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3.2 LA SPIRITUALITÉ

3.2.3 Détresse spirituelle

La maladie, la souffrance et la mort sont des périodes de crise qui imposent un temps de solitude devenant pour beaucoup un temps de réflexion, d’évaluation de leurs priorités, de passage en revue des choses accomplies dans leur vie et des rêves non réalisés (Kohler, 1999, p. 22). En outre, la maladie grave représente une menace pour l’intégrité et l’identité de la personne et peut la conduire vers une situation de détresse spirituelle, voire de souffrance globale. En effet, maladie et douleur se combinent pour atteindre l’être au plus profond, engendrant des répercussions sur toute sa vie.

La détresse spirituelle est une crise au sens d’un changement subit se caractérisant, entre autres, par un éclatement de l’identité spirituelle. Elle remet en cause les valeurs et la transcendance vécues jusqu’au moment de la crise et interrompt toute recherche d’un sens pour sa vie. Elle met également en question les valeurs que le patient donne à sa propre dignité. (RIVIER, HONGLER, & SUTER, 2008, p. 4)

La notion de souffrance spirituelle se manifeste par des sentiments d’injustice, de culpabilité, d’inquiétude, d’inachevé, de non-sens, de peur. C’est le bouleversement dû à la maladie qui les met au jour (Echard, 2006, p. 72). En effet, si la maladie

43 grave et la fin de vie font naître le désir de vivre selon ce que l’on considère comme vrai et précieux, ce désir exigeant peut faire émerger le sentiment d’être indigne ou incapable d’y parvenir et imprégner chaque instant vécu d’amertume, de colère, de sentiment d’absurdité, et engendrer par là même une souffrance spirituelle (Echard, 2006, p. 72).

Si le spirituel est « le cœur du cœur de l’homme (Matray, 1999) », la souffrance spirituelle, plutôt que d’être une des composantes de la souffrance, en compose l’arrière-fond (Echard, 2006, p. 72). La détresse spirituelle se caractérise ainsi par une combinaison de symptômes survenant dans divers domaines de l’expérience du patient. Il peut s’agir par exemple d’une douleur réfractaire au niveau somatique, d’anxiété, de dépression et de désespoir au niveau psychologique, ou encore d’appauvrissement des relations humaines et d’isolement au niveau social (Bigorio 2008, p. 2).

Pour Rochat et Monod (2009) qui définissent la spiritualité par « la cohérence singulière que [la personne hospitalisée] donne à connaître lorsqu’elle déclare son sens à l’existence, manifeste ses valeurs et désigne sa transcendance, cette cohérence fondant son identité », la détresse spirituelle se caractérise par conséquent par « la présence d’une ou plusieurs perturbations dans l’un ou plusieurs des aspects de la dimension spirituelle de la personne malade » : à savoir le sens, les valeurs, la transcendance, l’identité et les aspects psychosociaux (p. 3). Ils insistent sur le fait que les résultats attendus de la prise en charge de la détresse spirituelle ont un impact significatif sur la qualité de vie : contribution à une humanisation des soins, mobilisation des ressources dites religieuses ou spirituelles pour mieux intégrer la malade et la crise, amélioration de la prise en charge globale et de la communication, irruption et clarification de problématiques d’éthique clinique (p. 4).

Si l’évaluation de la dimension spirituelle est une affaire d’experts, aumôniers et soignants sont appelés à collaborer étroitement pour soulager la souffrance spirituelle. En effet, les soignants, de par leur proximité, sont alertés les premiers par les signes de mal-être religieux ou spirituel de leurs patients et il est fondamental qu’ils communiquent leurs observations, de sorte que celles-ci permettent

44 l’élaboration d’objectifs de prise en soin spécifiques et interdisciplinaires (Rochat & Monod, 2009, p. 3). Cela suppose par ailleurs compétence et connaissances, notamment quant à l’utilisation d’une terminologie commune (p. 4).

En outre, l’intensité de la douleur existentielle est en partie liée à la qualité de l’alliance thérapeutique ainsi qu’aux liens créés avec les soignants (Rochat, 2005, p. 9).

Or, si ces deux aspects de la prise en charge sont insuffisants ou ne s’adaptent pas en fonction du vécu correctement analysé du malade en fin de vie, ils ne permettent pas à cette personne d’opérer un travail intérieur dans le quotidien des soins, travail nécessaire pour faire baisser la douleur existentielle. (Rochat, 2005, p. 9)

Afin de soulager cette détresse, le soignant pourra tenter de reconnecter le malade avec les ressources spirituelles élaborées lorsqu’il était en bonne santé, les éléments ayant contribué au bien-être dans l’histoire de vie d’une personne pouvant contribuer à son mieux-être en situation de crise (Bigorio 2008, p. 2).

Lorsque la détresse spirituelle est dépistée, évaluée et correctement prise en charge, cela va ouvrir chez le patient la voie d’un travail qui mettra à jour un nouveau sens, qui humanise l’expérience de son vécu, lui permettant une dernière exploration pour rester entier et intact, pour considérer le passé, le présent et l’avenir sous un angle nouveau. Cette faculté d’adaptation pourra lui permettre de transformer la crise en occasion de croissance spirituelle. Cependant, « [cette] souffrance importante ne peut qu’être traversée (Saunders, 1988) », éprouvée, vécue, mais de manière à opérer un passage, un cheminement (Echard, 2006, p. 73).

Rochat (2005) relève que, faute de conceptualisation suffisante de la dimension spirituelle de la personne malade, l’idée que la personne puisse vivre une crise majeure en lien direct avec sa spiritualité est peu évoquée par les soignants, et ceci dans des termes qui déterminent une prise en charge au même titre qu’une autre pathologie. Ce que les soignants nomment « souffrance existentielle » est surtout « leur impuissance devant un mal-être et une crise qui échappent en grande partie à

45 la prise en charge et à la maîtrise des soignants » (Rochat, 2005, p. 9). De plus, les troubles de l’adaptation chez la personne malade sont souvent associés, voire confondus, avec la détresse spirituelle qu’ils peuvent masquer, une partie des symptômes présentés par le patient étant identiques (Rochat & Monod, 2009, p. 2). Pourtant, lors de de la conceptualisation des diagnostics de soins infirmiers, les différents groupes de chercheurs en soins infirmiers qui s’y sont attelés ont nommé cette crise très clairement au moyen de l’expression « détresse spirituelle » en la définissant comme une « perturbation du principe de vie qui touche à la personne dans son être entier et qui transcende les dimensions biologiques et psychosociales (McCloskey & Bulechek, 1996) » (Poletti, 2011, p. 30). Ils ont par ailleurs proposé des interventions infirmières visant à soutenir le patient afin qu’il retrouve un équilibre et un lien avec une puissance supérieure (Poletti, 2011, p.30).

Rochat ( 2005) attribue la prise en charge lacunaire de la détresse spirituelle au fait que le diagnostic de celle-ci ne fait pas partie de la routine de l’évaluation clinique qui se base essentiellement sur les symptômes issus d’un cadre de références psycho-sociologique et/ou psychiatrique, d’où la nécessité d’élaborer un cadre de références nouveau à l’usage des soignants qui permette une évaluation structurée et compétente, tâche à laquelle Rochat et son équipe du groupe Label CTR se sont attelés avec leur « clinique spirituelle » (p. 10).