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En dépit de leur spécialisation dans le domaine maritime et des efforts réalisés pour apprécier la qualité des navires (cf. section 5.2), les clubs P&I n’ont généralement qu’une connaissance très imparfaite des risques présentés par leurs membres. Les risques assurés par les clubs P&I se caractérisent par une forte hétérogénéité tant du point de vue de leurs conséquences que du point de vue de leurs causes (cf. sous-section 5.3.1). L’information nécessaire pour apprécier le risque d’un navire particulier est le plus souvent limitée (cf. sous-section 5.3.2) et difficile à interpréter (cf. sous-section 5.3.3). Par ailleurs, différents paramètres du secteur de l’assurance P&I sont de nature à désinciter les clubs à évaluer avec précision le risque des navires (cf. sous-section 5.3.4).

5.3.1 Des sinistres aux conséquences diverses et aux causes

mul-tiples

La prévision des risques présentés par les navires est une démarche délicate dans la mesure où ils sont susceptibles de générer des demandes d’indemnisations hétérogènes à la fois dans leur nature et leurs montants.

Fig. 5.5 – Types de demandes présentées par les navires pétroliers.

Repris de Anonyme (1997a).

L’étude du club UK P&I indique, pour le segment des navires citernes, que 25% des de-mandes d’indemnisation supérieures à $ 100 000 se rapportent à des dommages aux car-gaisons à bord des navires. Moins d’un quart des demandes concerne des dommages aux personnes embarquées (équipage du navire ou passagers). Les dommages par pollution n’ar-rivent qu’en troisième position et représentent un peu plus de 14% des demandes. La répar-tition des types de risque est fortement modifiée si l’on raisonne en valeurs. Les demandes relatives aux dommages par pollution représentent alors près de 40% des montants payés par le club. Les dommages aux cargaisons ne comptent plus que pour 14% et les dommages

aux personnes embarquées pour 7% (cf. graphique 5.5).

Fig. 5.6 – Causes des demandes présentées par les navires pétrolier.

Repris de Anonyme (1997a).

De même, la probabilité qu’un navire soit à l’origine d’un sinistre dépend d’un ensemble de facteurs variés, matériels et immatériels. La définition de la navigation sous-normes proposée par l’OCDE précise ainsi que les navires sous-normes sont des « [. . .] navires qui du fait de leur état matériel, de leur mode d’exploitation ou de la composition de leur équipage ne répondent pas aux normes fondamentales de navigabilité et représentent donc une menace pour la vie et/ou pour l’environnement. » (Anonyme 2001f, p.8). Le risque présenté par un navire ne se résume donc pas à la vétusté de son état physique mais s’apprécie à partir d’une combinaison de paramètres de natures hétérogènes, dont le facteur humain, ce qui rend plus complexe son appréciation (Donnellan 1993, Marsh 1993).

Cette observation est confirmée par l’étude du club UK P&I. Selon le graphique 5.6, la vétusté des navires-citernes – i.e. les défaillances d’équipement, des machines ou de la struc-ture du navire – est à l’origine de moins d’un quart des demandes supérieures à $ 100 000. Le facteur humain joue en revanche dans une proportion nettement plus importante. Les erreurs commises par les différentes catégories de membres d’équipage (officier et marins) représentent près de la moitié des demandes indemnisées. Les intervenants ponctuels dans la navigation du navire (personnel à terre, pilotes) sont responsables de 15% des sinistres.

5.3.2 Le problème de l’information. . .

Les clubs P&I disposent d’un ensemble d’information pour apprécier la qualité des navires (cf. sous-section 5.2.2). L’existence de ces multiples sources d’informations est en apparence de nature à faciliter la tâche des clubs P&I lorsqu’ils évaluent le risque des navires. Toutefois, elle ne doit pas occulter qu’un certain nombre de difficultés subsistent.

1. Les clubs P&I ne peuvent s’en remettre à une seule catégorie d’inspection car le détail des points examinés diverge fortement selon la nature de l’inspection et n’apporte de ce fait qu’une vision fragmentaire et partielle de la condition du navire et du risque

qu’il présente17.

2. Les informations disponibles sont parfois d’une fiabilité relative. Différents clubs es-timent qu’il existe des sociétés de classification plus laxistes que d’autres, quand il ne s’agit pas de certains de leurs contrôleurs (Anonyme 2004o). Les clubs ont également conscience que tous les pays ne font pas preuve de la même exigence dans le contrôle des navires inscrits sur leurs registres ou qui fréquentent leurs ports.

3. L’ensemble des sources d’information n’est que rarement disponible pour un navire donné. À la différence des inspections effectuées par les sociétés de classification, obli-gatoires et réalisées à des échéances régulières, plusieurs types de contrôle ne sont pas systématiques. Les Etats côtiers n’inspectent pas l’ensemble des navires qui marquent une escale dans leurs ports mais seulement une part, définie dans l’accord régional auquel ils participent. De même, les principales compagnies pétrolières ne contrôlent annuellement que 65% de la flotte mondiale pétrolière (Anonyme 2004o).

4. Certaines sources d’information ne sont pas accessibles aux clubs P&I du fait d’obs-tacles institutionnels (Anonyme 2004o). La base de données SIRE, qui contient l’en-semble des rapports d’inspections menées par les compagnies pétrolières, n’est consul-table que par les compagnies membres de l’OCIMF et différentes autorités publiques, comme les Etats du Port qui l’utilisent pour cibler certains des navires qu’ils contrôlent. De même, sur le plan juridique, les clubs ne peuvent échanger les résultats des inspec-tions qu’ils mènent à bord des navires et ne peuvent s’informer de la mauvaise qualité d’un navire qui souhaite changer de club.

5.3.3 . . .et de son interprétation

Les clubs P&I rencontrent également des difficultés à évaluer le risque des navires sur la base des informations à leur disposition.

En premier lieu, les conclusions susceptibles d’être tirées de certaines sources d’information s’avèrent limitées. Les sociétés de classification, par exemple, ne font qu’indiquer si un navire a répondu favorablement ou non aux exigences de qualité minimales requises pour sa classi-fication. Les résultats qu’elles communiquent ne graduent pas la qualité des navires –en leur attribuant une classe de qualité comme par le passé- et ne permettent pas de distinguer deux navires de qualités différentes dès lors qu’ils vérifient chacun les normes prescrites (Anonyme 2004o). De même, les registres de pertes des navires ne contiennent que des éléments factuels et comptables et ne recensent que les incidents à la suite desquels des indemnisations ont été versées par le club. Ils n’indiquent rien à propos des circonstances ou de la nature des sinistres rapportés et ne permettent pas d’avoir connaissance d’éventuels incidents évités de justesse ou n’ayant pas donné suite à la présentation de demandes.

La vétusté des navires n’est pas la cause principale des sinistres maritimes (cf. 5.3.1). De ce fait, le problème majeur pour les clubs P&I n’est pas de déceler les navires sous-normes mais d’identifier les propriétaires « [. . .] dont les comportements ne sont pas conformes aux normes. » (Anonyme 2004o, p.25). Les inspections destinées à apprécier la qualité des navires sont utiles dans la mesure où l’état défectueux d’un navire ou sa mauvaise gestion constituent les symptômes habituels d’un exploitant sous-normes mais restent insuffisants si

la navigation sous-normes n’est pas considérée de manière globale, en intégrant sa dimension immatérielle et humaine. A cette fin, les responsables des clubs s’attachent à rencontrer individuellement l’ensemble de leurs membres (cf. 5.2.2) (Bennett 2000c). De même, ils consultent parfois leurs membres afin de collecter des informations au sujet des pratiques de navigation des propriétaires qui souhaitent intégrer le club. Ces efforts connaissent toutefois des limites dans la mesure où la confidentialité de l’information est notoire dans le milieu du transport maritime. De plus, la forte proportion de sociétés mono-navires et les montages juridiques et financiers complexes rendent difficiles à la fois la connaissance du propriétaire effectif du navire et celle de ses motivations réelles (Bennett 2000a, Anonyme 2003i, Anonyme 2004o).

Aussi, comme l’écrit Bennett, l’évaluation du risque maritime par les clubs P&I s’apparente à un « processus complexe et coûteux, qui ne peut être ramené à aucune représentation objective »18 (Bennett 2000a, p.56). Selon lui, l’information pertinente pour apprécier le risque d’un navire ne réside pas dans l’ensemble d’éléments hétérogènes disponibles a priori au sein du marché du transport maritime mais dans la connaissance pratique qu’ont les clubs de chaque navire assuré et qui se construit progressivement au fil de leurs interactions avec les membres (Bennett 2000c, Bennett 2000a). Plusieurs années -de 8 à 10 selon Bennett (2000c) -paraissent nécessaires aux assureurs pour avoir une indication suffisamment fiable du risque posé par un membre particulier. La meilleure connaissance des circonstances des sinistres autorise les clubs à mieux apprécier la propension future de leurs membres à générer des demandes d’indemnisation (Bennett 2000c, Bennett 2000a, Bennett 2001).

5.3.4 L’intérêt des clubs à mesurer avec précision le risque des

na-vires

Différents facteurs sont de nature à limiter l’intérêt des clubs P&I à apprécier de manière rigoureuse le risque des navires.

Mieux prévoir le risque global en élargissant de l’assiette de répartition

Les clubs peuvent avoir intérêt à privilégier le nombre de navires qu’ils assurent au détriment de leur qualité, en se livrant à une concurrence destinée à attirer un nombre croissant de navires (Bennett 2000c).

Les clubs P&I évaluent les risques des navires non seulement pour différencier les primes individuelles mais aussi pour mieux prévoir et rendre moins volatile le coût total des de-mandes qu’ils devront payer19. Toutefois, les efforts destinés à évaluer le risque de chaque membre sont coûteux et leurs résultats sont limités (cf. 5.3.3). Dans ces conditions, les clubs P&I peuvent choisir d’améliorer la prédictibilité des demandes en augmentant le nombre de navires assurés, conformément à la loi des grands nombres.

18Bennett (2000a) écrit « Effectively assessing the risk posed by a company (and each of its ships and crews) is a complex and expensive process, amenable to no simple objectification ».

19Les clubs P&I sont réticents à réaliser des appels de fonds supplémentaires imprévus importants auprès de leurs membres. Nous reviendrons sur ce point dans la section suivante.

Les conséquences du financement collectif des demandes sur la perception du risque

Le financement collectif des demandes d’indemnisation a par ailleurs une incidence sur la manière dont le risque est évalué.

En premier lieu, les mécanismes de rétentions et de transferts financiers mis en place par l’IGPA20 réduisent la transparence du risque assuré (Bongaerts et de Bièvre 1987) : les acteurs en amont du mécanisme de financement, et plus particulièrement le marché de la réassurance, ne sont généralement informés des caractéristiques du navire couvert que lorsqu’ils participent au paiement d’une demande d’indemnisation21 (Brown et Reed 1981, Anonyme 1994e).

La multiplicité des reports de risques peut également amener les clubs P&I à être moins regardants sur la qualité des navires de leurs nouveaux membres lorsque le secteur de l’as-surance maritime, particulièrement cyclique, connaît une phase de dépression. Demoulin (1997) indique à ce propos qu’un « [. . .] cycle dépressif est alimenté par le fait que la réassu-rance est soft et que les assureurs directs, en face de leurs clients, ont tendance à en profiter pour souscrire en ayant conscience qu’ils ne porteront qu’une faible partie de leur risque »22.

20En vertu de l’IGPA, le risque de payer des demandes d’indemnisation importantes est supporté en cascade par différentes catégories d’agents que sont les propriétaires du navire, les clubs (à la fois individuel-lement et collectivement au sein de l’IGPA et enfin des agents du marché de la réassurance commerciale, principalement au sein du Lloyd’s londonien. Cf. Section 1 Chapitre 5.

21Le rapport « Safer Ships, Cleaner Seas » précise : « Reinsurers are thus at least one step removed from the underlying insurance as they have no direct contact with the ship or the cargo owner. They must to a varying degree have regard to the information they receive from the original insurer and his reputation for skilful underwriting » (Anonyme 1994e, p.275).

22Les périodes de soft market correspondent à des phases de surcapacité d’offre sur les marchés d’assu-rance. La concurrence y est accrue et les primes offertes en baisse. En période de hard market, la demande d’assurance est plus importante et les primes augmentent.

5.4 La corrélation insuffisante des primes d’assurance P&I