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2. Corrélats coarticulatoires entre segments contigus

2.1. La coarticulation dans la rime V1C1#

2.1.2. L’intervalle inter-gestuel

Concernant l’enchaînement articulatoire entre la voyelle et la consonne codaïque, les résultats (tableau III.2.5) montrent que, pour tous les groupes, l’intervalle temporel entre V1 et C1 est affecté inter-individuellement de manière plus ou moins graduelle selon la hiérarchie prosodique, soit en termes de durée brute (ms), de sa proportion dans la séquence (%), ou de la latence relative entre la fin de la voyelle V1 et le début de la consonne C1. Neuf mesures concernent une consonne codaïque postérieure et six une consonne antérieure.

Selon les groupes et le type de mesures, les points vocaliques (fin acoustique ou de l’ouverture maximale) et consonantiques (début EPG du geste, de la constriction maximale ou de l’occlusion) à partir desquels cet intervalle est calculé, ne sont pas les mêmes. Néanmoins, les variations observées vont toutes dans le même sens en fonction de la hiérarchie prosodique proposée. Qu’il s’agisse d’un allongement ou d’une réduction de cet intervalle, selon le type de mesures de timing (durée, proportion ou latence), la tendance exprimée selon la hiérarchie prosodique croissante est constante et homogène entre les différents groupes et les points de mesures.

La durée de l’intervalle VC est la mesure qui permet de distinguer le plus de niveaux prosodiques. L’allongement catégoriel pour les groupes /lk/ et /kl/ s’effectue selon trois niveaux croissants : inaccentué < accentué = intonatif continuatif = intonatif conclusif, alors que les deux autres types de mesures inter-gestuelles ne permettent de distinguer que deux niveaux prosodiques. La proportion de l’intervalle VC dans la séquence permet de différencier relativement systématiquement les catégories intonatives des deux autres catégories prosodiques : ICC-(ICT) < (ACC)-INA.

La latence relative entre V1 et C1 opère des distinctions variables selon la mesure et le groupe de consonnes. Reste que l’intonation conclusive se distingue toujours de la catégorie inaccentuée, alors que les niveaux prosodiques intermédiaires, intonation continuative et accentuation, montrent une grande variation dans leur distinction entre elles et avec les deux niveaux liminaires.

S’agissant de la proportion de l’intervalle VC et de la latence des gestes vocaliques et consonantiques en syllabe finale, il est donc difficile de parler véritablement de hiérarchie prosodique, puisque dans quasiment tous les cas seule une différenciation significative binaire est opérée, généralement entre les catégories intonatives et non intonatives.

Le timing, qui apparaît ici, entre la fin de la voyelle et le début de la consonne codaïque en syllabe finale, est différent de celui observé par Edwards & Beckman (1991), Beckman et al. (1992) et par Byrd & Saltzman (1998) pour l’articulation VC labio-mandibulaire.

Leurs études montrent que non seulement le geste de fermeture de V à C est allongé en frontière intonative majeure, mais aussi que si les relations de timing entre V et C sont modifiées (par exemple par un débit lent chez Beckman), elles le sont par un retardement du geste consonantique par rapport au geste vocalique.

Nous observons, pour notre part, une tendance inverse à ce que le début de la constriction linguopalatale consonantique soit réalisé plus tôt par rapport à la fin de l’abaissement de la langue ou des résonances formantiques de la voyelle précédente en finale de groupe intonatif majeur.

D’une manière générale, alors que l’intervalle VC augmente en durée avec la hiérarchie des catégories prosodiques, il diminue en proportion dans la séquence et en terme de latence du début de C1 par rapport à la fin (ou la durée) de V1 (tableau III.2.5, figure III.2.16)47.

Cette différence, avec les résultats des études citées, ne semble pas reposer sur la nature des articulateurs impliqués. Chez Beckman et chez Byrd, voyelle et consonne sont observées pour une articulation VC homo-organique, respectivement de la mandibule et du complexe lèvre inférieure-lèvre supérieure.

Chez nous, le timing de l’enchaînement VC homo-organique /ak/ varie dans le même sens que celui des enchaînements articulatoires hétéro-organiques /at/ et /al/, bien que des différences importantes existent entre ces deux types d’enchaînement au niveau de l’intervalle temporel entre geste vocalique et geste consonantique. En effet, quelque soit le contexte prosodique, l’intervalle VC composé d’une consonne postérieure est toujours plus long que composé d’une antérieure (figure III.2.16). Cela indique que le délai plus important entre les gestes contigus V et C permet probablement d’éviter la troncation de la voyelle par le début du geste consonantique homo-organique suivant. Cette interprétation est également soutenue par le fait que l’allongement différentiel de V1 (étendue, tableau

47 Sauf le cas de /kt/, pour lequel la proportion et le délai relatif entre le début EPG C1 et la fin acoustique de V1 tendent à augmenter (voy.csSQ et Pcs.voy).

III.2.1) entre syllabe inaccentuée et syllabe finale de groupe intonatif est plus court pour la séquence /ak/ (31ms) que pour /at/ ou /al/ (40 à 45 ms). Ce point illustre la possibilité d’un allongement plus contraint du geste vocalique suivi d’un geste consonantique homo-organique (/k/).

Figure III.2.16 – Durée (en haut), proportion dans VC (au centre) et latence relative (en bas) de l’intervalle VC mesurées entre le début EPG de C1 et la fin acoustique de V1 (à gauche), et entre le début de la constriction linguopalatale maximale de C1 et la fin de l’ouverture linguopalatale maximale de V1 (à droite) pour chaque type de groupe selon la hiérarchie prosodique, tous locuteurs confondus

Ces différences avec les études de Beckman et de Byrd pourraient peut-être également provenir de la largeur de la fenêtre d’observation des gestes articulatoires. Dans notre étude, nous ne pouvons rendre compte que de la partie des gestes concernée par les appuis de la langue avec le palais dur. Nous ne pouvons donc analyser la dynamique articulatoire qu’à travers une lucarne tronquant temporellement et spatialement les gestes. Nous ignorons donc tout du point spatio-temporel de départ des gestes linguaux de fermeture et d’arrivée des gestes d’ouverture.

Néanmoins, nous interprétons ce timing articulatoire plus étroit entre les gestes linguopalataux vocalique et consonantique comme un renforcement de la cohésion articulatoire de la rime de la syllabe finale en frontière intonative.

L’allongement de la séquence VC augmente avec la hiérarchie prosodique et repose sur celui de la voyelle et de la consonne indépendamment. La durée de cet intervalle augmente elle aussi avec la hiérarchie prosodique, mais ne semble pas être induite directement par l’allongement général de la

séquence, puisque nous n’observons pas de corrélation entre une mesure de cet intervalle et la durée de la séquence. Le coefficient r² maximal relevé pour ces corrélations ne dépasse pas 0,118 (Pmax.min). Il apparaît donc qu’en frontière intonative l’allongement de la rime et des segments qui la composent est plus important que celui de l’intervalle inter-gestuel. Cet allongement moins important de l’intervalle VC provoque, par sa réduction relative, un timing plus resserré entre les deux éléments constitutifs de la rime.

Ainsi, plus la rime est longue sous l’effet de l’allongement final de constituants intonatifs majeurs, plus la cohésion temporelle inter-gestuelle est grande au sein de la rime, le début du geste de constriction consonantique étant réalisé plus tôt par rapport à la fin du geste vocalique.