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2.3 L’homéostasie épidermique

2.3.3 La cornification : une apoptose particulière ?

Les kératinocytes de l’épiderme subissent un programme de différenciation dont l’ul- time étape est une mort cellulaire particulière appelée cornification. La cornification abou- tit à la formation des cornéocytes qui composent la couche cornée.

Au cours de ce processus, les kératinocytes granuleux, dernières cellules vivantes de l’épiderme, subissent de multiples modifications biochimiques et structurales afin de de- venir des cornéocytes. La cornification se caractérise par trois éléments majeurs (1) le remplacement des organelles et du contenu intracytoplasmique par un cytosquelette com- pact riche en kératines formant une matrice fibreuse, (2) la liaison des protéines et des lipides à la périphérie cellulaire pour former une coque rigide, l’enveloppe cornée, et (3) la formation des lipides intercornéocytaires et des cornéodesmosomes qui lient fortement les cornéocytes entre eux. Ces trois étapes ne seront pas détaillées dans ce chapitre mais dans le chapitre 3 qui décrit la couche cornée comme une barrière multifonctionnelle.

2.3.3.1 Cornification et apoptose

La cornification est considérée comme une apoptose particulière. En effet, ces deux processus présentent des analogies moléculaires et cellulaires, telles que la perte du noyau et des organites intracytoplasmiques, des modifications morphologiques du cytosquelette et de la cellule, l’implication d’évènements protéolytiques et des changements mitochon- driaux. Toutefois, la cornification se distingue de l’apoptose sur quelques points mor- phologiques et biochimiques. La principale différence réside dans la finalité de ces deux processus. L’apoptose est très souvent associée à un processus enclenché afin d’éliminer des cellules endommagées ou néfastes pour l’organisme tandis que la fonction majeure de la cornification est de produire des cellules mortes qui vont former une barrière solide, jouant un rôle essentiel dans la protection de l’organisme (Lippens et al., 2005).

L’apoptose est un mécanisme rapide, qui s’accomplit en quelques heures. Lorsqu’une cellule entre en apoptose, ses organites cessent de fonctionner, sont endommagés mais leur intégrité est maintenue. L’ADN nucléaire est en parti dégradé via l’action de DNAses activées par des caspases. La membrane plasmique reste intacte afin d’éviter des fuites du contenu cellulaire dans l’environnement. Elle s’invagine et des vésicules apoptotiques sont ainsi formées et reconnues par des macrophages afin d’être phagocytées (Lippens et al., 2005; Elmore, 2007).

La cornification est un processus plus lent que l’apoptose puisque la différenciation terminale kératinocytaire s’étale sur plusieurs semaines. Lors de la cornification, les com- partiments subcellulaires sont détruits (noyau, mitochondries, réticulum endoplasmique

CHAPITRE 2. LA DIFFÉRENCIATION ÉPIDERMIQUE et lysosomes). Mise à part la dégradation de l’ADN nucléaire qui se fait via l’action de la DNase1L2, les mécanismes de dégradation des organelles sont encore peu caractérisés. La membrane plasmique est remplacée par l’enveloppe cornée. Les cornéocytes formés à l’issu de ce processus, ne sont pas éliminés par phagocytose comme lors d’une apoptose « classique » mais sont progressivement exfoliés à la surface épidermique via le processus de desquamation (Lippens et al., 2005; Eckhart et al., 2013).

L’activité protéasique est indispensable aussi bien pour l’apoptose que la cornification. Cependant, les différentes enzymes en jeu ne sont pas les mêmes (Lippens et al., 2009). Les caspases pro-apoptotiques telles que les caspases 3, 6, 7 et 9 sont exprimées dans la peau mais seulement sous leur forme zymogène. Elles ne semblent pas impliquées dans la cornification puisqu’elles ne sont pas activées au cours de la différenciation kératinocy- taire. Néanmoins, une caspase non-apoptotique, la caspase-14, est clairement nécessaire au développement normal de l’épiderme. Cette caspase, est exclusivement exprimée dans les couches suprabasales épidermiques et est activée au cours de la cornification. Un modèle de souris inactivées pour le gène codant la caspase-14 présente des défauts de formation de la couche cornée qui se traduisent par une augmentation des pertes en eau à travers l’épi- derme et de la sensibilité aux UV (Denecker et al., 2007). Ce modèle a permis de montré le rôle important de la caspase-14 dans la cornification par son action protéolytique de la profilaggrine et dans la protection contre les rayonnements UV. De plus, il est clairement établi que la cornification nécessite l’activité des transglutaminases. Les transglutami- nases 1, 3 et 5 sont impliquées dans la formation de l’enveloppe cornée (Cf paragraphe 3.2.2) tandis que la transglutaminase 2 serait plus liée à l’apoptose bien que cela n’ait pas été clairement démontré. Enfin, les cathépsines participent à la fois à l’apoptose et à la cornification en particulier la cathépsine D (Lippens et al., 2005).

2.3.3.2 Mécanismes anti-apoptotiques au cours de la différenciation épider- mique

L’apoptose « classique » peut être induite dans l’épiderme sous l’effet de rayonnements aux UV (Lippens et al., 2005), qui entrainent la formation de kératinocytes présentant des caractéristiques de cellules apoptotiques (noyau picnotique et cytoplasme éosinophile). Cette apoptose touche essentiellement les kératinocytes de la couche basale suggérant ainsi la mise en place de mécanismes de survie ou mécanismes anti-apoptotiques dans les couches suprabasales. Au cours de ces 15 dernières années, il a clairement été démontré que les kératinocytes activaient des mécanismes anti-apoptotiques lors de leur différenciation afin d’empêcher une mort précoce qui aurait lieu avant la cornification (Eckhart et al., 2013).

De nombreuses études ont permis de prouver que NF-κB était un facteur de trans-

cription fondamental pour empêcher l’apoptose des kératinocytes dans des conditions

CHAPITRE 2. LA DIFFÉRENCIATION ÉPIDERMIQUE mais il est induit et transloqué au noyau lors de la différenciation (Seitz et al., 1998). En

parallèle, les gènes anti-apoptotiques cibles de NF-κB tels que c-IAP-1, c-IAP-2, TRAF1

et TRAF2 apparaissent sur-exprimés (Qin et al., 1999). Ces données suggèrent un rôle

important de NF-κB dans la protection des kératinocytes contre l’apoptose lors de leur

différenciation. De plus, des modèles murins invalidés pour des acteurs essentiels de la

voie NF-κB (NEMO ou TAK1) spécifiquement dans l’épiderme présentent une apoptose

précoce des kératinocytes et développent une réponse inflammatoire importante (Nenci et al., 2006; Omori et al., 2006).

Cette forme de résistance à l’apoptose des kératinocytes dépendrait également de la voie PI3K/AKT, activée par EGFR (« Epidermal Growth Factor Receptor ») et IGF1R (« Insulin Growth Factor-1-Receptor »). En effet, des souris ayant perdu l’expression de AKT ont un épiderme plus fin et moins de follicules pileux en comparaison à des souris témoins (Peng et al., 2003; Yang et al., 2005). Un modèle d’épiderme reconstruit humain dans lequel l’expression d’AKT1 a été inhibée montre une apoptose pré-maturée des ké- ratinocytes (Thrash et al., 2006). De plus, il a été démontré qu’AKT était capable de phosphoryler et d’inhiber un membre pro-apoptotique de la famille Bcl-2 : BAD (Datta et al., 1997).

Ainsi, même si la cornification partage des caractéristiques biochimiques communes avec l’apoptose, elle correspond plutôt à une mort cellulaire spécifique dont le but est de former une couche de cellules mortes à vocation protectrice pour la peau. Afin d’as- surer la mise en place de cette barrière, les kératinocytes activent des mécanismes anti- apoptotiques lors de la différenciation épidermique. La Figure 15 résume et oppose les principales modifications morphologiques et biochimiques opérées lors de l’un et l’autre de ces processus.

Figure 15 – Cornification versus apoptose dans l’épiderme : les changements morphologiques et biochimiques. D’après (Lippens et al., 2005).

CHAPITRE 2. LA DIFFÉRENCIATION ÉPIDERMIQUE