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L’organisation spatiale et sociopolitique des Tarasques du Postclassique Récent : un aperçu.

Présentation du premier chapitre

1.1. Le Centre-Nord du Michoacán au Postclassique : du contexte général de recherche à la question de l’organisation sociospatiale.

1.1.3. L’organisation spatiale et sociopolitique des Tarasques du Postclassique Récent : un aperçu.

Quelle sont les connaissances acquises par les spécialistes des Tarasques concernant l’organisation sociospatiale de cette culture ? Peu de travaux ont en fait placé cet aspect des choses au centre de leurs préoccupations. Seules deux échelles d’observation des modalités d’organisation spatiale des communautés tarasques ont été abordées :

 la définition et l’organisation générale du territoire tarasque (avec la gestion des frontières de celui-ci depuis la capitale, localisée près du lac de Pátzcuaro) ;

 les modalités d’occupation du sol du secteur central de Pátzcuaro.

Le secteur du bassin de Pátzcuaro fut, en sa qualité de capitale politique et culturelle du royaume8, l'objet

d'une attention particulière et « prioritaire »9. C’est donc dans ce secteur que les connaissances sur les

schèmes d’établissement, la démographie, le système sociopolitique et culturel tarasque, sont les plus approfondies. Mais même dans ce cas, l’organisation spatiale interne des établissements et la question des composantes sociales des groupes présents a été peu abordée.

1.1.3.1. Les travaux ayant intégré la question de l’espace

Après plusieurs opérations menées dès les années 1930 dans les sites des rives du lac de Pátzcuaro (Tzintzuntzan, Pátzcuaro et Ihuatzio, voir Figure 7) par différents explorateurs, H. Pollard débute, dans les années 1970, sa recherche doctorale, fondée sur une prospection de surface du site de Tzintzuntzan. Soutenue en 1972, sa thèse, Pre-hispanic urbanism at Tzintzuntzan, Michoacán traduit une nouvelle ambition scientifique (autant par la questionnements anthropologiques et que les méthodes d’exploration de terrain). Ce travail, portant sur l’organisation spatiale et fonctionnelle du site de Tzintzuntzan, est l’unique étude réalisée sur le thème de l’organisation spatiale qui adopte l’échelle d’analyse dite « intra-site ». Aucun autre établissement du bassin du lac de Pátzcuaro n’a jusqu’à récemment fait l’objet d’une étude de ce type, à cette échelle. Les travaux de prospections menés entre 1976 et 1980 par H. Pollard et S. Goreinstein (voir notamment Pollard 2000a) dans le bassin, permettent d'identifier de nombreux établissements occupés lors de l'apogée du royaume tarasque (Figure 7). L'ouvrage The Tarascan civilization : a late prehispanic cultural system, publié par les deux archéologues en 1983, rend compte de ces premières phases de travail, qui seront suivies d'études continues entre 1983 et la fin des années 1990. En parallèle, des projets d'archéologie de sauvetage alimentent cette nouvelle carte archéologique10 (par exemple Moguel Cos 1987). Le schéma d’implantation des populations

8 (Pollard parle de core en anglais dans Pollard 2008, 217).

9 Bien que l'entité tarasque soit souvent appréhendée par sa structure territoriale (Pollard 1993, 167—185), les

vestiges monumentaux conservés sur les rives du lac de Pátzcuaro constituaient un enjeu patrimonial international important et de forte accessibilité pour les archéologues. C'est donc ce secteur du Michoacán qui a suscité le plus grand intérêt, du moins en termes de « fréquence » d'intervention (Figure 7).

10 Aux 91 loci archéologiques repérés par H. Pollard et S. Gorenstein et datés du Postclassique récent, se rajoutent les

sites repérés dans le cadre de campagnes d'archéologie de sauvetage liées à certains grands projets de travaux publics tels que le gazoduc passant à l'est du Bassin de Pátzcuaro (1981-1982).

autour du lac, la culture matérielle et la chronologie sont désormais mieux compris11. Dans cette zone

« capitale », la structure interne des sites repérés n’est toutefois pas abordée comme une problématique particulière, ou de manière très partielles (l’état des vestiges est bien sûr à prendre en compte). Les démarches d’analyse des espaces se restreignent à de larges sectorisations fonctionnelles avec une identification globale de secteurs résidentiels, secteurs funéraires, secteur cérémoniels etc. Il existe donc peu d’éléments de comparaison sur l’organisation spatiale et les spécificités de l’habitat dans la société tarasque tardive.

Figure 7 : Carte du bassin de Pátzcuaro, localisation des principaux sites archéologiques et des secteurs prospectés et/ou fouillés par H. Pollard et ses collaborateurs (d'après Pollard 2008).

Hors du bassin du lac de Pátzcuaro, quelques travaux furent dédiés au territoire tarasque global. Ainsi, des études ont été menées sur la définition et la caractérisation des frontières (Figure 8). Les données archéologiques traduisent difficilement la complexité sociale et politique des espaces frontaliers (Sergheraert 2009 ; Lefebvre 2011 ; 2012 ; Albiez 2011 ; Pollard 2000b ; Smith et Pollard 2010). La région d'Acámbaro, zone de frontière entre le royaume tarasque, l’empire mexica et les chasseurs-cueilleurs

11 L’occupation du bassin de Patzcuaro reste l’échelle privilégiée : C. Fisher et H. Pollard tentent des estimations de

population dans le cadre de leur étude sur la co-variation paysage/occupation humaine du début de notre ère et jusqu'à la Conquête (Fisher et Pollard 1999 ; Fisher 2005 ; Israde-Alcántara et al. 2005).

chichimèques du Nord a fait l'objet, entre 1971 et 1974 d'une exploration partielle (Gorenstein 1985), puis d'une réévaluation complète en 2011 de ses modalités d'occupation autour de la conquête espagnole à partir de 2006 (Lefebvre 2012). J. Silverstein évoque, quant à lui, la frontière sud correspondant aux limites modernes des États de Michoacán et Guerrero, formalisée par le Rio Balsas (Silverstein 2000). Ces derniers travaux apportent beaucoup sur la compréhension des comportements des populations, de ces espaces et les rapports existant entre le pouvoir tarasque, centré à Pátzcuaro, et les espaces périphériques. Le nouveau modèle obtenu est loin de celui appréhendé jusqu’alors, soit un modèle de cordon frontalier fortifié, défensif et fortement contrôlé par le pouvoir central. Les spécialistes les conçoivent maintenant plutôt comme des zones tampons, pluriethniques et perméables12 où une grande

partie des structures et des infrastructures propres à chaque groupe furent maintenues lors de leur intégration dans le royaume. Cette ligne de recherche, qui a fourni une part importante de la production scientifique dans le domaine des études « tarasques », apporte de nombreuses informations sur les structures politiques et territoriales locales et la diversité interne du royaume (les modes de gestion territoriaux varient, les ethnies intégrées à cet espace aussi). Mais cette approche territoriale produit peu de savoir sur les modalités d’organisation de la société tarasque à l’échelle locale.

Comment les groupes structuraient-ils leurs espaces, aux échelles de la vie domestique et de la vie communautaire ? Ces aspects fondamentaux de l’organisation sociale restent donc largement à examiner.

Les échelles d’organisation non abordées, ou peu, par les recherches antérieures ont fourni, de la société tarasque, une image très incomplète. Les études qui ont portées sur le territoire tarasque avaient pour objectif de comprendre les stratégies de gestion du royaume et les formes du pouvoir et ses acteurs. La structure socioéconomique du royaume tarasque était aussi l’un des objets de recherche privilégié. Mais tout comme les unités spatiales minimales de vie (la structure de l’habitat) furent laissées de côté dans la recherche concernant les Tarasques du Postclassique Récent, les modalités d’organisation sociale sont peu connues, exception faite de quelques travaux, qui s’appuient surtout sur le texte de la Relation de Michoacán, lesquels fournissent, malgré tout, des bases de réflexion.

12 Le long des frontières, les Tarasques maintinrent les axes économiques importants reliant le royaume

aux territoires mésoaméricains voisins. Le secteur de la lagune de Cuitzeo et des gisements d'obsidienne d'Ucareo-Zinapecuaro forment par exemple un point de contact privilégié entre l'Occident et le Centre du Mexique et, par conséquent, une zone-clé de la partie orientale du royaume. Ce secteur a reçu une certaine attention depuis une quinzaine d'années (Healan 1997 ; 1998 ; Hernández 2000 ; Filini 2010 ; Filini et Cardenas 2007). Le dessin et les modalités d'intégration des territoires nord-ouest et ouest sont, comme le souligne, entre autres, H. Pollard, bien moins définis (Pollard 2000b, 76).

Figure 8 : Localisation des établissements tarasques identifiés et extension du royaume (d'après Michelet 1998b et Pollard 2008).

1.1.3.2. Les grandes lignes du modèle d’organisation socioéconomique

Quelles sont les connaissances acquises et les hypothèses émises sur l’organisation sociale tarasque lors de la phase Tariacuri (juste avant la Conquête) ? Il apparaît rapidement que peu de place a été donnée à la compréhension de la société tarasque toute entière : la caractérisation d’un ordre social et l’évaluation du degré de complexité politique de ce groupe se sont résumées à l’identification des élites, de leur(s) rôle(s), de leur culture matérielle13. Les autres composantes de la société, pourtant les plus

nombreuses, ont été prises en compte, mais seulement globalement. Les éléments relatifs à la culture matérielle (mobilières et bâties) et les structures sociales minimales restent méconnues. Les quelques savoirs repérés à ce sujet se limitent à des artefacts diagnostiques, liés à des réseaux d’échanges ou à des finalités spécifiques : il s’agit de biens de prestige, qui ne concernent qu’une petite partie de la société, ou

13 Les campagnes de prospections et de fouilles menées par H. Pollard à Urichu (1990-1996) et Eronguaricuaro ont

produit du matériel en contexte stratigraphique lié à des espaces rituels ou funéraires (Pollard 2003, 2008 ; Pollard et Cahue 1999) et, beaucoup plus rarement, à des espaces résidentiels (Stawski 2008). Les opérations menées (sondages plus ou moins étendus) avaient pour ambition d'obtenir une chronologie plus fine et d'identifier les indices de différenciation sociale et statutaire (Haskell 2008a, 46–58). Les résultats d'ordre fonctionnel se limitent donc à la définition d'aires d'activité (secteur défini comme rituel, ou concentrations de déchets de taille d'obsidienne interprétées comme ateliers, sols comme habitations). Mais ces travaux dispersés et ponctuels ne pouvaient en aucun cas conduire à l’étude de l’organisation spatiale des sociétés à une échelle intrasite.

les traces d’une action économique à longue distance. Si les vases tripodes polychromes et les anses en étrier, si caractéristiques, forment, entre autres objets, des éléments diagnostiques importants, il n’existe aucune synthèse sur la céramique commune et peu de travaux envisagent les systèmes techno- économiques de ces productions (Hirshman, Lovis et Pollard 2010, 267).

La société tarasque a été envisagée comme tripartite « dynastie royale/élite et dirigeants locaux/gens du commun, mais sans qu'une véritable enquête soit menée sur les interactions entre ces trois groupes (Pulido Méndez 2006, 183–185). Ces distinctions avaient été faites uniquement à partir d’éléments mobiliers (nous l’avons déjà spécifié, l'immobilier a été très peu étudié en dehors des édifices monumentaux) et des sources ethnohistoriques (Ibid., 186–191). Parallèlement toutefois, de grandes catégories de population ont été identifiées, soit dans le cadre de la zone capitale (Haskell 2008a et 2008b), soit sur les marges du territoire (Lefebvre 2011). La composition « mixte », multiethnique des sociétés intégrant le royaume aurait été la base d'une structure sociale hiérarchisée fondée sur une définition ethnique des groupes. Le pouvoir royal se serait appuyé sur cette hiérarchie via la complémentarité, mais aussi les interactions entre ces groupes (Haskell 2008a, 18). Les noblesses et les élites locales, servant de relais au pouvoir central, furent évidement, mises en avant dans ces recherches. À L’inverse, les populations ordinaires n’ont quasiment pas fait l’objet de travaux. En conséquence de quoi, les modalités d’organisation des sociétés dans l’espace n’ont été que discrètement envisagées, sur des domaines comme ceux de la vie quotidienne, des unités familiales, de l’économie domestique et des dispositifs locaux d’organisation spatiale. Les données archéologiques collectées pour le Postclassique Terminal (phase Tariacuri) ne permettent en aucun cas d’aborder ces aspects. Il est donc impossible, aujourd’hui de les inscrire dans un contexte chronologique plus étendu et de les comparer, à des modes d’organisation plus anciens.

Un autre aspect des chose doit être encore synthétisé ici : il s’agit de la gestion de la mise en place de l’État tarasque .

1.1.3.3. Le modèle d’émergence de l’État tarasque selon H. Pollard

Notre propre recherche a à voir avec un groupe d’affiliation tarasque ancien désigné dans les sources comme les Uacúsecha et qui auraient eu un rôle essentiel dans la formation du pouvoir tarasque. Nous allons donc nous questionner sur les mécanismes fondamentaux d’émergence de cette entité et la place que les sites du Malpaís ont eu dans ce processus. Comment l’apparition et la genèse de la structure politique et territoriale tarasque sont-elles comprises par les spécialistes ? C’est H. Pollard qui, la première (dès les années 1980), propose, puis reformule dans les années 1990, un modèle de l'émergence de l'État tarasque à partir de l'étude des schèmes d'établissement, des données archéologiques, environnementales et ethnohistoriques à sa disposition (Pollard 1993 ; 1999 ; 2008). Ce modèle de construction étatique minimise l'influence que les dynamiques migratoires, qui semblent caractériser le Postclassique à partir du XIIIe siècle, ont pu avoir sur la structuration politique du royaume Tarasque. Son modèle est bâti sur

l’idée d’une construction principalement endogène. Des sociétés hiérarchisées et des entités politiques autonomes préexistaient dans la région centre-nord du Michoacán (et plus particulièrement dans la

région de Pátzcuaro) dès le Préclassique Récent. Ces formes précoces d'organisation et leur transformations dans le temps seraient à l'origine de l'émergence de l'État postclassique. L’afflux exogène de population (et la redistribution territoriale qu’il a engendré), révélé par les opérations archéologiques du Projet Michoacán, n'auraient fait qu'accentuer, sans le déclencher toutefois, un processus de hiérarchisation et de centralisation déjà amorcé localement :

« Together, the archaeological, ethnohistorical, and historical evidence confirm the presence of a distinguishable Purepecha cultural tradition by the Late Preclassic period in the Pátzcuaro Basin and the emergence of a politically centralized and socially stratified state in the same basin during the Middle Postclassic period. « (Pollard 2008, 219).

Le royaume tarasque serait donc le résultat de la centralisation, autour d’un groupe détenant le pouvoir, de sociétés locales stratifiées. Les données disponibles sur le bassin de Zacapu ne sont pas prises en compte dans l’élaboration de ce modèle. Bien que l'idée de formes d'organisation préexistantes, fragmentées et finalement regroupées au cours d'un processus de centralisation de plusieurs siècles soit forte, elle a l’inconvénient de gommer les spécificités de plusieurs acteurs au profit d'un modèle très théorique où les extrapolations sont nombreuses : ce modèle reste fondé sur des données partielles et quelquefois superficielles14 issues d’un seul et même secteur, le bassin de Pátzcuaro.

Nous verrons plus loin, que, depuis la perspective de la région de Zacapu, ce modèle doit être nuancé, voire partiellement remis en cause. Évoquer les origines du phénomène sociopolitique et économique tarasque est, en tout état de cause, une entreprise difficile. En effet, les mécanismes et structures organisationnelles de cette entité multiforme ne sont que partiellement connus. Dans cette mesure, il semble imprudent de concevoir les phénomènes tardifs comme le résultat de la « simple » évolution de formes locales d’organisation sociospatiale plus anciennes.

14 Les sites archéologiques enregistrés par H. Pollard et S. Gorenstein n'ont été, pour la plupart, que prospectés

superficiellement (Gorenstein et Pollard 1983). On peut donc discuter la valeur de l'interprétation fonctionnelle et statutaire qui en a été faite. La classification hiérarchique qui en a découlé soutient en grande partie le modèle politique de H. Pollard.