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2. Les conditions d’octroi de la réduction de peine

2.2 L’observation des conditions des permissions de sortir

La réduction de peine n’est pas que tributaire du respect de la discipline et des directives de l’établissement de détention : elle est aussi liée au respect des conditions d’une permission de sortir 82. Pourtant, le règlement d’application de la Loi sur le système

correctionnel du Québec ne comporte aucune disposition pour traiter de cet aspect. De

surcroît, un document administratif du ministère de la Sécurité publique va à l’encontre de cette disposition, elle empêche toute sanction, outre le retour en détention, consécutive à la révocation ou à la cessation d’une permission de sortir, et ce, peu importe le type de permission de sortir83 :

« Le retour à l’établissement, découlant d’une décision de révoquer ou d’ordonner la cessation d’une permission de sortir, constitue en soi une pénalité pour la personne détenue. Le fait de ne pas respecter une condition de la permission de sortir ne constitue pas un manquement à la discipline. Par conséquent, le comité de

discipline n’a pas juridiction pour examiner et se prononcer sur une telle situation »84.

82 Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art. 38.

83 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Direction du développement et du conseil

en services correctionnels : normalisation-standardisation, Règles de pratique-permissions de sortir, vol. 2, secteur 1, section I, pièce 07, 2008, p. 23.

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Un autre document administratif, le Guide de calcul des peines, confirme que la réduction de peine est accordée pour le temps passé en permission de sortir, même quand celle-ci est interrompue par suspension, ou terminée par révocation ou cessation85. Ces dispositions

administratives contreviennent non seulement aux dispositions législatives de la Loi sur le

système correctionnel du Québec, mais aussi à celles de la loi fédérale habilitante en

matière de réduction de peine86. Une directive se doit de respecter les lois en vigueur, elle

ne crée pas d’obligation normative ; de plus, elle ne peut dispenser l’autorité administrative d’une obligation qui lui est attribuée par la loi87. Ainsi, la Loi sur les prisons et les maisons

de correction trace les qualifications nécessaires pour l’obtention de la réduction de peine,

mais elle n’établit pas de fonction discrétionnaire laissant le choix aux provinces de lier ou non l’attribution de la réduction de peine à ces exigences88.

De même, la directive empêchant l’application de sanctions consécutives à un échec en permission de sortir comporte une certaine incohérence face aux dispositions règlementaires de la Loi sur le système correctionnel du Québec, et même une inconsistance tout court. Le fait de désigner « pénalité » le retour en détention découlant de la contravention ou de l’incapacité à se conformer à une permission de sortir, et d’enlever la juridiction du comité de discipline parce que ledit retour n’est pas un manquement à la discipline, laisse place à plusieurs commentaires. D’abord, il y a lieu de comprendre que cette directive énonce qu’une pénalité est appliquée, la réincarcération, mais sans attribuer de manquement disciplinaire. Ensuite, le Règlement d’application de la

Loi sur le système correctionnel du Québec inclut dans les manquements aux

responsabilités de la personne incarcérée, le refus de se conformer aux règlements et aux directives de l’établissement89 : le non-respect d’une permission de sortir octroyée par la

85 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Direction générale des services

correctionnels, Guide de calcul des peines-emprisonnement, 2007, p. 3 ; précisons que lors de la suspension d’une permission de sortir, la seule période où la réduction n’est pas créditée est le laps entre la suspension et le retour en prison quand la décision subséquente est de révoquer la permission de sortir.

86 Loi sur les prisons et les maisons de correction, L.R.C., c. P-20, art. 6.

87 Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale, précis de droit des institutions administratives, 3e éd., 2009, Cowansville, Yvon Blais, p. 109, 654 et 656.

88 Loi sur les prisons et les maisons de correction, L.R.C. 1985, c. P-20, art.6.

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direction de l’établissement est un manquement90. Et, le Comité de discipline a pour

fonction de statuer sur la situation d’une personne incarcérée qui a manqué à ses responsabilités : le refus de se conformer aux règlements ou aux directives de l’établissement figure dans les manquements aux responsabilités imputées à la personne incarcérée91. Aussi, un manquement peut faire l’objet d’une ou plusieurs sanctions92, ce

qui, en supposant que la réincarcération soit une sanction en elle-même, permet l’application d’une autre sanction comme la non-attribution ou la déchéance de jours de réduction de peine. Finalement, la directive s’arroge le droit d’empêcher l’exercice du comité de discipline pour les personnes réincarcérées après avoir failli à leurs responsabilités : cela contrevient à la disposition législative qui énonce les fonctions du comité de discipline93. Les directives administratives indiquent une pratique qui fait de la

réduction de peine un automatisme quand la personne contrevenante bénéficie d’une permission de sortir : elle continue d’accumuler la réduction de peine, peu importe la qualité du déroulement de ce privilège, tant que ce privilège est en vigueur. Cette mesure ne soulève pas d’illégitimité tant que le déroulement du privilège est positif, mais quand survient un bris de condition en permission de sortir, la cohérence du système d’attribution de réduction de peine est ébranlé : le contrevenant n’est passible d’aucune sanction94, il

conserve sa réduction de peine, peu importe le manquement. Par contre, un autre privilège, la libération conditionnelle, qui survient plus tard dans le déroulement de la peine, rend son titulaire susceptible de perdre la réduction de peine accumulée au moment de la prise

90 Dans le cas des permissions de sortir octroyées par la Commission québécoise des libérations

conditionnelles, Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art. 135, il faut convenir que la référence aux directives de l’établissement devrait faire l’objet de précisions advenant le fait de considérer une réincarcération découlant d’une permission de sortir non-complétée comme un manquement.

91 Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art. 41 et Règlement d’application de la Loi sur le système correctionnel du Québec, c. S-40.1, r.1, art. 68 al. 80.

92 Règlement d’application de la Loi sur le système correctionnel du Québec, c. S-40.1, r.1, art. 74. 93 Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art41.

94 La qualification de pénalité attribuée à la réincarcération par la directive précitée est très discutable. La

réincarcération à la suite de la suspension et de la révocation d’une permission de sortir est l’application des mesures prévues par la loi, Loi sur les prisons et les maisons de correction et Loi sur le système correctionnel

du Québec, donc, l’application de dispositions d’aménagement de la peine prononcée par le juge; le fait de

lier la réincarcération à une autre pénalité interfère avec la notion de poursuite de l’application de la peine ; la réincarcération ainsi engendrée n’est pas une pénalité supplémentaire, elle est une application du processus d’attribution du privilège qui avait été consenti en échange du respect de règles et qui est retiré selon les normes prévues par la loi.

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d’effet de la libération conditionnelle, si cette dernière est révoquée95. La logique pénale

est mise à mal par l’absence de mesure pour sanctionner un manquement à un privilège, tandis qu’il en existerait pour un manquement à un privilège d’un autre type. Ainsi, une personne qui se voit accorder une permission de sortir, qui est révoquée, est réincarcérée tout en ayant conservé ses jours de réduction de peine et sans risquer de les perdre du fait de son manquement en liberté. Un peu plus tard, pendant la même peine d’emprisonnement, cette même personne, qui se voit accorder la libération conditionnelle, perdra tous ses jours de réduction de peine, si sa libération conditionnelle est révoquée96.

Cet illogisme ne découle pas de la rédaction de la loi habilitante, mais de la manière dont elle est appliquée. Suivant les directives administratives, l’attribution de la réduction de peine est automatique et rien ne peut l’annuler pendant la permission de sortir; pendant la détention, la réduction de peine n’est pas complètement automatique : un défaut disciplinaire peut entraîner son annulation ou sa non-attribution.

En résumé, le régime de directives administratives en matière de permission de sortir en vigueur dans les établissements correctionnels du Québec contrevient à deux lois, la Loi

sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le système correctionnel du Québec97. Il faut aussi considérer que le règlement d’application de la loi en vigueur en

matière correctionnelle au Québec omet de traiter du lien entre la réduction de peine et le respect des conditions d’octroi des permissions de sortir, ce qui ne remplit pas l’habilitation déléguée en ce sens98. Donc, ces directives administratives s’inscrivent dans une situation

95 Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art.164 et Loi sur les prisons et les maisons de correction, L.R.C. 1985, c. P-20, art. 6(4.1).

96 Précisons que la Commission québécoise des libérations conditionnelle a le pouvoir de redonner en tout

ou en partie ces jours de réduction de peine, Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1., art.164.

97 Loi sur les prisons et les maisons de correction, L.R.C. 1985, c. P-20 ; Loi sur le système correctionnel du Québec, L.R.Q., c. S-40.1.

98 « Loi sur les prisons et les maisons de correction, L.R.C. 1985, c. P-20, art. 6. (1) :

« Sauf en cas de peine d’emprisonnement infligée à titre de sanction d’un outrage au tribunal en matière civile ou pénale lorsque le prisonnier est tenu par une condition de sa sentence de retourner devant ce tribunal, tout prisonnier, sous réserve du paragraphe (7.2), se voit accorder quinze jours de réduction de peine pour chaque mois au cours duquel il observe les règlements de la prison et les conditions d’octroi des permissions de sortir et participe aux programmes, à l’exception de la libération conditionnelle totale, favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, comme le

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où la province n’a pas terminé son travail, et viennent pallier, maladroitement, une règlementation lacunaire. L’instrument administratif qui devrait être un guide laissant place à la souplesse de l’exercice décisionnel se trouve ici à déraper et à imposer un dictat « d’aucune mesure »99. Cette situation est discordante avec la volonté de la loi habilitante

et les actions administratives sont soumises à cette loi100.

Si le comité de discipline n’était pas le guichet unique pour l’attribution de la réduction de peine en milieu carcéral, les dispositions administratives prévues pour empêcher la sanction suite à une révocation de libération conditionnelle seraient envisagées autrement. Ainsi, l’existence d’une autre instance, comme un comité de réduction de peine agissant de manière distincte du comité disciplinaire, pourrait statuer sur la réalisation des programmes institutionnels ou communautaires (par exemple le déroulement d’une permission de sortir).