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L’espace social de la mise en présence

1.8 L’être-en-ligne en mouvement

Les gestes qui collent à la maison font de cette maison un texte, un texte en commun avec notre corps. C’est en ce sens que Bachelard parle de la maison (« corps et âme », « notre coin du monde », « notre premier univers ») comme d’une maison « à lire » dans les inscriptions physiques qui, dans le cas de la maison natale, font de la maison un « groupe d’habitudes organiques » qui trouve en notre corps un support de mémoire. Dans notre corps s’incrustent progressivement, force de la mémoire implicite, les distances et les relations entre les objets, les caractéristiques des outils d’emploi quotidien, les dimensions et la disposition des appareils électroménagers, les proportions des différentes pièces. Autant de mouvements de l’esprit, autant de souvenirs : « Mais au-delà des souvenirs, ma maison natale est inscrite en nous, dit Bacherlard. La moindre des clochettes est restée en nos mains ». Et il ajoute, quelques lignes après :

Les maisons successives où nous avons habité plus tard ont sans doute banalisé nos gestes. Mais nous sommes très surpris si nous rentrons dans la vieille maison, après des décades d’odyssée, que les gestes les plus fins, les gestes premiers soient soudain vivants, toujours parfaits. En somme, la maison natale a inscrit en nous la hiérarchie des diverses fonctions d’habiter. Nous sommes les diagrammes des fonctions d’habiter, cette maison-là et toutes les autres maisons ne sont que des variations d’un thème fondamental. Le mot habitude est un mot trop usé pour dire cette liaison passionnée de notre corps qui n’oublie pas à la maison inoubliable. 197

1.8 L’être-en-ligne en mouvement

Si la connexion Wi-Fi à la maison avait déjà changé notre manière d’être-en-ligne chez nous, car n’être plus coincé dans l’emplacement à côté de la box a signifié étendre sa connectivité à l’entièreté de la surface domestique, bien majeures ont été les transformations apportées par la

195 Ibidem, p.140

196 Ibidem. 148

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connexion mobile. Celle-ci fluidifie jusqu’à effacer la valeur spatiale d’exclusivité propre à l’intérieur (bureau, maison, cybercafé) en l’étendant à l’espace urbain et social extérieur jusqu’à une

incorporation permanente. L’être-connecté, condition sine qua non de l’être-en-ligne, devient une nouvelle forme d’être-dans-le-monde : où qu’il soit situé (presque), il sera de même connecté et géolocalisé. « Ce passage de la fixité vers la mobilité, écrit Milad Doueihi, semble accompagner l’hybridation à la fois des objets et de l’espace ». C’est un passage qui décrit surtout le passage de l’informatique vers le numérique, synthétise-t-il : « L’informatique était caractérisée par des manipulations relativement restreintes, ancrées dans le calcul et un accès complexe à la machine, alors que le numérique est une partie intégrante de notre quotidien, avec des accès souples et multiples. Il s’ensuit que les pratiques culturelles sont largement modifiées : écriture, lecture et communication, mais aussi perception et évaluation de nos activités 198». La portabilité croissante des outils numériques et l’augmentation des connexions mobiles sont les deux facteurs technologiques d’une profonde métamorphose anthropologique qui se réverbère dans une nouvelle gestuelle, qui met le corps au centre de l’attention collective. « La rue — se demande Daniel Pennac dans le Journal d’un corps — serait-elle en train d’écrire le journal du corps ? »199. On pourrait bien répondre affirmativement, à l’instar des réflexions de Olivier Mongin : celui-ci nous suggère d’interpréter la ville comme résultant de trois types d’expériences corporelles qui enlacent le privé et le public, l’intérieur et l’extérieur, le personnel et l’impersonnel. Ce que Bachelard disait à propos de la maison, Mongin le dit à propos de la ville : faire l’histoire de la ville signifie faire l’histoire du corps, réfléchit l’écrivain et théoricien de « la condition urbaine », car c’est sur les corps que s’inscrivent les besoins, les tendances et même les traditions structurant l’espace social et urbain. « À un premier niveau, écrit Mongin, celui de l’écriture poétique et de l’expression des corps, l’expérience urbaine se présente sous la forme d’une infinité de trajectoires qui, indissociables de la mobilité corporelle, dessinent un imaginaire, un espace mental, et permettent

198 Doueihi, op. cit., p. 18

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un affranchissement, une émancipation200  ». Là où il réfléchit sur les narrations urbaines et la flânerie de Benjamin, Baudelaire et Pessoa, auteur d’un guide très scrupuleux de Lisbonne,

Mongin, mentionnant un titre du sociologue Jean-François Augoyard201, écrit que la ville se

découvre « pas à pas », dans une « grammaire générative des jambes » :

L’expérience mentale de la ville, inséparable d’une forme qui est aussi une formation, est liée à une rythmique corporelle. Est-ce un hasard ? Formatrice, la ville-corps aime à se présenter, on le sait, comme une ville livre, comme une ville-langage, bref comme une langue […] Si la ville est un lieu composé de rythmes inventés par des corps marcheurs, si l’art corporel d’être un piéton fait écho au travail de l’écriture, la dimension corporelle fournit également matière à l’architecte pour qui elle est le ressort d’une « topologie rusée  »202.

Avec Henri Gaudin il soutient que « l’espace est un prolongement du corps : les choses sont en cercle autour de nous. Ce n’est donc pas une affaire de frontalité. L’architecture ne peut pas se poser ainsi, comme quelque chose qui est tourné vers soi. Elle ne peut pas être une image, parce qu’elle est de l’ordre du corporel, du parcours »203. Éric Hazan considère la flânerie comme le « phénomène initiateur de la modernité », l’errance créative qui transforme la ville en « objet théorique » ayant ses prodromes dans l’expérience d’un Jean Jacques Rousseau qui pouvait écrire dans ses Notes écrites sur des cartes à jouer que « ma vie entière n’a été qu’une longue rêverie divisée en chapitres par mes promenades de chaque jour ». « La traversée d’un paysage provoque ainsi des enchaînements d’idées. L’esprit devient lui aussi paysage, espace à traverser, déplacement physique et psychologique 204» : pour un flâneur d’exception comme Baudelaire, alors qu’être dandy signifie aussi ne rien faire sinon vivre et dormir devant un miroir, la flânerie (concept aujourd’hui apparenté à une idée d’oisiveté, comme le souligne Hazan) n’est pas du tout une aptitude passive, car elle a son importance dans le travail de la création littéraire et poétique :

Depuis bien des années déjà, Victor Hugo n’est plus parmi nous. Je me souviens d’un temps où sa figure était une des plus rencontrées parmi la foule ; et bien des fois je me suis demandé, en le voyant apparaître dans la turbulence des fêtes ou dans le silence des lieux solitaires, comment il pouvait concilier les nécessités de son travail assidu avec ce

200 O. Mongin, La condition urbaine, Seuil, Paris, 2005, p.52

201 J.-F. Augoyard, Pas à pas, Seuil, Paris, 1979

202 O. Mongin, op.cit., pp. 54-55

203 Ibidem, p.55 (l’ouvrage cité est Créer la ville, Éditions de l’Aube, Paris, 2003, p. 78)

204 C. Hess, « La flânerie dans l’espace public : geste conceptuel et performance », dans I. Koch, N. Lenoir, Démocratie et espace public : quel pouvoir pour le peuple ?, Georg Olms Verlag, Zurich-New York, 2008, p.139-158

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goût sublime, mais dangereux, des promenades et des rêveries. Cette apparente contradiction est évidemment le résultat d’une existence bien réglée et d’une forte constitution spirituelle qui lui permet de travailler en marchant, ou plutôt de ne pouvoir marcher qu’en travaillant205.

Le travail d’un écrivain, ou au moins une partie de ce travail (un travail d’invention et d’élaboration, d’inspiration et de rythme, de vision et de langage) ne peut se faire qu’en marchant : « “’On ne peut penser et écrire qu’assis”’ (Gustave Flaubert) — Je te tiens nihiliste ! Être cul-de-plomb, voilà par excellence, le péché contre l’esprit. Seules les pensées que l’on a marchant valent quelque chose 206». Milad Doeuihi, commentant cette invective nietzschéenne, en déduit qu’« il semble que notre réalité numérique soit plutôt nietzschéenne, mais, au lieu de se promener dans la nature, on se balade dans les espaces urbains, investis par le numérique 207». L’idée d’un corps traversant la ville ajoutée à une écriture déambulatoire produit ce que Laurence Allard appelle « mobtexte » - ainsi que nous l’avons mentionné dans notre Introduction. Cela résonne et se matérialise dans l’expérience contextuelle de l’écriture en ligne, de la géo-localisation et de l’inscription de nos mouvements ainsi que dans le flux et dans l’enregistrement de nos écrits dans l’espace à la fois informationnel, physique et social. Les plus courantes pratiques numériques nous obligent de reconsidérer l’importance des nos façons de marcher en train de refaçonner certains aspects de notre espace social, l’espace produit par nos habituels déplacements. Comment marchons-nous ? « N’est-il pas réellement extraordinaire, se demandait Honoré de Balzac , de voir que, depuis que l’homme marche, personne ne se soit demandé pourquoi il marche, comment il marche, s’il marche, s’il peut mieux marcher, ce qu’il fait en marchant, s’il n’y aurait pas un moyen d’imposer, de changer, d’analyser la marche : questions qui tiennent à tous les systèmes philosophiques, psychologiques et politiques dont s’est occupé le monde ? 208» Regardons alors notre façon de marcher d’aujourd’hui, avec notre portable dans la main et sous nous yeux : en quoi diffère-t-elle de notre façon de marcher avec un journal dans la main, ou un bouquin, ou un

205 C. Baudelaire, « Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains », article paru dans Revue fantaisiste, 1861. Cité dans E. Hazan, L’invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus, Paris, Seuil, 2002, p.433.

206 F. Nietzsche, Crépuscule des Idoles, in Œuvres philosophiques complètes, vol. VIII, trad. Jean-Claude Hémery,

Gallimard, Paris, 1974, p.66. Cité dans Doueihi, op. cit., p.21.

207 Ibidem, p.21

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parapluie ? « Qu’y a-t-il de commun entre le corps d’un paysan couplé à son bœuf de travail », se demande Henri Lefebvre « [...] et le corps d’un brillant cavalier sur son cheval de guerre ou de

parade ? [...] L’animal, dans les deux situations, sert de médium (moyen, instrument,

intermédiaire) entre l’homme et l’espace. La différence entre les deux “media” ne va pas sans une différence analogue entre les espaces 209», conclut-il. L’espace social et l’espace de notre ville sont profondément influencés par l’emploi massif d’un médium particulier qui peut servir aussi en tant que moyen d’exploration, d’orientation et de finalisation de l’action. L’être-en-ligne, l’usage de son périphérique portable pendant qu’on marche dans la rue, change notre façon de marcher : nous en sommes ralentis, dans l’impossibilité de suivre une trajectoire droite, à cause de ce qu’Ira Hyman Jr., professeur de psychologie à l’Université de Washington, qui s’intéresse à ce nouveau comportement, définit « cécité inattentionnelle » (inattentional blindness). En marchant tout en

étant absorbés par leurs portables, les gens ont beau penser être attentifs à l’environnement présent, mais plusieurs expériences montrent qu’ils ne le sont pas. Étudiant la réactivité à des sollicitations visuelles éclatantes, à des visions en théorie absolument inattendues et surprenantes, censées frapper l’attention de qui que ce soit, le psychologue a pu montrer que l’attention des passants « en ligne » correspond à la moitié de ceux marchant sans s’occuper de leur portable210 . Le néologisme stigmatisant ces nouvelles formes de présence est

smombie, le zombie smart, le monstre urbain marchant vissé à son smartphone. Les études réalisées par Dekra et GMF dans les principales capitales européennes révèlent que 17 % des gens

209 Lefebvre, op. cit., p. 225

210 Source : The Wall Street Journal, 17 février 2016 (disponible en ligne :

http://www.wsj.com/articles/texting-while-walking-isnt-funny-anymore-1455734501)

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observés auraient adopté un comportement susceptible de mettre en danger leur sécurité, comme celui de se consacrer à l’écriture d’un SMS au milieu des voies de circulation211. En Bavière (photo 2) dans la ville d’Augsbourg, après plusieurs accidents, la mairie a mis en œuvre des feux rouges horizontaux, c’est-à-dire collés au sol, de sorte qu’ils entrent dans la vision périphérique des piétons. À Stockholm (photo 3) dans un quartier particulièrement fréquenté par les adolescents ont été installés des panneaux indiquant aux automobilistes la présence de personnes distraites par leurs portables, avec un dessin inédit réalisé par deux designers suédois, sur lequel on peut voir deux personnes en train de marcher sans regarder rien d’autre que l’écran. Aux États-Unis, les risques

et les dangers engendrés par ces façons de marcher et de traverser la rue ont fait l’objet d’une étude de l’Université de l’Ohio : cette étude montre que le nombre d’accidents routiers dus à l’emploi de périphériques a doublé entre 2005 et 2015, étant désormais une question très sérieuse de sécurité publique : « It is impossible to say whether 2 million distracted pedestrians are really injured each year. But I think, it is safe to say that the numbers we have are much lower than what is really happening »212, a déclaré Jack Nasar, un des auteurs de l’étude. Dans la ville de Hayward (photo 4), en Californie, des panneaux particuliers s’adressant aux piétons leur recommandent de

211 Le risque d’accident routier serait décuplé chez les 18-24 ans, étant donné que le 92 % d’entre eux lisent ou envoient des SMS en marchant dans la rue, 79 % écoutent de la musique, 65 % utilisent des applications, 65 % prennent des photos et 50 % consultent des sites d’information. Plus inquiétant encore, relate l’article de MC4ever, 25 % des sondés déclarent avoir déjà « heurté un piéton »,

16 % affirment « s’être cognés contre un poteau », 16 % ont « frôlé la collision avec un vélo », et 14 % « avec un véhicule ». Pour

autant, la plupart semblent totalement conscients du danger (78 %), mais sans désir de modifier leurs comportements à risque. Rappelons qu’en France, 11 216 accidents corporels ont impliqué un piéton en 2014, ce qui représente 19 % des accidents. Source :

http://www.mac4ever.com/iphone/article?id=110994&app=true

212 Source : http://researchnews.osu.edu/archive/distractwalk.htm

Figure 4 Figure 5

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lever la tête pour traverser la voie, et ensuite de faire retour à Facebook : « Heads up ! Cross the street ! Then update Facebook », où la référence à Facebook semble fonctionner comme une sorte de métonymie de l’être-en-ligne. À Hong Kong les annonces sonores invitent les passagers à ne pas se concentrer seulement sur les écrans de leurs outils, alors qu’à San Francisco sont en train de se multiplier les passages piétonniers réservés aux smombies et qu’à New York a été réduite la vitesse maximale consentie aux voitures là où les passages pour piétons sont plus nombreux. Pour essayer de contribuer à la réduction d’accidents, Samsung propose une application

qui, grâce à la géolocalisation, avertit de faire attention avec un message en plein écran au moment de traverser la rue213. En Chine, dans la mégalopole de Chonging (photo 5), les trottoirs ont été scindés en deux pistes dont l’une est strictement réservée aux gens vissés à leurs portables et qui y marchent à leur propre risque, l’autre étant pour ceux qui se promènent sans consulter leur téléphone.

Il ne doit pas nous échapper que la reconnaissance que ces nouveaux comportements ont déjà obtenue auprès des institutions est le signe d’une reconnaissance générale qui fait de ces gestes et de ces postures des codes sociaux naissants. Lorsqu’il réfléchit au geste du photographe, comme nous le verrons par la suite avec d’avantage de précision, Flusser soutient que notre capacité même de reconnaître un geste se fonde sur le fait que nous sommes au monde à travers lui. Ainsi, nous ne doutons pas qu’il s’agit bien d’un homme, lorsque nous le voyons traverser la route sans décrocher de son téléphone, parce que nous nous reconnaissons en lui. Théoriquement, nous pourrions avoir devant nous un robot simulant le comportement d’un être humain, mais notre reconnaissance dans le geste ne pourrait pas considérer les gestes d’une machine comme des gestes humains. C’est

notre reconnaissance de ce geste qui en fait un geste humain. En reconnaissant qu’il s’agit d’un geste humain nous accueillons et perpétuons ces gestes, notre immédiate reconnaissance n’est pas le simple après-coup, car, bien au contraire, c’est elle qui

213 The Wall Street Journal, 17 février 2016, art. cit.

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rend possibles, jouables et rejouables des gestes de plus en plus domestiqués : je dis domestiqués au sens strict du terme, soit reconduits, c’est-à-dire, à la domus, voire à l’architecture de nos habitudes les plus familières sur lesquelles nous avons le contrôle, à la domus comme étant l’architecture de gestes et mouvements involontaires et auxquels nous sommes comme en proie

décrite par Goetze et Bachelard. Cette domus que maintenant nous sommes où que nous soyons,

tout seuls comme au milieu des autres. Cette conception de la reconnaissance des gestes d’autrui, la reconnaissance « mimismologique » pour le dire avec Marcel Jousse, est corroborée par de significatives correspondances neurologiques mises en lumières dans des études d’imagerie cérébrale. Ainsi, Giacomo Rizzolati et Corrado Sinigaglia214 parlent de la « compréhension

motrice de l’action » comme de ce que les neurones miroirs coordonnent avec la simple

information visuelle. Selon les deux chercheurs italiens, plusieurs expériences confirment que la connaissance motrice participe d’une façon décisive à l’élaboration de l’information sensorielle : l’activation des neurones miroirs, en tant que neurones moteurs, pendant le déroulement d’une action, ne consiste pas seulement dans le fait qu’ils codent le genre, les modalités et les moments

de sa réalisation, mais dans le contrôle de l’exécution même. Leurs recherches les amènent à affirmer que la compréhension que nous pouvons avoir des actions d’autrui ne serait pas possible sans passer par la même connaissance motrice qui règle l’accomplissement de nos propres actions. Tout comme les études d’imagerie cérébrale telles que la PET et la IRMf, les études d’électrophysiologie telles que l’EEG, la MEG et la SMT, confirment l’hypothèse d’un système de neurones miroirs, capable d’activer de mécanismes de « résonance » à travers lesquels ils nous permettent de comprendre la signification des actes d’autrui. Les expériences de SMT, en effet, montrent que l’observation des actes exécutés avec la main par un tiers induit « une augmentation des potentiels évoqués moteurs enregistrés dans les mêmes muscles de la main utilisés par l’observateur pour accomplir ces mêmes actes ».

Tout comme chez le singe, la vue d’action accomplie par autrui détermine chez l’observateur humain une implication immédiate des aires motrices dévolues à l’organisation et à l’exécution de mêmes actions. En outre, chez le singe, comme chez

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l’homme, cette implication permet de déchiffrer la signification des « événements

moteurs » observés, autrement dit, de les comprendre en termes d’action — lorsque cette compréhension apparaît privée de toute médiation réflexive, conceptuelle ou

linguistique, étant fondée uniquement sur ce vocabulaire d’actes et sur cette

connaissance motrice dont dépend notre capacité d’agir elle-même. Enfin, tout comme chez le singe, cette compréhension chez l’homme ne concerne pas seulement des actes particuliers, mais des chaînes entières d’actes, et les différentes activations du système des neurones miroirs montrent que celui-ci est capable de coder la signification que revêt chaque acte observé selon les actions dans lesquelles il se trouvera plongé215. Comprendre « en termes d’action » grâce à ce « vocabulaire d’acte » signifie comprendre un acte à travers un acte, un acte qui est autre et le même, un acte, c’est-à-dire, qui est le mien. Ainsi, lorsque j’observe les actes de quelqu’un, mon acte de spectateur est déjà à l’œuvre comme étant un