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3. ANALYSER L’ÉMERGENCE DES RÈGLES EN SITUATION DE JEU

3.1 Des règles connues

3.1.1 Des règles procédurales

Dans une situation de jeu, principalement dans un jeu de règles, il est possible de retrouver assez fréquemment des moments de discussion à propos de règles préexistantes ou connues de tous. Il s’agit d’un moyen de s’assurer que tous les participants jouent de la même façon et respectent les mêmes règles. Le tableau 17 permet de répertorier tous les

15Nous retenons tout particulièrement la richesse des jeux de carte pour observer et évaluer le développement des compétences des élèves. En effet, le lecteur pourra constater que nombre d’extraits utilisés pour arriver à répondre à notre objectif de recherche sont tirés de situations où les élèves se retrouvent à jouer à de tels jeux. Une enseignante qui s’attarderait au jeu des enfants en de telles situations, à partir de simples jeux de cartes tels que le jeu de bataille, pourrait observer la mobilisation de plusieurs compétences dont celles concernant leurs habiletés à communiquer, à interagir de façon harmonieuse ainsi qu’à mener à terme une activité ou un projet (compétences 3, 4 et 6 du Programme de formation de l’école québécoise, ministère de l’Éducation, 2001).

moments où les enfants ont fait appel à des règles que nous avons qualifiées de procédurales.

Tableau 17

Le recours aux règles procédurales

# Extraits

1 Ethan dépose sa carte, mais Sarah l’arrête : « Non, Ethan! On commence tous en même temps. 1, 2, 3, GO ».

1 Maélie : « Ça se joue à trois, pas plus que trois ».

15 Alexis : « C’est moi qui brasse. Je sais comment ».

15 Alexis : « OK, c’est moi qui commence ».

15 Tristan : « C’est à toi ».

16 Caroline : « On recommence » en voulant prendre les cartes. Lilianne : « Non, c’est moi qui brasse ». Caroline (en chantonnant) : « Ok, tulututu ».

28 Maélie : « Sarah, mets-toi en face de Jacob. Prends ta canne à pêche. C’est moi qui distribue les piranhas. Je vais faire ma petite vache à mal aux pattes pour voir qui commence ». 28 Maélie (À Sarah, en parlant du jeu de pêche) : « Ça peut se jouer tout seul ».

29 Maélie : « Ça se joue à quatre maximum ».

29 Jacob : « On continue ». Maélie : « Il faut enlever toutes les épées, on l’a réveillé ». (Ils enlèvent les épées et recommencent).

En analysant les extraits contenus dans le tableau 17, nous voyons émerger deux types de règles procédurales : à propos de l’ordre du jeu et à propos du nombre de participants. Observons maintenant à quel moment ces règles apparaissent et comment elles sont négociées en situation de jeu.

Tout d’abord, il est intéressant de constater que les élèves observés sont plutôt rigides en ce qui a trait à l’ordre du jeu. En effet, il n’y a que très peu de négociation lorsqu’il est question de choisir qui commence la partie et dans quel ordre elle sera jouée. Les élèves sont généralement prompts à se proclamer le premier à jouer et nous n’avons observé aucun élève s’opposer à cette décision, mis à part Sarah dans la première vignette. Dans cette vignette, trois élèves jouent à un jeu de carte, Batawaf, qui rappelle le très populaire jeu de bataille aux cartes. Dans ce jeu, tous doivent tourner une carte en même temps afin de voir qui remporte la bataille. Ainsi, lorsqu’Ethan se dépêche à jeter la

première carte pour commencer, Sarah lui rappelle le règlement selon lequel tous doivent jouer au même moment, ce qu’Ethan accepte sans discuter.

Il est également possible de remarquer la rapidité avec laquelle les élèves s’approprient le rôle du distributeur de cartes : « C’est moi qui brasse, je sais comment », « Non, c’est moi qui brasse » ou « C’est moi qui donne les piranhas ». Le fait d’être celui qui distribue les cartes semble être perçu pour quelques élèves comme étant un privilège. Tout comme pour la décision de qui commence la partie, nous n’avons pas observé de négociation pour l’attribution de ce rôle, ce qui est tout de même surprenant vu l’importance que certains semblent y vouer. Nous reviendrons tout de même plus tard sur ce sujet puisqu’il a entraîné plusieurs moments de tricherie.

Le nombre de participants admis à un jeu est une autre règle qui a été nommée à quelques reprises pendant nos observations. Cependant, les extraits à ce sujet, pour des jeux de règles, proviennent toujours de la même élève : Maélie. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle mentionne le nombre de participants admis sans toutefois avoir été confrontée à ce qu’un partenaire supplémentaire s’ajoute. Elle semble le dire simplement par besoin de verbaliser les règles à l’intention de ses partenaires. Présente-t-elle ce comportement puisqu’elle est rendue plus loin dans son développement? En effet, selon Piaget, à l’âge préscolaire, les enfants ne se soucient pas nécessairement que les autres jouent de la même façon qu’eux. Par contre, vers l’âge de sept ans, les enfants développent le désir de gagner et donc manifestent le besoin que tous jouent selon les mêmes règles.

Pour Maélie en particulier, le respect des règles du jeu semble être très important et elle démontre même une certaine rigidité. Un extrait qui illustre bien cette rigidité est ce moment de la vignette 1 dans lequel Maélie va jusqu’à argumenter et tenir tête à l’enseignante afin de faire valoir sa perception et sa compréhension de la règle :

Sarah C’est moi qui gagne.

Maélie Non, c’est Ethan. Demande à Agathe [qui joue à un autre jeu à proximité]. [Les deux filles argumentent puisqu’elles ne sont pas d’accord avec la façon de jouer. Le ton lève. Elles tiennent chacune fermement à leur opinion ce qui oblige l’enseignante à intervenir. Elle questionne les enfants à savoir selon quelles règles ils jouaient. Comme ils ne s’entendent pas, elle explique alors les règles pour que tous jouent de la même manière]

Maélie [À l’enseignante avec une forte voix] NON, ce n’est pas comme ça!

L’enseignante explique à Maélie qu’elle doit accepter de faire des compromis. Elle explique également que le jeu au départ est un jeu pour deux personnes et que comme ils sont trois enfants à jouer, c’est pour cela que le problème s’est présenté. Il est donc nécessaire d’adapter les règlements. Maélie finit par accepter et le jeu se poursuit.

La plupart des élèves d’âge préscolaire ne sont pas portés à contredire ce que l’enseignante affirme, mais Maélie, qui croit fermement à sa façon de concevoir la règle va même jusqu’à clamer un « Non » clair et fort lorsque ce que l’enseignante dit va à l’encontre de son idée. L’enseignante prend alors le temps d’expliquer les règlements et s’assure que tous sont en accord pour poursuivre la partie. Ce qui est étonnant et particulièrement intéressant est que, lorsque quelques minutes plus tard, un nouvel élève se joint à leur partie, Maélie prend bien soin de lui expliquer les règles, exactement de la même façon que l’enseignante venait tout juste de le faire. Maélie est donc pour nous un bel exemple de l’appropriation par l’enfant des règles procédurales.