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1.5 Les bio-hybrides : structure et fonctions

2.1.1 La chimie des diazoniums

En chimie organique, les diazoniums sont des composés aryles ou alkyles possédant un groupement −N2+ (figure 2.1). Ces composés sont connus pour être très réactifs et assez peu stables. En effet, ils se dégradent en solution à température ambiante et doivent être synthétisés à basse température. La stabilisation de ces composés par la formation de sels de diazoniums a permis la commercialisation de certains composés. Dans notre étude de la réaction entre les nanotubes de carbone monoparois et des diazoniums, nous n’avons utilisé que des aryldiazoniums fonctionnalisés en position para. Ce groupement nous permettra par la suite de modifier la réactivité de l’aryldiazonium.

Figure 2.1

Formule chimique développée d’un sel d’aryldia- zonium substitué en para et d’un sel d’alkyldiazo- nium.

Depuis le début de l’utilisation intensive des aryldiazoniums en synthèse organique, leurs réactions ont révélé des curiosités mécanistiques. En effet, du fait de leur forte réac-

tivité, les aryldiazoniums offrent un panel important de réactions [110] que l’on peut classer en deux catégories : le couplage diazoïque et les réactions de dédiazotation.

Le couplage diazoïque fut très utilisé dans la synthèse des colorants organiques dès leXIXesiècle. Le mécanisme de cette réaction consiste en l’attaque d’un nucléophile sur la fonction diazonium. Dans le cas de la synthèse de colorants (Fig 2.2), le nucléophile est aromatique et le nouveau composé ainsi formé possède une délocalisation d’électrons plus importante du fait de la conjugaison des deux cycles aromatiques via la fonction diazoïque. Cette délocalisation induit alors une absorption de la lumière dans le visible qui donne à la molécule sa propriété de colorant.

Figure 2.2

Réaction typique de formation d’un colorant diazoïque : un composé aromatique substitué par un grou-

pement électrodonneur attaque le diazonium pour former un composé azoïque coloré.

Les réactions de dédiazotation, quant à elles, consistent en la perte du groupement diazonium. En général, ces réactions sont exothermiques et fortement favorisées thermo- dynamiquement par le dégagement de diazote. Il existe deux mécanismes possibles pour cette réaction (Fig 2.3) : soit une rupture hétérolytique avec formation d’un carbocation, soit une rupture homolytique avec formation d’un arylradical.

Figure 2.3

Mécanismes possibles de dédiazotation d’un aryldiazonium : Rupture hétérolytique (en haut) de la liai-

son Car-N avec formation d’un aryl cation et rupture homolytique (en bas) assistée par un transfert à un électron (SET) avec formation d’un arylradical. Dans les deux cas, la réaction est favorisée par le dégage- ment de diazote.

Il est à noter qu’il est très difficile de différentier les deux mécanismes de dédiazota- tion à cause de la forte exothermie de la réaction. La principale différence entre ces deux mécanismes est un transfert d’électron dans le cas de la rupture homolytique. Les deux mécanismes sont souvent simultanés [111] et donnent des produits différents. On peut étudier l’un ou l’autre en favorisant soit la rupture homolytique soit la rupture hétéroly- tique. Dans la littérature, il a très vite été supposé que le couplage entre le nanotube et le diazonium est radicalaire. Donc, par la suite, nous allons plutôt détailler les méthodes

permettant de créer des radicaux à partir de diazoniums.

La méthode la plus directe pour former des radicaux à partir d’un sel de diazonium en solution est l’électrochimie. En effet, un diazonium peut capter un électron à la surface d’une électrode pour former un diazényl radical (Fig 2.4 A) qui en éliminant une molécule de diazote donne un aryl radical (Fig 2.4 B).

Figure 2.4

Mécanisme de dédiazotation homolytique induit par électrochimie : le diazonium capte un électron pour

former un diazényl radical qui se décompose ensuite en aryl radical avec dégagement de diazote.

Certains auteurs [112] ont même défini les potentiels de réduction de diazoniums dans certains solvants par polarographie (voltampérométrie avec électrode à gouttes tombantes de mercure). De plus, ces mêmes auteurs ont montré une corrélation de Hammett de pente 0,22 entre ces potentiels et l’effet électronique d’un groupement positionné en para. La réduction du diazonium semble donc être favorisée par la présence de groupements électro-attracteurs. Cela peut s’expliquer par le fait qu’un groupement attracteur stabilise le diazényl radical alors qu’un groupement donneur aura tendance à stabiliser le diazonium de départ et ainsi à défavoriser sa réduction. Suehiro et al. [113] ont quant à eux montré qu’il est possible de capturer le diazényl radical et ont mesuré une vitesse minimale de

5 × 10−5s−1pour la décomposition du diazényl radical en aryl radical (Fig 2.4 B).

Une autre méthode pour former des aryl radicaux est la décomposition photochimique. Il a été montré [114] que le processus de rupture homolytique est induit par le contre-ion de l’aryldiazonium. En effet, le complexe de transfert de charge formé entre le contre-ion électro-donneur et l’ion aryldiazonium est photoexcité ce qui induit un transfert électro- nique (Fig 2.5).

Figure 2.5

Mécanisme de dédiazotation homolytique induit par la lumière : le complexe de transfert de charge

entre l’ion aryldiazonium et le contre ion X−(tel que Cl−) est photoexcité, il y a alors un transfert d’électron de l’anion vers l’aryldiazonium.

Ce transfert électronique photoinduit vers le diazonium a également été décrit avec des composés aromatiques comme le pyrène [115]. Les vitesses de ce transfert d’électron ont été étudiées pour différents diazoniums substitués en para et ont montré à l’aide d’une

corrélation de Hammett de pente égale à 0,38 que ce transfert photoinduit est favorisé par des groupements électro-attracteurs.

La méthode la plus répandue pour provoquer des dédiazotations homolytiques est l’utilisation d’agents réducteurs tels que les cations métalliques. La réaction de Sandmeyer [116] qui utilise des sels de cuivre (I) a été la première méthode décrite. D’autres cations ont par la suite montré leur capacité à effectuer des dédiazotations homolytiques tels que Sn(II) [117], Cr(III) [118], Ti(III) [119], V(II) [118], Fe(II) [120] et Fe(CN)4−6 [121]. Certains auteurs [122] ont montré que le rendement de la dédiazotation augmente avec le pouvoir réducteur du cation métallique. Dans le cas des plus réducteurs, le mécanisme consiste en un transfert électronique de la sphère de coordination externe du cation vers le diazonium pour former un diazényl radical qui se décompose en aryl radical.

En conclusion, nous venons de voir qu’il existe plusieurs méthodes décrites dans la littérature pouvant favoriser la rupture homolytique de la liaison C-N d’un diazonium. Par la suite nous verrons qu’il est également possible que les nanotubes de carbone du fait de leurs propriétés électroniques induisent la formation de radicaux à partir d’un sel de diazonium.