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La cornéodesmosine : protéine essentielle au maintien de l’intégrité épider-

tien de l’intégrité épidermique

La démonstration que la CDSN est une protéine adhésive ainsi que les données mon- trant que sa protéolyse est un prérequis à la desquamation ont amené les chercheurs à supposer que la CDSN était cruciale pour la fonction cohésive des cornéodesmosomes. L’analyse de souris inactivées pour le gène Cdsn a permis de vérifier cette hypothèse et de clairement caractériser le rôle de la CDSN au sein de l’épiderme ainsi que dans le follicule pileux.

5.4.1

La cornéodesmosine murine

Le gène Cdsn murin est localisé sur le chromosome 17 et présente une organisation génomique similaire à celle du gène humain avec deux exons de 0,15 kb et 2,5 kb séparés par un intron unique de 2,4 kb. Chez la souris, le gène Cdsn est exprimé tardivement au cours de l’embryogenèse. Les ARN messagers Cdsn sont en effet détectés à partir du stade embryonnaire E16,5 et sont retrouvés très fortement exprimés à partir d’E18,5 (Gallinaro et al., 2004). Cette expression tardive lors de l’embryogenèse est semblable à celle d’autres marqueurs de la différenciation épidermique (Bazzi et al., 2007 ; Hardman et al., 1998).

La Cdsn murine est plus grande que la CDSN humaine. Elle compte 561 acides aminés contre 529 chez l’homme. Les 2 protéines sont très homologues puisque leurs séquences primaires en acides aminés présentent 70% d’identité et 77% d’homologie. Comme la protéine humaine, la Cdsn murine est composée d’un peptide signal et, de régions riches en glycine et sérine qui sont susceptibles de former les boucles glycine précédemment décrites. Le domaine NH2-terminal de la Cdsn murine satisfait effectivement tous les critères décrits par Peter Steinert pour la formation des boucles glycine. Les séquences riches en glycine et sérine pouvant s’organiser en boucles souples sont bien présentes dans la séquence protéique de la Cdsn murine et on retrouve aussi les acides aminés aromatiques (F, Y et W) et aliphatiques (G, A, V, L, I et P) qui pourraient former les pieds des boucles. De plus, on retrouve au moins deux régions contigües avec un acide aminé aromatique en pied de boucle (Figure 39). Toutefois, une légère différence est à noter par rapport à la CDSN humaine puisque le domaine NH2-terminal est plus long chez la souris. De plus, la Cdsn murine présente un site potentiel de N-glycosylation dans sa partie COOH-terminale alors que celui de la CDSN humaine se situe dans le domaine NH2-terminal.

L’expression de la cornéodesmosine a été étudiée dans les tissus cornifiés chez la souris par immunohistologie et immunoempreinte à l’aide des anticorps monoclonaux anti-CDSN humain produits au laboratoire, notamment l’anticorps F28-27 dont l’épitope est conservé chez la Cdsn murine. La Cdsn murine a une expression similaire à celle de la protéine hu-

CHAPITRE 5. RÔLE PHYSIOLOGIQUE ET IMPLICATIONS PATHOLOGIQUES DE LA CORNÉODESMOSINE

Figure 39 – Représentation schématique de la boucle glycine NH2-terminale potentielle de la Cdsn murine. D’après (Moussie, 2010).

maine. En effet, elle est exprimée par les kératinocytes granuleux et est détectée dans la couche cornée de l’épiderme ainsi que dans la gaine épithéliale interne et la medulla du follicule pileux (Montézin et al., 1997; Gallinaro et al., 2004). Des expériences d’im- munoempreintes ont également suggéré que la Cdsn pouvait être maturée par protéolyse comme son homologue humain (Montézin et al., 1997). De plus, elle est exprimée par les corpuscules de Hassal du thymus (Gallinaro et al., 2004).

Ainsi la Cdsn murine a une structure et une expression très similaire à la CDSN humaine. En conséquence, les souris déficientes pour le gène Cdsn représentent des bons modèles pour mieux comprendre le rôle de cette protéine au sein de l’épiderme et du follicule pileux.

5.4.2

Modèles de souris invalidés pour la Cdsn

5.4.2.1 Rôle de la Cdsn dans l’épiderme

En 2008, une équipe japonaise a publié un modèle murin inactivé pour la Cdsn, réalisé par insertion d’une cassette LacZ-néomycine dans l’exon 1 du gène (Matsumoto et al., 2008). Dans le même temps, l’équipe de l’UDEAR a développé un modèle KO Cdsn condi- tionnel basé sur le système Cre-Lox. Dans ce modèle, l’expression de la Cre recombinase a été placée sous le contrôle du promoteur humain codant KRT14 (kératine 14). De ce fait, le gène Cdsn était spécifiquement et uniquement excisé dans l’épiderme et dans le follicule pileux (Leclerc et al., 2009). Ces deux modèles de souris KO Cdsn présentent

CHAPITRE 5. RÔLE PHYSIOLOGIQUE ET IMPLICATIONS PATHOLOGIQUES DE LA CORNÉODESMOSINE une létalité à la naissance et ont permis de conclure que la Cdsn était primordiale pour l’intégrité de l’épiderme. En effet, immédiatement après la naissance, les nouveau-nés KO

Cdsn montrent un grave trouble de la perméabilité épidermique (TEWL élevé, test de

pénétration de colorant positif) dû à un décollement de la couche cornée de l’abdomen jusqu’aux extrémités. Ces souris meurent en moins d’une heure (Figure 40A). A l’inverse, les nouveau-nés hétérozygotes ne développent pas de phénotype cutané, ce qui démontre que l’excision du gène Cdsn sur un seul allèle n’a pas de conséquences. Assez surprenant, des embryons KO Cdsn obtenus après césarienne au stade embryonnaire E18,5 ne sont visuellement pas distinguables des embryons témoins (Figure 40B) (Leclerc et al., 2009). Cependant, lorsqu’ils sont soumis à des contraintes mécaniques (manipulés ou mis en pré- sence d’une mère adoptive pendant 1h), ils développent rapidement un phénotype cutané très similaire à celui observé après naissance par voie naturelle (Figure 40C). Bien que la forte baisse de résistance de la couche cornée soit une caractéristique intrinsèque causée par la déficience en Cdsn, ces travaux ont permis de conclure que le détachement de la couche cornée conduisant à la létalité avait lieu uniquement sous des contraintes méca- niques. L’analyse ultrastructurale de la peau du dos de souris KO Cdsn a confirmé le phénotype et a bien montré une rupture de cohésion de la couche cornée à l’interface avec la couche granleuse sous-jacente (Figure 41) (Matsumoto et al., 2008; Leclerc et al., 2009). L’organisation et l’épaisseur des couches granuleuse et cornée semblent similaires entre souris KO Cdsn et souris témoins (Leclerc et al., 2009). En outre, des divergences sont à noter entre le modèle de Matsumoto et al., et celui disponible au laboratoire UDEAR. Les travaux de Leclerc et al. n’ont montré aucune différence entre souris témoins et KO au niveau du nombre de cornéodesmosomes et de leur densité aux électrons, contrairement aux travaux de Matsumoto et al., qui ont trouvé que les cornéodesmosomes des souris KO Cdsn étaient moins denses aux électrons et beaucoup moins nombreux que ceux des souris témoins. Ils vont jusqu’à conclure que la Cdsn est nécessaire à la formation des cornéodesmosomes.

Afin de suivre sur le long terme les conséquences de l’inactivation de la Cdsn, des greffes de peau de nouveau-nés KO Cdsn sur souris nude ont été réalisées (Matsumoto et al., 2008; Leclerc et al., 2009). En parallèle, le laboratoire UDEAR a développé un second modèle murin KO Cdsn conditionnel dans lequel l’ablation du gène Cdsn est induite par le tamoxifène (souris inductibles KO Cdsn). Dans ce modèle, la Cre recombinase placée sous le contrôle du promoteur KRT14 n’est active et ne peut exciser le gène Cdsn qu’en présence de tamoxifène. Ce modèle a permis d’obtenir des souris adultes ayant perdu l’expression de la Cdsn spécifiquement dans l’épiderme (et le follicule pileux) et de suivre le phénotype cutané sur plusieurs jours. L’épiderme déficient en Cdsn (greffes ou souris adultes) développe une acanthose et une hyperkératose dues à une hyperprolifération des kératinocytes de la couche basale. Cependant, ces mécanismes compensatoires ne permettent pas de restaurer la barrière épidermique ce qui compromet le pronostic vital

CHAPITRE 5. RÔLE PHYSIOLOGIQUE ET IMPLICATIONS PATHOLOGIQUES DE LA CORNÉODESMOSINE

Figure 40 – Phénotype cutané des souris KO Cdsn. (A) Suite à une naissance

naturelle, apparence des nouveau-nés sauvages (wild-type, WT), hétérozygote (HET) et knock-out (KO). Les nouveau-nés KO Cdsn meurent en moins d’une heure après la nais- sance et montrent un décollement de la couche cornée en particulier au niveau de l’abdo- men, des pattes et du museau tandis que les nouveau-nés HET n’ont pas de phénotype. (B) Apparence des souris WT, HET et KO après césarienne au stade embryonnaire E18.5. Immédiatement après la césarienne, les embryons KO ne sont pas distinguables des em- bryons HET et WT issus de la même portée. (C) Quand les embryons E18.5 sont laissés à une mère adoptive pendant 1h, le phénotype cutané des embryons KO se développent et ils meurent rapidement. Détails des pattes et du museau des embryons WT et KO. D’après (Leclerc et al., 2009).

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Figure 41 – Anomalies ultrastructurales de l’épiderme des nouveau-nés KO

Cdsn. L’épiderme est prélevé sur la peau du dos. (A-B) A faible grossissement, la mor-

phologie des cellules à la jonction couches granuleuse/cornée ne présente pas d’anomalies évidentes. G, G1, G2 : kératinocytes granuleux ; C1 à C9 : cornéocytes avec C1 adjacent à la couche granuleuse et C9 proche de la surface de la peau. (C-H) Ultrastructure des des- mosomes et cornéodesmosomes de l’épiderme des souris WT (C-E) et KO (F-H) observé à fort grossissement. Les desmosomes réguliers dans la couche granuleuse (C, F), transi- tionnels à l’interface couches granuleuse/cornée (D, G), et les cornéodesmosomes (flèches blanches) dans la couche cornée (E, H), montrent une morphologie classique dans l’épi- derme WT et KO. (I, J) Le détachement de la couche cornée juste au dessus de la couche granuleuse est fréquemment observé dans l’épiderme KO. Des desmosomes séparés (fen- dus) isolés (I) ou adjacents (J) peuvent être observés. Le coeur dense aux électrons des desmosomes transitionnels séparés reste liés au kératinocyte granuleux (flèches noires) tandis qu’une interruption de la ligne dense aux électrons correspondant à l’enveloppe cornée est clairement visible à la surface du cornéocyte (flèches blanches), à l’endroit où

étaient attachés les desmosomes. Barres d’échelle : A, B = 2μm ; C-J = 0, 2 μm. D’après

CHAPITRE 5. RÔLE PHYSIOLOGIQUE ET IMPLICATIONS PATHOLOGIQUES DE LA CORNÉODESMOSINE des souris KO Cdsn inductibles.

En conclusion, l’ensemble de ces travaux a clairement démontré que la Cdsn était indis- pensable à la cohésion de la couche cornée et qu’elle conférait aux cornéodesmosomes leur forte résistance, essentielle pour survivre dans un environnement terrestre où l’épiderme est sans cesse soumis à des stress mécaniques.

5.4.2.2 Rôle de la Cdsn dans le follicule pileux

Ces modèles de souris KO Cdsn ont également permis de mieux caractériser le rôle de la Cdsn dans le follicule pileux. Chez les nouveau-nés, les follicules pileux ont une mor- phologie normale et sont en quantité comparable à ceux des souris témoins. Ceci a amené à conclure dans un premier temps que la Cdsn ne jouait pas de rôle dans la morphogénèse des follicules pileux. En revanche, dans les modèles de greffes et les souris inductibles KO

Cdsn, les follicules pileux présentent une morphologie altérée avec la formation de kystes

conduisant à leur dégénérescence progressive. Ces observations suggèrent que la Cdsn est nécessaire au maintien de l’intégrité des follicules pileux.

Ainsi, la Cdsn joue un rôle vital in vivo dans la barrière épidermique et l’intégrité du follicule pileux en empêchant une rupture des cornéodesmosomes.