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CHAPITRE 6- DISCUSSION

6.1 La collaboration enseignant-TES : l’apparence d’une relation professionnelle de qualité

6.1.1 L’instrument de mesure de la collaboration : suffisamment sensible?

L’instrument de mesure utilisé pour juger de la collaboration dans cette étude est le Wilder Collaboration factors inventory développé par Mattesich et son équipe en 2001. Or, même si celui-ci n’a pas été utilisé dans plusieurs études, les facteurs de la collaboration qui y sont relevés sont communément abordés dans la littérature et utilisés pour des études sur le sujet. Par exemple, Gruernert (2005) a également observé la collaboration dans des écoles afin de la mettre en lien avec le rendement des élèves. Dans son étude, elle a mis de l’avant la variable « mission commune » soulignant l’importance pour les professionnels de poursuivre les mêmes buts. Quant à Robbins-Etlen (2007), il a montré lors d’entrevues auprès d’orthopédagogues l’importance d’avoir des rôles clairement établis. La recherche de Rone (2009) visant à implanter une structure de collaboration a elle aussi évalué des facteurs similaires à ceux de cette étude : confiance en l’autre, habilité à résoudre un conflit, compréhension et participation aux décisions d’équipe, responsabilité de ses engagements ainsi que l’identification de buts et de résultats escomptés spécifiques en lien avec les interventions réalisées par l’équipe. Jones, Ratcliff, Sheehan et Hunt (2011) se sont intéressés à la relation de collaboration entretenue entre l’enseignant et le TES. Ils ont quant à eux relevé l’importance de 1) une compréhension du sens du travail d'équipe et des buts partagés, 2) une

identification des forces et compétences de chacun, 3) des habiletés de communication et de partage d'idées, 4) des attentes similaires dans l'équipe. Le respect et la confiance mutuelle sont aussi nécessaires selon les auteurs. Finalement, dans l’outil de collaboration conçu par Mellin, Bronstein, Anderson-Butcher, Amorose, Ball, et Green (2010) pour mesurer la collaboration interprofessionnelle, les facteurs relevés sont (a) la réflexion sur le processus (b) la flexibilité professionnelle (c) des activités de développement professionnel, and (d) le rôle d’interdépendance.

En somme, plusieurs facteurs mentionnés précédemment se retrouvent dans le modèle proposé par Csakovski (2006) pris en considération comme cadre conceptuel aux fins de cette étude. Cependant, aucun facteur ne porte comme tel sur le rôle d’interdépendance dans le questionnaire de Mattesich et son équipe (2001) que nous avons utilisé. Or, il semble bien que c’est un facteur dont il aurait été intéressant de tenir compte tel que le suggère la définition de la collaboration proposée par plusieurs auteurs (Bronstein, 2002; Mattessich, Murray-Close & Monsey, 2001; Portelance, Borges et Pharand, 2011). Il est aussi possible que l’asymétrie entre les statuts de l’enseignant et du TES dont certains auteurs font mention (Maggin, 2011; Tardif et Levasseur, 2005b) pourrait avoir une incidence sur la perception du TES de l’interdépendance dans son équipe. À cet effet, il faut rappeler le rôle de « secouriste » souvent associé au TES dans son interaction avec l’enseignant qui laisse croire que l’enseignant a certainement besoin du TES lors de situations difficiles associées à la gestion des comportements (Ahlgren, 2011; Maggin, 2011; Tardif et Levasseur, 2005b). De plus, dans son étude portant sur la collaboration en milieu scolaire, Bronstein (2002) note l’importance d’avoir des objectifs orientés vers l’élève. Bien que le questionnaire utilisé dans cette étude insiste sur l’importance d’avoir des buts communs, aucune variable ne porte à proprement dit sur l’orientation autour de l’élève. Cette variable aurait pu être un ajout pertinent au questionnaire. Cela dit, puisque les propriétés sociométriques du questionnaire utilisé sont satisfaisantes et que les facteurs qui y sont relevés sont relatés au travers de plusieurs études, il apparait que les variables mises de l’avant pour juger de la collaboration dans cette étude demeurent pertinentes et permettent une juste représentation de la collaboration au sein du duo enseignant-TES.

Par ailleurs, l’échelle de type likert à 5 points utilisé dans le questionnaire sur la collaboration aurait pu donner lieu à une rétention des réponses centrales (« neutre ») et aurait pu affecter les résultats dans ce sens (Clasen & Dormody, 1994). Or, cela n’a toutefois pas été le cas, tel que le montrent les

résultats décrits précédemment. De plus, le choix de créer un indice global pour qualifier le niveau de collaboration, comme d’autres l’ont fait (Goddard, Goddard et Tschannen-Moran, 2007), pourrait aussi avoir influencé les résultats obtenus. Cependant, il demeure que la proportion des TES en accord avec les énoncés était très importante pour l’ensemble des items et donc, que cela ne semble pas avoir joué en défaveur de notre stratégie méthodologique. Par contre, tel que mentionné dans le chapitre sur la méthodologie, certains facteurs proposés dans le modèle de Csakovski (2006) ont été retirés du questionnaire aux fins de notre étude (ressources suffisantes, climat politique favorable, historique de collaboration, leadership) puisqu’ils n’étaient pas suffisamment corrélés aux autres items mesurés et étant donnée leur caractère propre au contexte de l’école (plutôt qu’au duo). Ces facteurs ont toutefois été relevés comme conditions de collaboration dans d’autres études (D’Amour, 1997; D’Amour, Sicotte & Lévy, 1999; McHenry, 2006). Sachant cela, et de façon exploratoire, des analyses corrélationnelles ont été conduites entre ces facteurs que nous avions retirés et les trois niveaux permettant de qualifier la collaboration. Aucun lien significatif n’est toutefois ressorti.

Toujours dans la perspective d’explorer des pistes de réflexion quant à la qualité de la collaboration relevée par le TES, notons que l’outil utilisé permet d’obtenir des données de « perception ». Or les perceptions font appel à différents processus et mécanismes influencés par les expériences, les croyances, les caractéristiques personnelles et les attentes de l’individu (Galand & Vanlede, 2004) et ne sont donc pas nécessairement une mesure objective de la réalité. L’évaluation réalisée ici par les TES quant à la qualité de la collaboration qu’ils entretiennent avec les enseignants avec lesquels ils travaillent chaque jour est donc relative à leurs attentes qui sont elles-mêmes influencées par leurs expériences antérieures. Par exemple, l’énoncé portant sur la communication formelle et informelle au sein du duo ne précise pas un temps précis de la collaboration consacré aux échanges. Ici, les TES ont mentionné être plutôt satisfaits de la communication, mais on ne sait pas quel temps est réellement consacré à celle-ci. Différents auteurs notent d’ailleurs qu’une rencontre formelle de 30 à 40 minutes par semaine serait nécessaire pour collaborer efficacement (French, 2001; Harris, 2012). Or, ici, impossible de savoir si ce temps est effectivement consacré aux échanges tout comme dans d’autres études sur la collaboration qui évaluent généralement une perception de la qualité de la collaboration plutôt que de juger, à partir de critères objectifs, la qualité de la collaboration (Devecchi et Rouse, 2010; Robbins-Etlen, 2007). Gable (2004) note d’ailleurs qu’il existe une différence entre l’intention de collaborer et ce qui arrive effectivement. Il y a donc lieu de se demander ce qu’il en est

réellement de la qualité de la collaboration jugée par les TES. Ainsi, il est évident que ce choix méthodologique a ses limites, il permet tout de même de révéler l’appréciation des TES de la collaboration dans leur équipe. Dans les prochains paragraphes, la perception de la collaboration du TES sera discutée à la lumière de la perception de la collaboration relevée par différents acteurs du milieu scolaire. Il sera également question du contexte spécifique dans lequel collaborent l’enseignant et le TES.