• Aucun résultat trouvé

L’objet de la création : le monde et ses composants

Chapitre I : La modalité de l’agir divin

1. Dieu crée le monde ex nihilo

1.2. L’objet de la création : le monde et ses composants

Un survol de certains passages du Zubda et des épîtres permettent de dire que ‘Ayn al-Quḍāt a accepté, d’une façon sommaire, quelques-uns des principes de la vision aristotélicienne des mondes supra et sublunaires, en les ordonnant selon la hiérarchie émanationniste. L’épineuse question de l’éternité temporelle du monde, abordée au chapitre 51 du Zubda, lui offre l’occasion de traiter de l’architecture cosmique, puisque dans une tentative de résoudre ce problème, il essaye de circonscrire le sens du mot « monde » (‘ālam) :

La parole de celui qui dit “le monde est éternel temporellement” est une erreur absolue. Lorsque l’on demande à cette personne : “qu’est-ce que tu entends par monde ?” Soit elle répond : “j’entends par ce [mot] tous les corps, comme les cieux (al-samāwat) et les principaux [corps élémentaires] (al-ummahāt)” ; soit elle dit : “j’entends par ce [mot] tout existant autre que Dieu, le Très-Haut”. Dans ce [dernier] cas les intellects, les âmes et les corps, tous sont compris dans [le sens du] mot “monde”431

.

Mettons instantanément de côté le problème de la temporalité et de l’éternité du monde qui seront abordés dans le chapitre suivant et focalisons-nous sur ce qu’il définit comme constitutif du monde. Les deux définitions qu’il donne pour circonscrire le contenu sémantique de ce mot s’inscrivent dans la conception cosmologique propre à l’aristotélisme de la tradition arabe : le monde compris comme l’ensemble des corps, ces derniers se divisant entre corps célestes et corps élémentaires de la sphère sublunaire. Qu’il emploie délibérément un mot vague, ummahāt, pour désigner les quatre corps élémentaires, ne doit pas nous détourner de son intention, car comme nous allons le voir, il en parle explicitement ailleurs432. Sa deuxième définition, quant à elle, clarifie mieux l’adoption de la hiérarchie cosmique de l’aristotélisme islamique433

. En plus des corps, le monde comprend les intellects et les âmes

431 Zubda, 55, 5-8.

432

Voir par exemple Nāme-hā, I, 202, 11-12 : « l’homme et la pierre partagent le fait qu’ils sont tous les deux composés de quatre éléments (čahār ‘onṣor), mais l’homme ne le partage pas avec l’eau, car il est composé alors que l’eau est simple ».

433 Notons la ressemblance et la dissemblance de cette définition avec la définition typique des mutakallimūn. Pour les mutakallimūn, les fervents défenseurs de la doctrine de la création, le monde comprend « tout existant,

174

s’étalant sur les deux niveaux supra et sublunaires. La distanciation avec la classification ontologique du kalām qui ne laisse pas de place aux entités corporelles et non-accidentelles est plus qu’évidente. Un passage de l’épître 94 où il rejette l’existence des atomes isolés occupant de l’espace, confirme encore la distance qu’il prend par rapport à l’atomisme corpusculariste de certains mutakallimūn434

.

excepté Dieu » et selon leur conception atomiste du monde physique, ces existants sont des atomes, des corps et des accidents. Voir Bāqillānī, Tamhīd,22, 4-5 : « la totalité du monde, céleste et terrestre, ne sort pas de ces deux genres [d’existants] : les substances atomiques et les accidents » ; Ġazālī, Iqtiṣād, 24, 7-8 : « Nous entendons par monde tout existant excepté Dieu, le Très-Haut, et nous entendons par tout existant excepté Dieu, le Très-Haut, tous les corps et leur accidents ». Nous verrons que ‘Ayn al-Quḍāt suit les mutakallimūn dans la première partie de leur définition, « tout existant, excepté Dieu », mais qu’il s’en distingue, en supposant que ces existants sont les corps, les accidents, les âmes et les intellects. S’opposant à l’ontologie du kalām, il rend possible ainsi, l’existence des êtres incorporels tels que les âmes et les intellects.

434 Voir notamment Nāme-hā, II, 285, 15-26; 286, 1-4 : « Selon la doctrine des anciens, la substance isolée (ğawhar-e fard) est un existant, et ils en comprennent un sens correct. Si quelqu’un, par son ignorance, y réfléchit, il affirmerait [l’existence d’] une substance isolée qui occupe de l’espace (motaḥayyez/mutaḥayyiz) et qui ne se divise pas. Or, cette substance isolée, avec cette qualité, est impossible. Ce genre d’erreur, dans la doctrine des anciens, est abondant et il est dû aux malentendus ». ‘Ayn al-Quḍāt n’explique pas ici le « sens correct » que peut avoir une « substance isolée », mais nous pouvons déduire que s’il rejette la substance isolée dans le sens d’un atome occupant l’espace, il peut l’accepter dans le sens de point géométrique, comme un passage de son Tamhīdāt pourrait le suggérer : « le premier rang qui est la vérité des vérités se constitue de l’un qui n’a pas de multiplicité, ni en puissance ni en acte. Ceci est comme un point et il est l’essence du créateur, le Très-Haut, et c’est ce que nous appelons ‘l’atome isolé’. Ce point n’est ni divisible ni n’accepte la division. Il est exempt de toute sorte de multiplicité, qu’elle soit par existence, possibilité, puissance ou acte. Il est un est l’essence de créateur, le Très-Haut ». Tamhīdāt, 337, 10-13. Outre l’aspect géométrique, on reconnaît un fondement mathématique derrière l’identification de Dieu avec le point qui sont tous les deux uns. C’est la tradition mathématique qui n’admet pas « un » comme un nombre, puisque le nombre est une quantité alors que « un » ne l’est pas. Voir ce qu’en dit Kindī dans son Fī l-falsafa al-ūlā’ : « Si d’autre part un est un nombre, et qu’il n’y a rien de moindre que l’unité, alors un est le moindre absolu. Mais cette opinion n’est pas vraie car si nous disons “un est un nombre”, il est sûr que nous nous entachons d’une abomination monstrueuse. En effet, si

un est un nombre il est une certaine quantité, et si un est une quantité, alors le propre de la quantité s’y attache

inséparablement : je veux dire qu’il est égal et inégal. Si donc un a des uns dont certains lui sont égaux et certains ne le sont pas, alors un se divise puisque le plus petit un mesure le plus grand un ou mesure sa part, et qu’ainsi le plus grand un a une part et donc se divise. Or l’un ne se divise pas : donc sa division existe et n’existe pas, cela es absurde et ne se peut pas et un n’est donc pas un nombre », Fī l-falsafa al-ūlā’, dans Œuvres

philosophiques et scientifiques d’al-Kindī, p. 73(texte arabe), p.72 (tr.). Nous trouvons l’écho de cette idée dans

un passage du Maqṣad al-asnā’ de Ġazālī que ‘Ayn al-Quḍāt a certainement consulté. Le passage porte sur le nom divin « un » : « L’un est celui qui ne se divise pas et qui n’a pas de semblable. Ce qui ne se divise pas, est comme un atome (al-ğawhar al-wāḥid) qui ne se divise pas. On dit alors qu’il est un, dans le sens où il n’a pas de partie. De même est le point qui n’a pas de partie. Dieu, le Très-Haut, est un, dans le sens où la supposition d’une division dans Son essence est impossible », Maqṣad, 144, 3-5. Ainsi, ce qu’est Dieu sur le plan métaphysique, le point l’est dans le domaine géométrique et le un l’est dans une perspective mathématique. De cela, nous concluons que ‘Ayn al-Quḍāt accepte une certaine forme de l’atomisme géométrisant, semblable à ce qui est attesté chez les Bahšamites, alors qu’il rejette l’atomisme corposculariste des Aš‘arites. Cela toutefois ne signifie pas que l’atomisme soit sa doctrine physique de prédilection. Pour l’exemple de l’atomisme géométrisant, voir Ibn Mattawayh, al-Taḏkira fī aḥkām al-ğawāhir wa-l-‘arāḍ, I, 75: « selon nous, le corps, dans sa division, aboutit à une limite qui n’accepte pas la division et cela est la plus petite des mesures. […] Le šayḫ Abu al-Qāsim [al-Ka‘bī] a relaté des premiers [mutakkalimūn] qu’il y a là un angle à partir duquel aucune chose ne serait plus petite, de manière que des lignes pourraient passer par là, et cela indique l’affirmation de l’existence de l’atome, sinon il aurait été nécessaire que de tous les angles les lignes puissent passer. Euclide a exprimé dans son livre que le point n’a pas de partie et que la distance depuis le centre du cercle vers sa circonférence est pareille dans toutes les directions. Si la partie [l’atome] était divisible, il y aurait là des distances infinies ». Comparez cet atomisme géométrisant avec l’atomisme corpusculariste de Ğuwaynī, pour qui l’atome est avant tout une unité minimale corporelle qui occupe de l’espace. Voir Šāmil, 157, 4-6 : « Nous disons : l’occupation de l’espace fait partie des attributs essentiels [de substance atomique]. Il existe plusieurs

175

L’ordre décroissant de la cosmogonie émanationniste est exprimé au cours du chapitre 57 de Zubda, dans lequel il explique la modalité de la procession d’une multiplicité d’existants à partir d’un existant simple et unique :

L’existence est premièrement émanée à partir de Dieu, qu’Il soit exhaussé et glorifié, sur le premier existant qui, parmi les anges et tous les existants, est le plus proche de Dieu, selon le point de vue de l’intellect. Il semble que l’« esprit » mentionné dans ce verset est une allusion à lui: « Au jour où l’Esprit et les Anges se tiendront debout, sur un rang» (78 : 38). L’existence de cet esprit était une condition qui complétait la disposition d’une autre chose pour recevoir la lumière de la puissance prééternelle. Alors, la disposition de cette chose dépendait de la condition de l’existence de l’esprit, de la même manière que la disposition de l’esprit ne dépendait d’aucune condition. Ensuite l’existence de ce deuxième [existant] est une condition pour l’existence du troisième [existant]. […] Cela te suffit pour [savoir] la qualité d’émission des existants multiples à partir de l’Un qui est le Vrai435.

Le premier intellect a le rang le plus élevé dans cet univers construit sur un modèle émanationniste. ‘Ayn al-Quḍāt le remarque dans d’autres endroits de ses écrits436

. Comme le veut la philosophie islamique, le premier intellect est identifié à l’ange coranique. Il l’appelle parfois le « grand esprit » (rūḥ-e a‘ẓam) et il est possible que par l’expression « ceux qui portent le Trône », il désigne le même intellect437. Il identifie également les âmes célestes et les anges, comme nous le verrons plus tard438. Toutefois, déviant de l’émanationnisme des philosophes, il refuse de faire du premier intellect une cause qui ferait exister son sphère, l’âme de son sphère et l’intellect de la sphère inférieure. Conformément à sa théorie causale exclusiviste, l’intellect n’est qu’une condition qui prépare les autres existants pour recevoir le

preuves de cela : l’une d’elles c’est que le sens de ce qui occupe de l’espace (al-mutaḥayyiz) chez nous c’est le corpuscule (al-ğirm). Son être étant un corpuscule ne diffère pas, même si ses accidents de localisation et ses [autres] accidents diffèrent ». Voir aussi M. Rashed, “Natural Philosophy”,p.292: “For the first time in the long history of atomism, an atomist appeals to the Euclidean definition of the point as his authority. This means not only that corpuscularism, as we have seen, is more or less abandoned in favor of an atomism of position, but also that a new articulation of ‘physics’ and geometry comes to the fore. For mathematical realities are no longer secondary qualities of the sensible, that is, properties of the sensible objects only insofar as they are grasped through imaginative abstraction. Now, they become directly constitutive of the sensible world”. Voir également M. Rashed, Commentary on Aristotle De generatione et corruptione pp. 95-97.

435 Zubda, 63, 16-18 ; 64, 1-9.

436 Voir Nāme-hā, I, 316, 6-7 : « Entre Lui (i.e., Dieu) et le premier intellect, qui est le premier créé (maḫlūq-e

avval), le temps est infini ». Ibid., 318, 3-6 : « Il faut que le chemin entre Lui (i.e., Dieu) et le premier intellect

qui est le plus noble des existants, et le plus proche à Sa perfection, soit infini, parce que le Vrai est nécessaire et le premier intellect est possible, et que le nécessaire par son essence est le Vrai et le possible est le néant (bātel/bāṭil) et que du néant au vrai, le chemin est infini ».

437

Pour l’appellation « grand esprit », voir le chapitre sur la causalité ; pour « porteur de Trône », voir Nāme-hā, II, 402, 5-7 : « Dans tout mouvement et tout repos que tu effectues, tu n’es pas indépendant de l’existence de tout ce qui existe dans les cieux et sur la Terre, et les anges terrestres et célestes et les porteurs de trône ». Voir aussi R. Frank, Creation and Cosmic System, p. 44 : « it is apparently the intellect which is the first of created causes that he refers to metaphorically in Iḥyā’, IV, pp. 118f. as “the porters of the Throne”. Creation and Cosmic

System, p. 46: “The inference that al-Ghazâlî uses the plural expression ‘ḥamalatu l-‘arsh’ in Iḥyā’ 4, pp.117f. to

indicate a single celestial being, as he apparently refers to the agent intellect as ‘the High Council’ in Mîzân, p. 45, is plausible, but by no means wholly certain.”

438 Voir par exemple Šifā’, Ilāhiyāt, 435, tr. Anawati, II, p. 169 : « Le premier degré, c’est celui des Anges spirituels exempts [de matière], appelés Intelligences : puis les degrés des anges spirituels appelés âmes ».

176

flux divin de l’existence. Il ne les fait point exister. ‘Ayn al-Quḍāt n’explicite pas davantage la nature des autres existants qui se situent aux rangs inférieurs et se contente de les désigner simplement par des nombres. Mais dans le chapitre 58 du Zubda, il révèle un peu plus la structure du monde céleste :

Dire qu’« entre le Nécessaire qui est le Vrai et le premier ciel, qui est la sphère d’al-aṭlas ne sont intermédiaires que trois anges, l’un d’entre eux étant spirituel (rūḥānī) et les deux autres étant chérubins (karrūbiyān) », est un jugement d’opinion et incorrect. Peut-être qu’il y a entre eux mille intermédiaires, voire plus que ça. Selon les maîtres de la connaissance, cela constitue la vérité. Certes, lorsque les savants dans leur ascension jusqu’au Premier, en déduisant du mouvement de la première sphère, n’ont reconnu que ces trois [intermédiaires], ils n’ont forcément cherché que ces trois [intermédiaires] dans leur descente. Cela est certainement opiniâtre et il n’est pas permis que l’on se contente de ce genre de choses dans les sciences spéculatives. Notre propos « les intermédiaires entre le Nécessaire et la première sphère sont nombreux » est la vérité. Les adeptes de la connaissance l’ont aperçu, non pas par la voie de l’argumentation mais par une autre voie, même s’il est possible d’en parler par la voie de l’argumentation. Comme il dépend de l’ouverture de l’œil de la connaissance dans le tréfonds [de l’homme], il n’est pas possible d’en parler. Nous en avons averti, tant que nous avons pu, dans la mesure où il était possible [d’en parler] d’une manière compréhensible pour l’intellect. Ce qui aide l’intellect à l’affirmer est de réfléchir répétitivement aux étoiles qui sont dans la huitième sphère désigné par le « Trône », dans le langage religieux439.

Le monde supralunaire est conçu en conformité avec l’astronomie islamique qui s’enracine dans la vision ptoléméenne de l’univers. Il est constitué de la sphère la plus haute, que ‘Ayn al-Quḍāt désigne, suivant les philosophes, le falak al-aṭlas (le primum mobile), ensuite de la sphère des étoiles fixes, et les sept sphères des planètes, le soleil et la lune. Les anges spirituels et chérubins sont des équivalents coraniques pour les âmes célestes et les intellects séparés440. Notre auteur a ainsi accepté la structure triadique des sphères, qui, pour les philosophes, sont composées d’un intellect, d’une âme et d’un corps. La critique qu’il adresse aux adeptes de la doctrine de l’émanation, tout en étant intéressante, semble obscure. Il met l’accent sur le rôle des étoiles fixes, situées dans la huitième sphère, que l’on appelle également le Trône, en tant qu’intermédiaires entre Dieu et la sphère de l’aṭlas. Selon lui, dans un mouvement ascendant, on reconnaît trois entités cosmiques, dont l’une est une âme céleste (l’ange spirituel) et les deux autres, deux intellects séparés (les anges chérubins) de la sphère désignée comme le Trône et la sphère de l’aṭlas. Pour lui, les étoiles fixes doivent également être comptées parmi les intermédiaires441.

439 Zubda, 64, 13-18 ; 65, 1-6.

440

Voir Ġazālī, Maqāṣid, Ilāhiyāt, 98, 3-4: “ discours sur les âmes et les intellects, desquels on parle en tant qu’anges spirituels cosmiques (al-malāika al-rūḥānyya al-samāwyya) et chérubins (al-karrūbyyūn) ».

441 La raison entraînant cette erreur, selon lui, est que les adeptes de la doctrine de l’émanation, ont déduit du mouvement de la sphère trois entités cosmiques : une âme céleste qui est cause directe du mouvement de la sphère, l’intellect de la sphère supérieure et celui de la même sphère qui sont des causes finales de ce

177

Le point curieux dans sa description cosmologique est l’absence de l’intellect agent. Nulle part dans ses écrits existants ‘Ayn al-Quḍāt ne le mentionne. Même dans l’épître 63 où il énumère, semble-t-il, toutes les causes secondaires et les intermédiaires célestes, l’intellect agent est absent :

Sache que le mûrissement qui apparaît dans le fruit, durant un temps, possède plusieurs causes (asbāb) : il faut la terre, l’eau, l’air, l’éclairage du soleil et de la lune et l’alternance du jour et de la nuit. Ceux-ci constituent les causes apparentes que tout le monde connaît. Or, il faut d’autres causes qui sont ignorées de tout le monde, à savoir Saturne, Jupiter, les étoiles fixes, les sept sphères, le Siège (korsī/kursī) et le Trône (‘arš)442.

Le Trône et le Siège sont des mots d’origine coranique pour renvoyer respectivement aux neuvième et huitième sphères443. ‘Ayn al-Quḍāt énonce clairement que la chaîne des causes secondaires, en plus des causes apparentes, comprend des entités cosmiques qui sont inconnues aux peuples. En reconnaissant les étoiles, les corps célestes et les planètes comme des causes agissant sur les phénomènes naturels, il ne laisse point de doute sur son acceptation du modèle cosmique proposé par l’aristotélisme néoplatonisant des falāsifa. Mais nous constatons qu’il ne mentionne pas l’intellect agent, même dans ce passage où toutes les causes célestes, paraît-il, sont présentes. Cette absence est toutefois justifiable. Trois hypothèses se présentent à ce stade de la recherche.

Si la fonction la plus particulière de l’intellect agent, dans la cosmologie philosophique et notamment avicennienne, est son rôle de donateur de forme, et que, pour ‘Ayn al-Quḍāt ce n’est pas une seule substance incorporelle qui s’en charge, mais bien une multitude, il est compréhensible qu’il ne lui assigne pas de place particulière dans sa conception cosmologique. Pour lui, la fonction de distribution des formes aux existants sublunaires serait partagée entre plusieurs entités célestes et l’intellect agent ne serait qu’un donateur de forme parmi tant d’autres. On peut déduire ce changement par rapport au modèle avicennien et fārābien de l’émanation en examinant de près certains de ses écrits. À quelques endroits, il parle du rôle important des « anges » dans l’économie des activités terrestres, sans préciser pour autant que leur rôle consiste à donner la forme. Dans le chapitre 38 du Zubda, lorsqu’il

mouvement. Or, cette répartition des entités cosmiques ne peut pas s’appliquer au cas de la sphère des étoiles fixes qui compte plus de trois entités. Pour le rapport entre le mouvement des sphères, des âmes et des intellects célestes, voir, par exemple Maqāṣid, Ilāhiyāt, 120, 16-18 : « la quatrième proposition sur l’affirmation de l’existence des intellects séparés : le mouvement indique l’existence d’une substance noble inchangeant qui n’est pas un corps et qui n’est pas imprimée dans un corps. Et ce qui est ainsi s’appelle intellect séparé ». Or, comme l’intellect agit seulement en tant que cause finale, il faut une substance médiane comme l’âme qui a la capacité