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1 La dialectique dans la phase d’instruction du dossier QPC

415. Le processus décisionnel de la Cour de cassation tend à s’aligner sur les modalités en vigueur en QPC. Pour enrichir l’instruction des dossiers sensibles, la Cour de cassation a rendu possible la désignation anticipée des avocats généraux. Cette procédure permet aux deux magistrats instructeurs de mutualiser leurs informations et d’échanger de façon constructive sur les démarches utiles à l’instruction du dossier (I). Si les avocats généraux ne participent plus à la conférence préparatoire, leur opinion peut néanmoins influencer les débats qui s’y déroulent si celle-ci s’autonomise suffisamment du rapport. Favorisant l’indépendance de l’instruction réalisée par l’avocat général, la QPC participe également de la connexion entre siège et parquet lors de la conférence (II).

I. Un travail d’instruction conjoint favorisé par la QPC

416. L’intervention de l’avocat général de la Cour de cassation s’inscrit dans une logique de consultation connaissant un essor inédit depuis la fin du XXe siècle. L’intervention de l’avocat général au sein du processus décisionnel vise à réduire l’aléa judiciaire en instillant une dose

197 de contradictoire à tous les stades de l’examen du dossier (A). L’utilité de l’intervention de l’avocat général dépend néanmoins de ses modalités ; la Cour de cassation entreprend depuis 2015 des réformes visant à améliorer la dialectique entre siège et parquet dans le processus décisionnel, ces réformes rapprochent la procédure en vigueur dans les contentieux de droit commun de celle à l’œuvre en QPC (B).

A. Un travail conjoint entre siège et parquet limitant l’aléa judiciaire

417. Dénué de la mission de ministère public caractérisant le parquet des autres juridictions, le Parquet général de la Cour de cassation a pour unique fonction de conseiller le siège sur la bonne application du droit, s’inscrivant pleinement dans la logique de multiplication des acteurs pour améliorer de la qualité des décisions rendues. En matière de QPC, la demande d’avis au parquet sur l’opportunité du renvoi des questions figure dès le projet de loi organique déposé par le premier ministre sur le bureau de l’assemblée nationale553. Les articles 23-1 et

23-2 de la loi organique imposent la communication du dossier QPC au parquet de la Cour de cassation dès la réception de l’affaire afin qu’il puisse faire connaître son avis. Cette procédure n’a pas été discutée en commission ou en séance publique devant les chambres554. La

participation du parquet au filtre de la QPC semblait aller de soi, une évidence au regard du fonctionnement usuel d’une juridiction où les décisions sont toujours prises après avis d’un membre du parquet, mais aussi, peut-être, un nouveau témoignage de la tendance générale à la consultation.

418. Le Parquet général de la Cour de cassation s’inscrit dans une logique de consultation en constante expansion. La consultation est une pratique ancienne remontant au droit romain555.

Il y était inconcevable, au moins à certaines phases de son évolution, de juger sans avoir préalablement consulté. On ne songeait pas en ce temps que le droit puisse être clair et accessible à tout esprit rationnel, il se discutait autant que le fait. Au Moyen-Âge, les rachimbourgs puis les scabins, de simples hommes libres, assistent le juge en l’éclairant sur la coutume applicable au litige. A cette époque le juge est un magistrat professionnel mais la

553Loi organique n° 1599 du 15 avril 2009 relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

554Dossier législatif sur le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution précité, site de l’Assemblée nationale.

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multiplicité des coutumes en vigueur rend utile la présence de ces « conseillers » pour l’éclairer.

419. Depuis la fin du XXe siècle les procédures d’avis connaissent un essor inédit témoignant d’un besoin grandissant de consultation. Les droits incertains et difficiles à connaître (comme les droits non codifiés) ont toujours doté leurs juges de conseils. Le droit administratif, par exemple, fait appel à la consultation556. Le recours à des dispositifs visant à impliquer une

pluralité d’acteurs s’intensifie dans la sphère de l’action publique et de la justice. Il ressort du colloque sur l’inflation des avis en droit557 qu’une synthèse de ce développement est impossible

au regard de l’ampleur et de la diversité du phénomène :

« Face à l’extraordinaire foisonnement des avis, les différents rapporteurs ont tenté de s’organiser. Faisant appel aux ressources de l’esprit scientifique, ils ont distingué et sous-distingué dans un effort remarquable de classement. Mais elles ne se recoupent pas, de sorte que la matière reste un kaléidoscope558 ».

420. Certaines typologies distinguent les avis incitatifs à la prescription des avis intégrés dans le processus d’élaboration de la prescription ; d’autres les avis ayant pour objet la réglementation, le jugement ou l’interprétation. Pour sa part, Jacques Raynard distingue deux formes d’avis « naturel » ; l’avis-information (émis par un sachant) et l’avis-conseil sollicitant un « ami du décideur » sur l’opportunité d’une décision pour laquelle tous les éléments d’informations nécessaires sont connus559. Le recours aux experts, amicus curiae et autres

« comités de sages560 » se sont multipliés depuis 20 ans561 : L’inclusion d’une pluralité

d’acteurs dans le processus décisionnel s’inscrit dans la théorie de la gouvernance démocratique. Cette théorie s’oppose à un modèle de décision centralisé revendiquant le monopole de l’intérêt général.

556 Ibid., p. 109.

557T. REVET, L’inflation des avis en droit - Actes du colloque, 7 juin 1996, Montpellier, Paris : Economica, 1998. 558Ph. JESTAZ, « Rapport de synthèse », in : L’inflation des avis en droit, Paris : Economica, 1998, p. 113. 559J. RAYNARD, « Domaines et thèmes des avis », in : L’inflation des avis en droit, Paris : Economica, 1998, p. 12.

560Comité national d’éthique (1983), Commission de la nationalité (1987), Conseil national du Sida (1989), Haut Conseil à l’Intégration (1990).

199 421. À l’instar de la décision politique, la décision judiciaire multiplie les acteurs du processus décisionnel pour réduire l’aléa qui précède l’adoption définitive de l’arrêt562. Selon Jean Du

Jardin, ancien Procureur général de la Cour de cassation belge, l’essence de la fonction de l’avocat général est de diminuer l’incertitude prédécisionnelle :

« Si une des préoccupations majeures de ceux qui participent à la fonction de juger doit être la réduction de l’aléa judiciaire, parce qu’il est générateur d’insécurité juridique et d’un déficit de cette confiance que le citoyen doit légitimement pouvoir avoir en la loi et à la justice, c’est sur ce point que le rôle du Parquet de la Cour de cassation est plus particulièrement important563 ».

422. La fonction du Parquet général de la Cour de cassation - de Belgique comme de France - s’inscrit dans un mouvement de recours de plus en plus accru à la consultation. Cependant, il ne suffit pas que ces différents acteurs émettent un avis, le cœur de l’opération réside dans l’entrechoc des thèses. La supériorité de la délibération collective ainsi produite sur le système ou la décision est formée par simple agrégation de préférences non argumentées est philosophiquement établie564. Le raisonnement dialectique est le fondement de la délibération,

théorie au cœur des enjeux de gouvernabilité selon laquelle cette modalité de dialogue serait porteuse d’une rationalité permettant une gestion publique plus efficace565. La confrontation

des points de vue rendrait possible l’imagination de solutions nouvelles et éclairerait chacun sur les conséquences véritables de ses choix et de ses préférences « ce à quoi un individu ne saurait prétendre seul566 ».

423. Le droit et la gestion publique partagent avec la philosophie l’impuissance à parvenir à des solutions scientifiquement démontrées. En matière de philosophie comme en droit, la recherche de solution se fait à plusieurs dans une logique de dialogue. La vérité commune n’y est accessible que par le biais de la discussion. Le raisonnement ne peut être vertical comme il est attendu d’un discours de vérité, il correspond à une rencontre horizontale d’opinions

562G. CARLOS RODRIGUEZ IGLESIS, « Le juge face à lui-même », art. cit., p. 331.

563 J. DU JARDIN, « Le ministère public près la Cour de cassation, son impartialité au-delà ou en dépit des apparences », in : Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles : Bruylant, 2004, p. 261.

564 Ibid.

565J. CHEVALLIER, La gouvernabilité, Paris : PUF, 1996 ; L. Blondiaux, « La délibération, norme de l’action publique contemporaine ? », Revue Projet, 2001/4, n° 268, 2001, p. 81‑90.

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