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Chapitre 5. Le pôle organisationnel endogène

1. L’organisation dans la division du travail

1.1 Un enjeu de territoire et de productivité

1.11 De la complexification industrielle à la simplification du travail

« Organisation n. f. 1. Action d’organiser, de structurer, d’arranger. 2. Manière dont les différents organes ou parties d’un ensemble complexe, d’une société, d’un être vivant sont structurés, agencés ; la structure, l’agencement eux-mêmes… 3. Groupement, association, en général d’une certaine ampleur, qui se propose des buts déterminés »214.

L’étymologie latine d’organisation provient de « l’emprunt d’organum, au même sens, organicus (du grec organon, propr. qui signifie instrument (en général) » d’où « instrument de musique » et « organe du corps », organikos, de même sens que l’adj. lat.) »215. Selon ce même dictionnaire, le mot lui-même est apparu en 1791. Outre les origines étymologiques, l’organum est aussi un style musical. Il recèle, à lui seul, un sens pour le moins paradoxal ; des chants sacrés contenant au moins deux voix : une principale et une voix secondaire. Prises séparément, les voix ne sont pas coordonnées, entendues ensemble, elles dégagent une symphonie musicale. Ce paradoxe forme un tout : dans l’unité, il y a de la multiplicité qui en donne sa cohérence.

A travers les différents sens proposés par le dictionnaire, Le petit Larousse illustré (1992), plusieurs définitions sont envisageables dans le sens commun d’organisation. Le Français Henri Fayol et l’Américain Frederick W. Taylor apparaissent comme les premiers ayant justifié un système d’organisation du travail. Pourtant, Selon Stephen A. Marglin (1973), « la division sociale du travail, la spécialisation des tâches est une caractéristique de toutes les sociétés complexes et non un trait particulier des sociétés industrialisées ou économiquement évoluées […] »216. Ce constat est aussi confirmé par François Vatin (2014), qui fait écho à la fois au physicien Guillaume Amontons (1663-1705), qui évaluait le nombre de personnes qu’une machine pouvait remplacer, et à l’ingénieur militaire Charles-Augustin Coulomb (1736-1806). In fine, cela revient à établir « Le meilleur usage des forces de

214 Dictionnaire encyclopédique, Le petit Larousse illustré en couleur, Éd. Larousse, 1992, p. 703, 1750 p.).

215 Oscar BLOCH (dir.), Walter von WARTBURG (dir.), Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris : PUF, 2012, p. 448 (736 p.).

216Stephen A. MARGLIN, « Origines et fonctions de la parcellisation des tâches », in : André GORZ, Critique de la division du travail, Paris : Éditions du Seuil (Coll. « Point »), 1973, p. 48 (295 p.).

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l’homme est celui qui maximise ce rendement »217, comme le précise François Vatin. Sans être aussi formalisée, un retour dans l’histoire montre que l’enjeu d’une organisation du travail était une préoccupation déjà réelle, à l’exemple d’Evagre le Pontique et de Jean Cassien. Cette tendance s’élargira avec les moines cénobites au sein des monastères. A partir de la Révolution industrielle, l’organisation a commencé à s’imposer face à l’artisanat, où la division du travail découpait les différentes tâches à produire, alors que l’artisan en effectuait l’intégralité, ou selon ses besoins, il pouvait en sous-traiter d’autres. Le nouvel enjeu revient à découper, séquencer, spécialiser, simplifier le travail.

Le management justifie que le travail se complexifie au sein de l’entreprise, tandis qu’il se simplifie pour l’ouvrier. Les routiers y n’échappent pas, bien que la

« prolétarisation »218 dont ils ont fait l’objet ait été plus tardive que les autres ouvriers.

L’ensemble du tout perd son sens dans la chaîne de fabrication et d’assemblage, au profit de ses parties. La mécanisation est la condition même de la faisabilité productive, avec l’avantage d’en abaisser les coûts tout en améliorant son rendement. A l’inverse des artisans où les machines sont polyvalentes, elles se complexifient et se spécialisent dans l’industrie pour fabriquer en grande quantité un nombre de pièces déterminées (Touraine, 1955). Dans ce sens, Adam Smith proposait une grille de lecture selon laquelle la compétitivité d’un territoire se détermine par son industrie et part une division du travail efficace. Frederick Winslow Taylor a conçu un modèle organisationnel opérationnel qui fut d’autant plus articulé et mis en pratique aux besoins des usines Ford, dont le célèbre modèle T fut la réussite industrielle la plus marquante. Plus encore, c’est ensuite avec l’automatisation et la robotisation des chaînes qui ont permis d’assurer une production répondant à la demande et aux contraintes de place.

1.12 L’émiettement du travail comme modèle d’efficacité de production ? Si l’émiettement n’est pas propre au capitalisme, c’est néanmoins à l’aube de la Révolution industrielle qu’elle apparaît davantage : elle échappe aux travailleurs. En effet, Adam Smith (1776) met l’accent sur la subdivision du travail, qu’il illustre à partir du métier

217 François VATIN, Le travail, activité productive et ordre social, Paris : Presses Universitaire de Paris Ouest, 2014, p. 25 (117 p.).

218 Le sens de « prolétarisation » est à comprendre dans un mouvement de cloisonnement de l’action du travail sous la responsabilité d’un tiers, qui contrôle et prescrit le travail. Les routiers ont toujours été « prolétaires » au sens propre du terme, mais ils bénéficiaient d’arbitrages et de connaissances en techniques d’affrètement qu’ils ne maîtrisent plus aujourd’hui.

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d’épinglier : « de la façon dont se fait maintenant cette activité, non seulement tout l’ouvrage constitue un métier singulier, mais il est subdivisé en branches, dont la plupart constituent autant de métiers singuliers »219 (Smith, 1776|1995). L’auteur ajoute qu’« un homme tire le fil à la bobille, un autre le dresse, un troisième le coupe, un quatrième l’empointe »220. Il ressort tout à fait de ce système une nécessité fonctionnelle, dans le sens où, « la division du travail occasionne dans tout art un accroissement proportionné des facultés productives du travail »221.

Pour Adam Smith (1776), la division du travail représente trois avantages. Le premier est lié à l’habileté de l’ouvrier, car « elle accroît nécessairement la quantité d’ouvrage qu’il peut exécuter, et que la division du travail implique "une seule opération simple". » En second, « il est impossible de passer très rapidement d’un type d’ouvrage à un autre »222. Enfin, en troisième, que les machines facilitent le travail. On saisit par-là que « tout le monde sait combien l’application des machines appropriées facilite et abrège le travail »223. Dans la continuité d’A. Smith, Frederick W. Taylor fut aussi amené à penser la division du travail. En procédant comme tel, il le stratifie et instaure un modèle de contrôle managérial. En étant découpé ou parcellisé, le travail ne nécessite plus une longue période d’apprentissage. Plus tard, Pierre Naville (1956) avait déjà effectué ce constat : « pour situer ces marges, il suffit de rappeler qu’au XVIIIe siècle un métier qualifié ne pouvait être appris qu’en cinq ou sept ans.

De nos jours, les métiers qualifiés sont appris en deux ou trois ans »224.

Cette transformation d’une société polyvalente représente un paradoxe du lien social qui se comprend au travers des solidarités mécaniques et organiques chez Émile Durkheim (1893). Elle est le fruit d’une spécialisation sociale dont découle un principe d’interdépendance où la société trouve son équilibre. « La solidarité organique n’est possible que si chacun a une sphère d’action qui lui est propre, par conséquent une personnalité. [...]

Plus cette région est étendue, plus forte est la cohésion qui résulte de cette solidarité. En effet, d’une part, chacun dépend d’autant plus étroitement de la société que le travail est plus divisé,

219 Adam SMITH (1776), Enquête sur la nature et les causes de la richesse des Nations, Livres I-II, Paris : PUF (Coll. « Pratiques théoriques »), 1995, p. 6 (432 p.).

220 Ibid.

221 Ibid., p7.

222 Ibid., p. 10.

223 Ibid., p. 11.

224 Pierre NAVILLE (dir.), Essai sur la qualification du travail, Paris : Éd. Librairie Marcel Rivière et Cie (Coll.

« Recherche de sociologie du travail »), 1956, p. 73 (148 p.).

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et d’autre part, l’activité de chacun est d’autant plus personnelle qu’elle est plus spécialisée »225. La solidarité organique représente le risque de l’augmentation de l’individualisme lié à une concurrence et à une spécialisation des acteurs. C’est l’institution (mode de croyance, règles, etc.) qui régule l’équilibre à travers des rôles fonctionnels entre l’individu et la société. Au niveau organisationnel, les apports respectifs de Frederick W.

Taylor, du côté de l’organisation scientifique du travail (O.S.T.) sont un point de départ dont l’héritage est toujours significatif aujourd’hui.

1.2 La systématisation de l’émiettement l’organisation scientifique du travail de Frederick W. Taylor (O.S.T.)

1.21 La lutte à la flânerie taylorienne à l’écho de l’acédie évagrienne

Le modèle wébérien de la bureaucratie est formel et son architecture est davantage idéale-typique, où se manifeste le principe de domination selon le paradigme de l’autorité sociale. Max Weber y décèle effectivement « la chance pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus […]. En ce sens, la domination (l’autorité) peut reposer dans un cas particulier, sur des motifs les plus divers de docilité […]. Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt, extérieur ou intérieur à obéir »226. En ce qui concerne l’organisation de M. Weber, la domination légale se légitime, de par « son caractère rationnel. Elle s’est appuyée sur la croyance en la légalité des règlements, arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à la domination par ces moyens »227. Pour Frederick W. Taylor, la domination est plutôt une nécessité productive.

Son premier leitmotiv s’érige contre la flânerie. Le parallèle est très explicite quand on revient à l’acédie des moines. A cet effet, les prescriptions d’Évagre le Pontique relèvent, à traves l’hésychia, d’une véritable mise au travail. Pour Frederick W. Taylor, disposer d’une grande unité de production n’est pas suffisant, encore faut-il que son efficacité soit mesurée, analysée et améliorée. La condition sine qua non pour y arriver est de procéder à

225 Émile DURKHEIM, De la division du travail social, Introduction de Serge Paugam, Paris : PUF, 2013, p.

101 (416 p.).

226 Max WEBER, Concept fondamentaux de sociologie, Paris : Éd. Gallimard (Coll. « Tel »), 2016, p. 285 (405 p.).

227 Ibid., p. 289.

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l’homogénéisation les méthodes de travail. Norbert Alter (2008) rappelle à ce titre que « le traitement technique des difficultés identifiées représente le cœur de sa doctrine : il faut remplacer la connaissance empirique du travail par son étude scientifique pour parvenir à l’amélioration de la productivité »228. Ainsi, l’ouvrier doit appliquer un ensemble de protocoles formels et de labels. Ceux-ci font fi de toute façon de penser le travail, sous l’égide du one best way. Il en résulte d’une déshumanisation du travail : ce système « scientifique » passe à la mesure, sans considérer la mesure du sens. Michel Crozier (1963) affirmait que

« les rationalistes de l’organisation scientifique classique ne considéraient pas les membres d’une organisation comme des êtres humains, mais comme de simples rouages d’une machine »229. Dans ses fondements, le modèle taylorien repose sur cinq grandes prescriptions et d’une sixième moins explicite. Le premier est le salaire selon un principe méritocratique.

Le deuxième concerne l’homogénéité de la production. Le troisième principe repose sur deux divisions du travail ; selon qu’il y ait un corps décisionnel (division verticale), et un autre exécutant (division horizontale). Le quatrième axe est lié à la nécessité d’élaborer un système de règles. Puis, en cinquième, selon une orientation très fonctionnaliste, il impose une qualification face aux besoins des tâches qu’ils auront à produire. Un sixième point peut être cité, de façon plus marginale, par la nécessité de l’intégration immédiate de l’O.S.T. dans une manufacture.

1.22 Les cinq principes du modèle de l’organisation scientifique du travail Le premier principe taylorien était l’institutionnalisation d’un salaire méritocratique.

Selon Roger Sue (1994), « il est une composante fondamentale de la mise en œuvre du système technique et de son exploitation maximale. Selon la doctrine de Taylor, le temps est lui-même considéré sous un angle technique ; traité comme objet technique, le temps est susceptible d’être parfaitement organisé, rationalisé et mis en équation selon la règle du One best way »230. Plus l’ouvrier produit, plus il sera rémunéré. Cela a une conséquence : en plus d’être divisé, le travail est atomisé et quadrillé. Quant à la difficulté sous-jacente qu’il puisse représenter, rien n’est évoqué à ce sujet. Le contrôle social au sein de l’atelier est alors à son apothéose : les ouvriers doivent rendre compte à leurs supérieurs de leur productivité journalière. Pour Frederick W. Taylor, le niveau de production par l’incitation doit éviter

228 Norbert ALTER, (sous la dir. de) Sociologie du monde du travail, Paris : PUF, 2008, p. 9 (356 p.).

229 Michel CROZIER, Le phénomène bureaucratique, Paris : Éditions du Seuil, 1963, p. 202 (413 p.).

230 Roger SUE, Temps et ordre social, Paris : PUF (Coll. « Le sociologue »), 1994, p. 70 (313 p.).

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qu’un « bon ouvrier » ne soit pas tenté d’être nivelé par le bas, par la faute d’un « mauvais » collègue. Mais, au-delà de la négation du travail en lui-même, c’est aussi l’adversité et la dualité qui émergent entre ouvriers, la méfiance, la suspicion231 :

« 49. Cette tendance commune d’en prendre à son aise s’accroît lorsqu’on met un certain nombre d’ouvriers ensemble sur un travail similaire et qu’on les paye à un tarif uniforme. 50. Dans ce système, les meilleurs ouvriers ralentissent, graduellement mais sûrement, leur vitesse jusqu’à celle des ouvriers les plus mauvais et les moins productifs. Quand un homme naturellement énergique travaille pendant quelques jours à côté d’un paresseux, il est amené logiquement au raisonnement sans réplique suivante : Pourquoi travaillerai-je plus que ce fainéant qui gagne autant que moi et qui produit moitié moins ? »232 (Frederick Winslow Taylor, 1911|1990, p. 41).

Le second principe découle du premier : il faut que tout les travailleurs produisent de façon homogène et à la même vitesse. Dès lors, les managers ne sont pas les seuls à contrôler les ouvriers, particulièrement où l’un d’entre eux serait moins performant. Ils se contrôlent entre eux, les failles de l’un se répercuteront sur les autres. Le point d’orgue du modèle s’articule selon le postulat que tout le monde puisse travailler à la même vitesse. Les ouvriers ont bel et bien une contrainte supplémentaire, la cadence et la productivité :

« 92. […] L’élément le plus important pour le patron comme pour les ouvriers, à savoir la vitesse à laquelle se fait le travail, est sujet à variations au lieu d’être dirigé et contrôlé intelligemment… 94. En se basant sur une connaissance précise du temps, on peut arriver à des résultats étonnamment élevés, avec tous les systèmes d’organisation depuis le travail à la journée. Il est indiscutable que ce dernier même, s’il repose sur cette base, se montrera beaucoup plus satisfaisant qu’aucun des systèmes en usage courant qui repose sur le principe de la flânerie. » (Frederick Winslow Taylor, op. cit., p. 47).

Frederick W. Taylor démontre la preuve de son système dans un atelier ; la Bethlehem Steel C° – les ouvriers devaient décharger des wagons pour recharger leur contenu dans des fourneaux. Le temps est un atout pour l’ingénieur, dans la mesure où c’est l’un des aspects scientifiques de son modèle :

« 133. Ce que l’auteur désire surtout établir, c’est que tous les systèmes reposent sur une étude précise et scientifique des temps élémentaires […]. Grâce à cette étude, on peut atteindre des résultats meilleurs et plus durables, même dans les conditions

231 Frederick Winslow TAYLOR & al, Organisation du travail et économie des entreprises, (Textes choisis et présentés par François VATIN), Paris : Les Éditions d’organisation, 1990, p. 61 (203 p.).

232 Chacune des règles que Frederick W. TAYLOR exposa était précédée d’un numéro qui indiquait son classement dans l’ouvrage.

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ordinaires de travail à la journée et aux pièces […]. » (Frederick Winslow Taylor, op.

cit., p. 54).

Dès lors où la productivité est mesurée, elle peut être bonifiée, ou au contraire, l’ouvrier ne pourra recevoir son « acompte complet » s’il ne parvient pas à son quota requis :

« 161. […] Chaque ouvrier reçoit automatiquement et journellement un supplément de salaire en cas de succès complet, ou subit une perte en cas d’insuffisance, même légère ». (Ibid., p. 61).

Et ceci prend en considération toutes les mesures nécessaires à la production, comme il le justifie lui-même :

« 162. […] En aucun cas cependant, on ne devra essayer d’appliquer ces principes sans avoir fait au préalable une étude précise et complète du temps pour tous les facteurs intervenant dans la tâche journalière. (Ibid., p. 61).

Le troisième propose une division du travail, décisionnelle d’une part, et des tâches d’autre part, l’un ne se confond jamais avec l’autre. De par cet émiettement du travail233, (Friedmann, 1956), les postes se spécialisent. La vision « scientifique » de Frederick W.

Taylor est très proche d’un système organique, dans la mesure où il distingue celui qui doit décider, et celui qui doit faire, tel un cerveau et ses organes. Les organes eux-mêmes sont spécifiques à une tâche précise et circonscrite, sans chevauchement :

« 154. […] Dans le cas d’un atelier de construction mécanique faisant des travaux variés, pour assigner journellement à chaque ouvrier une tâche soigneusement mesurée, il faut un service spécial de répartition du travail, établissant la tâche de chacun au moins un jour d’avance. Tous les ordres doivent être donnés aux ouvriers en détail et par écrit, et afin de fixer la besogne de la journée suivante et d’organiser la marche complète des travaux de l’atelier, les agents du service de répartition doivent recevoir les ouvriers des rapports journaliers indiquant exactement ce qui a été fait.

(Ibid., pp. 57-58).

155. […] On ne doit pas perdre de vue que, sauf l’étude des temps élémentaires, il n’est guère de travail à faire dans le service de répartition qui ne se fasse déjà dans l’atelier… (Ibid., p. 58).

156. […] Aujourd’hui, les services techniques sont centralisés au Bureau des études, comme l’organisation moderne se concentre dans le service de répartition »… (Ibid., pp. 58-59).

233 Georges FRIEDMANN, Le travail en miettes, spécialisation et loisir, Paris : Éd. Gallimard, 1956, 347 p.

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Le quatrième principe impose un système de règles, de protocoles de façon à standardiser les comportements. En disciplinant les ouvriers, l’unité de production tire un gain de productivité. D’ailleurs, ceci n’est en rien contradictoire avec l’homogénéisation de la production. Tout au contraire, il permet de limiter l’arbitraire de chaque travailleur. En étant prescrite, l’organisation du travail est de nature autoritaire. « Cette organisation est absolument nécessaire si l’on veut réussir à fixer des tâches journalières assez larges et pouvant être faites avec certitude »234 (Taylor, 1911). La réglementation est pour Taylor la source « d’énormes profits dans l’économie d’exploitation »235.

Le cinquième émet une contradiction, Frederick W. Taylor insiste sur le niveau de qualification de l’ouvrier, il doit être compétent dans le travail qu’il accomplit. L’organisation est liée à l’interchangeabilité des ouvriers, quand dans d’autres cas, le travail peut demander certains talents spécifiques. Frederick W. Taylor admet que le travail fasse l’objet d’une négociation avec les ouvriers, entre eux, et aussi avec leur hiérarchie. Il a néanmoins conscience que la compétence des ouvriers passe par un apprentissage progressif, pour maintenir au maximum l’attention des ouvriers. Cependant, que ça soit Adam Smith, et plus encore chez Frederick W. Taylor ou Henry Ford, la question de la culture générale et scolaire est peu discutée. Inversement, selon Georges Friedmann (1963) la formation doit faire l’objet d’un équilibre entre deux éléments : culturels et techniques. Le premier est lié à « l’écueil du danger de l’abstraction » d’un côté, en raison de l’éloignement de la formation technique aux

« réalités de l’entreprise. » Le second est lié à l’écueil de l’emprise de l’enseignement en atelier, qui « ne peut prétendre se hausser à la dignité culturelle du second degré, et moins encore du supérieur »236. L’auteur ajoute que « la formation ne doit céder à une conception mesquine, purement étriquée, purement utilitaire de l’apprentissage […] d’autre part, céder à une tendance trop scolaire. […] C’est entre ces deux écueils qu’il doit rechercher aujourd’hui, en France, à réaliser le plus possible sa double mission, économique et humaine »237 :

159 … Il est de pratique universelle d’assigner chaque jour une leçon définie, commençant à telle ligne de telle page et finissant à telle autre, et l’on obtiendra le maximum de progrès quand on fixera une heure ou une période précise d’étude dans

234 Frederick W. TAYLOR, Organisation du travail et économie des entreprises, op. cit., p. 87.

235 Ibid., p. 90.

236 Georges FRIEDMANN, Où va le travail humain ? Nouvelle Édition revue et augmentée, Paris : Éd.

Gallimard (Coll. « NRF »), 1963, p. 293 (446 p.).

237 Ibid., p. 294.

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laquelle la leçon doit être apprise. Pendant une grande partie de leur existence,

laquelle la leçon doit être apprise. Pendant une grande partie de leur existence,