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CHAPITRE 2. Le racisme quotidien comme objet d’études

B. Everyday racism : le concept de Philomena Essed (1991)

3. De l’importance du contexte

Dans l’ouvrage de Essed (1991), la sociologue compare deux contextes sociaux différents, soit le racisme vécu aux Etats-Unis par les Afro-Américaines et le racisme vécu au Pays-Bas par les immigrantes venues du Suriname, une ancienne colonie hollandaise. L’expérience varie de manière significative dans les deux espaces.

Au niveau de l’acquisition des connaissances sur le racisme, Essed explique que les femmes noires aux Etats-Unis se transmettent cet apprentissage de génération en génération. En

elles donnent un sens à leur réalité contemporaine. Certaines des femmes interrogées sont nées alors que la ségrégation était encore légale, elles ont été confrontées très jeunes à des formes violentes de racisme (p. 94). Leur famille a été une source importante de transmission des connaissance sur le racisme et sur comment y faire face, surtout lorsque les parents et l’entourage participaient au mouvement pour les droits civils. La famille est une source d’autant plus importante pour la compréhension du racisme, explique encore la sociologue, que la présence de l’antiracisme dans le système d’éducation et dans les médias demeure marginale.

The information they received at home was consistent with their personal experiences of racism. Therefore, the acquisition of knowledge of racism was probably a natural and gradual process. Because they gained insight into racism from an early age, they identified with other Blacks and with the struggle against racism. This knowledge did not remain static but continually developed and adapted itself to new circumstances. They learned how to use their comprehension of racism to survive within the system while at the same time fundamentally rejecting the system (p.97).

De leur côté, la plupart des femmes noires aux Pays-Bas, originaires du Suriname, ont acquis leurs connaissances sur le racisme après leur immigration (Ibid.). En raison de leur éducation coloniale (elles ont émigré au Pays-Bas dans les années 1970, avant l’indépendance de 1975), peu d’entre elles ont développé une connaissance critique du colonialisme néerlandais. Elles avaient au contraire des attentes positives par rapport aux Néerlandais, les imaginant sympathiques et riches.

Indeed the majority of the women were largely ignorant about Dutch racism when they came to the Netherlands. In other aspects, however, they were quite well informed about life in the Netherlands. The colonial system of education was, as one woman puts it, "permeated with what they called the Dutch culture. A lot was known [about the Netherlands] from history books, geography books and reading books" (s9) (p. 92).

Essed souligne ainsi une différence dans la compréhension du racisme des afro-américaines aux Etats-Unis par rapport aux nouvelles arrivantes noires au Pays-Bas. Les personnes racisées ayant grandi dans une société à dominance blanche deviennent des expertes du racisme, elles savent naviguer dans les deux mondes et savent reconnaître très jeunes ce qui est un comportement acceptable de ce qui ne l’est pas. Tandis que les nouvelles arrivantes sont moins préparées et acquièrent leurs connaissances sur racisme avec leurs propres expériences. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne comprennent pas le racisme contemporain qui agit au Pays-Bas.

The Surinamese women knew that "the roots [or racism] were there all along » (s7). Others agreed that "nothing has essentially changed since slavery. It’s a bit more glossed over, but not really changed" (s11). (p.92)

Le mythe de la tolérance

Une particularité à souligner dans l’expérience du racisme au Pays-Bas, car on pourrait comparer ce contexte avec le contexte canadien, est l’effet de la suppression idéologique qu’Essed nomme le « mythe de la tolérance » :

Unlike U.S. Black women, Black women in the Netherlands experience a specific Dutch form of ideological suppression, that is, the myth of tolerance (7 NL). If the reality is defined as a reality of tolerance, there is no legitimate basis for opposition to racism. The Dutch take it for granted that they are tolerant and that racism is virtually nonexistent in their country. (p.115)

En outre, pour les femmes aux Pays-Bas, le racisme s’expriment surtout de manière covert (discrète, camouflée, subtile), tandis qu’aux Etats-Unis, il y a davantage de formes ouvertes et flagrantes. Lorsque les expressions du racisme sont manifestées de manière à être atténuées, ou dans le déni, ou de manière inconsciente, il est très difficile de confronter les membres du groupe dominant avec une autre perspective de la réalité, « such as the infusion of racism into the routine practices of daily life, induces moral indignation » (p.115).

The pressures of the moral rejection of racism and the encouragement of equality values have made an impact to the extent that individuals may have become blind to the racist implications of their communications and interactions with Black people (Karp, 1981; Manning & Ohri, 1982; Milner, 1981). Furthermore Whites are generally motivated to present themselves to others as non- prejudiced. This has been illustrated with social psychological experiments (…) as well as through discourse analysis (…). (p.59)

En d’autres mots, pour Essed, étudier le racisme quotidien dans un pays qui se targue d’être un modèle de pluralisme est d’un grand intérêt sociologique et influe énormément sur l’expérience du racisme quotidien. Car le racisme opère par et à travers le pluralisme. Il serait intéressant de comparer le modèle de pluralisme hollandais avec celui au Canada nommé « multiculturalisme », et sa version québécoise l’ « interculturalisme »31.