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4. Conclusions sur la comparaison des deux hiérarchies prosodiques envisagées

1.1. Articulation vocalique

Les quatre types de mesures effectuées sur la voyelle accentuée répondent systématiquement à un effet graduellement croissant de la hiérarchie prosodique large. Trois sont temporelles et la quatrième spatiale. Le tableau III.2.1 résume les résultats des tests post hoc concernant ces mesures.

Tableau III.2.1 – Tests post hoc et étendue moyenne (étend. : valeur moyenne de la catégorie la plus

haute dans la hiérarchie - valeur moyenne de la catégorie la plus basse dans la hiérarchie) pour les mesures

articulatoires inter-individuelles retenues, pour HPL (à gauche) et HPE (à droite) concernant la voyelle accentuée (V1)

type de mesure mesure gpcs HPL : tests post hoc étend. HPE : tests post hoc étend. index

durée dur.voy kl INA < ACC < ICT < ICC 30,7 MO < AM < AS < CM < (TN)-CT < TM 36,0 8-8

kt INA < ACC < ICT < ICC 31,8 SY-MO < AM-AS-CM < (TN)-CT < TM 37,6 14-14

lk INA < ACC < ICC < ICT 46,2 SY-MO < AM < AS < TN < TM < (CM)-CT 49,3 19-18

tk INA < ACC < ICC < ICT 39,7 SY < AM-AS-MO < TN < CM < TM-CT 54,3 22-21

dur.min kl INA < ACC < ICT < ICC 30,1 9-9

kt INA < ACC < ICT < ICC 22,8 15-15

lk INA-ACC < ICC < ICT 42,7 20-19

tk INA-ACC < ICC < ICT 28,1 23-22

proportion pct.min kl INA-ACC < ICT < ICC 17,4 10-10

spatial mct.min kl ICT-ICC < ACC < INA 5,8 11-11

lk ICT < ICC-ACC-INA 2,7 21-20

tk ICT-ICC < ACC < INA 7,5 24-23

1.1.1.a. L’allongement vocalique

La durée acoustique de la voyelle V1 (dur.voy) augmente significativement avec la hiérarchie prosodique (hormis une inversion entre ICC et ICT pour les groupes ayant une consonne antérieure en coda). La différence moyenne de durée (étendue) est de 37 ms environ entre une position en syllabe inaccentuée et en finale de groupe intonatif. Cette mesure répond également assez bien à la hiérarchie prosodique étroite.

Ce résultat est très attendu, car il permet une vérification de la procédure de sélection des mesures utilisée. Dans le cas où il ne serait pas apparu, on aurait pu avoir un énorme doute sur la capacité de la procédure à rendre compte des phénomènes que l’on veut observer, du fait que le calcul de l’allongement vocalique (paramètre suprasegmental) repose principalement sur la durée de la voyelle finale accentuée. Dès lors une corrélation importante est obligatoire, ce qui se traduit par la grande similitude des résultats articulatoires post hoc avec ceux obtenus pour l’analyse prosodique sur l’allongement, tant pour HPL que HPE (cf. §II.2:2.2 et §II.2:2.3).

Plus intéressant, la durée de la partie de la voyelle montrant un minimum de contacts EPG (dur.min) répond également systématiquement pour les quatre groupes de consonnes à la hiérarchie prosodique large, mais aussi à l’étroite (figure III.2.1). La phase d’ouverture linguopalatale maximale de la voyelle est significativement allongée selon l’importance hiérarchique de la catégorie prosodique. Cette ouverture maximale permet de distinguer au moins trois niveaux de frontière prosodique. La voyelle accentuée est ouverte maximalement plus longtemps, plus la position de la catégorie prosodique est hiérarchiquement élevée, l’allongement le plus net concerne les catégories intonatives au regard des catégories non intonatives (figure III.2.1).

Figure III.2.1 – Durée moyenne de la phase d’ouverture maximale de la voyelle V1 (dur.min) selon les catégories prosodiques larges (à gauche) et étroites (à droite), tous groupes et locuteurs confondus

L’allongement de cette phase semble en bonne partie dû à celui plus général de la voyelle, et moins à l’influence directe et spécifique de l’accentuation et de l’intonation.

En effet, la régression linéaire effectuée entre durée acoustique de la voyelle et durée de son ouverture maximale (figure III.2.2, à gauche) montre que la majeure partie de la variabilité de la durée de cette phase est expliquée par l’allongement globale de la voyelle (r² = 0,515 ; p < 0,0001).

Cependant, on pourrait également très bien supposer que la durée de la voyelle est allongée du fait d’une proportion de son ouverture maximale de plus en plus longue selon la hiérarchie prosodique.

Figure III.2.2 – Régression linéaire entre la durée de la voyelle V1 (dur.voy) et la durée de son ouverture linguopalatale maximale (dur.min) ou sa proportion (pct.min), et coefficient de corrélation (r²). Ne sont prises en compte que les données des contextes consonantiques et les locuteurs retenus pour la mesure

(cf. annexe III.1)

Tant les résultats des tests post hoc sur cette mesure (pct.min, tableau III.2.1) que la régression linéaire entre la proportion de l’ouverture maximale et la durée totale de la voyelle sont clairs à ce propos. D’une part, aucune tendance nette de corrélation entre ces deux paramètres n’apparaît dans le graphique de régression linéaire (figure III.2.2, à gauche). D’autre part, les tests post hoc montrent que la proportion de l’ouverture maximale n’est soumise à l’influence de la hiérarchie prosodique que pour un groupe sur quatre.

L’allongement de l’ouverture maximale de la voyelle pourrait n’être qu’une conséquence indirecte de l’influence des catégories prosodiques, s’exerçant principalement sur la durée vocalique et par répercussion sur cette phase essentielle de la voyelle.

1.1.1.b. L’ouverture vocalique

Les résultats post hoc montrent également que le degré de contact linguopalatal minimum (mct.min, tableau III.2.1) diminue progressivement plus la catégorie est élevée dans la hiérarchie prosodique. L’amplitude de l’ouverture maximale augmente selon deux à trois niveaux prosodiques pour trois des quatre contextes consonantiques observés. La langue est plus basse des catégories

intonatives à la catégorie accentuée, et de la catégorie accentuée à la catégorie inaccentuée.

La voyelle est caractérisée par une ouverture linguopalatale plus grande (c'est-à-dire un contact EPG plus réduit), plus les catégories prosodiques sont importantes hiérarchiquement, tant pour la hiérarchie prosodique large (figure III.2.3) que globalement pour l’étroite (figure III.2.4), malgré un léger rehaussement du contact EPG en intonation conclusive.

Cette réduction du contact linguopalatal pourrait être également attribuée à une postériorisation vélaire ou pharyngale de l’articulation de V1 en positions accentuées, comme les travaux de Giot (1977) ou de Engstrand (1988) ont pu le montrer au sujet de l’accent.

Figure III.2.3 – Pourcentage moyen de contacts EPG lors de la phase d’ouverture maximale de la voyelle V1 selon les catégories prosodiques larges, tous groupes et locuteurs confondus

La figure III.2.4 montre les contacts EPG cumulés dans la phase d’ouverture maximale pour tous les items (tous les contextes consonantiques et locuteurs confondus).

Il apparaît que les contacts EPG postérieurs les plus centraux et les contacts latéraux les plus antérieurs diminuent régulièrement avec l’importance du marqueur prosodique. Ce comportement linguopalatal tendrait à traduire une légère postériorisation de l’articulation suivant la hiérarchie prosodique. Cependant, il est avéré qu’une ouverture mandibulaire plus grande affecte plus les articulations linguales antérieures que postérieures (Kent & Netsell 1971, Farnetani & Faber 1992). Il est donc difficile au seul regard des données EPG de trancher, postériorisation et ouverture plus ample étant peut-être concomitantes. S Y M O A M A S l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l

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75 - 100 %

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l25 - 50 % l10 - 25 % l1 -10% l0 - 1 % l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l

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Figure III.2.4 – Pourcentage cumulé des contacts EPG lors de la phase d’ouverture maximale de la voyelle V1 (dur.min) selon les catégories prosodiques étroites, tous groupes et locuteurs confondus

Selon les notions d’overshoot et d’undershoot (Lindblom 1963, Moon & Lindblom 1994), l’amplitude articulatoire plus importante des voyelles accentuées pourrait n’être qu’une conséquence de leur allongement.

L’EPG n’est pas très approprié pour tester efficacement ce type d’hypothèse, du fait qu’il offre une fenêtre spatiale et temporelle tronquée des gestes de la langue (cf. §II.3:1.2.3), et d’un effet planché inhérent des taux de contacts. On peut tout même se risquer à déterminer dans quelle mesure les

durées de la voyelle et de l’ouverture maximale sont corrélées à l’amplitude du contact linguopalatal. Les régressions linéaires effectuées montrent qu’il y a une certaine tendance à ce que plus la durée augmente, plus le taux de contacts EPG soit faible et moins variable (figure III.2.5). Cette tendance paraît plus nette au regard de la durée acoustique de la voyelle (r² = 0,236) que de sa seule phase d’ouverture maximale (r² = 0,124).

Figure III.2.5 – Régressions linéaires entre, d’une part, le minimum de contacts EPG (mct.min) et, d’autre part, la durée acoustique (à gauche) ou la durée de son ouverture maximale (à droite) de la voyelle V1, tous groupes et locuteurs confondus

Bien que, dans nombre de cas, des contacts EPG très réduits pour des durées brèves sont réalisés, il semble qu’amplitude et durée vocalique soient tout de même dans une certaine mesure reliées entre elles, même si les informations articulatoires fournies par l’EPG sont assez limitées s’agissant des voyelles ouvertes (cf. §II.3:1.1).

En conclusion, concernant le marquage articulatoire de la voyelle finale, il ressort que c’est principalement selon sa durée acoustique globale que celui-ci s’effectue. En effet, comme attendu, elle s’allonge graduellement en fonction de la catégorie prosodique hiérarchiquement croissante, des syllabes finales de regroupement intonatif, aux syllabes accentuées (finales ou internes de mot prosodique), aux syllabes inaccentuées (finales ou internes de mot lexical).

Cet allongement général semble induire également une ouverture linguopalatale maximale plus longue et plus ample de la voyelle. Son articulation spatio-temporelle est graduellement plus extrême, plus les catégories prosodiques occupent une place élevée dans la hiérarchie prosodique large. Trois à quatre niveaux hiérarchiques sont ainsi généralement distingués de manière catégorielle : inaccentué < accentué < intonatif.

Cette articulation renforcée en contextes accentués de la voyelle ouverte /a/ est un résultat attendu, nombre de travaux l’ayant déjà largement montré (cf §I.2:1.1.1). Le résultat le plus intéressant est relatif au fait que le geste linguopalatal, tant dans sa dimension spatiale que temporelle, semble relativement bien accompagner la hiérarchie prosodique.

En cela nos résultats rejoignent ceux de Fougeron et Keating (1997) qui montrent qu’en anglais la voyelle ouverte postérieure /o/ en finale de mot est moins ouverte (plus de contacts EPG), qu’en finale de mot prosodique ou de groupe intonatif.

Malgré leur circonspection (« It seems that above the word, final /o/’s are simply always quite open, their degree of openness depending very little on their hierarchical prosodic position », p. 3735), du fait de variations dans le nombre et le type de niveaux prosodiques distingués par leurs sujets, il ressort tout de même dans leur étude que, pour deux des trois locuteurs, le taux de contacts EPG dans la voyelle diminue significativement et graduellement en finale de constituant selon une hiérarchie prosodique à trois niveaux : syllabe interne de mot < syntagme phonologique < groupe intonatif.

1.1.2. La voyelle post-tonique V2

Concernant la voyelle post-tonique (V2), très peu de mesures articulatoires répondent inter-individuellement de manière assez étroite à l’effet de la hiérarchie prosodique large. Trois mesures différentes ressortent de notre procédure d’analyse, chacune représentant trois groupes pré-vocaliques

différents.

Cette position dans la séquence, 'VC#CV, n’apparaît donc pas véritablement comme un lieu privilégié inter-individuellement pour le marquage articulatoire de la structure hiérarchique prosodique.

Tableau III.2.2 – Tests post hoc et étendue moyenne pour les mesures articulatoires inter-individuelles retenues concernant la voyelle post-tonique (V2)

temporel mesure gpcs tests post hoc étendue index

durée dur.voy kt ICT-ICC-ACC < INA 11,8 89-91

dur.min kl ICT < ICC-ACC < INA 27,3 88-90

proportion pct.min tk INA < ACC-ICT < ICC 19,0 90-96

Si l’on s’attache aux tendances générales concernant ces mesures, on peut constater que, tous locuteurs et tous groupes de consonnes confondus, la voyelle post-tonique tend à être plus courte après une syllabe accentuée ou une frontière intonative qu’après une inaccentuée (figure III.2.6, à gauche). Bien que dans le contexte /tk/ la proportion de l’ouverture maximale de la voyelle augmente selon la hiérarchie prosodique, d’un point de vue général, ce résultat est inversé.

L’examen de l’amplitude d’ouverture maximale selon la hiérarchie prosodique ne montre pas de modification spatiale significative du geste linguopalatal de la voyelle dans cette position (figure III.2.6, à droite et en bas). S Y M O A M A S l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l

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Figure III.2.6 – Durée acoustique (dur.voy, à gauche), pourcentage moyen de contacts EPG lors de la phase d’ouverture maximale (mct.min, à droite) et cumul des taux de contacts EPG durant cette phase (en bas) de la voyelle V2 selon les catégories prosodiques larges et étroites, tous groupes et locuteurs confondus

De plus, la corrélation entre la durée de la voyelle, ou de son ouverture maximale, et son amplitude d’ouverture linguopalatale maximale ne permet pas d’établir une relation nette entre ces paramètres (figure III.2.7), comme cela tend à l’être pour la voyelle accentuée V1 (figure III.2.5).

Figure III.2.7 – Régressions linéaires entre, d’une part, le minimum de contacts EPG (mct.min) et, d’autre part, la durée acoustique (à gauche) ou la durée de son ouverture maximale (à droite) de la voyelle inaccentuée (V2), tous groupes et locuteurs confondus

Les tendances dégagées ici, même si elles ne sont pas significatives et peu marquées, rejoignent partiellement les résultats de Fougeron (1998) sur le français et de Fougeron et Keating (1997) sur l’anglais.

S’agissant de la durée des voyelles /i, a, Œ~/ en syllabe initiale de constituant, Fougeron (1998) ne dégage pas non plus d’effet cohérent ou systématique de la hiérarchie prosodique. Si certaines variations de leur durée acoustique apparaissent, elles ne suivent pas clairement le niveau de la frontière prosodique précédente. Et si une tendance très limitée ressort, elle montre plutôt une durée plus courte de la voyelle en initiale de constituants prosodiques élevés.

Fougeron & Keating (1997) ne rapportent pas non plus d’effet temporel de la hiérarchie prosodique pour la voyelle /o/ en syllabe initiale de constituant.

De même, Byrd (2000) ne note qu’un léger allongement de la voyelle /i/ après une frontière mineure ou majeure intonative comparée à une position interne de constituant prosodique ; cependant, cet effet ne concerne qu’un locuteur sur les trois observés.

Concernant le degré d’ouverture de la voyelle, Fougeron & Keating (1997) observent en anglais une tendance à ce qu’en position initiale la voyelle ouverte postérieure /o/ en syllabe CV montre une réduction du contact EPG plus marquée selon l’importance hiérarchique du constituant prosodique. Elles notent que la position initiale de syllabe interne de mot et, dans une moindre mesure, initiale de mot rendent compte globalement d’une ouverture/postériorité moins importante de la voyelle que la position initiale de constituants prosodiques plus élevés. Cette tendance est cependant très soumise à la variabilité inter-individuelle.

Fougeron (1998) montre que le contact linguopalatal de /i/ est plus large, pour les deux locuteurs observés, entre une position initiale de mot et initiale de groupe accentuel ou intonatif ; mais cette distinction est binaire et non graduelle selon la hiérarchie prosodique.

Il apparaîtrait donc globalement que la voyelle /a/ post-tonique n’est pas très sensible à l’influence graduellement croissante de la hiérarchie prosodique. Seule véritablement sa durée acoustique paraît réduite de façon binaire entre un contexte inaccentué et une position post-accentuelle. La magnitude et la durée de son ouverture linguopalatale maximale semblent peu sujettes à la hiérarchie prosodique.

Cependant, si des tendances générales sont observées, elles semblent aller dans le sens d’un renforcement de l’ouverture des voyelles ouvertes et de la fermeture des fermées. Reste que les différences globales observées sont très faibles, par exemple, de l’ordre de 5 ms pour la durée vocalique, ce qui correspond à l’intervalle temporel entre deux trames EPG.