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L’action des clubs P&I en matière de prévention des risques

Même s’ils n’ont pas de finalité lucrative, les clubs P&I sont incités à exercer un contrôle sur les risques des navires qu’ils assurent (cf. sous-section 5.2.1) et disposent à cette fin de différents leviers d’action (cf. sous-section 5.2.2).

5.2.1 L’intérêt des clubs P&I à prévenir les risques

Les clubs P&I ont intérêt à plusieurs titres à ce que leurs membres causent le moins de sinistres possibles, à la fois à l’échelle du club et à l’échelle de l’IGPA.

A l’échelle du club

En premier lieu, l’incitation à la prévention permet aux clubs P&I de faire profiter de primes d’assurance moins élevées à leurs différents membres. Elle constitue également un levier de compétitivé dans le cadre de la concurrence que se livrent les différents clubs. Un club qui inciterait insuffisamment ses membres à prévenir les sinistres proposerait des primes d’assurance plus élevées que celles de ses concurrents. Son attractivité serait affectée négativement. La taille de sa flotte risquerait de se réduire, et ce d’autant plus que certains membres, particulièrement scrupuleux, opteraient pour des clubs concurrents perçus comme plus exigeants en matière de sécurité maritime (Bennett 2000a).

Par ailleurs, les responsables d’un club ne mésestiment pas l’impact négatif qu’aurait sur leur notoriété l’implication d’un navire membre dans un accident médiatique (les marées noires constituent de ce point de vue un exemple marquant) et dont la mauvaise qualité aurait été mise en évidence (Anonyme 2004o).

Par ailleurs, les propriétaires de navires profitent de leur pouvoir spécifique au sein des clubs P&I pour mettre en place des règles communes en matière de qualité des navires assurés et façonner ainsi le contexte économique dans lequel ils exercent leurs activités. Les propriétaires de navires scrupuleux voient généralement d’un mauvais œil le fait de devoir contribuer au paiement de demandes émanant de navires de mauvaise qualité dans la mesure où elles auraient pu être évitées au moyen d’une meilleure sélection et d’un contrôle accru des navires assurés par le club. Cela leur est d’autant plus inacceptable qu’ils se considèrent pénalisés doublement : les navires de bonne qualité pâtissent également d’un désavantage compétitif par rapport aux navires de moins bonne qualité, plus enclins à proposer des taux de fret inférieurs (Donnellan 1993, Bennett 2000c).

A l’échelle de l’International Group of P&I

L’IGPA comporte différentes clauses de nature à inciter les clubs à contrôler le risque des navires qu’ils assurent.

Tout d’abord, des mécanismes de réajustement des contributions au dispositif de réassurance collectif réévaluent la participation de chaque club en fonction du niveau de risque présenté par sa flotte et pénalisent de cette manière les clubs qui y soumettent fréquemment des demandes d’indemnisation importantes (Leader 1985).

A titre d’exemple, la contribution de chaque club à la tranche 5-20 millions de dollars, collectivement prise en charge par les clubs membres de l’IGPA, est calculée à partir du pourcentage du club en termes (i) de demandes présentées, (ii) de tonnage assuré et (iii) de primes collectées, chacune proportion comptant pour un tiers de la part finale du club. La contribution est par la suite ajustée à la hausse (respectivement à la baisse) si le club reçoit plus (respectivement moins) de la part de l’IGPA qu’il n’a contribué pour les autres clubs. De même, la tranche supplémentaire de 10 millions de dollars (allant de 20 à 30 millions de dollars) est partagée entre les différents clubs en fonction de la taille et la composition de leurs flottes respectives11. La part du club qui soumet une demande dans cette tranche est augmentée de 20% (Hazelwood 1994).

Enfin, l’IGPA conditionne la prise en charge collective d’une demande d’indemnisation au respect d’un certain nombre de critères en matière de sécurité des navires. Plus particuliè-rement, une demande émanant d’un navire qui ne respecte les prescriptions du code ISM12

ne peut pas être financée par l’IGPA et doit en conséquence être supportée collectivement par les membres du club qui assurait le navire (Anonyme 2004o).

5.2.2 L’évaluation du risque par les clubs P&I

Les clubs P&I contrôlent le risque des navires de trois manières complémentaires : en sé-lectionnant les navires membres, en ajustant les primes d’assurance en fonction des risques individuels et en développant des programmes de prévention et de management des risques (Bennett 1999, Bennett 2000c).

La sélection des navires assurés

Afin de surmonter le problème de l’antisélection13, les clubs P&I examinent de manière détaillée l’ensemble des navires candidats à une assurance (Bennett 2000c). A cette occasion, les clubs prennent en compte différents types de critères parmi lesquels :

– les caractéristiques du navire en cherchant à connaître son type, son âge, sa taille, son équipement, sa technologie de conception ainsi que son état. Des inspections sont

systéma-11La flotte pétrolière est pondérée plus fortement que les autres types de flottes du fait qu’elle engendre plus fréquemment des demandes d’indemnisation dans cette tranche (Hazelwood 1994).

12Le code ISM a été présenté dans la première section du second chapitre.

tiquement menées à bord des navires âgés de plus de 10 ans. Les clubs s’assurent que les navires respectent bien les prescriptions internationales en matière de sécurité maritime, en particulier le code ISM dont la non-observation est en principe rédhibitoire (Bennett 2000c). Certains clubs attachent de l’importance aux sociétés de classification et excluent les navires certifiés par les sociétés qu’ils jugent peu fiables (Hazelwood 1994) ;

– la manière dont le navire est géré, en examinant son propriétaire, le pavillon d’immatri-culation, la taille de l’équipage et sa composition en termes de nationalités, le recours ou non à une société de gestion maritime. Les clubs s’intéressent également au nombre de fois où le navire a changé de propriétaires, de sociétés de classification ou de clubs P&I afin d’identifier des possibles discontinuités en matière de gestion, considérées comme un facteur de risque supplémentaire (Anonyme 1994e, Anonyme 2000f) ;

– l’activité commerciale du navire, en étudiant notamment la nature des cargaisons trans-portées, la zone géographique d’exercice de l’activité, la nature des affrètements (au voyage ou à temps) ainsi que l’identité des affréteurs ;

– le passé du navire en matière de sinistralité : lorsqu’un navire candidat à un club membre de l’IGPI était assuré auprès d’un autre club de l’IGPI (ce qui est le cas de 90% de la flotte mondiale), le dernier club du navire est tenu, en vertu de l’IGPA, de communiquer au nouveau club les performances passées du navire en matière de présentation de demandes et de primes d’assurance (Bennett 2000c).

Les clubs P&I rencontrent par ailleurs personnellement les propriétaires des navires can-didats. Cela leur permet d’obtenir une impression subjective quant à la manière dont ces membres potentiels exercent leur activité. Les clubs apprécient également la capacité des propriétaires du navire à respecter leurs obligations financières vis à vis du club, en répon-dant aux appels de fonds dont les montants ne sont pas connus avec précision au moment de la signature du contrat.

Si à l’aulne de cet ensemble d’informations, le navire respecte les critères d’assurabilité définis par le club, son adhésion à la flotte du club est acceptée et sa prime d’assurance peut alors être calculée.

La détermination de la prime d’assurance

Les responsables des clubs cherchent à rapporter les primes d’assurance aux risques indi-viduels des navires pour (i) éviter que les navires de bonne qualité ne subventionnent les mauvais (cf. sous-section précédente) et (ii) transmettre à leurs propriétaires une incitation financière à prévenir les risques (Bennett 2000c). Les primes d’assurance établies par les clubs P&I sont donc fixées sur une base individuelle -les membres supportent chacun des parts différentes- et confidentielle -la part d’un membre n’est pas révélée aux autres membres du club. Dans la pratique, la manière dont la part de chaque membre est déterminée varie selon que le navire a été assuré ou non auprès du club par le passé, en raison de la différence d’informations à la disposition du club.

1. Lorsqu’un navire est assuré pour la première fois, les responsables du club procèdent à une tarification a priori du risque en se référant aux variables observables mentionnées précédemment. Ils prennent également en compte le risque couvert, à savoir la nature du risque (dommages par pollution, blessures et pertes de vie à bord du navire. . .), les montants de couverture financière offerts, les franchises mises en place, ainsi que

l’existence éventuelle de plafonds de responsabilité. Sur la base de ces éléments et de l’expérience acquise à partir des navires comparables préalablement assurés, les responsables du clubs extrapolent une prime moyenne, généralement majorée d’un surcoût afin de tenir compte de la connaissance insuffisante du navire nouvellement assuré.

2. Dans le cas où le nouveau navire provient d’un autre club de l’IGPI, une clause de l’IGPA visant à freiner la concurrence entre les clubs empêche le nouveau club de proposer la première année une prime d’assurance inférieure à celui de l’ancien club14. Le nouveau club reste toutefois libre de proposer la prime de son choix les années suivantes.

3. Lorsqu’un navire reconduit son contrat d’assurance, le club s’intéresse aux éventuels changements survenus, en particulier au niveau de l’exploitation commerciale du navire ou de la nature de la cargaison transportée. Mais son attention ira principalement vers le passé du navire en matière présentation de demandes d’indemnisation (Leader 1985, Anonyme 1994e, Anonyme 2004o). Cette information est inscrite dans un registre des pertes (« loss record ») que le club tient à jour pour chaque navire et qui indique à la fois les primes reçues et le montant des demandes payées. Le club se réfère à ce document sur autant d’années possibles, généralement les cinq dernières, et ajuste la prime du navire à la baisse ou à la hausse, selon les bonnes ou mauvaises performances de ce dernier en matière de présentation de demandes d’indemnisation. On dit alors de cette tarification a posteriori, que Bennett (1999) compare au système bonus-malus en vigueur dans le domaine de l’assurance automobile, que le navire « fait son propre taux »15 (Anonyme 2004o).

Dans l’ensemble des cas, la détermination des primes s’effectue dans le cadre d’une négocia-tion directe et confidentielle entre le club et chacun de ses membres. Elle fait donc intervenir des facteurs subjectifs comme la capacité de persuasion des assurés (Bennett 1999).

L’analyse et le management du risque des navires membres

Les clubs P&I mènent différentes activités d’analyse et de management du risque qui leur permettent de mieux évaluer les risques des navires qu’ils assurent et d’inciter leurs proprié-taires à engager des mesures de prévention.

Plusieurs clubs, comme le club UK P&I, étudient les demandes indemnisées par le passé afin de mieux comprendre comment les risques se produisent. Cela leur permet d’identifier

14

Les membres de l’IGPI estiment qu’il est nécessaire, à la fois pour permettre au mécanisme de réassu-rance collective d’exister et pour maintenir un certain esprit de mutualité au sein de l’IGPI, que les clubs ne se livrent pas à une concurrence en baissant les primes demandées aux navires assurés. Une telle situation les obligerait chacun à prélever excessivement des fonds auprès de leurs réserves financières et nuirait à terme à leur objectif de proposer des primes stables à leurs membres (cf. infra). Par ailleurs, les clubs accepteraient mal de financer une partie du coût d’une demande importante présentée par un autre club qui aurait attiré une partie de leurs flottes en proposant des primes sensiblement moins importantes. L’IGPA prévoit qu’en cas de manquement à cette règle, le club fautif sera exclu de l’IGPA pour une période d’un an (Bennett 2000a).

15“For after a time most ships and fleets in a P&I club are said to be « making their own rate » as the club underwriter’s initial rate becomes modified and re-modified by annual adjustments up or down in response to better or worse than expected claims figures for that ship or fleet” (Anonyme 2004o, p.48).

des paramètres (type de navire, âge, pavillon, taille et composition des équipages. . .) parti-culièrement corrélés avec la survenance des dommages et d’améliorer ainsi leurs procédures de sélection des navires et de calcul des primes.

Les clubs P&I surveillent de manière régulière la qualité des navires membres. Ils contrôlent tout d’abord leurs registres des pertes afin de déceler une éventuelle dégradation de la si-nistralité. Ils ont également accès aux informations issues d’autres inspections des navires, comme celles opérées par les Etats du pavillon, les Etats côtiers ou les sociétés de classi-fication16. Les clubs mènent par ailleurs des inspections à bord des navires membres. Ces visites peuvent être effectuées de manière routinière, par exemple lorsqu’un navire a atteint un certain âge ou que ses performances en matière de sinistres se dégradent, ou de manière inopinée en particulier lorsque les clubs veulent en apprécier la gestion générale (Anonyme 2004o).

Différents clubs imposent par ailleurs à leurs membres comme condition de reconduction d’adhésion de procéder à des audits à bord des navires afin d’évaluer les risques associés à l’exploitation et la gestion des navires. En cas d’identification de problèmes, une procédure est engagée entre le club et le membre afin d’y remédier (Bennett 1999).

Enfin, les clubs P&I exercent une fonction de conseil à destination de leurs membres. Ils les informent par exemple des modifications en matière de réglementation maritime internatio-nale, les avertissent de problèmes spécifiques récemment observées (techniques ou juridiques) ou fournissent encore des recommandations générales destinées à améliorer la maintenance et l’exploitation des navires.

16Les différentes inspections menées à bord des navires ont été présentées dans la première section du second chapitre.