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3. Comparaison qualitative des deux types de hiérarchies prosodiques

3.2. La comparaison qualitative

Afin d’évaluer globalement l’apport qualitatif d’une catégorisation étroite sur une catégorisation large des marqueurs prosodiques pour la description des co-variations articulation-prosodie, nous avons seulement analysé les mesures articulatoires sélectionnées par la procédure qui répondent à la fois à la hiérarchie prosodique large et à l’étroite, soit 102 mesures articulatoires communes. Cette évaluation repose sur deux analyses complémentaires.

La première cherche à quantifier le nombre de mesures articulatoires, sur le nombre total des mesures communes retenues, qui montrent une adéquation stricte entre l’agencement des catégories étroites et celui attendu selon les catégories larges.

La seconde informe sur le nombre de cas où les deux catégories étroites composant une catégorie large donnée sont contiguës dans les hiérarchies articulatoires et se distinguent significativement l’une de l’autre dans les tests post hoc inter-catégoriels (cf. Annexes III.1 et III.2).

3.2.1. Détermination de la position hiérarchique des catégories étroites selon celle des catégories larges

La méthode relative à la première analyse reprend le principe élaboré pour l’étape 2 de la sélection des mesures, à savoir un critère de filtrage des mesures selon leur adéquation à la hiérarchie des catégories prosodiques attendue, déterminée par l’Indice de Correspondance Hiérarchique (iH). Ici, les contraintes de positionnement des catégories étroites sont définies par rapport à la hiérarchie large. Afin d’évaluer si deux catégories étroites répondent principalement à la position hiérarchique de la catégorie large à laquelle elles appartiennent, nous avons recalculé un seuil de rejet des hiérarchies articulatoires étroites. Ce seuil de rejet correspond à un positionnement contraint des catégories étroites, d’abord en fonction de la position hiérarchique occupée par la catégorie large dont elles dépendent, et ensuite par la possibilité de permutation entre elles.

Comme précédemment, la contrainte de positionnement des catégories larges est à la base de la détermination des seuils de rejet des mesures articulatoires, et correspond à la contrainte positionnelle suivante : seules deux permutations des catégories contiguës sont autorisées (cf. §II.4:2).

La figure III.1.3 ci-dessous illustre l’agencement hiérarchique contraint des catégories prosodiques étroites en fonction de la position hiérarchique des catégories larges desquelles elles dépendent.

contrainte n° 1

agencement des catégories larges

2 permutations contiguës au maximum

parmi celles ci-contre

INA ACC ICT ICC

/ \ / \ / \ / \ SY MO AM AS CM CT TN TM contrainte n° 2 agencement des catégories étroites toute permutation possible interne aux

catégories larges

Figure III.1.3 – Ordre hiérarchique contraint des catégories étroites en fonction de celui des catégories larges permettant la détermination des nouveaux seuils de rejet des mesures articulatoires

Nous avons ainsi calculé, pour les 384 combinaisons possibles de huit éléments répondant à ces deux contraintes d’agencement, les valeurs possibles de l’Indice de Correspondance Hiérarchique des hiérarchies articulatoires (iHEL). A partir de leur distribution (figure III.1.4), nous avons déterminé les nouveaux seuils de rejet par rapport à ceux appliqués pour la hiérarchie prosodique large à quatre éléments, à savoir 0,6 et -0,6 correspondant aux valeurs respectives de iHL au 19è et 81è centiles, déterminant un seuil de rejet théorique des mesures de 58,3 %.

Pour un même taux de rejet théorique, les valeurs des nouveaux seuils de rejet des mesures selon la hiérarchie contrainte des catégories prosodiques étroites sont de 0,52 et -0,52.

Dès lors, nous avons appliqué ces nouveaux seuils de la hiérarchie étroite contrainte sur les 102 mesures articulatoires communes retenues de la même façon que lors de la procédure générale de sélection des mesures. Nous avons ainsi filtré les mesures articulatoires ; puis par le regroupement des mesures identiques entre les locuteurs, nous n’avons conservé que celles représentées par au moins deux des trois locuteurs45.

Il apparaît que 82 % des 102 mesures communes répondent minimalement à une hiérarchie prosodique étroite contrainte en fonction de la hiérarchie prosodique large, c'est-à-dire montrent un iHEL supérieur au seuil positif ou inférieur au seuil négatif (annexes III.1 et III.2).

45 Les filtres relatifs à l’homogénéité de variation hiérarchique selon le sens de la hiérarchie (étape 4 de la procédure générale) et leur cohésion statistique (étape 5) ne sont pas réappliqués dans cette analyse, du fait que les mesures testées ici répondent déjà à ces conditions.

Figure III.1.4 – Distributions des valeurs possibles de iHEL (•) et celles des iHL (X) avec indication des seuils de rejet des mesures appliqués à chaque type de hiérarchie (large vs étroite contrainte) pour un même taux de rejet théorique de 58,3 %

Il est en conséquence possible qu’au niveau articulatoire la position hiérarchique des catégories étroites dépende principalement de la position hiérarchique des catégories larges auxquelles elles appartiennent. Cela signifie que les relations prosodiques intrinsèques, fonctionnelles et phonétiques, qui lient deux à deux les catégories étroites entre elles et avec les catégories larges, sont bien préservées au niveau articulatoire.

Ce point est important. Premièrement, il montre que les regroupements opérés des catégories larges en catégories étroites sont relativement valides au regard des co-variations entre articulation et prosodie, même si d’autres types de regroupements prosodiques auraient pu tout aussi raisonnablement être envisagés.

Deuxièmement, ce résultat permet de supposer que les catégories étroites peuvent potentiellement apporter une amélioration dans la description des co-variations entre articulation et prosodie, en détaillant et sous-spécifiant de manière assez systématique la catégorisation prosodique large.

Néanmoins, le fait qu’au niveau articulatoire les catégories étroites puissent être majoritairement déterminées dans leur positionnement hiérarchique d’après la place des catégories larges, ne nous dit pas si, dans ce cas, elles se différencient régulièrement ou non.

L’absence ou la présence d’une telle distinction est par contre observable dans les résultats des tests post hoc effectués pour chacune des 102 mesures retenues.

3.2.2. Distinction statistique des catégories prosodiques étroites sous-composant une même catégorie large

Afin d’évaluer l’hypothèse d’une sous-spécification au niveau articulatoire des catégories prosodiques larges par les étroites, nous avons analysé, par un comptage systématique, les cas où les catégories étroites étaient contiguës et les cas où elles étaient adjacentes et significativement distinguées (p =0,05) dans les tests post hoc, qui représentent la hiérarchie articulatoire des catégories étroites pour chacune des 102 mesures communes restantes (Annexes III.1 et III.2).

Rappelons néanmoins que le nombre de mesures articulatoires n’est pas totalement équivalent à celui des phénomènes articulatoires mesurés, du fait de la prise en compte de différentes échelles pour les mesures temporelles. Ainsi, les résultats obtenus ici peuvent être amplifiés, si pour un phénomène temporel articulatoire donné plusieurs types de mesure temporelle ressortent du fait d’une corrélation possible.

Les résultats relatifs au comptage des différentes possibilités d’agencement hiérarchique selon leur contiguïté et leur distinction statistique pour chacun des couples de catégories prosodiques étroites dans les mesures communes sont présentés dans le tableau III.1.3.

Tableau III.1.3 – Pour les mesures articulatoires communes retenues, nombre et pourcentage de cas où les deux catégories étroites d’une même catégorie large46 sont contiguës dans la hiérarchie articulatoire, où elles ne le sont pas, où elles sont contiguës et significativement distinguées et où elles ne sont pas contiguës mais significativement distinguées dans les tests post hoc

INA ACC ICT ICC

(SY-MO) (AM-AS) (CM-CT) (TN-TM)

nb des mesures communes 81 102 102 102

nb 45 54 42 46

cas de contiguïté

hiérarchique % 56 53 41 45

nb 36 48 61 56

cas de non contiguïté

hiérarchique % 44 47 60 55

nb 8 6 2 16

cas de contiguïté

et de différence sign. % 10 6 2 16

nb 23 27 33 31

cas de non contiguïté

et de différence sign. % 28 33 32 30

Dans environ 45 % des cas pour les catégories INA et ACC, et dans 55 à 60 % pour les catégories ICT et ICC, les mesures articulatoires montrent que les catégories étroites ne se regroupent pas selon leur catégorie large dans les hiérarchies articulatoires. La non contiguïté des catégories étroites est majoritaire pour les catégories intonatives (ICT et ICC), alors qu’elle est minoritaire pour les catégories accentuelles (INA et ACC).

Cela indique qu’au niveau articulatoire la dépendance des catégories étroites envers la catégorisation prosodique large est moins marquée pour les faits intonatifs que pour les faits non intonatifs. La catégorisation large des catégories intonatives étroites pourrait donc être plus discutable au regard des comportements articulatoires que celle opérée pour les catégories accentuelles étroites.

En d’autres termes, si on considère que le regroupement prosodique des catégories étroites n’est pas incohérent, il semble qu’au niveau des co-variations articulatoires le lien entre les catégories larges et étroites soit plus relâché pour les faits d’intonation que pour les faits d’accentuation.

Cependant, cela pourrait également signifier que les co-variations articulatoires et coarticulatoires accompagnant la structure prosodique de l’énoncé sont prises en compte de manière plus inadéquate par la catégorisation large intonative que par la catégorisation large accentuelle. Nous n’avons, en l’état actuel des choses, pas de réponse claire à donner à cette question.

S’agissant des cas où deux catégories étroites de la même catégorie large sont adjacentes et significativement distinguées dans les tests post hoc, les résultats montrent que relativement peu de mesures articulatoires répondent à ce profil. Seul au plus 16 % des mesures articulatoires sont concernées, les catégories ICC et INA l’étant plus que ACC, et ICT quasi pas.

Cette différence significative un peu plus importante pour les catégories étroites composant ICC peut être interprétée par le fait qu’au niveau phonétique, intonations conclusives mineure (TN) et majeure (TM) sont très différentes selon l’amplitude des paramètres suprasegmentaux. Nous avons noté, lors de l’analyse prosodique, que TN avait une position relativement flottante dans la hiérarchie prosodique formelle selon les locuteurs et le paramètre considéré. Nous avons principalement déterminé sa position selon un point de vue prosodique fonctionnel. Il n’est donc peut-être pas étonnant que cet instabilité hiérarchique prosodique de TN ressorte au niveau articulatoire par le fait qu’il se différencie statistiquement de son acolyte majeur plus souvent que pour les autres catégories prosodiques.

Globalement, il apparaît que s’il y a contiguïté des catégories étroites dépendantes d’une même catégorie large, celles-ci ne sont que rarement significativement différentes au regard du marquage articulatoire concomitant à la structure prosodique (de 2 à 16 % des cas). Cela indique que la catégorisation étroite ne sous-spécifie pas de manière systématique la catégorisation large au niveau

46 Pour lesquelles les deux catégories étroites d’une même catégorie large sont représentées : les cas manquant pour la catégorie large INA correspondent tous au contexte /kl/ qui n’a pas de catégorie étroite SY.

articulatoire.

Enfin, les cas où les deux catégories étroites d’une même catégorie large ne sont pas contiguës, mais par contre significativement distinguées dans la hiérarchie articulatoire des tests post hoc, représentent environ 30 % des mesures retenues. De ce point de vue, il n’y a pas de différence nette dans le comportement des quatre catégories larges.

Ce résultat semble traduire le fait que dans une proportion importante la catégorisation étroite est relativement loin de détailler adéquatement la catégorisation large pour ce qui est des réalisations articulatoires en fonction de la structure prosodique hiérarchique.

En fin de compte, il ressort que dans les mesures articulatoires, si les cas de contiguïté sont relativement aussi nombreux que les cas de non contiguïté des deux catégories prosodiques étroites appartenant à la même catégorie large, leur distinction statistique est logiquement plus importante quand elles ne sont pas contiguës dans la hiérarchie articulatoire, que quand elles le sont.

3.3. La hiérarchie des catégories prosodiques étroites ne sous-spécifie pas strictement