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L’intensité variable de l’obligation d’information

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Conclusion du Titre

Section 1 – La responsabilité du mandataire

A- L’intensité variable de l’obligation d’information

313. Distinction des différentes obligations d’information. Dans la théorie générale de l’information824, le terme d’ « information » est générique. La jurisprudence utilise

indifféremment plusieurs notions (obligation d’alerter, d’éclairer, d’avertir…) qui ont toutes comme point commun d’inciter le détenteur d’une information à la transmettre à son interlocuteur. Dans le mandat, la Cour de cassation use de la terminologie « renseignement » et « conseil »825. Indubitablement, ces deux expressions ne sont pas synonymes. Au sens courant, déjà, on relève une différence de degré. Alors que le renseignement décrit « un fait

que l’on porte à la connaissance de quelqu’un », le conseil se définit comme

l’« opinion donnée à quelqu’un sur ce qu’il convient de faire ». Autrement dit, la première information est objective, brute, standardisée ; la seconde est subjective, originale et orientée.

314. Plus exigeante que l’obligation de renseignement, l’obligation de conseil exige, outre l’apport quantitatif d’informations techniques, une appréciation qualitative de ces différents éléments, c’est-à-dire « une mise en lumière de l’opportunité même de certaines

décisions »826. En d’autres termes, le créancier de l’obligation de conseil attend du débiteur

qu’il l’oriente, lui indique la voie à suivre. « Le débiteur ne se borne plus à énoncer les faits.

Il doit, au moins partiellement, faire apparaître à l’autre partie leurs conséquences quant à

824 Voir, en particulier, M. F

ABRE-MAGNAN, De l’obligation d’information dans les contrats : Essai d’une théorie, préface de J. GHESTIN, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit privé, Tome 221, 1992.

825

Supra, n° 310.

826 M. F

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l’opportunité de conclure le contrat envisagé »827

. C’est l’information la plus complète que le

bénéficiaire puisse espérer et elle va bien au-delà du respect des instructions reçues. Un avocat, par exemple, doit – quelles que soit les instructions reçues - conseiller son client sur l’étendue des moyens de défense qui sont à sa disposition et lui indiquer ce qu’il convient de faire828. En pratique, ce devoir de conseil ne s’impose pas aux seuls mandataires professionnels mais à tout professionnel, quel que soit l’objet de l’intervention. On la retrouve ainsi dans le contrat d’entreprise829, du rédacteur d’actes830

, du garagiste831… et plus généralement dans toute relation contractuelle dans laquelle un déséquilibre existe. Fort logiquement le mandat ne pouvait y échapper chaque fois que le pouvoir est donné à un initié.

315. Ainsi, « l’obligation de conseil se distingue de l’obligation de renseignement

uniquement par le contenu, le degré de l’information transmise »832

. La première est une « incitation »833, une « mise en relation du renseignement brut avec l’objectif poursuivi par le

créancier de l’obligation d’information »834

quand la seconde n’est qu’un « simple fait

brut »835, « objectif »836.

316. Mise en œuvre : examen de la jurisprudence. De ce point de vue là, le conseil est manifestement plus contraignant pour le débiteur que le simple renseignement837. Dans cette optique, il est largement souhaitable que, pour éviter d’engager sa responsabilité, le mandataire professionnel doive se plier à une obligation de conseil et le mandataire néophyte à une obligation de renseignement.

317. Ponctuellement, c’est le législateur lui-même qui l’a expressément prévu pour certains mandats de droit spécial. A cet égard, l’on pense essentiellement à l’avocat, qu’il agisse en tant que mandataire ou en tant que représentant ad litem. Concernant ce professionnel838, l’article 412 du Code de procédure civile dispose en effet que « la mission d'assistance en

827 J. G

HESTIN, Traité de droit des obligations – Les obligations : le contrat, formation, Tome 2, L.G.D.J, 1988, spéc. n° 458, p. 374.

828

Civ. 1, 9 mai 1996 - Bull. civ., 1996, I, n° 191.

829 Par exemple : Civ. 1, 25 novembre 2003 - Bull. civ., 2003, I, n° 235. 830 Par ex. : Civ. 1, 7 juillet 1998 - Bull. civ., I, n° 238.

831 Par ex. : Com., 25 février 1981 - Bull. civ., 1985, IV, n° 109. 832

M. FABRE-MAGNAN,thèse précitée, p. 385, n° 471.

833 R. S

AVATIER, « Les contrats de conseil professionnel en droit privé », D., 1972, 1, chron. pp. 137 et s., spéc. n° 10.

834 En ce sens, M. F

ABRE-MAGNAN,thèse précitée, n°476, p. 389.

835 Ibid.. 836

R. SAVATIER, op. cité.

837 En ce sens, M. F

ABRE-MAGNAN,thèse précitée, n° 472, pp. 385-386.

838 Sur la responsabilité de l’avocat voir not. H.A

DER,A.DAMIEN, Règles de la profession d’avocat, avec la collaboration de S. BIGOT DE LA TOUANNE, Dalloz, coll. Dalloz action, 3ème éd., 2011-2012, spéc. n° 90 et s., pp. 753 et s..

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justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie839 et de présenter sa défense sans l'obliger », ce qui signifie que le conseil constitue, ab initio, un aspect de la mission qui lui est

dévolue. Mais, le plus souvent, c’est la jurisprudence qui est venue consacrer cette obligation de conseil à l’égard de la plupart des mandataires professionnels840

. Tel est le cas du notaire841 pour lequel un tel devoir a été reconnu dès la fin du XIXème siècle. Dans un arrêt en date du 4 avril 1872, la chambre civile de la Cour de cassation constate la responsabilité d’un notaire qui, tout en connaissant la situation obérée du vendeur n’avait transmis « que des informations

équivoques qui ne pouvaient éclairer suffisamment un campagnard ignorant et illettré »842. Par la suite, la solution n’a pas varié et a été constamment reprise ; à titre d’exemple on peut mentionner un arrêt rendu par la chambre des requêtes le 22 janvier 1890 dans lequel les juges du droit ont affirmé que « le notaire institué (…) a également pour mission d’éclairer ses

clients sur les conséquences de leurs engagements et de suppléer par son initiative à leur inexpérience »843 ; on peut encore citer un arrêt de la première chambre dans lequel la Cour de cassation sanctionne une Cour d’appel pour avoir exonéré de toute responsabilité le notaire «

sans préciser les éléments desquels il déduisait que le notaire avait rempli son obligation de conseil en éclairant l'acquéreur sur les risques que comportait l'acte qu'il signait, compte tenu de la complexité de la situation juridique »844 ; ou enfin, plus proche de nous, un arrêt de 2007 dans lequel la Cour juge que « le notaire, professionnellement tenu d'informer et

d'éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu'il établit, ne peut être déchargé de son devoir de conseil envers son client par les compétences personnelles de celui-ci »845.

318. Parallèlement, d’autres mandataires professionnels se sont également vus imposer, afin d’échapper à la mise en œuvre de leur responsabilité, cette obligation de conseil. C’est notamment le cas de l’agent immobilier846, pour lequel il a été jugé qu’il « [était] tenu d'une obligation de renseignement et de conseil vis à vis de son mandant et [qu’]il [devait],

839 Nous soulignons. 840

Plus généralement, il faut souligner que cette obligation de conseil a été étendue à la plupart des cocontractants professionnels, mandataire, intermédiaire, gérant pour autrui ou autre.

841 Sur la responsabilité des notaires voir not. J.

DE POULPIQUET, La responsabilité civile et disciplinaire des notaires : de l'influence de la profession sur les mécanismes de la responsabilité, préface de P.-A. SIGALAS, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit privé, Tome 136, 1974. Du même auteur, La responsabilité des notaires : civile, disciplinaire, pénale, Dalloz, coll. Dalloz référence, 2ème édition, 2009.

842 Civ. 4 avril 1872 : D.P., 1872, 1, p. 363. 843 Req., 22 janvier 1890 : D.P., 1872, 1, p. 194. 844 Civ. 1, 12 mai 1976 - Bull. civ., 1976, I, n° 168. 845

Civ. 1, 3 avril 2007 - Bull. civ., 2007, I, n° 142.

846 L. M

AUPAS, « Le devoir d'information de l'agent immobilier », L.P.A., 18 octobre 2007, p. 4 ; P. PILLET, « L'obligation d'information et de conseil de l'agent immobilier à l'égard de l'acquéreur », A.J.D.I., 2008, 1ère partie « A la recherche de la nature de l'obligation », p. 263 et 2ème partie « A la recherche du contenu de l'obligation », p. 366.

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notamment, lui donner des informations loyales sur la valeur du bien mis en vente, lorsqu'il apparaît que le prix demandé est manifestement sous-évalué sans raison »847. L’agent

d’affaires, également, est, « en raison de sa qualité de professionnel, mandataire salarié, tenu

d'une obligation de conseil »848. Le courtier d’assurance, encore, « commerçant indépendant

et professionnel de l'assurance, [qui] a à l'égard de son client une obligation de conseil et d'exacte information »849.

319. L’obligation de mise en garde. Plus récemment, l’on a vu émerger en jurisprudence, l’existence d’une obligation de mise en garde. Celle-ci se définit comme l’obligation par laquelle le débiteur d’une information doit attirer l’attention du créancier sur les risques de l’opération. Plus souple que l’obligation de conseil, l’obligation de mise en garde est en revanche plus contraignante que l’obligation de renseignement. Elle suppose, outre la transmission de l’information, que le sachant souligne les difficultés objectives de l’acte envisagé. L’obligation de mise en garde a été mise au jour, au milieu des années 1990, dans un arrêt rendu le 27 juin 1995 par le première Chambre civile de la Cour de cassation à propos de la responsabilité du banquier850. Les faits étaient les suivants : afin de financer la construction de leur maison, un couple obtient un crédit bancaire. Ne parvenant pas à le rembourser, ils assignent l’établissement de crédit au motif que le professionnel a manqué à son obligation de renseignement. Pour sa défense, ce dernier démontre avoir parfaitement exécuté l’ensemble des obligations qui sont imposés aux établissements bancaires. L’argument n’est pas reçu par la Cour de cassation qui constate la responsabilité du banquier « qui consent un prêt dont les charges sont excessives au regard de la modicité des ressources

de l'emprunteur, sans avoir mis en garde cet emprunteur sur l'importance de l'endettement résultant de l'octroi de ce prêt ». Avec cet arrêt, les premières pierres de l’édifice étaient

jetées851, mais tout restaient encore à construire. C’est au terme d’un feuilleton jurisprudentiel

847

Civ. 1, 30 octobre 1985 - Bull. civ., 1985, I, n° 277. Sur le caractère professionnel de l’obligation, voir par exemple Civ. 1, 18 avril 1989 - Bull. civ., 1989, I, n° 150 : « Manque à son devoir de conseil l'agent immobilier qui omet d'informer l'acheteur de l'immeuble vendu par son entremise de l'existence des désordres apparents qui affectent celui-ci et qu'en sa qualité de professionnel de l'immobilier il ne peut ignorer ».

848

Com., 10 février 1970 - Bull. civ., 1970, IV, n° 47.

849 Civ. 1, 6 novembre 1984 – Bull. civ., 1984, I, n° 291.

850 Civ. 1, 27 juin 1995 - Bull. civ., 1995, I, n° 287 : D., 1995, p. 621, note S. P

IEDELIEVRE ; R.T.D. Com., 1996, p. 100, note M. CABRILLAC ; R.T.D. Civ., 1996, p. 384, note J. MESTRE ; JCP E. 1996, II, p. 722, note D. LEGEAIS ; Défrenois 1995, p. 1416, note D. MAZEAUD ; Revue de Droit bancaire, 1995, p. 185, note F.-J. CREDOT et Y. GERARD ; E. SCHOLASTRIQUE « Les devoirs du banquier dispensateur de crédit. », Défrénois, 1996, p. 689.

851 Pour plusieurs auteurs, les premiers signes de cette obligation de mise en garde sont apparus l’année

précédente : Civ. 1, 8 juin 1994 - Bull. civ., I, n° 206 ; R.T.D. Com., 1995, p. 170, note M. CABRILLAC ; JCP E., 1995, II, p. 652, note D. LEGEAIS ; Revue de Droit bancaire, 1994, p. 173, note F.-J. CREDOT et Y. GERARD.

186 qui dura dix années que l’existence d’une obligation de mise en garde devait être pleinement consacrée852.

320. D’abord limitée au prêt bancaire, l’obligation de mise en garde a ensuite été étendue à d’autres hypothèses, notamment aux prestataires de service d’investissement et aux assurances emprunteur. Mais, plus intéressant pour notre sujet, l’existence d’une obligation de mise en garde a été révélée dans le mandat. Plus précisément, ce sont les banquiers mandataires qui se sont vus imposées cette obligation853.

321. L’intérêt principal de cette nouvelle obligation est d’instituer une obligation d’information équilibrée. L’examen du régime juridique de la mise en garde montre en effet que les juges s’attachent aux compétences respectives des parties, et, en particulier, à celles du créancier de l’information. Plus précisément, au travers du critère original de l’emprunteur « non averti », c’est la capacité intellectuelle, à comprendre ou à ne pas comprendre les risques encourus qui est prise en compte. Cette exigence est particulièrement évidente dans les termes de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et dans lequel il est affirmé que l’existence d’une obligation de mise en garde est rejetée au motif que l’emprunteur « était en mesure d’appréhender les risques et l’opportunité du crédit »854

. A notre sens, cette distinction averti – non averti présente l’avantage de coller au plus près de la réalité, ce que ne permet pas la distinction professionnel – non professionnel. Alors que la

852 A partir de 1995, l’on assiste en effet à une opposition entre la première Chambre civile particulièrement

protectrice des intérêts de l’emprunteur (par ex. Civ. 1, 8 juin 2004 - Bull. civ., 2004, I, n° 166 : D., 2004, A.J., p. 1897 ; R.T.D. Com., 2004, p. 581, note D. LEGEAIS ; JCP E., 2004 , p. 1442, note D. LEGEAIS ;JCP G., 2004, II, 10142, note Y. DAGORNE-LABBE ; Revue Banque et Droit, nov.- déc. 2004, p. 5, note T. BONNEAU ;G.P., 27- 31 mars 2005, note F. BOUCARD ; Revue de droit bancaire, juillet-août 2004, n° 158, note F.-J. CREDOT et Y. GERARD) et la Chambre commerciale profondément attachée aux intérêts du banquier. (Par ex. Com., 11 mai 1999 - Bull. civ., IV, n° 95 : D., 1999, I.R., p. 155 ; R.T.D. Com., 1995, p. 733, note M. CABRILLAC ; JCP E., 1995, II, p. 1730, note D. LEGEAIS. Voir également : Com., 26 mars 2002 - Bull. civ., 2002, IV, n° 57 : D., 2002, A.J., p. 1341, note A. LIENHARD ; R.T.D. Com., 2002, p. 523, note M. CABRILLAC ; R.T.D. Civ., 2002, p. 507, note J. MESTRE et B. FAGES ; R.D.I., 2003, p. 57, note H. HEUGAS –DARRASPEN ; JCP G., 2002, IV, 1828 ; JCP E., 2002, II, p. 652, note A. GOURIO. Com., 24 septembre 2003 - Bull. civ., 2003, IV, n° 137 : D., 2003, A.J., p. 2568 ; R.T.D. Com., 2004, p. 142, note D. LEGEAIS ; R.D.I., 2004, p. 181, note H. HEUGAS –DARRASPEN ; JCP G., 2003, IV, 2778 ; Revue Banque et Droit, janvier- février 2004, p. 57, note T. BONNEAU.)

A cette époque, la divergence entre les deux chambres était telle qu’un alignement s’avérait nécessaire. Par trois arrêts en date du 12 juillet 2005, la première chambre civile introduit une distinction entre l’emprunteur averti et l’emprunteur profane, opérant ainsi un infléchissement en faveur de la position commercialiste. (Civ. I, 12 juillet 2005 - Bull. civ., 2005, I, n° 324, n°325, n° 326, n°327 ; D., 2005, A.J., p. 2276, note X. DELPECH et Jur. p. 3094, note B. PARANCE ; R.T.D. Com., 2005, p. 820, note D. LEGEAIS; JCP E., 2005 , p. 1359, note D. LEGEAIS ;JCP G., 2005, II, 10140, note A. GOURIO ; Revue Banque et Droit, nov.- déc. 2005, p. 80, note T. BONNEAU ;R.D.I., 2006, p. 123, note H. HEUGAS –DARRASPEN.) Par trois arrêts du 3 mai 2006 la chambre commerciale instaure un devoir de mise en garde au profit des emprunteurs profanes, professionnels ou pas, (Com., 3 mai 2006 – Bull. civ., 2006, IV, n° 101, 102, 103), mettant ainsi un terme à la divergence jurisprudentielle.

853

Civ. 1, 12 juillet 2007 – Bull. civ., 2007, I, n° 266.

187 première distinction suppose que l’on apprécie la personnalité des parties (il s’agit donc d’un critère subjectif), la seconde repose sur des éléments objectifs, l’intervention dans ou en dehors du domaine professionnel. C’est la raison pour laquelle il nous semble opportun d’étendre cette obligation à d’autres hypothèses que celle du banquier mandataire. En effet, au regard de l’évolution du mandat855

, de plus en plus de mandants sont avertis des risques que représentent pour eux la vie des affaires. Pour autant, au regard de la définition qui est donné du critère « professionnel », il n’est pas certain qu’ils soient reconnus comme tel chaque fois qu’ils feront appel à un intermédiaire pour des besoins annexes à leur activité professionnelle.

322. Synthèse. Dans l’ensemble, l’examen du contenu du devoir d’information est donc

relativement satisfaisant. Il montre, en effet, que la Cour de cassation s’est appuyée sur les déséquilibres en présence. Sans doute, le système est perfectible, mais il n’en reste pas moins que, de manière générale, elle a pris acte de certaines évolutions du contrat.

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