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3. ANALYSER L’ÉMERGENCE DES RÈGLES EN SITUATION DE JEU

3.1 Des règles connues

3.1.2 Des règles de conduite

Parmi les règles connues des enfants avant de débuter une partie, principalement dans le cadre d’un jeu de règles encore une fois, il existe des règles de conduite. On entend par règles de conduite tout ce qui a trait aux comportements attendus des participants : ce que les élèves ont le droit de faire. Plusieurs vignettes offrent des exemples de tels comportements comme le présente le tableau 18.

Tableau 18

Le recours aux règles de conduite

# Extraits

1

Ethan : « Je mets où mes cartes? » Sarah : « À côté ».

Ethan : « Non, je les mets dans mon paquet ». Sarah : « NON! On n'a pas le droit ».

1 Arnaud remporte une main et place les cartes gagnées sous son paquet. Ethan : « Non, tu n’as

pas le droit de remettre tes cartes dans ton paquet! »

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Lilianne passe les cartes aux deux filles (Léonie et Daphnée). Pendant que Lilianne distribue les cartes, Daphnée en prend une du paquet de Léonie.

Lilianne : « OK, j’en donne deux à Léonie ».

Daphnée : « Tu n’as pas le droit de lui donner ses cartes ». Lilianne : « Je vais les donner à Léonie ».

Dapnée : « Je ne jouerai plus avec toi ». Lilianne : « OK, on recommence du début ».

15 Alexis : « Hey, t’en as pris plein ».

Tristan : « Oh… » (il remet les cartes dans le paquet sans discuter).

16 Caroline : « Là c’est bien brassé. Il faut les mettre ici » (elle les place en plein centre de la

table et s’assure que toutes les cartes du paquet soient bien alignées).

16 Lilianne : « Ah, une sorcière. Je donne trois cartes ».

18 Mattéo est en train de brasser les cartes en jetant souvent des coups d’œil au paquet pour

placer certaines cartes. Mathis lui dit : « Regarde pas, Mattéo ».

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Alors que Éric et Élie joue un contre l’autre, Ethan qui les observe voit la carte que Élie s’apprête à mettre et il dit à Éric : Mets un 4 », ainsi Éric s’assure de remporter la bataille comme Élie n’a qu’un 3. Élie répond : « Non, tu n’as pas le droit Ethan ».

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Sans vouloir le faire exprès, Éric retourne deux cartes à la fois : un 1 et un 4. Le 1 est la première carte tournée et il devrait mettre celle-là, mais comme le 4 lui permet de remporter la bataille, il retire le 1. Élie dit : « Tu as pas le droit, c’est le 1 avant ». Éric enlève donc le 4 sans argumenter et la partie se poursuit.

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Au coin maison, les quatre élèves rient beaucoup. Christophe et Léo se mettent à faire des niaiseries. Aucune histoire ne se développe vraiment. Caroline rappelle : « Il faut inventer notre propre histoire! Arrêtez! Vous ne voulez pas inventer une histoire? Bien alors, on ne pourra jamais jouer à notre histoire ».

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Arnaud : (Se met à encourager Mattéo qui mène le jeu) Allez Mattéo, allez! Vas-y Mattéo, Vas-y!

Élie : « Tu n’as pas le droit, tu te moques de moi ». Ethan : « Allez Élie, allez! »

Le premier constat que nous avons rapidement pu faire en comparant les extraits en lien avec les règles procédurales et les règles de conduite c’est qu’il y a beaucoup plus de négociation dans les dernières. En effet, nous avons vu avec les règles procédurales que les élèves imposaient leur façon de faire et ne faisaient que verbaliser les règles par souci de faire connaître leur perception aux autres participants. Les élèves semblent être plus soucieux de faire respecter les règles de conduite, ils ne laissent pas facilement passer un comportement inacceptable. Il ne s’agit pas de grandes négociations, mais, pour nous, le simple fait de contredire le geste d’un autre enfant nous apparait comme étant plus une négociation que le fait d’imposer sa perception de la règle comme les enfants le faisaient pour des règles procédurales. En effet, l’enfant qui contredit le geste d’un autre s’expose à devoir argumenter et expliquer sa perception qui risque de ne pas être la même que celui qui a eu le comportement ou qui a fait le geste.

Les élèves ne font pas de détour lorsqu’un autre ne respecte pas une règle de conduite : « Non tu n’as pas le droit » est une phrase que nous avons entendu à plusieurs reprises qui semble être une phrase dite par réflexe par plusieurs enfants. Dès que le geste inacceptable est posé, la réaction des autres participants arrive sur le champ et généralement, lorsqu’un élève se fait dire que sa conduite n’est pas acceptable, il arrête immédiatement son comportement et le jeu se poursuit sans aucune autre modification. Autant Ethan replace ses cartes au bon endroit dès qu’il se le fait dire par Sarah (vignette 1), autant Tristan remet les cartes pigées en trop lorsqu’Alexis le lui demande (vignette 15). Dans la vignette 18, deux situations du genre se sont présentées : Mattéo arrête de regarder les cartes qu’il brasse lorsque ses partenaires le lui font remarquer et Éric remet la bonne carte dès qu’Élie lui fait remarquer son erreur. Dans chacun des cas, il n’y a pas d’autres conséquences que le fait de s’être fait reprocher son geste.

La vignette 1 nous a permis d’observer une situation particulière d’une règle de conduite. Au cours d’une partie de Batawaf, la même qui a posé problème au niveau des règles procédurales de la section précédente, Ethan se questionne à savoir où il doit ranger les cartes remportées : sous son paquet ou à côté de lui. À ce moment, Sarah lui répond qu’il doit les mettre à côté de lui. Malgré la réponse de sa partenaire, Ethan dit : « Non, je

les mets dans mon paquet ». Immédiatement, Sarah rétorque « Non! On n’a pas le droit ». Ethan, délibérément, va à l’encontre d’une règle qui lui a été très clairement explicitée. Ensuite, lorsqu’il constate que son geste crée une forte réaction chez Sarah, qui est une élève généralement calme et réservée, il s’arrête et revient au comportement attendu et dicté. Lorsqu’un nouvel élève (Arnaud) se joint à une partie ultérieure, dès que ce dernier place les cartes gagnées sous son paquet, Ethan est le premier à s’en offusquer et à lui ordonner de ne pas placer ses cartes à cet endroit : « NON! Tu n’as pas le droit de remettre tes cartes dans ton paquet! ». Ainsi, un peu comme dans l’exemple de Maélie qui argumente avec l’enseignante et qui par la suite adopte les nouvelles règles qui deviennent alors sacrées, Ethan qui s’opposait au départ à la règle donnée par Sarah, la verbalise ensuite comme étant une règle non négociable qui doit être respectée de tous. Ethan semble ici avoir intériorisé une règle qui lui fut imposée et qu’il a ensuite pu faire sienne.

Reprenons ici le développement de la perception de la règle selon Conte et Castelfranco (1995). Brièvement, ils proposent que les participants d’un jeu doivent incarner des rôles qui permettent d’assurer le bon déroulement de la partie. Ils présentent quatre rôles : le législateur, le destinataire, le défendeur et l’observateur. Tous les rôles ne sont pas présents dans tous les jeux. Ainsi, selon eux, dans un jeu de règle, il est généralement nécessaire qu’il y ait la présence minimale d’un défendeur, d’un observateur et d’un destinataire.

Nous pouvons constater à l’aide des extraits présentés plus haut que les rôles nommés précédemment sont réellement présents dans les situations de jeu et participent à l’organisation de celles-ci. Les enfants qui font des rappels des règles de conduite ou de règles procédurales incarnent l’observateur ou le défendeur. Ils ont reconnu qu’une règle n’était pas respectée et ont été capable de la nommer (observateur). Ils se sont également assurés du respect et de l’application de la règle (défendeur).

Dans ce type de situations, il y a également la présence d’un destinataire, celui à qui la règle est destinée de façon implicite ou explicite. Le destinataire doit également être ouvert à accepter la règle et doit faire l’effort de ne pas aller à son encontre trop souvent.

Autrement, les partenaires pourraient décider de mettre fin au jeu. Dans les situations observées, nous avons constaté que la plupart des enfants ont accepté sans problème de se conformer à la règle lorsque les autres le leur demandaient. Certains ont toutefois utilisé une autre technique : la tricherie, dont il sera question dans la prochaine section.