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L’ouverture à une dynamique relationnelle

6.1 S YNTHÈSE DES RÉSULTATS EN LIEN AVEC LA QUESTION DE RECHERCHE

6.1.3. L’ouverture à une dynamique relationnelle

Le fait de se focaliser uniquement sur la quête de sens, souvent associée à la spiritualité par les infirmières, néglige le facteur relationnel vital qui est la nature même des soins spirituels. Le cadre théorique a permis de mettre en évidence combien l’accompagnement de la détresse spirituelle se fonde sur la qualité de la relation soignant-soigné, et Edwards et al. (2010) soulignent que l’instauration d’une relation de confiance relève de la responsabilité de l’infirmière (p. 766).

Les relations sont prédominantes dans l’accompagnement spirituel : elles constituent l’essence même de la spiritualité, correspondent à des besoins spirituels, peuvent être causes de détresse spirituelle quand elles sont absentes ou rompues, et elles sont à considérer comme le moyen par lequel les soins spirituels sont prodigués (Edwards et al., 2010, p. 765-767). Il s’agit alors de permettre au patient en situation de détresse spirituelle de s’inscrive à nouveau dans la relationalité, avec sa propre spiritualité, avec sa famille, ses amis, la communauté sociale et religieuse, et avec les soignants de l’équipe interdisciplinaire.

La maladie grave expose le patient à une solitude existentielle et à un sentiment de désintégration de soi, d’atteinte de son identité même (Boston & Mount, 2006, p. 20). Alimentée par le caractère angoissant de la situation et par son incommunicabilité, la solitude est à l’origine d’une tentation de désespérance et d’une souffrance spirituelle, d’où l’importance de l’accompagnement spirituel infirmier qui humanise cette épreuve et conduit le patient à s’appuyer sur des relations qui guérissent. Cela

128 correspond au facteur caratif de Watson suivant : le développement d’un système de valeur humaniste-altruiste. Cependant, plus une personne est malade, plus elle est ouverte au dialogue sur les questions spirituelles (Boston & Mount, 2006, p. 20-21). La capacité à créer une ouverture pour dialoguer à un niveau profond d’intimité est au cœur de la pratique soignante, et un facteur clé pour des soins holistiques efficaces. Elle dépend de plusieurs facteurs : la réceptivité du patient qui donne ou non son autorisation, la sensibilité spirituelle du soignant qui est touché intimement, et la reconnaissance par le soignant de sa vulnérabilité personnelle (Boston & Mount, 2006, p. 17-18). Cette capacité exige de l’infirmière une compréhension de la signification des questions existentielles et spirituelles, du discernement pour les intégrer en tant que diagnostics différentiels des causes de la souffrance, une sensibilité développée, et de grandes aptitudes dans la communication. L’infirmière est invitée à favoriser les relations qui restaurent l’intégrité spirituelle, et qui prennent leur source dans la relation à soi, aux autres, avec le monde environnant tel qu’il est appréhendé par les sens, avec une signification ultime, Dieu, ce qui nous dépasse, selon la conception individuelle de chacun (Boston & Mount, 2006, p. 20-21). Ces relations diverses renforcent le sentiment de sens, de cohérence, et de faire partie de quelque chose de plus grand que soi, et sont à la base d’une expérience approfondie de l’intégrité et de la plénitude, pour le patient comme pour le soignant. En effet, lorsqu’il existe un véritable lien soignant-soigné, l’expérience de l’intégrité spirituelle et existentielle ne survient pas seulement chez le patient, mais également chez l’infirmière. Il s’agit alors d’une expérience d’apprentissage partagée, gratifiante et enrichissante pour chacun (Boston & Mount, 2006, p. 17-18, 25). Cela amène les infirmières à prendre conscience de l’impermanence des choses, modifie leur rapport à la vie, le sens qu’elles lui donnent, leur perception du temps, et augmente leur désir de profiter des moments présents (Déglise, 2007, p. 346).

Les stratégies utilisées afin de l’inviter à échanger à ce niveau de profondeur sont variées. Watson a apporté des éléments de réponse avec le facteur caratif du développement d’une relation d’aide et de confiance. La qualité de la présence, du silence de compassion ou d’invitation, de l’écoute, de l’empathie, et la manière d’effectuer les soins somatiques permettront à l’infirmière de manifester au patient combien il est respecté dans sa globalité (Edwards et al., 2010, p. 766). La relation de confiance instaurée offre un espace pour que la blessure et la cause de la

129 souffrance se dévoilent. Par la communion silencieuse et le dialogue, le patient qui exprime ses préoccupations spirituelles se sent rejoint, entendu, en sécurité et réconforté, et il peut expérimenter un changement de perspective qui lui permet de se libérer des sentiments qui l’accablent, de regarder sa souffrance en face et de lui donner un sens (Tornoe et al., 2014, p. 7 ; Boston & Mount, 2006, p. 24-25 ; Tornoe et al., 2014, p. 8). Selon l’état du patient, l’infirmière peut simplement offrir un toucher rassurant, une atmosphère paisible, une compassion silencieuse et du réconfort par la médiation d’une caresse douce ou d’un massage du pied, ce qui aide aussi le patient à s’ouvrir et à exprimer ses sentiments (Tornoe et al., 2014, traduction libre, p. 3).

Des interventions infirmières, qui relèvent de compétences en relation d’aide comme l’écoute, la bienveillance, la présence et l’accompagnement au quotidien, permettent non seulement de restaurer l’intégrité spirituelle, mais également de prévenir la détresse spirituelle, et devraient faire partie des plans de soins de tous les services (Buxton, 2007, p. 921-924). Les patients apprécient souvent d’avoir la possibilité de s’exprimer librement dans un cadre explicitement spirituel (Buxton, 2007, p. 921-922). Encourager les patients confrontés à la souffrance liée au processus d’acceptation de la mort à parler de leur situation, en les écoutant avec empathie et en reconnaissant la légitimité de leurs pensées et sentiments peut apporter un certain réconfort. Les infirmières sont invitées à se concentrer sur la détresse spirituelle et à aborder des sujets sensibles comme les funérailles, l’au-delà de la mort, la relation avec les proches. Etre attentif aux rêves du patient peut donner accès à ses plus grandes peurs. Cependant, il est important de respecter l’intégrité, l’autonomie et le choix de certains patients de rester dans le silence ou le déni. Finalement, le rôle de l’infirmière est d’aider le patient à accueillir la vie dans le temps qu’il lui reste, et à en profiter pleinement (Tornoe et al., 2014, p. 4). Cependant, trouver le bon équilibre est une source de dilemmes éthiques, particulièrement à cause de la nature asymétrique de la relation soignant-soigné et de la vulnérabilité du patient (Tornoe et al., 2014, p. 4).

Les échanges de l’infirmière avec les proches de la personne en fin de vie au sujet de la spiritualité se font avec le consentement des patients et respectent une certaine confidentialité. La religion, moins intime, permet parfois d’entrer dans la discussion. Les infirmières, qui ont souvent un rôle de médiation entre le patient et sa famille, ont

130 relevé le décalage entre les besoins du patient et ceux de chacun des membres de la famille, souvent négligés. Il importe d’identifier et de prendre en compte leurs besoins spirituels par une écoute individualisée, de permettre aux proches de partager leur chagrin, de se réconcilier, et de prendre congé de la personne en fin de vie, d’autant plus qu’ils sont susceptibles d’apporter un soutien spirituel important pour le patient (Déglise, 2007, p. 346 ; Tornoe et al., 2014, p. 4).

Bien que de nombreuses infirmières mentionnent un manque d’habiletés cliniques à accueillir l’expérience spirituelle et à reconnaître les besoins émotionnels et spirituels des patients, elles considèrent le soin spirituel comme un aspect fondamental de leur rôle professionnel et expriment leur besoin de collaboration avec les différents professionnels, notamment avec les aumôniers (Gaillard Desmedt & Shaha, 2013, p. 22). La relation entre l’aumônerie et le personnel soignant et l’implication des soignants dans la prise en charge de la détresse spirituelle sont essentielles. En effet, les patients mettent en avant le fait que le soutien des membres de l’équipe de soins est fondamental afin de faciliter le passage de la détresse à l’intégrité (Buxton, 2007, p. 923).