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CHAPITRE 2. Le racisme quotidien comme objet d’études

B. Everyday racism : le concept de Philomena Essed (1991)

2. L’intersectionnalité dans le travail de Essed

2.1 L’expérience des femmes de couleurs

Essed montre également comment l’expérience du racisme est influencée par le fait d’être une femme. Bien que les manifestations du racisme et du sexisme se ressemblent souvent (attitude de condescendance, s’attendre à un manque d’assurance, embaucher des noirs ou des femmes comme des pions (tolken), ou favoriser les hommes blancs), elle souligne l’existence de différences importantes. Une forme répandue du racisme quotidien est celui de l’évitement. Les blancs vont éviter le contact avec les noirs, tandis que pour les femmes c’est plutôt l’inverse : les femmes ont des contacts non sollicités de la part d’hommes (lorsqu’un homme rentre dans notre espace en toute confiance, leur fait des avances, les harcèle). Mais, poursuit Essed, le problème avec ce type d’analogie est que les femmes de couleurs y sont invisibilisées (Essed 2001).

Furthermore, analogies do not do justice to the fact that racism and genderism are rooted in specific histories designating separate as well as mutually interwoven formations of race, ethnicity and gender » (Essed 2001).

Dans son ouvrage de 1991, l’auteure nomme les intersections entre le sexisme et le racisme « gendered racism ». Plus tard, elle emploie le terme « intersectionnalité » (Essed 2001). Peu importe le terme utilisé, il faut souligner que les expériences des femmes de couleurs sont structurées par la convergence des systèmes de race, de classe et d’oppression genrée (Essed 1991, 5).

Une communauté d’expériences partagées

Un des thèmes qui revient souvent dans les autobiographies des femmes noires militantes dans les années 1970 est celui d’un sens aigu de la collectivité, de la communauté, l’idée de contribuer à un mouvement collectif vers la libération (Thornton Dill 2009, 27).

Ideas and experiences vary, but Shirley Chisholm, Gwendolyn Brooks, Angela Davis and other Black women who wrote autobiographies during the seventies offer similar . . . visions of the black woman’s role in the struggle for Black liberation. The idea of collective liberation . . . says that society is not a protective arena in which an individual black can work out her own destiny and gain a share of America’s benefits by her own efforts. . . . Accordingly, survival, not to mention freedom, is dependent on the values and actions of the groups as a whole, and if indeed one succeeds or triumphs it is due less to individual talent than to the group’s belief in and adherence to

the idea that freedom from oppression must be acted out and shared by all (Burgher1979, 118, citée dans Thornton Dill 2009, 28)29.

Le concept de « sisterhood » n’est pas nouveau chez les femmes noires : il a été institutionnalisé dans les églises où les membres s’interpellent souvent par les mots « sœurs » et « frères », et comprend des rites de passage importants (Thornton Dill, 28). Les jeunes femmes participent à des clubs où les relations de soutiens (nurturant) entre femmes sont renforcées (Ibid.). Il serait intéressant de faire un parallèle ici avec l’éthique féministe du care. Enfin, et je ne sais pas si c’est que Essed sous-entendait, mais on peut suggérer que, puisque les femmes sont généralement responsable du care et du emotional labor, elles développent un sens du « sisterhood » et de la collectivité, et donc que l’expérience du racisme des femmes noires se ressent de manière particulièrement collective. Car l’étude de Essed va bien au-delà des expériences personnelles de ces femmes :

We shall see that a substantial part of their experiences are shaped vicariously, through friends, family members, and other Blacks, through the media, and cognitively, through their general knowledge of racism in the system. (Essed 1991, 5).

2.2 Les rapports de classes

Dans son travail, Essed a voulu minimiser le rôle des rapports de classe afin de se concentrer principalement sur l’expérience du racisme.

If we want to gain more insight into the racial aspects of the oppression of Black women, the factor of race has to be isolated from the oppressive social and economic conditions associated with low education and economic exploitation. (Essed 1991, 34).

Elle s’est ainsi référée à un « indicateur indirecte » de la classe, soit le niveau d’éducation : Therefore, I have tried to minimize the role of class exploitation indirectly by selecting only women with higher education, namely, university students and professionals. They are a privileged group in terms of educational background and job opportunities, but the factor of class oppression nevertheless plays and indirect role in their lives. (Essed 1991, 5)30.

29 Voir Angela Davis, « Reflections on the Black Woman’s Role in the Community of Slaves », Black Scholar 2

(December 1971): 15. Et : Mary Burgher, « Images of Self and Race », in Sturdy Black Bridges, ed. Roseann P. Bell, Bettye J. Parker, and Beverly Guy-Sheftall (Garden City, N.Y.: Anchor Books, 1979), 118.

30 Suivant cette stratégie de recherche, nous avons sélectionné des femmes musulmanes étudiantes à l’université ou

L’auteure cite quelques études qui démontrent que les femmes afro-américaines aspirant à des carrières de haut niveau sont grandement désavantagées par des problèmes de niveau structurel : relativement isolées dans les universités majoritairement blanches, absence de modèles pour les guider et les supporter, sous-estimées par les orienteurs et les professeurs, elles sont guidées vers des occupations traditionnellement féminines et vers de moins bonnes écoles, contrastant avec leurs grandes ambitions, moins bien rémunérées que les hommes noirs et que les femmes blanches sur le marché du travail, etc.

From the discussion it may be concluded that on a micro-societal level, (gendered) racism operates through various mechanisms. Black women are (a) marginalized, (b) culturally problematized, and (c) impeded in social mobility. They encounter paternalism, they are underestimated, their work is ethnicized, and they generally have fewer career opportunities than men and White women, respectively. These mechanisms operate simultaneously and probably stimulate each other. (Essed 1991, 35-36).

Afin de comprendre l’expérience du racisme au quotidien, il est important, poursuit Essed, d’aller au-delà des problèmes reliés à la carrière, afin d’inclure les expériences dans toutes les sphères de la vie : expériences personnelles dans les magasins, la rue, à l’université et au travail tout comme les expériences vécues dans les activités sociales, avec des amis, des membres de la famille, ainsi que d’autres formes de confrontations au racisme à travers la littérature et les médias (Essed 1991, 36). De plus, il faut analyser comment toutes ces expériences vécues dans différents contextes se rejoignent. « To study everyday racism it is, therefore, necessary to analyse it as a process manifesting itself in multiple relations and situation in everyday life » (Essed 1991, 36).