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Introduction générale

5. La démarche scientifique et les outils déployés

L’effet des polluants sur les organismes aquatiques peut s’étudier à différents niveaux (Figure 3). Les conséquences les plus « visibles » d’une contamination concernent dans les cas les plus graves des populations entières (mortalités, effets sur les sex ratio ou sur les effectifs d’adultes, de juvéniles etc…). Un exemple local concerne l’anguille européenne Anguilla anguilla dans l’estuaire de la Gironde où les effectifs ont chuté de manière drastique depuis les années 80. De récentes études ont indiqué un rôle potentiel de la contamination en PCB (Tapie et al., 2011) et en cadmium (Pierron et al., 2007) en interaction avec d’autres facteurs abiotiques dans la chute des effectifs. Ce type de situation ne survient en général qu’à la suite d’une contamination aigüe immédiatement délétère, ou résulte d’une contamination chronique sur le long terme.

Les études de terrain présentent une valeur écologique importante et sont des outils de prédilection en écotoxicologie pour identifier les perturbations d’un milieu naturel ou certains « hot spots » (Zhou et al., 2008). Une quantité pléthorique de travaux de ce type ont été déjà été réalisées ; un large échantillon est présenté dans l’étude de (Shahidul et Tanaka, 2004). Ces études traditionnellement concentrées sur le niveau de contamination des différents compartiments (biota, sédiments, colonne d’eau) sont désormais assorties de l’emploi de biomarqueurs de stress afin d’identifier les risques potentiels liés à la pollution (Viarengo et al., 2007; Monserrat et al., 2012). Le couplage entre la

chimie et la biologie présente donc une pertinence importante dans l’évaluation de l’état

34 Figure 3 : Différents niveaux d’étude et valeurs associées en écotoxicologie (adapté de Snape et al., 2004)

Cependant, un des problèmes majeurs en se plaçant à l’échelle de l’écosystème et de la population est la complexité dans l’interprétation des données recueillies (Munkittrick et McCarty, 1995). Comme la Figure 2 l’illustrait précédemment, les milieux côtiers sont soumis aux variations d’une myriade de facteurs dont les effets directs, indirects et les interactions peuvent potentiellement affecter la physiologie des organismes étudiés (température, marée, courant, vent, ensoleillement, matières en suspension, oxygène dissout etc…). De nouveaux outils en lien avec les approches « omiques » (génomique, protéomique, métabolomique, épigénomique) tels que la puce à ADN permettent actuellement de s’affranchir dans une certaine mesure des effets de ces paramètres environnementaux. En complément d’approches expérimentales, ils peuvent détecter plus spécifiquement « la signature » de polluants d’intérêt (Snape et al., 2004; Steinberg et al., 2008; Van Aggelen et al., 2010). Les approches de terrain sont des outils pertinents de par leur représentativité maximale des conditions de vie du milieu mais ne suffisent cependant pas toujours à établir un réel diagnostic toxicologique puisque des effets interactifs peuvent avoir lieu dans le milieu naturel entre les polluants (effets « cocktails ») ou entre les polluants et les paramètres abiotiques (température, pH, salinité).

A l’inverse, des approches plus mécanistiques en laboratoire (« bottom-up ») peuvent être adoptées pour mieux comprendre les effets d’une variable d’intérêt (ex : la contamination) sur les paramètres suivis (biomarqueurs). Le biais inhérent lié à cette démarche est un éloignement des conditions de vie réelle de l’organisme d’intérêt (Schmitt-Jansen et al., 2008), ce qui peut limiter l’extrapolation des conclusions au milieu naturel. De plus un manque de standardisation des pratiques rend parfois les comparaisons entre études difficiles. Il est par ailleurs impossible de tester tous les mélanges de polluants, ce qui présente une autre limite en termes de représentativité pour cette approche (Beyer et al., 2013). Ce sont ce type de tests qui pourtant permettent d’établir les seuils de toxicité des substances polluantes (Chapman, 2002), auxquels sont appliqués des facteurs de sécurité choisis en fonction de la quantité de données connues sur la toxicité du composé.

35 Ce « conflit » entre les apports des approches de terrain (in situ) et les informations issues d’approches expérimentales, constitue la pierre d’achoppement de l’écotoxicologie (Beketov et Liess, 2012), au même titre que les transferts entre les échelles de travail diverses allant de l’individu à la population. Il semble difficile dans cette optique de répondre aux questions posées de manière absolue (ex : « Quels sont les effets des pesticides sur le fonctionnement de cet écosystème ? »). On peut toutefois considérer que les éléments de réponses apportés par les deux méthodes présentent une certaine complémentarité, et peuvent être intégrées ensemble pour se rapprocher le plus possible de la « réalité ».

L’approche que nous avons adoptée dans ce contexte est un couplage entre des études de terrain, représentatives de la réalité du milieu naturel, et des études en laboratoire, plus réductionnistes

mais explicatives.

Nous avons commencé dans le cadre des programmes région, par établir un état des lieux de la contamination de la lagune en déployant des opérations de transplantations d’huîtres japonaises (« caging ») au niveau de stations stratégiques pour l’étude de la contamination du milieu. Les organismes ont été placés sur site en début d’année durant 3 années successives de 2009 à 2011 et des prélèvements réguliers au cours du temps nous ont permis d’étudier leur cinétique de contamination par les métaux (cuivre, zinc, cadmium) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs). La contamination du compartiment sédimentaire en HAPs et leur teneur en carbone organique a également été évaluée afin de compléter les études déjà réalisées durant le programme ASCOBAR (Crespo, 2009) concernant les compartiments dissous, particulaires, biotiques et sédimentaires. Les pesticides du bassin d’Arcachon n’ont pas été étudiés dans nos approches mais ont fait l’objet d’une thèse de doctorat soutenue en 2012 (Belles, 2012) faisant un état des lieux détaillé de la contamination par ces composés.

Le dosage des contaminants a été systématiquement associé à un suivi de biomarqueurs moléculaires pertinents en lien avec les effets d’une contamination chimique : les métallothionéines (protéines de séquestration des métaux) et les expressions géniques relatives de 10 gènes connus pour intervenir dans la réponse des organismes face au stress oxydant.

La croissance des huîtres transplantées a été suivie, ainsi que leur stade de reproduction et leur contenu lipidique. Des paramètres accompagnateurs non détaillés dans cette thèse ont également été étudiés durant ce projet : les dosages hormonaux (testostérone et oestradiol) et les dommages à l’ADN par le test des comètes. Les paramètres physico-chimiques de la lagune ont pu être obtenus grâce au service d’observation du milieu littoral (SOMLIT).

Ces travaux sur le terrain nous ont permis d’identifier certaines substances d’intérêt, et ont permis de baser nos études au laboratoire afin d’élucider les mécanismes de toxicité associés aux polluants majeurs du bassin d’Arcachon. Ces informations en lien avec les données de la littérature et les précédentes études réalisées dans la lagune nous ont menées à travailler sur : (1) le tributylétain (TBT)

36 dont les effets se font encore ressentir de façon marginale sur le littoral ; (2) les pesticides et le cuivre présents de façon significatives et associés aux pratiques agricoles et nautiques du bassin ; (3) les HAPs présents dans les sédiments, les huîtres et leur « bol » alimentaire.

Les biomarqueurs employés durant ces approches sont les mêmes que ceux de l’approche in situ (métallothionéines et expressions géniques) et ont parfois été complétés par d’autres indicateurs grâce aux collaborations établies pour ce projet (spéciation chimique du contaminant, test comète, protéomique).