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L’interdiction de polluer : une obligation d’abstention au

Titre I. Les approches normatives classiques de protection des eaux

Chapitre 1. L’interdiction de polluer : une obligation d’abstention au

Le principe selon lequel il ne devait pas être causé de dommage de pollution aux eaux douces transfrontières fut conçu initialement comme une obligation d’abstention, c’est-à-dire une obligation qui impose à l’État de s’abstenir de certaines actions.115 Ce constat résulte de la formulation de l’interdiction de polluer dans la pratique internationale entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle (Section I). Toutefois, les développements ultérieurs dans le domaine du droit international fluvial vont atténuer la portée de l’obligation (Section II).

Section I. La formulation de l’obligation d’abstention de polluer dans la pratique

Les premières conventions consacrées aux questions de frontière ou réglementant la pêche dans les eaux frontières avaient pour particularité d’imposer à l’État de s’abstenir de toute action susceptible de polluer le cours d’eau comme mesure moyenne de lutte contre les atteintes à la qualité des ressources en eau partagées. L’approche n’était donc pas encore à la prévention de la pollution, qui par essence appelle à l’action au travers des mesures concrètes, mais était plutôt tournée vers l’interdiction stricte de polluer, attendue comme un résultat que doit atteindre l’État. Si cette formulation négative de l’interdiction de polluer ressort d’une pratique conventionnelle particulièrement riche (I), des controverses surgissent sur le contenu absolu ou non de l’interdiction ainsi formulée (II).

I. Les enseignements de la pratique conventionnelle

Au XIXe et au début du XXe siècle, la majorité des conventions formulaient une interdiction très restreinte quant à son champ d’application. Il n’était pas encore fait mention expresse d’une interdiction générale de polluer l’eau ; la ressource était encore perçue à travers ses usages. Toutefois, de premiers linéaments de cette interdiction de polluer peuvent y être observés.

L’interdiction concernait en particulier l’introduction de certaines substances réputées dangereuses pour les ressources halieutiques. C’était notamment le déversement dans les eaux des rivières ou des lacs de matières ou résidus agricoles ou industriels nuisibles aux poissons qui était interdit.

115 R. Pisillo Mazzeschi, « Responsabilité de l'État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l'homme », RCADI, vol. 333, 2008, p. 224.

C’est le cas par exemple de la Convention arrêtant des dispositions uniformes sur la pêche dans le lac de Constance de 1869,116 qui dispose à son article 10

§ 1 : « Il est interdit de verser ou de faire écouler dans les eaux fréquentées par les poissons des résidus de fabrique ou autres matières qui, par leur nature et leur quantité, pourraient nuire aux poissons ».117 Allant dans le même sens, la Convention sur la pêche dans le Rhin de 1887118 dispose à son article 4 § 1 qu’est interdit « [l]’emploi de matières explosibles ou d’autres matières nuisibles (particulièrement la dynamite, les cartouches explosibles, les amorces empoisonnées et les matières destinées à étourdir les poissons) ».119

Progressivement des clauses de portée plus générale se firent plus fréquentes et formulaient l’obligation de manière plus stricte. Le Traité entre les États-Unis et le Canada relatif aux eaux frontières (1909) est le plus ancien en la matière.120 Aux termes de son article 4, les deux États ont convenu « que les eaux définies comme eaux frontière et eaux coulant à travers la frontière ne doivent pas être polluées d’un côté ou de l’autre ».121 De même le Traité franco-allemand portant délimitation de la frontière pose en son article 44 la

116 Berne, 9 décembre 1869, NRG, 1ère série, vol. 20, p. 166.

117 Une disposition identique figure dans les traités suivants : Convention arrêtant des dispositions uniformes sur la pêche dans le Rhin et ses affluents, Bâle, 25 mars 1875, NRG, 2e série, vol. 2, p. 60 (art. 10) ; Convention entre la Suisse et l’Italie arrêtant des dispositions uniformes sur la pêche dans les eaux limitrophes, Lugano, 13 juin 1906, SLNU, n°230, p. 839 (12 § 5).

118 Lucerne, 18 mai 1887, SLNU, n°113, p. 397.

119 Une disposition similaire peut être trouvée dans les traités suivants : Convention pour régler la pêche dans le lac de Garde, Riva, 9 août 1883, NRG, 2e série, vol. 11, p. 598 (art. 7) ; Convention arrêtant des dispositions uniformes sur la pêche dans le lac de Constance, Bregenz, 5 juillet 1893, SLNU, n°114, p. 403 (art. 4.1) ; Convention concernant la pêche dans le lac inférieur de Constance et le Rhin, Constance 3 juillet 1897, SLNU, n° 218, p. 778 (§ 11) ; Convention la pêche dans les eaux du Danube et du Pruth, Bucharest, 2/22 février 1901, NRG, 2e série, vol. 30, p. 487 (art. IV) ; Convention concernant les mesures à prendre pour la conservation et l’exploitation de la pêche dans les eaux du Danube, 29 novembre 1901, Sofia, NRG, 2e série, vol. 33, p. 277, (art. III) ; Convention la pêche dans les eaux du Danube et du Pruth, Bucharest, 16/29 octobre 1907, NRG, 3e série, vol. 1, p. 907 (art. IV) ; Déclaration relative à l’exercice de la pêche dans la Bidassoa, Bayonne, 6 avril 1908, NRG, 3e série, vol. 3, p. 256 (art. XI) ; Convention finno-soviétique concernant le maintien des chenaux principaux et la réglementation de la pêche dans les eaux limitrophes Helsing-Fors, 28 octobre 1922, SLNU, n° 173, p. 642 (art.5) ; Convention entre l’Allemagne et la Pologne concernant le droit de pêche dans les eaux frontières Berlin, 10 décembre 1927, NRG, 3e série, vol. 30, p. 291 (art. 12) ; Convention roumano-yougoslave concernant le régime des eaux, 14 décembre 1931, RTSDN, vol. 135, p. 32 (art. 32) ; Accord entre la Colombie et le Venezuela sur le statut du régime frontalier, Caracas, 5 août 1942, SLNU, n°67, p. 225 (art. 23) ; Avenant franco-espagnol à la Convention du 18 février 1886 relative à l’exercice de la pêche dans la Bidassoa, Paris, 24 septembre 1952, SLNU, n° 192, p. 694 (art. 11) ; Accord hongro-yougoslave sur la pêche dans les eaux frontières, Belgrade, 25 mai 1957, SLNU, n°229, p. 836 (art. 5) ; Accord entre l’Italie et l’Autriche concernant les relations économiques entre les zones de frontières des deux États, Rome 28 avril 1923, SLNU, n°139, p. 484 (art. XIV).

120 Washington, 11 janvier 1909, SLNU, n°79, p. 261.

121 Cet article fut repris dans le préambule de l’Accord de 1972 relatif la qualité des eaux dans les Grands Lacs, Ottawa, 15 avril 1972, ILM, 1972, p. 694.

règle selon laquelle « chaque partie prendra, en ce qui la concerne, les mesures d’hygiène nécessaires pour assurer la pureté et la salubrité des eaux ».122 Dans certains cas, l’obligation stricte de ne pas polluer est limitée à un agent polluant. Ainsi, l’Accord entre la Finlande et la Norvège sur le flottage du bois se borne à interdire la pollution par écorces (Article III).123 De même, l’Accord entre les États-Unis et le Canada relatif au Saint-Laurent maritime interdit le rejet de cendres, mazout, déchets huileux par les machines, installations, bateaux et chalands utilisés aux travaux d’aménagements du Saint-Laurent.124 Le Traité relatif à la liaison Escaut-Rhin, quant à lui fait obligation à la Belgique de combattre la salinité et la pollution des eaux (article 3 [h]) et exige des deux parties qu’elles empêchent que les ordures, huiles ou autres matières flottantes n’atteignent certaines parties de la voie navigable (article 17 § 1).125

Dans d’autres cas, l’interdiction stricte couvre directement les activités polluantes. L’article 2 de la Partie III des Dispositions relatives à la frontière commune à la Belgique et à l'Allemagne de 1922 dispose par exemple que:

« Les bassins ne seront préjudiciés par aucune construction, établissement ou usine, dont les écoulements pourraient polluer les eaux ».126 De même le Traité relatif au régime de la frontière d’État soviéto-polonaise dispose en son article 19 que :

122 Paris, 14 août 1925, SLNU, n°178, p. 657. Une disposition similaire peut être trouvée dans les instruments suivants : Convention relative au règlement de la question des eaux et des digues à la frontière germano-danoise, 12 avril 1922, RTSDN, vol. 10, p. 200 (art. 29); Dispositions relatives à la frontière commune à la Belgique et à l’Allemagne, Aix-La-Chapelle, 6 novembre 1922, SLNU, n°118, p. 411(art. III, 2 al. 3 in fine) ; Accord entre la Belgique et le Royaume-Uni sur les droits d’eau à la frontière entre le Tanganyika et le Ruanda Urundi, Londres, 22 novembre 1934, SLNU, n°4, p. 97 (art. 3) ; Accord relatif au régime de la frontière soviéto-finlandaise, Moscou, 9 décembre 1948, RTNU, vol. 217, p. 135(art. 13); Traité entre l’URSS et la Norvège relatif au régime de la frontière, Oslo, 29 décembre 1949, RTNU, vol. 83, p. 342 (art. 14) ; Traité entre la Pologne et la RDA concernant la navigation dans les eaux frontalières et l’usage et le maintien des eaux frontalières, Berlin, 6 février 1952, RTNU, vol. 304, p. 161 (art. 17) ; Traité concernant le régime de frontière soviéto-tchécoslovaque, Moscou, 30 novembre 1956, RTNU, vol. 266, p. 302 (art. 14) ; Traité relatif au régime de la frontière soviéto-iranienne, 14 mai 1947, RTNU, vol. 457, p. 213 (art. 10 § 1) ; Traité concernant les eaux frontières soviéto-afghan Moscou, 18 janvier 1958, RTNU, vol. 321, p. 166 (art. 13) ; Accord finno-soviétique relatif aux eaux frontières, Helsinki, 24 avril 1964, RTNU, vol. 537, p. 253 (art. 4) ; Acte de Santiago concernant les bassins hydrologiques, Santiago, 26 juin 1971, A/CN.4/274, I, 205 (art. 2) ; Déclaration argentino-uruguayenne sur les ressources en eau, 9 juillet 1971, A/CN.4/274.I.207.

123 14 février 1925, RTSDN, vol. 49, p. 393.

124 Ottawa, 27 février 1957, SLNU, n°64, p. 206.

125 La Haye, 13 mai 1963, RTNU, vol. 540, p. 3. Voir également les instruments suivants : Accord concernant le régime de frontière étatique soviétique-polonaise Moscou, 8 juillet 1948, SLNU, n°240, p. 887 (art. 17) ; Traité concernant le régime de la frontière étatique soviétique-roumaine Moscou, 25 novembre 1949, SLNU, n°250, p. 919 (art. 17); Traité relatif au régime de la frontière étatique soviétique-hongroise, Moscou, 24 février 1950, SLNU, n°226, p. 823 (art. 17).

126 Aix-La-Chapelle, 6 novembre 1922, SLNU, n°118, p. 411.

« Les autorités compétentes des parties contractantes prendront des mesures pour assurer la propreté des eaux frontières et, à cet effet, veilleront à ce qu’elles ne soient ni polluées ni souillés par des substances chimiques ou des déchets d’établissements industriels, par le rouissage du lin ou du chanvre ou de toute autre manière ».127

Dans toutes les dispositions précitées, l’interdiction est formulée sous forme d’obligation spécifique d’abstention imposant ainsi à l’État un résultat à atteindre : celui d’empêcher le déversement de certaines substances toxiques identifiées. A défaut de prescrire des mesures spécifiques pour atteindre ce résultat, l’approche d’abstention est étroitement liée au mécanisme de responsabilité internationale. En effet, l’obligation de s’abstenir de polluer renvoie à une obligation de résultat : la violation sur le plan de la responsabilité internationale se réalise par la simple réalisation de l’action interdite à l’État. L’approche de l’abstention s’inscrit donc dans une perspective réactive par rapport au comportement de l’État. Il n’est cependant pas clair si les États à cette époque envisageaient l’abstention, autrement dit l’obligation de résultat de ne pas polluer, de manière absolue ou non. La Convention du 9 décembre 1869 arrêtant des dispositions uniformes sur la pêche dans le lac de Constance a pris soin d’atténuer expressément la portée de l’abstention de polluer en disposant que

« lorsque les intérêts de l'agriculture ou de l'industrie l'exigeront, l'autorité compétente pourra en accorder la permission, mais, dans ce cas, elle prescrira les mesures nécessaires pour atténuer le plus possible l'influence pernicieuse de ces matières ».128

Toutefois, dans la majorité des cas, les textes restent silencieux. Ce silence laisse entrevoir les controverses liées à la détermination de l’étendue exacte de l’obligation.

II. Les controverses sur le contenu de l’interdiction

Deux thèses se sont opposées quant au contenu de l’interdiction de polluer en tant qu’obligation négative à la charge de l’État : nous avons d’une part les partisans de la théorie de l’intégrité territoriale absolue qui entrainerait une interdiction absolue de polluer (A) et, d’autre part, les partisans de la balance d’intérêts qui fait référence à une interdiction relative de nature particulière (B).

127 Moscou, 15 février 1961, RTNU, vol. 420, p. 161. Une disposition similaire figure également dans instruments suivants : Convention entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie concernant des questions découlant de la délimitation de la frontière, Praha, 14 novembre 1928, RTSDN, vol. 110, p. 425 (art. 47) ; Convention entre la Lettonie et la Lithuanie relative à l’exploitation de la pêche dans les eaux limitrophes de 1931, Riga, 25 janvier 1931, RTSDN, vol. 118, p. 184 (art. 9).

128 Berne, 9 décembre 1869, NRG, 1ere série, vol. 20, p. 166.

A. La théorie de l’intégrité territoriale absolue

Certains auteurs ont défendu la thèse selon laquelle l’interdiction de polluer emporterait pour l’État l’obligation de n’altérer en aucune manière la qualité des eaux. L’interdiction est donc envisagée de manière absolue. C’est la thèse des partisans de la théorie de l’intégrité territoriale absolue.129

Particulièrement favorable à l’État d’aval, la théorie de l’intégrité territoriale absolue postule que l’État d’aval a le droit à ce qu’il ne soit pas porté atteinte ni à la quantité ni à la qualité de l’eau qu’il reçoit. Stephen McCaffrey, à juste titre, voyait dans cette théorie « an extreme form of the principle sic utere ut alienum non laedas ».130

Parmi les défenseurs de ce point de vue, on retrouve Max Huber, qui formule ainsi sa pensée :

« en principe, chaque État dispose librement de son territoire et exerce son autorité exclusivement sur celui-ci, il n’a ni le droit d’agir sur un territoire étranger ni l’obligation de subir de tels agissements. Ne peuvent être considérés comme agissements illicites par-delà les frontières de l’État que ceux qui exercent une influence sur l’état naturel ou artificiellement constitué des choses et de ce fait sur les droits de l’autre État ».131

Oppenheim, dans son traité de droit international, exprime une opinion analogue en ces termes:

« For it is a rule of International Law that no State is allowed to alter the natural conditions of its own territory to the disadvantage of the natural conditions of the territory of a neighbouring State. For this reason a State is not only forbidden to stop or divert the flow of a river which runs from its own to a neighbouring State, but likewise to make such use of the water of the river as either causes danger to the neighbouring State ».132

De même, Fauchille a estimé qu’un État riverain « ne peut, en aucun cas, par des déversements de matières ou autrement, altérer les eaux d’un fleuve international. Il y a ici en cause un intérêt humanitaire d’ordre général : la

129 Sur la théorie voir notamment, S. C. McCaffrey,The Law of International Watercourses, op.

cit., pp. 126-135 ; L. Caflisch, « Règles générales du droit des cours d’eau internationaux », op.

cit., pp. 51-54 .

130 S. C. McCaffrey,The Law of International Watercourses, op. cit., p. 133.

131 M. Huber, « Ein Beitrag zur Lehre von der Gebietshoheit von Grenzflüssen », Zeitachrift für Völkerrecht, 1907, pp. 159 et s. traduit par M. Wolfrom, L’utilisation à des fins autres que la navigation des eaux des fleuves, lacs et canaux internationaux, Pedone, Paris, 1964, p. 33.

132 L. F. Oppenheim, International Law. A Treatise, Longmans Green, London/ New York, 1955, vol. I., pp. 474-475.

santé publique veut que l’eau et les produits du fleuve, comme le poisson, ne soient point contaminés ». 133

La thèse de l’intégrité territoriale absolue apparaît également dans la Résolution de Madrid de l’Institut de droit international adoptée en 1911 sur la réglementation internationale de l’usage des cours d’eau internationaux en dehors de l’exercice du droit de navigation.134 La Résolution pose en effet en ce qui concerne les fleuves successifs à l’art II. 2 la règle selon laquelle :

« Toute altération nuisible de l’eau, tout déversement de matières nuisibles (provenant de fabriques, etc.) est interdit ».

Au final, la théorie de l’intégrité territoriale absolue attribue aux États d’aval un droit d’usage sur l’ensemble des ressources aquatiques. Elle leur confère aussi un droit de véto sur toutes les utilisations qui pourraient être faites de la ressource par les États d’amont.135 La théorie favorise ainsi dans ses ultimes conséquences le dernier État riverain en aval, qui seul disposerait du droit d’utiliser à volonté du cours d’eau international.136 En cela, la théorie de l’intégrité absolue est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des États. Elle fut rejetée par une pratique quasiment uniforme.137

B. La théorie de la balance des intérêts

La théorie de la balance d’intérêts trouve sa formulation dans la jurisprudence américaine. D’emblée, il convient de noter que les affaires concernées ne portent pas spécifiquement sur la pollution des ressources en eau, mais plutôt sur le dommage quantitatif causé à l’État. Néanmoins, les principes dégagés dans ces affaires peuvent être appliqués par analogie aux atteintes à la qualité de l’eau. La théorie de la balance des intérêts poursuit l’objectif d’une interdiction relative de polluer. Elle postule que pour déterminer la violation de l’obligation de ne pas causer de dommage, il faut établir une balance des intérêts entre le dommage causé et le bénéfice engendré. Le dommage causé ne serait ainsi interdit que dans la mesure où il remettrait en cause l’équité qui doit exister entre les parties.

Cette thèse a notamment été développée dans l’arrêt rendu par la Cour suprême des États unis en 1907 dans l’affaire Kansas v. Colorado.138Dans cette

133 P. Fauchille, Traité de Droit international public, tome I, 1925, p. 451.

134 AnnIDI, session de Madrid, 1911, pp. 265-367.

135 L. Caflisch, « Règles générales du droit des cours d’eau internationaux », op. cit., p. 53 .

136 J. Sohnle, Le droit international des ressources en eau douce…, op. cit., p. 250.

137 Ibid., pp. 250-251 ; L. Caflisch, « Règles générales du droit des cours d’eau internationaux », op.

cit., p. 54.

138 Kansas v. Colorado, 206 U.S. 46, 117 (1907).

affaire, le Kansas, État d’aval, reprochait au Colorado, État d’amont, de détourner les eaux de l’Arkansas pour l’irrigation des terres dans le Colorado, empêchant ainsi l’écoulement naturel et habituel du cours d’eau au Kansas et privant de ce fait ses populations d’eau en quantité suffisante. Il prétendait notamment que le Colorado violait « the fundamental principle that one must use its own so as not to destroy the legal rights of another ».139

Pour trancher le différend, la Cour suprême releva tout d’abord l’applicabilité du droit international au différend en cause:

« Nor is our jurisdiction ousted, even if, because Kansas and Colorado are States sovereign and independent in local matters, the relations between them depend in any respect upon principles of international law… Sitting, as it were, as an international law, as well as a domestic tribunal, we apply Federal law, state law, and international law, as the exigencies of the particular case demand ».140

Sur ce fondement, la Cour souligna l’égalité de droits entre les deux États comme principe cardinal dans le règlement du différend.141 Cette approche emporte notamment une balance des intérêts en présence afin de déterminer dans quelle mesure la violation du droit à l’utilisation du cours du Kansas est avérée. Appliquant une telle méthode, la Cour suprême nota que « the diminution of the flow of water in the river by the irrigation of Colorado has worked some detriment to (…) Kansas (…) ».142Néanmoins, elle trancha que :

« When we compare the amount of this detriment with the great benefit which has obviously resulted to…Colorado, it would seem that equality of right and equity between the two States forbids any interference with the present withdrawal of water in Colorado for purposes of irrigation ».143

En conséquence, la Cour rejeta la plainte du Kansas tout en reconnaissant

« the right of the plaintiff to institute new proceedings when ever it shall appear that through a material increase in the depletion of the waters of the Arkansas by Colorado (…) the substantial interests of Kansas are being injured to extent of destroying the equitable apportionment of benefits between the two States resulting from the flow of the river ».144

139 Kansas v. Colorado, op. cit., p. 48.

140 Kansas v. Colorado, op. cit., p. 98.

141 Ibid., op. cit., p. 100.

142 Ibid., op. cit., pp. 113-114.

143 Ibid., op. cit., p. 114.

144 Ibid., op. cit., pp. 117-118.

En vertu de cette décision, la violation de l’obligation de ne pas causer de dommage requiert la preuve par l’État demandeur, d’une part, qu’il y a dommage et, d’autre part, que ce dommage est plus important que l’intérêt tiré de l’activité qui la cause. En dernière analyse, la théorie de la balance d’intérêts sans s’inscrire formellement dans l’approche de la thèse de la souveraineté absolue,145 s’en rapproche sous certains aspects.146 En effet, elle fait une part belle aux États d’amont au détriment des États d’aval en leur reconnaissant le droit de disposer en toute liberté des eaux qui traversent leur territoire dès lors qu’ils prouvent que l’intérêt tiré de cette jouissance supplante le dommage qui peut être causé aux États tiers.

En doctrine, la thèse de la balance d’intérêts a été défendue par Herbert A.

Smith. Essayant de définir les principes applicables à l’utilisation économique des fleuves internationaux, l’auteur identifie celui de l’unité physique naturelle et indivisible des fleuves internationaux comme l’un des principes généraux.147 Du principe de l’unité physique naturelle et indivisible des fleuves internationaux, Smith déduit la règle selon laquelle :

Smith. Essayant de définir les principes applicables à l’utilisation économique des fleuves internationaux, l’auteur identifie celui de l’unité physique naturelle et indivisible des fleuves internationaux comme l’un des principes généraux.147 Du principe de l’unité physique naturelle et indivisible des fleuves internationaux, Smith déduit la règle selon laquelle :