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La notion d’organisation de l’espace exprime l’action à l’origine de la réalisation d’une idée, d’un plan ou d’un projet, mais aussi le résultat de celle-ci : la configuration ou la structuration des aménagements humains à l’interface terrestre (Pumain 2006, 1–3). Fondamentale pour la compréhension d’une société, l’organisation de l’espace doit être décrite selon certains éléments constitutifs, parmi lesquels l’appropriation et l’utilisation du sol, l’habitat, la communication et la gestion de cet ensemble (Pumain 2004, 1). L’étude de l’organisation spatiale des agglomérations postclassiques du Malpaís de Zacapu s’appuiera sur l’observation et l’interprétation de ces différents éléments. Cette approche est possible grâce à un certain nombre d’outils mis en place par les archéologues, à partir, principalement, des travaux de la géographie. Grâce à ces développements méthodologiques et conceptuels autour de la relation entre l’homme et l’espace, nous pouvons envisager aujourd’hui une étude innovante dans cette région Centre- Nord du Michoacán. Ce deuxième chapitre a donc pour objet de présenter les éléments de vocabulaire et les concepts qui nous permettront d’identifier et de caractériser les éléments d’étude privilégiés dans cette recherche.

Dans une première section, nous examinerons la validité et les cadres de notre approche spatiale. Nous partirons des réflexions des géographes et évoquerons notamment les notions d’espace « social », d’espace « vécu » et de « pratiques spatiales ». Ces notions nous offrent, en effet, en ce début d’étude, un support conceptuel stimulant, qui nous permet, non seulement de renouveler les questionnements de nos prédécesseurs, mais aussi d’étendre nos ambitions : au-delà de la description matérielle – indispensable de la relation homme-espace, c’est de fait aux pratiques, ainsi qu’aux symboliques spatiales que nous tenterons d’accéder. Nous reviendrons brièvement sur le sujet du développement des études spatiales et géographiques en archéologie. L’espace a aujourd’hui une importance majeure dans les réflexions des archéologues, mais tel n’a pas été toujours le cas. Il aura fallu plusieurs décennies de travaux sur l’espace des sociétés anciennes pour que soit développée, systématiquement et dans diverses perspectives, cette thématique.

La deuxième section de ce chapitre sera consacrée aux cadres historiographiques et conceptuels de l’étude de l’apparition des premières agglomérations anciennes et de leur organisation. Les établissements du Malpaís constituent des agglomérations humaines et matérielles majeures. Nous devons, dès à présent, réunir les outils conceptuels et les objets d’étude nécessaires à la définition de leur nature (urbaine ou non, notamment). Ces deux grandes questions sur les pratiques et les structures spatiales des sites du Malpaís, leur nature(s) et leur(s) fonction(s) (sont-ils urbains ?) nous mèneront à des prises de décisions méthodologiques : la troisième section du chapitre présentera donc les objets et les supports d’analyse multi-scalaire retenus pour le développement de notre étude. Ces choix ont pour ambition de permettre l’examen approfondi des éléments constitutifs de l’espace des agglomérations du Malpaís, mais aussi leur interprétation en termes de structures, de pratiques et de symboliques spatiales et cela à différentes échelles, depuis les habitations individuelles à l’ensemble des quatre agglomérations postclassiques du Malpaís. On évoquera enfin brièvement, dans une courte dernière section, les outils techniques et analytiques qui ont été employés dans cette étude.

2.1. Espace social et homme spatial : dialogues de la géographie et de

l’archéologie.

Avant toute chose, il faut noter que l'archéologue aborde l’espace dans son sens objectif et contextuel. La dimension spatiale, pour lui, correspond d’abord à la localisation et la situation des objets qu’il observe ou extrait du sous-sol. La provenance, le contexte sont aujourd’hui les principes et la logique fondamentaux de la discipline (Allen, Green et Zubrow 1990, 3). Mais au-delà de la simple mise en contexte de l’information matérielle, la relation entre une société et un espace possède d’autres dimensions, fonctionnelles, affectives, imaginaires. Ces dimensions lient des individus (ou des groupes d’individus) aux lieux qu’ils occupent, qu’ils exploitent, dans et entre lesquels ils sont amenés à circuler et à se « représenter ». Pour envisager ces dimensions, c’est à la géographie qu’il faut faire appel, puisque les questions spatiales sont le cœur même de son approche. C’est ensuite que les archéologues on pu d’intégrer et adapter leurs perspectives et leurs méthodes d’étude.

2.1.1.

De l’espace objectif à l’espace vécu : l’approche spatiale des sociétés

archéologiques

Le géographe M. Lussault avançait que « l’espace, n’est pas biophysique mais social » (Lussault 2007). Cette affirmation s’inscrit dans la ligne de la géographie dite sociale. A. Frémont fut parmi les premiers à mettre en avant la notion d’espace vécu, invitant les géographes et, plus largement, les chercheurs en sciences sociales, à ne plus considérer l’espace, la région et les lieux « comme des réalités objectives », mais plutôt comme « une réalité vécue, c’est-à-dire perçue, ressentie, chargée de valeurs par les hommes. » (1974, 231). L’intégration de cette dimension à notre enquête sur l’organisation spatiale des agglomérations du Malpaís devait nous permettre de dépasser la première étape du processus d’interprétation de l’espace (la description formelle du vestige matériel), pour envisager les multiples relations que l’homme peut entretenir avec celui-ci et comprendre, peut-être, le sens qu’il lui donne. L’archéologie intègre de fait maintenant cette dimension de l’espace :

« […] Depuis que les archéologues ont élargi le champ de leur préoccupation de l’objet, meuble ou immeuble, aux relations qu’entretient chaque objet avec le milieu dans lequel il s’inscrit, ils se sont rapprochés des géographes. […] Le géographe et l’archéologue ont de ce fait des champs d’investigation communs, […] puisqu’ils abordent tous deux des problèmes de production et de dynamique spatiale et qu’ils proposent des modèles explicatifs des processus d’organisation à différentes échelles. » (Lévy et Lussault 2003, 80)

Comme le géographe, l'archéologue intègre l'espace à sa recherche et sa réflexion lorsqu’il en fait son objet de recherche et sa source d'information. L'objet d'étude est effectivement, pour les deux disciplines, l'inscription matérielle des sociétés humaines dans l'espace. L’archéologue X. Rodier invoque d’ailleurs le pléonasme que constitue l'expression « Archéologie de l'espace » ou « Archéologie spatiale » et s’interroge : « Quelle pourrait être une Archéologie non spatiale ? » (Rodier et al. 2011, 19). Le géographe J. Monnet explique que les formes spatiales et leur inertie ont une stabilité spatiale et temporelle qui permet de les étudier bien au-delà du moment de leur production (2003, 21). Il valide

donc, lui-aussi, notre approche, « par l’espace », d’une société ancienne. L’histoire et les trajectoires disciplinaires sont différentes, mais elles convergent dans leur manière d’observer l’homme en interaction avec son environnement naturel, matériel, son milieu24 à différentes échelles. L’archéologue peut donc

légitimement s’approprier les perspectives, les concepts et les outils des géographes pour aborder la question de la production de l'espace et des implications sociétales de cette production. Les ambitions de l’archéologue devront cependant, et nous le constaterons régulièrement au cours de l’étude développée dans ce manuscrit, se confronter à la nature des données disponibles : n’oublions pas qu’à la différence d’autres disciplines étudiant la relation homme/espace, l’archéologie pré ou protohistorique ne possède pas de vestiges d’écriture. C’est sans aucun doute la principale difficulté de l’approche spatiale en archéologie : obtenir, par les seuls vestiges, la compréhension de réalités spatiales vécues.

Dans le cadre des travaux antérieurs, l’environnement bâti et naturel des grands sites du Malpaís de Zacapu avait été soigneusement décrit. Mais les pratiques sociales et le vécu associant les habitants aux espaces physiques dans lesquels ils évoluaient, c'est-à-dire leur spatialité et leur territorialité, n’avait pas reçu l’attention qu’y porterait un géographe. Notre approche tentera d’explorer plus efficacement ces deux notions, car elles permettent véritablement de progresser dans l’appréhension de la relation homme- espace.

La spatialité, terme mis au point par la géographie, à partir des années 1950, correspond à une nouvelle démarche de celle-ci, favorisant une vision plus « horizontale » de la relation homme/espace plutôt qu’une étude plus « verticale » de la relation homme/milieu (observations au cas par cas, postulant de l’unicité des lieux dans les relations homme/milieu). La notion de spatialité permet de placer l’homme au sein d’un réseau de productions et de relations spatiales multiples. Son acception, d’abord générale, comme « simple description de l’aspect spatial d’un phénomène, entendu au sens de la répartition géographique de celui-ci […] » (Lévy et Lussault 2003, 866), s’est précisée (dès les années 1970) : « l’ensemble des conditions et des pratiques de la vie individuelle et sociale qui sont liées à la position des individus et des groupes relativement les uns aux autres. » (Elissalde 2004, 1–2).

À travers le prisme de la spatialité, l’espace n’est plus pensé seulement comme un « contenant neutre de fonctions » (répartition des objets ou de la présence d’un phénomène dans l’espace), mais comme une « réalité construite dans l’action spatiale et qui signifie quelque(s) chose(s) pour quelqu’un. » (l’ensemble des actions et significations à l’origine de la production spatiale) (Lévy et Lussault 2003, 867). Sans traiter explicitement les deux notions citées plus haut (spatialité et territorialité), nous tenterons, dans les chapitres qui suivent, d’intégrer leurs contenus à la nouvelle étude des sites du Malpaís : la production spatiale qui est conservée (c'est-à-dire, les vestiges architecturaux, leur

24 L’emploi du terme « milieu » est souvent ambigu. Il ne s’agit pas seulement de l’écosystème, mais d’un ensemble

défini par rapport à une activité, à un autre lieu ou à une entité sociale : « Le milieu n’existe pas en soi, il est milieu de quelque chose ou de quelqu’un » (Brunet 1993, 330). Il est influencé et transformé par un système humain et reste rarement naturel. Le terme « environnement » possède, selon son qualificatif, des nuances distinctes. Il peut être « naturel » et renvoie alors à la notion d’« écosystème », mais aussi celle de « paysage », d’« écologie ». Il peut être « physique » ou « matériel » et englobe alors « tout ce qui est construit » (Brunet 1993, 188). Dans son sens plus large, « l’environnement, synonyme de milieu, a exactement la même définition que l’espace géographique, mais du lieu dont on parle » (ibid.).

caractéristiques formelles et situationnelles) est à identifier clairement, mais ce sont les actions spatiales et les pratiques qui ont produit l’espace (et ont été produites par lui) qu’il faut tenter de reconstituer.

La notion de spatialité intègre en fait celle de territoire et de territorialité. Le Malpaís semble avoir été le lieu de la mise en place d’une nouvelle forme de vivre ensemble, dans des lieux peu occupés auparavant. Ils constituent donc en cela de nouvelles formes de territorialisation et de territorialités.

Selon les dictionnaires de géographie, on peut trouver différentes définitions du terme territoire (dont celle de Lévy et Lussault 2003, 907–910 ou de Brunet 1993, 480–481). Deux grandes significations sont données : le territoire est à la fois une maille de gestion spatiale et « un espace approprié, avec sentiment ou conscience de son appropriation ». Cette notion est donc à la fois « juridique, sociale, culturelle », mais aussi « affective » et « tient à la ‘projection’ sur un espace donné des structures spécifiques d’un groupe humain qui incluent le mode de découpage et de gestion de cet espace. » (Brunet 1993, 480). Un territoire est donc défini selon un certain nombre de valeurs, politiques et culturelles, de normes et d’activités qui contribuent à créer une identité et un sentiment d’appartenance (voire une volonté de défense du territoire reconnu). Il est établi dans la mesure des capacités techniques de ses occupants et acteurs. L’appropriation du sol, l’habitat, la circulation, l’exploitation et la gestion forment les principaux éléments de son fonctionnement. Les rapports aux territoires d’un groupe ou d’individus forment la territorialité et les processus d’appropriation, de construction de ce territoire constituent la territorialisation (Wackermann 2005).

Les agglomérations du Malpaís de Zacapu représentent un processus d’appropriation du sol majeur : il faudra se demander, au fur et à mesure de nos observations, dans quelle mesure et sous quelles formes ce processus d’appropriation traduit un nouveau phénomène de territorialisation. Comprendre l’organisation spatiale de ces établissements humains reviendra en partie à comprendre à la fois le processus de territorialisation, mais aussi la réalité de cette territorialité, et cela, à différentes échelles.

2.1.2.

L’organisation spatiale des sociétés anciennes : de l’unicité des lieux aux