction des points de vue et rend possible la réalisation des consultations extérieures source d’enrichissement du débat481. Selon Laurent Le Mesle, si leur formation commune exclut toute

différence culturelle, elle existe néanmoins sur le plan institutionnel et favorise la différenciation des regards souhaitée par les juges482.

359. Cette séparation institutionnelle permet une plus grande indépendance de l’avocat général à l’égard de la formation de jugement. Alors qu’au Conseil d’État, le rapporteur public est désigné par le président de la chambre, l’avocat général en est indépendant. Par conséquent,

478 T. SAUVEL, « Les origines des commissaires du gouvernement auprès du Conseil d’État statuant au contentieux », RDP, 1949, p. 5 : « considérant qu’au moment où les parties obtiennent les avantages de la publicité et de la discussion orale, il est convenable que l’Administration et l’ordre public trouvent des moyens de défense analogues à ceux qui leur sont assurés devant les tribunaux ordinaires ».

479CE, 20 mars 1957, Hospices Perpignan. 480CE, 29 juillet 1998, Escalatine.

481Voir infra.

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les avocats généraux sont plus libres que les conseillers de la Cour de cassation de remettre en cause la jurisprudence de la chambre. Ils bénéficient d’une plus grande liberté par rapport à la jurisprudence de la chambre car ils n’en sont pas auteurs. Contrairement à l’avocat général, le conseiller-rapporteur s’insère dans une structure hiérarchisée composée du président de chambre et des doyens. Dès lors, tout changement de jurisprudence doit être pensé collégialement au sein du siège de la Cour. À l’inverse, les avocats généraux ne connaissent pas cet impératif de collégialité. Ils peuvent donc préconiser en toute liberté des revirements de jurisprudence. Si la séparation institutionnelle participe de la différenciation des regards nécessaire à l’utilité d’une institution de conseil, elle est insuffisante à sa réalisation.

2. L’insuffisance de la séparation institutionnelle pour la réalisation de l’altérité

360. La distinction institutionnelle n’entraîne pas nécessairement l’altérité. À la Cour de cassation, celle-ci ne produit plus les effets escomptés. De l’aveu des avocats généraux comme de celui des magistrats du siège, l’avis des premiers ne se distingue pas toujours de celui du conseiller-rapporteur, dans les litiges de droit commun comme en QPC. La comparaison avec leurs homologues administratifs et européens met en lumière une autre modalité nécessaire à la distinction de la voix de l’avocat général : le profil des magistrats recrutés.

361. Il ressort du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne que les avocats généraux sont recrutés parmi les « jurisconsultes possédant des compétences notoires483 ». Le

recrutement de magistrats particulièrement qualifiés est lié au prestige de la fonction, au Conseil d’État comme à la Cour de Justice de l’Union européenne :

« La valeur des conclusions dérive du fait que les commissaires sont des juristes particulièrement qualifiés, qui après avoir étudié le dossier de l’affaire, en vérifiant la jurisprudence existante et tout texte et règle de droit applicable sont amenés à émettre une opinion particulièrement autorisée484 ».

483Article 252 TFUE.

484A. BARAV, "Le commissaire du gouvernement près le Conseil d'État français et l'avocat général près la Cour de justice des communautés européennes", art. cit.., p. 817.

173 362. À la Cour de cassation, la logique institutionnelle influence le recrutement des avocats généraux. Le Parquet général a longtemps été envisagé comme l’aboutissement d’une carrière au parquet. Dès lors, les avocats généraux étaient recrutés parmi les avocats généraux des cours d’appels. Ce profil pénaliste rend parfois difficile l’acclimatation au droit civil, social ou commercial nécessaire à l’accomplissement de la mission d’avocat général à la Cour de cassation. Le contentieux de la QPC souligne cette différence de profil. L’apprentissage de ce nouveau contentieux, aisé pour les magistrats rompus aux changements de fonction, peut s’avérer difficile pour des parquetiers de carrière. Néanmoins, des changements statutaires485

et des évolutions de la politique de recrutement modifient en profondeur la composition du Parquet général au bénéfice de magistrats plus jeunes et aux profils variés. Si la différence institutionnelle entre siège et parquet persiste à la Cour de cassation, elle se distingue néanmoins de plus en plus de celle prévalant dans les juridictions du fond, comme en témoigne l’évolution de la politique de recrutement.

363. Le Parquet général de la Cour de cassation se distingue de son homologue administratif par la distinction institutionnelle existant entre siège et parquet quai de l’Horloge. Cette particularité participe de l’altérité de l’avocat général. Elle entraîne l’utilité de l’avocat général dans le processus décisionnel, à condition d’être envisagée dans la spécificité qui est la sienne au sein de la Cour Suprême et non comme une émanation du parquet en général. Cette modalité d’exercice de la fonction d’avocat général propre à la Cour de cassation peut constituer un atout dans la redéfinition de son rôle auprès de la formation de jugement.

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