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L’intensité du contrôle supra-légal de la qualité rédactionnelle de la loi

Titre I./ L E DROIT À LA SÛRETÉ

A) L’intensité du contrôle supra-légal de la qualité rédactionnelle de la loi

197. L’appréciation européenne matérielle de l’existence de la base légale.

Fidèle à sa conception classique de la légalité766, la Cour européenne des droits de l’Homme n’exige pas que la privation de liberté repose sur une loi au sens organique, mais sur une norme au sens matériel, si bien qu’elle ne s’intéresse pas à la valeur hiérarchique ou à la nature de celle-ci mais à sa qualité767. Par principe, une circulaire768, une jurisprudence769, le statut de la Cour pénale internationale770, ou une note verbale diplomatique771, peuvent fonder

n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience la révèle hors d’atteinte. En outre la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation » [CEDH, plén., 26 avr. 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1), req. n° 6538/74 : série A, n° 30 ; § 49]. La loi ne saurait être prévisible si elle n’est pas claire, pas précise, ou inintelligible, à admettre que chacun des trois cas vise des défauts de rédaction nettement distincts. Si l’accessibilité se distingue plus nettement de la prévisibilité, pour viser « l’accès » à la norme, la Cour utilise parfois les deux qualifications, pour finalement s’intéresser à leur prévisibilité [v. par ex., CEDH, gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne, req. n° 42750/09 § 91 et s. : la Cour se réfère aux notions de prévisibilité et d’accessibilité, alors qu’elle étudie, d’après l’intitulé même de la subdivision, la prévisibilité]. L’accessibilité impose que « le citoyen » puisse « disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné » [Sunday Times (n° 1) : préc.]. La notion n’a que peu d’intérêt, au-delà de l’accès public aux normes, et si la notion de « renseignements suffisants » pourrait servir à accueillir des développements sur l’accès à un expert juridique, la notion de « prévisibilité »la contient aussi.

764 V. supra, n° 137.

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V. infra, n° 668.

766 V. Sunday Times (n° 1) : préc.

767 CEDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, req. n° 19776/92 : Rec. CEDH, 1996-III ; RSC, 1997, p. 457, obs. R. KOERING-JOULIN ; D., 1997,p. 203,obs. S. PEREZ ; § 50. La Cour ajoutait que la norme devait être « suffisamment accessible et prévisible afin d’éviter tout danger d’arbitraire ».

768Amuur : préc. La privation de liberté subie par les requérants en zone internationale du 9 au 29 mars 1992 se fondait à l’époque uniquement sur une circulaire du 26 juin 1990. La norme de la circulaire n’est pas par nature écartée.

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CEDH, sect. I, 26 juil. 2007, Webber c. Suisse, req. n° 3688/04. – CEDH, sect. I, 10 juin 2010,

Borer c. Suisse, req. n° 22493/06. Un nombre plus important de précédents, en l’espèce quatre, ne suffit pas non plus, lorsqu’ils ne concernent pas strictement l’application des mêmes règles juridiques.

770 CEDH, sect. III, 9 oct. 2012, Djokaba Lambi Longa c. Pays-Bas, req. n° 33917/12, déc. : Rec. CEDH, 2012.

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une privation de liberté, encore faut-il cependant que la base invoquée ait bien valeur normative772 et soit en vigueur773. Une telle conception, qui ne déroge pas aux autres domaines de la Convention774, pourrait apparaître décevante et peu protectrice, mais au final, presque à chaque fois qu’une norme de faible valeur juridique a été soumise à l’examen de la Cour, sa qualité a été écartée par un examen rigoureux de la prévisibilité775. Sa confrontation à des systèmes juridiques d’inspirations différentes l’oblige à adopter cette conception, d’autant plus qu’à la différence de la légalité criminelle, la légalité de la privation de liberté est un principe dont la reconnaissance expresse est plus timide dans le texte de la Convention. La prévisibilité, dans sa conception traditionnelle, reçoit un examen fixe (1). Elle pourrait être développée, dans une dimension plus audacieuse, vers un examen rétrospectif, en matière de privation de liberté (2).

La prévisibilité : l’examen fixe 1)

198. L’application du droit commun. La jurisprudence constitutionnelle, pour

les mesures de contrainte de l’enquête et de l’instruction, a repris expressément les exigences de clarté et de précision, sans exigence supérieure aux autres domaines776. La Cour européenne des droits de l’Homme applique aussi en matière de privation de liberté une

772 V. pour l’avis d’un membre éminent du parquet, CEDH, sect. III, 6 mars 2001, Dougoz c. Grèce, req. n° 40907/98 : Rec. CEDH, 2001-II ; § 57.

773 CEDH, sect. IV, 7 juil. 2009, Grori c. Albanie, req. n° 25336/04 ; § 157 et s. La privation de liberté d’un détenu, réalisée dans l’attente d’un transfèrement vers un pays étranger, ne respecte pas l’article 5 § 1er

lorsqu’elle repose sur les principes généraux tirés de Conventions internationales, qui ne sont pas encore entrées en vigueur dans l’État. – Medvedyev, sect. V : préc. ; § 56. Une Convention internationale à laquelle l’État n’est pas partie ne peut servir de base légale.

774 V. par ex. pour l’art. 8, CEDH, ch., 24 avr. 1990, Kruslin c. France, req. n° 11801/85 : Rec. CEDH, série A, n° 176-A ; D., 1990, p. 187, obs. R. KOERING-JOULIN ; ibid., p. 353, note J. PRADEL ; RSC, 1990, p. 615, obs. L. E.PETTITI ; § 27 et s.

775 V. les arrêts cités en référence supra.

776 Le Conseil constitutionnel a lui-même tiré du principe de l’interdiction de toute rigueur non nécessaire, l’obligation pour le législateur « de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis » lorsque ceux-ci définissent la délimitation de moyens de contrainte dérogatoires au droit commun [déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 : préc. ; consid. n° 5]. Ce contrôle a été opéré plus précisément concernant la liberté individuelle, dans une décision sur les perquisitions fiscales en 1983 [Cons. const., déc. n° 83-164 DC du 29 déc. 1983 relative à la loi de finances pour 1984 : J. O., 30 déc. 1983, p. 3875 ; JCP, 1984, II, n° 20160, comm. R.DRAGO

et A. DECOCQ]. Pour le Conseil constitutionnel, les dispositions en cause « ne précisent pas l’acceptation du terme "infraction" qui peut être entendu en plusieurs sens et ne limitent donc pas clairement le domaine ouvert aux investigations en question ». Le raisonnement du Conseil constitutionnel se référait bien aux notions de « clarté » et de « précision », termes consacré plus tard pour la légalité criminelle [déc. n° 80-127 DC des 19 et 20 janv. 1981 : préc.], imposant cette même exigence à la loi portant atteinte à la liberté individuelle. Plus récemment, le Conseil constitutionnel a validé la création d’une nouvelle prolongation du délai de garde à vue, notamment au motif que « les dispositions critiquées sont formulées en termes suffisamment clairs et précis pour éviter l’arbitraire », examen qui lui permettait, entre autres, d’écarter « une atteinte excessive à la liberté individuelle » [déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 : préc. ; consid. n° 26].

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définition de la prévisibilité semblable à celle consacrée pour les autres libertés fondamentales et limitée à la qualité rédactionnelle777. Et si désormais la Cour européenne confond ses exigences, quant à la qualité de la loi de la norme privative de liberté, dans la notion de sécurité juridique778, les implications minimales de la notion s’imposent779.

199. Le contrôle de la base légale générale et abstraite : la précision.

La prévisibilité s’oppose à l’ambiguïté ou l’équivoque, c’est son élément de clarté. La prévisibilité n’est pas respectée par « le libellé […] suffisamment vague pour susciter des doutes quant à ses implications exactes et pour se prêter à plus d’une interprétation »780. La prévisibilité s’oppose aussi à la généralité : c’est son élément de précision. La précision empêche de tirer le recours à la privation de liberté d’un texte renvoyant plus largement à toute mesure de contrainte adaptée, sans référence expresse et détaillée à la privation de liberté781, ce que la Cour européenne des droits de l’Homme a fermement rappelé dans

777 V. CEDH, gde ch., 23 févr. 2012, Creanga c. Roumanie, req. n° 29226/03 : Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. DREYER ; Gaz. Pal., 15 mars 2012, p. 31, obs. C. BERLAUD ; § 120. La formule reprise est pratiquement similaire à celle consacrée dans l’arrêt Sunday Times [v. infra, note n° 763].

778

CEDH, sect. I, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, req. n° 28358/95 : Rec. CEDH, 2000-III ; § 52 : « la Cour souligne que lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique ».

779 Si la notion de sécurité juridique s’organise bien autour de la notion de la prévisibilité, elle concerne tout autant les « conséquences juridiques de leurs actes par les sujets de droit et englobe alors les exigences de connaissance et de qualité formelle du droit » que le « droit lui-même [et] implique dans ce cas une certaine forme de stabilité des normes et de l'ordre juridiques » [A.-L. VALEMBLOIS, « La constitutionnalisation de l'exigence de sécurité juridique en droit français » ; CCC, 2005, n° 17]. Seuls les premiers éléments sont consacrés nettement pour la privation de liberté.

780 CEDH, sect. I, 15 juin 2006, Jurjevs c. Lettonie, req. n°70923 ; § 43.

781 Il n’est pas acceptable à ce titre que « le petit dépôt » ait été fondé sur les pouvoirs innomés du juge d’instruction de l’article 81 du Code de procédure pénale en droit français [CA Paris, ch. de l’instruction, 2 juil. 2003 : inédit]. La Cour de cassation dans la même affaire avait rejeté à juste titre ce fondement textuel, pour l’admettre cependant sur le fondement de l’ordre du juge d’instruction, sans plus de précision [Cass. crim., 25 nov. 2003, n° 03-85.076 : Bull. crim., n° 221 ; Dr. pén., 2004, comm. n° 42, obs. A.MARON ; RSC, 2005, p. 381, J.BUISSON ; Procédures, 2004, comm. n° 60, note J. BUISSON]. Au même titre, une privation de liberté ne doit pas être fondée sur le pouvoir général de police administrative. Si la Cour de cassation a écarté à juste titre ce fondement pour justifier les vérifications administratives d’identité [Cass. crim., 5 janv. 1973, Friedel, n° 72-90.278 : Bull. crim., n° 7], le commissaire du gouvernement JOSEPH KRULIC, dans ses conclusions relatives aux « retenus de Folembray », affirmait pourtant que le pouvoir général de police administrative existait « même à l’égard des libertés publiques les plus fortement protégées par la loi telle la liberté d’aller et venir » [J. KRULIC, concl. sur TA Versailles, 6 déc. 1994, Bahri, Naami et Chibani ; RFDA, 1995, p. 371 ; v. en même sens B. TOULEMONDE, obs. sous l’arrêt Friedel : Bull. crim., n° 7 ; AJDA, 1973, p. 600]. La Cour européenne des droits de l’Homme, bien qu’ayant une vision plus large de la norme privative de liberté, rejette également les textes généraux de contrainte, sans prévision expresse du recours à la privation de liberté [v. par ex., pour un accord verbal international prévoyant uniquement l’arraisonnement d’un navire, Medvedyev, gde ch. : préc.]. D’ailleurs, la Cour a écarté l’existence d’une base légale au petit dépôt, sans considération pour la jurisprudence française [v. CEDH, 27 juil. 2006, Zervudacki c. France, req. n° 73947/01 : RTDH, 2007, n° 70, p. 559, comm. M. PUECHAVY, ou CEDH, sect. V, 30 nov. 2008, Maire d’Église c. France, req. n° 20335/04 :

Dr. pénal, 2009, n° 9, chron. V. LESCLOUS]. Dans le même sens, la Cour a rejeté qu’une situation critique, de son propre aveu, au cours d’une manifestation, mêlant des étrangers en situation irrégulière, ne pouvait justifier sans loi des arrestations et des vérifications réalisées au poste de police [CEDH, sect. IV, 23 juil. 2013,

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l’affaire Medvedyev782, comme dans le cadre des internements préventifs, réalisés par les forces armées britanniques, durant la guerre en Irak783. La précision doit aussi permettre de censurer l’absence de délimitation précise d’un cas de privation de liberté, dont le recours est expressément prévu par la base légale784 : la détention doit être fixée « dans des cas et sous des formes et conditions strictement définis » par le législateur785.

200. Le contrôle de la base légale spéciale et concrète : la permanence. Si en

matière de relations diplomatiques, la Cour admet par principe qu’une note verbale puisse servir de base légale, c’est à la condition qu’elle constitue une « pratique courante et

privations de liberté, pour lesquelles elle abandonne l’exigence de légalité, lorsque leur nécessité est établie [v. supra, n° 22].

782 CEDH, sect. V, 10 juil. 2008, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 ; D., 2008, p. 3055, note P. HENNION-JACQUET ; AJP, 2008, p. 469, obs. C. SAAS. L’arrêt Medvedyev [v. pour les faits, infra, note n° 795] est d’autant plus important qu’il concerne la matière de la coopération internationale et de la poursuite d’infractions graves, domaines traditionnels dans lesquels la Cour accorde parfois de la souplesse. La Convention des Nations Unies de Montego Bay du 15 décembre 1982 sur le droit de la mer, de manière générale à son article 108, prévoit que « tout État qui a de sérieuses raisons de penser qu’un navire battant son pavillon se livre au trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes peut demander la coopération d’autres États pour mettre fin à ce trafic ». La Cour estime que l’accord entre la France et le Cambodge, autorisant « à intercepter, contrôler et engager des poursuites judiciaires » en application de la Convention, constituait le fondement légal de l’arraisonnement. Toutefois, la Cour, par l’analyse stricte des termes de l’accord, refuse que celui-ci couvre la détention. La Grande chambre validait l’analyse [Medvedyev, gde ch. :

préc.].

783 CEDH, gde ch., 7 juil. 2011, Al-Jedda c. Royaume-Uni, req. n° 27021/08 : Rec. CEDH, 2011 ; AJDA, 2012, p. 143, chron. L. BURGORGUE-LARSEN. Une résolution de l’ONU, autorisant simplement la création d’« une force multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak », n’est pas assez précise pour servir de fondement à des internements préventifs.

784 Le Conseil constitutionnel a censuré pour la première fois un projet de loi sur le fondement de l’article 66 de la Constitution dans sa décision du 12 janv. 1977 concernant la visite des véhicules [Cons. const., déc. n° 76-75 DC du 12 janv. 1977 relative à la loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions : J. O., 13 janv. 1977, p. 345 ; D., 1978, jur., p. 173, comm. L. HAMON et J. LÉAUTÉ]. Ce qui était critiqué, selon les termes mêmes de la décision, c’est bien la largesse du pouvoir de porter atteinte à la privation de liberté sans cantonnement strict : « l'étendue des pouvoirs, dont la nature n'est, par ailleurs, pas définie, conférés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs pourraient s'exercer et de l'imprécision de la portée des contrôles auxquels ils seraient susceptibles de donner lieu ». Cette décision a d’ailleurs très tôt été interprétée comme « un conseil de modération donné aux majorités actuelles et futures » [L. HAMON et J. LÉAUTÉ : op. cit.]. Le Conseil constitutionnel rappelait la même exigence lorsque, saisi de la loi de finances pour 1984 qui créait un nouveau cas de perquisition fiscale [déc. n° 83-164 DC du 29 déc. 1983 : préc.], il censurait ce dispositif sous le visa de l’article 66 de la Constitution, reprochant au texte l’absence de contrôle efficace du juge judiciaire de la perquisition et la qualité de la loi, celle-ci pouvant « donner lieu à des autorisations générales ». Le Conseil constitutionnel a appliqué le principe, pour la privation de liberté, concernant la prolongation de la rétention administrative [Cons. const., déc. n° 93-325 DC : préc.]. Le Conseil censurait la prolongation supplémentaire de trois jours applicable à tous les étrangers subissant une rétention administrative : « qu'en étendant à tous les étrangers qui ont fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière […] la possibilité de les retenir pendant trois jours supplémentaires, dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, […] la loi a méconnu la Constitution ». Le Conseil constitutionnel dans un obiter dictum posait des critères restrictifs pour autoriser une telle prolongation.

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continue »786. En revanche, la Cour se montre plus stricte pour la pratique de droit interne : même répandue, elle ne peut fonder une privation de liberté787. Au final, la question de la validité de la base spéciale et concrète concerne principalement la jurisprudence : si un seul précédent ne peut servir à fonder une privation de liberté788, une jurisprudence constante, même contra legem, est efficace789.

201. L’application de la « prévisibilité » à l’ensemble du contenu de la

privation de liberté. Si logiquement l’exigence de prévisibilité est essentielle concernant les

conditions qui opèrent sa délimitation790, la Cour européenne des droits de l’Homme l’applique à tous les éléments de la privation de liberté imposés par la Convention791

, et même à ceux qui ne sont pas imposés par la Convention et dépassent le standard minimum de la protection des personnes privées de liberté792, et même aussi à l’interprétation judiciaire de la loi normative de privation de liberté793, y compris en matière d’aménagement de la privation de liberté794.

202. La survivance de l’adage Male captus, bene detentus en droit français.

La lutte contre la piraterie et contre le trafic maritime de stupéfiants a permis de confronter le juge national au contrôle de la base légale de la privation de liberté, concernant les arrestations, réalisées par les forces militaires françaises à l’étranger, de suspects, retenus ensuite jusqu’à leur conduite en France par voie maritime pour y être jugés. Dans la fameuse affaire du Winner795, qui allait être examinée par la Cour européenne des droits de l’Homme

786 V. Medvediev, gde ch. : préc. ; § 99 et s. En l’espèce, une seule note verbale diplomatique concernant l’arraisonnement d’un navire ne suffisait pas à assurer la prévisibilité.

787 CEDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, req. n° 28358/95 : Rec. CEDH, 2000-III ; § 56.

788

CEDH, sect. I, 26 juil. 2007, Webber c. Suisse, req. n° 3688/04.

789 CEDH, gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, req. n° 11364/03.

790 V. par ex. pour le contrôle de la « sécurité juridique » appliqué à l’obligation prévue par la loi permettant la privation de liberté sur le fondement de l’art. 5 § 1er-b), CEDH, sect. II, 5 avr. 2011, Sarigiannis c. Italie, req. n° 14569/05.

791 V. par exemple pour l’étude de la législation organisant le recours en légalité de la privation de liberté de l’article 5 § 4, CEDH, sect. V, 28 oct. 2010, Knebl c. République Tchèque, req. n° 20157/05 ; § 87.

792 V. par ex. pour l’exigence de la prévisibilité appliquée à la libération conditionnelle, alors même que le mécanisme n’est pas imposé par la Convention, CEDH, sect. V, 8 sept. 2011, Oshurko c. Ukraine, req. n° 33108/05 ; § 98.

793Firoz Muneer : préc. ; § 53 et s.

794 CEDH, sect. III, 9 juil. 2013, Ciobanu c. Roumanie et Italie, req. n° 4509/08.

795

Cass. crim., 15 janv. 2003, n° 02-86.936 : Bull. crim., n° 12. Le cargo le Winner, immatriculé au Cambodge et soupçonné de transporter une importante cargaison de drogue, faisait l’objet le 7 juin 2002 d’une note verbale du ministre des Affaires étrangères cambodgien, autorisant l’intervention des autorités françaises pour « intercepter, contrôler et engager des poursuites judiciaires ». L’arraisonnement du navire par un bâtiment de marine militaire français avait lieu le 13 juin 2002. Un remorqueur fut dépêché de Brest pour le prendre en charge et le dérouter vers le port français, sans pouvoir dépasser une vitesse supérieure à cinq nœuds, en raison de la vétusté du Winner. Les membres de l’équipage furent consignés dans les cabines, sous la garde des militaires français. Le 26 juin 2002, à 8 h 45, le Winner entrait dans le port de Brest, et les membres d’équipage furent placés en garde à vue. Les 28 et 29 juin 2002, les requérants furent mis en examen et placés sous mandat de dépôt.

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dans les arrêts Medvedyev, si la Cour de cassation s’attachait à rechercher l’existence d’une base légale à la privation de liberté jusqu’à l’arrivée sur le territoire des marins suspectés de se livrer à un trafic de stupéfiants, trouvée dans une Convention internationale prévoyant des pouvoirs généraux, elle opérait un contrôle plutôt léger796. Dans l’affaire du Ponant797, alors que la Cour de cassation reconnaissait une pleine application à l’article 5 dès l’arrestation des pirates par les forces militaires françaises en Somalie798, elle s’intéressait surtout à la traduction immédiate des suspects devant l’autorité judiciaire, imposée par la disposition conventionnelle, sans véritablement contrôler l’existence d’une base légale spéciale799. Dans

796 Elle fondait notamment la détention de l’équipage sur le fondement de l’article 17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de Vienne du 20 décembre 1988, alors pourtant que l’État du Cambodge, sous lequel le navire battait pavillon, n’était pas partie à la Convention. La Cour européenne des droits de l’Homme avait écarté en conséquence ce fondement [Medvedyev, gde ch. : préc.]. La disposition de la Convention en cause restait de toute manière bien trop générale pour être un fondement de qualité, celle-ci autorisant les États à « arraisonner le navire », « visiter le navire » et « si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, prendre les mesures appropriées à l’égard du navire, des personnes qui se trouvent à bord et de la cargaison ». De la même manière, la Cour de cassation s’appuyait sur la note verbale diplomatique, davantage pour légitimer l’intervention française plutôt que l’arrestation et la détention, fondement rejeté par la Cour européenne des droits de l’Homme également.

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Cass. crim., 16 sept. 2009, n° 09-82.777 : inédit ; D., 2010, p. 631, note G.POISSONNIER ; JCP, 2010, p. 184,