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LA DÉMARCHE D’ANALYSE : LA THÉORISATION ANCRÉE

Avec un corpus de données d’une telle ampleur, l’analyse des données fut un travail de longue haleine. Il fut tout d’abord essentiel de cerner notre objet de recherche afin de ne pas nous éparpiller et surtout, afin de pouvoir aller en profondeur dans les aspects nous intéressant davantage. Notre cadre de référence offrant déjà certaines balises, nous nous sommes basée sur ces concepts initiaux pour organiser nos données. Des allers retours ont dû être faits afin de diriger et préciser notre analyse et nous avons dû, à contrecœur, mettre de côté certains éléments qui auraient pu donner une autre dimension à notre travail. Des choix ont donc été faits ce qui nous permettra de présenter une analyse de données riche, pertinente et complexe.

L’analyse des données s’inspire de la démarche d’analyse par théorisation ancrée (ou grounded theory) mise de l’avant par Glaser et Strauss dans les années 60. La démarche d’analyse par théorisation ancrée vise la théorisation d’un phénomène, soit de « dégager le sens d’un événement, [de] lier dans un schéma explicatif divers éléments d’une situation, [de] renouveler la compréhension d’un phénomène en le mettant en lumière » (Paillé, 1994, p. 149), en prenant soin d’ancrer cette théorisation dans les données empiriques de la recherche. Nous ne prétendrons pas arriver, au terme de cette à analyse, à mettre sur pied une nouvelle théorie, cependant nous nous inspirerons des étapes de cette démarche qui nous parait être la plus adéquate pour organiser et faire parler les résultats de nos observations. Ainsi, notre analyse d’inspirera davantage des premières étapes de cette démarche telles que proposées par Paillé (1994).

Cette section retrace une brève présentation d’une démarche par théorisation ancrée décomposée en six étapes principales par Paillé (1994). La démarche présentée par cet auteur diffère quelque peu de celle de Glaser et Strauss puisqu’elle est ici utilisée comme une démarche d’analyse des données, non pas comme une méthode de recherche. Chacune des étapes est associée à des questionnements que le chercheur devrait toujours avoir en tête au moment de l’analyse. Nous retenons principalement le principe d’un aller-retour constant entre les données empiriques et l’émergence d’une conceptualisation par

catégorisation. Voyons comment nous avons « adapté » les étapes proposées par Paillé (Ibid.) pour analyser.

Premièrement, un chercheur désirant réaliser une analyse par théorisation ancrée commence par l’étape de codification (ou qu’est-ce qu’il y a ici?). Il doit d’abord faire une lecture attentive de l’ensemble de ses données et nommer ou résumer l’essentiel des propos presque ligne par ligne en étiquetant chacun des éléments présents. Il faut rester au plus près des données empiriques afin que l’analyse puisse être fiable. Cette étape nous a demandé une prudence accrue dû à notre grande connaissance des sujets observés, il nous arrivait fréquemment de faire des liens avec les aptitudes et comportements des enfants alors que les données brutes ne nous permettaient pas de telles conclusions. Il était nécessaire de nous arrêter et de prendre un certain recul afin d’éviter de tels glissements. Nous avons donc décortiqué chacune de nos vignettes en essayant de soulever ce que chaque moment donnait à voir. Par exemple un enfant se promenait dans la classe pour se trouver un ami avec qui jouer, nous avons nommé cette séquence « recherche de partenaire », ce qui a également pu être observé dans d’autres situations. À ce moment, nous ne laissions rien au hasard. Chaque idée était nommée et plus nous avancions dans le corpus, plus les mêmes aspects revenaient et plus nous pouvions préciser notre pensée. Passer au travers du corpus en entier fut un travail ardu et au terme de cet exercice, notre codification nous amenait dans toutes sortes de direction. Cette étape nous a obligée à structurer notre analyse pour dégager certains constats, ce qui nous amenait vers l’étape que Paillé (Ibid.) nomme la catégorisation.

Le chercheur passe ensuite à un niveau conceptuel, il s’agit d’un travail plus global que celui de la première étape. Le chercheur, en dialogue avec ses données se demande

qu’est-ce qui se passe ici? Le chercheur commence à s’attarder aux aspects les plus

importants en lien avec le phénomène étudié. Chacune des catégories conceptualisantes devra ensuite être définie et précisée. En nous remémorant notre question de recherche, soit « Comment les élèves de maternelle s’organisent-ils en situation de jeu libre », nous avons cherché ce qui nous permettrait de faire ressortir les moments où une situation de jeu s’organisait. Nous avons réalisé qu’il pourrait être intéressant de relever tous les moments

de négociation par opposition aux moments d’harmonie afin de dégager rapidement les moments où tout va bien, mais surtout, les moments où les enfants rencontrent une embûche. Ces embûches ne sont pas uniquement négatives et ne sont pas nécessairement synonyme d’une non-organisation. En fait, les moments d’harmonie nous paraissaient moins utiles que les moments de négociation. Lorsque tout roule et que le jeu se déroule bien, c’est qu’il y a eu auparavant des moments de négociations pour organiser la séquence. Ainsi, afin de comprendre comment les enfants s’organisent, il importe de ne pas observer uniquement des séquences déjà toutes organisées. Les moments de négociation permettaient, entre autres, de voir des enfants qui doivent s’entendre sur un type de jeu, sur un scénario, sur une règle ou encore des enfants qui font face à un obstacle, même à un conflit. Nous avons donc codé de nouveau notre corpus en entier à partir de ces deux concepts en conservant tout de même les codes de l’étape précédente.

La troisième étape, la mise en relation (ou ce que j’ai ici est-il lié avec ce que j’ai

là?), constitue le début de l’analyse. Paillé (Ibid.) suggère le recours à la schématisation. À

cette étape, le chercheur est à la recherche, par exemple, de « liens de ressemblance, de dépendance, des liens fonctionnels […], des liens hiérarchiques […], etc. » (Ibid., p. 169). On pose donc ici un regard transversal sur notre corpus de données. À cette étape, nous faisions face de nouveau à une multitude de pistes d’analyse qui, cette fois, commençait à faire du sens. Nous avons donc enchaîné avec une catégorisation. Nous avons tenté de faire ressortir les idées sous-jacentes à ces moments de négociation et d’harmonie. Des catégories telles que « choix du partenaire », « négociation du thème » ou « interactions verbales dans le jeu » ont alors émergées. L’étape suivante fut de poser un regard transversal sur toutes ces catégories. Nous avons donc regroupé tous les extraits de nos vignettes qui avaient été placés sous une même catégorie en distinguant toujours les moments d’harmonie de ceux de négociation.

Quatrièmement : l’intégration (ou je suis en face de quel phénomène?). Il s’agit ici de bien cerner l’objet d’étude. Dans ce type de démarche, il est rare que le cadre initial de la recherche demeure le même du début à la fin et nous en avons eu la preuve. Le but visé par la recherche pourrait même être établi à ce moment du processus (Hammersley et

Atkinson, 1983). Faisant face à un corpus de donnée très vaste, nous avons décidé de laisser de côté certaines vignettes répondant moins à notre objectif de recherche, par exemple les situations où des enfants jouaient seuls ou encore des situations que nous avons moins bien comprise, soit parce que nous sommes arrivé alors qu’elles étaient déjà débutées ou encore parce que les enfants n’avaient presque pas d’interactions sociales. Une fois tous nos extraits catégorisés, nous avons pu faire des liens directs avec les éléments clés de notre cadre de référence : les types de jeu, les interactions, les règles et l’organisation spatiale et matérielle12. En effet, la presque totalité de nos catégories peuvent se rattacher à un de ces éléments. L’arrimage entre les données et le cadre de référence se faisait donc ici aisément grâce à la richesse de ce dernier, et l’étape de l’intégration (Paillé, Ibid.) a pu se faire rapidement. Un élément supplémentaire s’est cependant ajouté à propos duquel nous ne nous étions pas attardée dans notre cadre de référence : l’intervention de l’adulte. Bien que le sujet pourrait faire l’objet d’une recherche à lui seul, nous ne ferons que de courtes recommandations en conclusion de ce mémoire en lien avec l’intervention de l’enseignant dans le jeu des enfants.

La cinquième étape est celle de la modélisation (ou de quel type de phénomène

s’agit-il?). La modélisation consiste à décrire le phénomène et son déroulement, à en

dégager les propriétés ou caractéristiques ou encore à présenter ses causes et ses conséquences. C’est à cette étape que nous avons pu analyser de façon exhaustive chacune de nos catégories en faisant des liens entre les différents extraits afin d’en faire ressortir les caractéristiques. Ce travail a permis de faire émerger une interprétation de ce qui a pu être observé dans l’action à partir, bien entendu, de notre cadre de référence. Nous gardions toujours en tête les questions suivantes : Qu’est-ce que cet extrait nous donne à voir? Que nous permet-il de dire sur l’organisation du jeu? Une contribution majeure de ce mémoire

12 L’organisation spatiale et matérielle étant un élément influençant grandement l’organisation du jeu des enfants, nous avons tenté d’analyser nos données en ce sens. Cependant, les constats que nous avons faits ressemblent fortement à ce que nous avions déjà relevé dans notre cadre de référence et nous n’avions pas de grandes interprétations à en faire. C’est pourquoi nous n’en traiterons que très peu dans notre chapitre d’analyse, mais nous avons tenu à placer un court topo à ce sujet en annexe E.

réside dans cette étape de la démarche d’analyse, soit la description précise et détaillée afin de comprendre l’organisation de situations de jeu libre.

Finalement, la dernière étape est la théorisation, soit une « construction minutieuse et exhaustive de la multidimensionnalité et de la multicausalité du phénomène étudié » (Paillé, 1994. p. 153). Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous n’avons pas du tout la prétention de croire que notre analyse débouche sur une théorisation. Dans le présent mémoire, nous avons consacré nos efforts à une description fine, détaillée et minutieuse de l’organisation du jeu des enfants, ce que nous n’avons pas beaucoup rencontré dans la littérature. Nous sommes bien consciente que l’analyse de nos données demeure à un niveau descriptif plutôt qu’explicatif ce qui peut paraître comme étant une limite de notre étude. Les données pourront sans aucun doute servir à une étude ultérieure qui chercherait à théoriser l’organisation du jeu des enfants13.

Ce chapitre a présenté le cadre méthodologique qui a orienté la réalisation de cette recherche. Tout d’abord, nous avons justifié et explicité le choix d’une approche ethnographique en cohérence avec les objectifs visés par notre projet. Ensuite, nous avons abordé le déroulement de la collecte de données. Nous avons par la suite présenté notre principale méthode de collecte, l’observation participante qui passe par une présence prolongée sur le terrain, l’observation de situations, la consignation ou la prise de notes et finalement la rédaction de comptes rendus qui a également été soutenue par une deuxième méthode, les entretiens ethnographiques avec les enseignantes. Une démarche d’analyse inspirée de la théorisation ancrée a finalement été retenue. Voyons maintenant dans le prochain et dernier chapitre, ce qui est ressorti de cette analyse.

13 Dans la même optique que l’organisation spatiale et temporelle, nous aurions aimé traiter des rôles que les enfants incarnent en situation de jeu libre. Bien que nos données soient riches à ce sujet et que nous ayions observé beaucoup de discussions d’enfants à ce propos, nos observations ne nous ont pas permis d’aller plus loin que ce qui avait déjà été fait par Garvey et Berndt (1975) qui ont produit un travail très complet et précis et dont nous avons traité dans notre cadre de référence. De plus, nous avons dû faire des choix quant à l’angle que nous allions emprunter puisque notre analyse aurait pu traiter de plusieurs autres sujets que ceux qui ont finalement été priorisés. Nous avons donc placé un résumé de nos constats en lien avec les rôles en annexe F.

QUATRIÈME CHAPITRE LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Comment des élèves de maternelle s’organisent-ils en situation de jeu? Cette question large et complexe se doit d’être traitée en revenant aux objectifs de recherche qui en ont orienté l’investigation. Nous chercherons donc tout d’abord, à un niveau plus descriptif, à contextualiser le jeu des élèves de maternelle. Une fois contextualisé, il sera alors possible de rendre compte de l’impact des interactions sociales sur l’organisation du jeu et aussi d’analyser l’émergence et la négociation des règles. La présentation des données et leur analyse seront donc constamment entremêlées.