• Aucun résultat trouvé

L’intemporalité de la qualité sans nom

2. CADRE THÉORIQUE: LES CONCEPTS DE CHRISTOPHER ALEXANDER CHRISTOPHER ALEXANDER

2.2 The Timeless Way of Building

2.2.1 L’intemporalité de la qualité sans nom

Le discours architectural innovateur soutenu par Alexander encourage les constructions intemporelles (timeless) au sens où elles vieilliront sans se dégrader et continueront plutôt de grandir d’elles-mêmes grâce à la vivacité dont elles sont imprégnées. Cette façon de construire constitue un processus autonome qui permet à toute chose, construction ou ensemble de constructions d’être perçue comme étant porteuse d’une force profondément vivante. La citation suivante offre des exemples qui permettent de faire la différence entre quelque chose de vivant (living) et quelque chose de non-vivant (lifeless) en se basant non pas sur sa capacité à respirer et à grandir, mais plutôt sur le sentiment profond qui en émane.

Things which are living may be lifeless; nonliving things may be alive. A man who is walking and talking can be alive; or he can be lifeless. Beethoven’s last quartets are alive; so are the waves at the ocean shore; so is a candle flame; a tiger may be more alive, because more in tune with its own inner forces, than a man. [Alexander, 1979, p. 29]

Le projet qu’Alexander vise à prouver par le développement du pattern language est la simplicité de ce processus afin que tout individu puisse se bâtir au moins un espace qui lui soit propre et où il se sente parfaitement bien, en harmonie, autant avec son environnement qu’avec lui- même. Ce projet, bien qu’utopique, vise la réalisation ou, du moins, la promotion d’un monde entier construit de lieux vivants et cohérents entres eux. Cette cohérence entre les éléments fondamentaux des espaces rend ces derniers habités par une force indestructible. La cohérence permet le maintien du langage architectural ou pattern language intrinsèque à chaque bâtiment puisqu’elle leur permet d’être sans conflit structurel. Le dévoilement et l’étude de la relation langage-espace constitue le sujet principal du livre The Timeless Way of Building. Alexander précise que ce procédé n’est pas une stricte liste d’étapes à réaliser systématiquement, mais plutôt une méthode ou une discipline innée à l’humain. Confinée en nous, peut-être oubliée au fil des décennies au profit de l’efficacité et de la mécanisation de la production, cette discipline s’inspire du monde naturel en créant de l’ordre à partir du chaos et en nous rappelant notre relation ultime avec notre environnement.

There is one timeless way of building. It is thousands of years old, and the same today as it has always been. The great traditional buildings of the past, the villages and tents and temples in which man feels at home have always been made by people who were very close to the center of this way. It is not possible to make great buildings, or great towns, beautiful places, places where you feel yourself, places where you feel alive, except by following this way. [Alexander, 1979, p. 7]

Au cœur de ce processus intemporel, se tient inévitablement une qualité impossible à nommer : la qualité sans nom. Elle peut être ressentie, tout simplement, de la façon la plus primitive qu’un animal ou qu’un homme peut le faire : à la manière d’une intuition qui nous dit que quelque chose est tout à fait vrai ou tout à fait faux [Alexander, 1979, p. 26]. Les espaces ainsi que les individus porteurs de cette qualité sont libres de contradictions, en paix totale avec leur vraie nature. Ils sont libres de tout conflit intérieur, chacun à leur façon et en accord avec leurs caractéristiques uniques. Cette qualité intangible et innommable est difficile à décrire. Selon Alexander, elle peut

sans égo et éternelle. Chaque mot, à sa manière, expose une certaine facette de la qualité, mais sans la décrire parfaitement puisqu’elle ne peut pas être nommée précisément.

No word can ever catch the quality without a name because the quality is too particular, and words too broad. And yet it is the most important quality there is, in anyone, or anything. [Alexander, 1979, p. 39]

Cette qualité peut être retrouvée et ressentie dans toute chose, par exemple, l’étincelle dans les yeux d’un enfant comme l’illustre la Figure 6 lorsque le jeune garçon sait qu’il touche à l’interdit, mais aussi dans un rire, un arbre, une pièce, un parc, etc. Elle est reconnue par notre instinct de façon innée comme quelque chose de fondamentalement paisible et léger. La qualité, lorsque présente, nous libère de nos peurs, de nos anxiétés et des attentes des autres puisque l’individu présent dans un tel espace est entièrement en paix avec lui-même : c’est le dévoilement de sa vraie nature en harmonie avec l’espace.

This wild freedom, this passion, comes into our lives in the instant we let go. It is when all our forces can move freely in us. In nature, this quality is almost automatic, because there are no images to interfere with natural processes of making things. [...] So long as we are still bottled up, like this, there is a tightness about the mouth, a nervous tension in the eyes, a stiffness and a brittleness in the way we walk, the way we move. And yet, until one let go, it is impossible to be alive. [Alexander, 1979, p. 48]

Figure 6 : Photographie évoquant la qualité de vie d’un moment pris sur le vif Source : The Timeless Way of Building, par Christopher Alexander (1979).

La présence de cette qualité, dans l’homme ou dans l’espace, entraîne la création d’un cercle vertueux, car la compagnie d’une chose ou d’un individu porteur de cette qualité génère presque systématiquement cette qualité dans l’autre.

Places which have this quality, invite this quality to come to life in us. And when we have this quality in us, we tend to make it come to life in towns and buildings which we help to build. [Alexander, 1979, p. 53]

Or, comme la qualité de vie, si personnelle et intrinsèque évoque les sentiments des acteurs présents dans les espaces qui contiennent cette qualité, les lieux vivants deviennent perçus comme tel, de façon quasi-universelle. Une pièce tout autant qu’un paysage sans tension sera perçu derechef à sa juste valeur par tous.

For example, if I take people to window places and ask them to compare these window places with those windows in rooms where the windows are flat inserts into the wall, almost no one will say that the flat windows actually feel more comfortable than the window places - so we shall have as much as 95 percent agreement. [Alexander, 1979, p. 294]

Par contre, comme Alexander l’exprime, dès que les individus posent des jugements ou affirment leurs opinions personnelles, la conformité des accords sur les espaces ou les objets se dilue drastiquement. Avec la qualité sans nom, il est question de cœur et non de raisonnement intellectuel.

But the moment I allow people to express their opinions, or mix their ideas and opinions with their feelings, then the agreement vanishes. [Alexander, 1979, p. 295]

Pour conclure, l’importance de la qualité de vie est à souligner dans sa force génératrice d’un pouvoir bénéfique autant pour l’espace que pour l’homme qui s’y trouve. L’intemporalité de la qualité de vie vient du fait qu’elle interpelle directement les sentiments humains qui sont les plus enfouis, les plus profonds et les plus purs. En d’autres mots, la perception de la qualité de vie est d’autant plus claire et juste puisqu’elle est perçue par notre instinct et non par nos opinions biaisées. Les parties prenantes de ce processus, l’homme, l’espace et le discours architectural, deviendront également vivants, entiers, confortables, libres, exacts, sans égo et éternels, exposant ainsi leur unique nature réelle et profonde. C’est ici que la pertinence de ce projet d’Alexander peut être mise en évidence : il permet à tous d’avoir l’opportunité d’être en paix avec eux-mêmes et leur environnement.

Figure 7 : Photographie évoquant le caractère intemporel de la qualité sans nom.

Source : The Timeless Way of Building, par Christopher Alexander (1979)