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Synthèse bibliographique

1. Le Bassin d’Arcachon

1.4. L’ostréiculture dans le bassin d’Arcachon

1.4.1. Généralités et éléments historiques

L’ostréiculture est la culture de l’huître et représente la principale activité conchylicole en France avec 82800 tonnes d’huîtres produites en 2010-2011 (environ 54% de la production conchylicole annuelle). C’est une activité ancienne qui a succédé à la cueillette traditionnelle de l’huître indigène Ostra edulis (l’huître plate) sur les bancs naturels du littoral. La raréfaction de la ressource dès le XIXième

siècle a conduit le naturaliste Jean Coste (1807 – 1873) à concevoir une technique ostréicole complète mise en pratique dans le Bassin d’Arcachon qui lui vaudra le titre de « berceau de l’ostréiculture française » (Bouchet et al., 1997a).

Jean Coste s’inspira de pratiques observées en Italie où l’exploitation ostréicole datait déjà de la Rome ancienne. Il conseilla donc à l’époque la mise en place des premiers collecteurs de naissain afin de les transporter ultérieurement dans des zones favorables à la croissance des organismes (Boury, 1954). Le succès de cette entreprise initia un véritable essor pour l’activité ostréicole qui commença à s’intensifier.

Dès 1868 cependant l’huître plate coexiste avec l’huître portugaise Crassostrea angulata introduite accidentellement dans l’estuaire de la Gironde. La culture de cette nouvelle espèce s’intensifiera durant les cinquante années suivantes à la faveur du déclin de l’huître plate qui dès l’été 1920 présente d’importantes mortalités.

L’ostréiculture française traversera cependant une crise vers la fin des années 60 liée à trois épizooties successives (Bouchet et al., 1997a) : (1) la « maladie des branchies » en 1868 liée à une nécrose de l’appareil branchial d’origine virale chez Crassostrea angulata ; (2) l’épizootie fulgurante de 1970 à 1973 de Crassostrea angulata liée à la présence d’un iridovirus (lésions cytoplasmiques) ; (3)

45 l’épizootie liée aux parasites Bonamia ostreae (bonamiose) et Marteilia refringens (Lallias et al., 2008) qui touche Ostrea edulis.

C’est à cette période que l’huître japonaise (Crassostrea gigas) est introduite dans le bassin d’Arcachon à titre expérimental (1969) pour devenir par la suite l’espèce principalement cultivée (Figure 5). La production d’huîtres au niveau national prend ainsi un nouvel essor et dépassera les 100000 tonnes en 1979 après être tombée à 20000 tonnes en 1971.

Le bassin d’Arcachon présente cependant les signes d’une nouvelle crise localement, alors que la production semble relancée au niveau national. Des anomalies de croissance liées à un chambrage des coquilles (structure feuilletée, altérations morphologiques) sont observées dès 1974 et sont rapidement associées à l’utilisation de peintures antisalissures enrichies en tributylétain (TBT) pour la protection des carènes des bateaux (Alzieu et Heral, 1984). Les effets de ce contaminant ont également été identifiés à des niveaux faibles de l’ordre du ng/L sur le développement larvaire de l’huître et la reproduction du nanoplancton dont les larves se nourrissent (Alzieu, 2000a). Les mesures règlementaires successives permettront finalement le retour à des conditions d’exploitation normales.

Figure 8 : Chronologie de la production ostréicole dans le bassin d'Arcachon (adapté de Bouchet et al., 1997a)

1.4.2. Les mortalités estivales

Histoire 1.4.2.1.

Ce phénomène est identifié dans le bassin d’Arcachon depuis l’introduction de Crassostrea gigas et a été particulièrement constaté de 1981 à 1983, parfois associé à des défauts de captages. L’étude réalisée par Maurer et Comps en 1986 (Maurer et Comps, 1986) décrit déjà les caractéristiques de ces évènements : (1) les jeunes huîtres sont principalement affectées (1 an et 2 ans secondairement) ; (2) les mortalités ont lieu durant une partie de la période de reproduction ; (3) les mortalités ne semblent

46 pas se produire en suivant une logique de propagation. Ce phénomène avait déjà été décrit depuis plusieurs décennies au Japon et aux Etats-Unis (Soletchnik et al., 2007).

Les travaux menés par Maurer et Comps ont permis de mettre en évidence chez des huîtres d’un an des mortalités cohérentes avec les études précédentes allant jusqu’à 30% dans le « fond de bassin » au niveau de Taussat contre seulement 3% au niveau du site du Cap Ferret. Il a ainsi été montré que les mortalités affectaient principalement des individus préalablement affaiblis par la reproduction (taux de glycogène bas) et en situation de stress (fortes températures, surtout en fond de bassin). De tels évènements de « mortalités anormales » ou « sévères » ont également été observés en 1976, 1977, 1988 et 1993 dans le bassin de Marennes-Oléron, mais aussi en Normandie en 2001 (Soletchnik et al., 2007). Ces évènements se sont globalisés et ont été suivis par le réseau REMORA, mettant en évidence une variabilité temporelle et spatiale forte sur tout le territoire français comme l’indique la Figure 9 tirée des travaux de Soletchnik (Soletchnik et al., 2007).

Figure 9 : Mortalités estivales enregistrées en France entre 1992 et 2006 (adaptée de Soletchnik et al., 2007) NM et SM correspondent aux parties Nord et Sud du bassin de Marennes-Oléron ; AR au bassin d’Arcachon ; TH à l’étang

de Thau. Les chiffres indiquent les différentes stations étudiées pour chaque hydrosystème.

Identification des causes 1.4.2.2.

Les mortalités estivales ont depuis les années 80 fait l’objet de nombreux travaux de recherche, et ont été à l’origine de la mise en place du projet MOREST (Mortalités Estivales) de l’IFREMER entre 2000 et 2006. Les résultats de ces études indiquent que le risque d’occurrence de ces phénomènes augmente lors d’un concours de circonstances impliquant d’après Jean-François Samain (Samain, 2011): (1) une température supérieure à 19°C ; (2) une activité de reproduction intense conditionnée par (3) des apports nutritifs importants, eux-mêmes conditionnés par (4) des apports en nutriments dissouts issu du lessivage des bassins versants (pluviométrie) ; (5) un stress supplémentaire (dégradation matière organique et anoxie, contaminants chimiques…) est susceptible ainsi d’affaiblir l’huître et de la rendre vulnérable à (6) des agents pathogènes opportunistes (bactéries Vibrio

47 splendidus, Vibrio aestuarianus ou herpès virus OsHV-1) face auxquels l’huître répondra en fonction de (7) ses capacités génétiques de défense (Figure 10).

Une étude bibliographique a par ailleurs mené l’auteur à présenter le rôle des espèces radicalaires de l’oxygène (EROs) dans l’avènement de ces mortalités, en se basant sur la théorie « germ-soma » de Heininger (Heininger, 2002). Brièvement, les EROs sont produites principalement comme sous-produits du métabolisme mitochondrial. A des températures élevées et en période de reproduction, le taux de filtration des huîtres augmente, à l’instar de la demande énergétique, afin de faire face aux besoins liés à la gamétogenèse. Ces conditions accélèrent le métabolisme mitochondrial et la production d’EROs associée, qui peut être par ailleurs aggravée en cas de contamination chimique. Des huîtres dites « sensibles » aux mortalités estivales, présentent en effet un investissement énergétique pour la reproduction très important avec plusieurs pontes partielles (stratégie « r ») et des capacités antioxydantes faibles. En comparaison les individus dits « résistants » présentent à l’inverse une surface de gonade plus faible (Huvet et al., 2010), une défense antioxydante supérieure (Fleury et al., 2010; Samain et al., 2007) et une capacité de modulation des signaux de réponse immunitaire plus élevée (Fleury et Huvet, 2012). Ces animaux privilégient la survie à la reproduction, ce qui évoque les caractéristiques des « stratèges K ».

Figure 10 : Schéma des interactions entre l'huître et son milieu pouvant mener à des mortalités (adapté de Samain, 2011)

Les surmortalités 1.4.2.3.

Le réseau REMORA depuis 1995, a permis au niveau national d’évaluer les mortalités entre 1995 et 2007 aux alentours de 15% (Ifremer, 2012). A partir de 2008 cependant, le phénomène s’est modifié et aggravé, avec des épisodes de « surmortalités » marquant le début d’une nouvelle crise pour la filière ostréicole ; le réseau RESCO a donc été créé. Ces épisodes concernent principalement le naissain (< 1

48 an), avec des taux de mortalités de 63% au niveau national en 2011 par exemple (Ifremer, 2012). A l’inverse, les huîtres de 18 mois transplantées simultanément au niveau des sites d’étude du RESCO semblent épargnées par l’ampleur du phénomène. Ces surmortalités se distinguent du syndrome des mortalités estivales mentionné précédemment. Le seuil thermique d’occurrence semble inférieur à 19°C, et l’hypothèse d’un ou plusieurs agent(s) infectieux semble prépondérante (ex : herpès-virus OsHV-1) ; l’infection et les effets de l’infection sont susceptibles d’être potentialisés par certains facteurs environnementaux (ressource trophique, qualité chimique du milieu, hydrodynamisme) et par le parcours zootechnique des animaux (captage naturel, écloserie, diploïde, triploïde…) (Cochennec-Laureau et al., 2010). Les données enregistrées par le RESCO, tendent à montrer une intensification du phénomène depuis 2009 et une variabilité spatiale et temporelle dans l’occurrence des évènements : à Arcachon au niveau du site du Tès, ces évènements sont survenus mi-mai en 2009, mi-juin en 2010 et début mai en 2011. Les deux graphiques présentés ci-dessous (Figure 11) permettent de voir le type de séries chronologiques proposés en ligne par le réseau RESCO. On observe ainsi pour l’année 2013 des taux de mortalités cumulés atteignant les 71% pour le naissain contre seulement 15% chez les huîtres de 18 mois.

Figure 11 : Surveillance RESCO des mortalités estivales en 2013 au Tès (http://wwz.ifremer.fr/observatoire_conchylicole)

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