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L’ INSTITUTIONNALISATION D ’ UNE PROTECTION INTERNATIONALE DES MINORITES INTERNATIONALE DES MINORITES

Conclusion du Chapitre 2 : La guerre et les responsabilités

Titre 2. L’ INSTITUTIONNALISATION D ’ UNE PROTECTION INTERNATIONALE DES MINORITES INTERNATIONALE DES MINORITES

Paramètre essentiel du conflit à solder, la question des nationalités s’impose très vite comme l’une des préoccupations majeures de la Conférence de la Paix1411

. Les enjeux sont si importants qu’ils cristalliseront une partie des négociations relatives au Pacte de la future SDN1412 (Chap. 3). En effet, pour Théodore Ruyssen, il faut remonter aux guerres de religions pour retrouver une cause qui aura « fait couler plus de sang, inspiré plus d’héroïsmes » et « fait surgir du sol plus de martyrs »1413

. Ainsi, dès 1916, les représentants des populations allogènes réunis en Congrès à Lausanne estiment que seule une résolution internationale doit être envisagée pour déterminer en la matière ce qu’il « faut proscrire » et ce qu’il « faut prescrire »1414. Malgré le silence du traité constitutif de la Société des Nations, les négociateurs réunis à Paris ont estimé que le maintien d’une paix durable « exigeait l’adoption de certaines mesures » en faveur des populations oubliées par la recomposition de l’Europe1415

. Les mesures de protection adoptées entre 1919 et 1932 (Chap. 4) prennent alors la forme de traités de minorités, de clauses insérées dans les traités de Paix, de conventions particulières et de déclarations unilatérales1416, destinés à « combler les lacunes inévitables du principe du droit des Peuples à disposer d’eux - mêmes »1417.

1411

Albert de LA PRADELLE, « Préface », in Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection…, op.cit., p. I. Union des Nationalités, « IIIe Conférence des Nationalités. Lausanne 27 juin 1916 : étude du problème des nationalités en vue du Congrès des Puissances après la guerre. Documents préliminaires », Office de l’Union des Nationalités, n°10, Lausanne, 1916, p. 33 (chapitre 3, point a). Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection …, op.cit., p. 142.

1412 André MANDELSTAM, La protection internationale…, op.cit., p. 7. Pour Louis Le Fur, la SDN « constitue la première tentative d’organisation positive de la communauté internationale » ; Louis LE FUR, « Les bases juridiques de la Société... », art.cit., p. 31.

1413 Théodore RUYSSEN, Les minorités nationales d’Europe et la guerre mondiale, Les Presses Universitaires de France, Paris, 1924, p. 85.

1414

Union des Nationalités, « IIIe Conférence des Nationalités… », art.cit., p. 37. 1415

Francesco CAPOTORTI, Étude…, rap.cit., p. 18 (§ 92). 1416 Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection…, op.cit., p. 5. 1417

Chapitre 3. Organiser la paix

La Grande Guerre, qui est selon Alvarez « le plus grand cataclysme social que l’histoire ait enregistré »1418

et le volontarisme du Président américain, contribuent à la naissance de la Société des Nations (§ 2), la seule organisation internationale permanente et générale qui ait jusqu’alors abouti1419. Destinée à garantir « l’ardent désir d’une paix durable »1420, l’institution genevoise doit aussi marquer un

revirement considérable avec la diplomatie européenne traditionnelle1421. Cette idée est d’ailleurs résumée par le président américain dans un discours prononcé le 22 janvier 1917 devant le Sénat américain : Wilson appelle à substituer « l’équilibre des puissances » à « une communauté des puissances » pour garantir « une paix commune organisée ». La guerre donne aussi à la question de la protection internationale des nationalités non émancipées une impulsion déterminante. En effet, à l’initiative d’organisations privées, des congrès et des conférences sont tenus, de nombreuses études sont publiées « en vue d’élaborer des projets de solution sur la base du droit des minorités »1422 (§ 1) dans le cadre du nouvel ordre international.

§1. Les antécédents à la protection internationale des minorités

Dans son cours donné à l’Académie de La Haye1423

, André Mandelstam1424 reprend le triptyque dressé par Jacques Fouques-Duparc qui recense les différents contributeurs ayant conduit à la « genèse d’une idée nouvelle »1425 : le droit des minorités. En effet, dans le prolongement des apports du siècle précédent, la question est passée, avec la guerre, « de la théorie du droit public à la vie du droit

1418

Alejandro ALVAREZ, La réforme du Pacte de la Société des Nations, Rapport présenté à la Ve session de l’Union Juridique Internationale, UJI, Juin 1926, p. 3.

1419 Charles ROUSSEAU, Droit international public, tome 2, « Les sujets de droit », Sirey, Paris, 1974, pp. 453-461. 1420

Georges SCELLE, Le Pacte…, op.cit., p. 5.

1421 Olivier de FROUVILLE, L’intangibilité des droits…, op.cit., p. 37. Notamment avec l’alliance austro-allemande de 1879 et du Traité de la Triple Alliance en 1882 ; Charles de VISSCHER, Théories et réalités…, op.cit., p. 52.

1422

Francesco CAPOTORTI, Étude…, rap.cit., p. 17 (§ 82). 1423 Stéphane PIERRÉ-CAPS, ibid., p. 176.

1424 André MANDELSTAM, La protection…, op.cit pp. 392-396. Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection…, op.cit., pp. 142-171 et au chapitre III. Mais aussi, Stéphane Pierré-Caps se penche aussi sur « les sources idéologiques » ; Stéphane PIERRÉ-CAPS, « Le droit des minorités », in Norbert ROULAND (dir.), Stéphane PIERRÉ-CAPS, Jacques POUMARÈDE,

Droit des minorités…, op.cit., pp. 176-183.

1425

international »1426. Il identifie trois principales sources dont les réflexions exerceront une influence majeure malgré les tâtonnements et les compromis : les socialistes autrichiens (A), les associations juives (B) et les mouvements pacifistes (C).

A. La contribution socialiste

Les socialistes se sont très tôt engagés en faveur de la question des nationalités. En effet, dès la première Internationale en 1869, les délégations sont formées sur la base de représentations nationales1427. Ainsi, les Polonais, pourtant éclatés entre trois sujétions, sont représentés en une délégation unique. À partir de 1893 à Zurich, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est proclamé. Il sera réaffirmé par la suite 1428. Mais c’est à la section autrichienne que l’histoire attribuera « le plus grand rôle dans l’évolution de notre problème »1429. Dans un contexte de profonde remise en question de l’édifice impérial1430, le Congrès du parti, réuni à Brünn en septembre 1899 à la demande du Parti social-démocrate polonais de Galicie, préconise la transformation de sa structure de « pays historiques » en un « État de nationalités »1431. La résolution proposée par l’exécutif commun du parti au Congrès est relativement brève et, à bien des égards, imparfaite. Décliné en 5 points, le projet conditionne le règlement de ces différends à une transformation administrative et une démocratisation (« fédération démocratique de nationalités ») de l’Autriche (point 1, mais aussi 2 et 3). Le point suivant prévoit une protection des « minorités nationales » (le terme apparaît) « dans les régions hétérogènes », mais laisse le soin à une « loi spéciale » de l’organiser ultérieurement (point 4). Le dernier point soulève une question plus délicate, celle de la langue. Tout en rejetant « la

1426 Jacques FOUQUES-DUPARC, ibid., p. 142. 1427 Jacques FOUQUES-DUPARC, ibid., p. 150. 1428

Après Zurich (1893), ce principe est réaffirmé à Londres (1896) et à Bâle (1912). Même si la question nationale n’est pas inscrite à l’ordre du jour de la IIe Internationale. Au Congrès de Paris en 1900, une résolution relative aux Arméniens est votée et lors de la réunion du Bureau socialiste International de février 1904, une déclaration de solidarité avec « tous les peuples qui luttent pour leur indépendance dans les Balkans » est approuvée ; Claudie WEILL, « Les internationales et la question nationale », in Jean-Jacques BECKER, Gilles CANDAR, Histoire des Gauches en France : l’héritage du XIXe

siècle, vol. 1, La Découverte, Paris, 2004, pp. 492-493.

1429

André MANDELSTAM, « La protection… », art.cit., p. 392. 1430

Christian MERLIN, La Nation dans l’austromarxisme, thèse de doctorat (dactylographiée), 3 tomes, tome 1, université Paris I, 1986, p. 312.

1431

revendication d’une langue officielle », le projet reconnaît en l’absence de solution alternative, l’allemand « en tant que langue de communication »1432

.

Cependant, à la lecture de ces dispositions, les activités nationales semblent n’être envisagées que sous leur dimension culturelle et linguistique, en évitant d’aborder les sujets les plus sensibles1433

. Dans la rédaction modifiée, qui devient le programme de Brünn, la nature essentiellement culturelle de ces revendications est reprise en préambule. Elle est entendue comme faisant partie « des intérêts vitaux du prolétariat », dans une Autriche démocratisée, débarrassée du centralisme « bureaucratico-étatique » et des privilèges féodaux. De nouveau, c’est un programme en 5 points qui est ensuite détaillé. Si le point 1 relatif à la nature démocratique et fédérale, sur la base du principe des nationalités, est semblable au point 1 de la rédaction initiale, les points 2 et 3 sont déjà plus ambitieux. En effet, le texte prévoit la constitution de chambres nationales élues au suffrage universel direct, dotées de compétences législatives et compétentes pour déterminer le cadre administratif des « corporations nationales d’auto-administration » se substituant aux pays historiques (point 2). La disposition suivante élargie l’autonomie (« parfaitement » remplace « complète ») accordée pour les affaires nationales qui ne sont plus expressément limitées (point 3). Le point 4 ne connaît pas de réelles modifications. Il revient au Parlement de l’Empire de régler, par une loi spéciale, la question des minorités. Enfin, le dernier point est plus hétérogène : il ne mentionne plus une langue spécifique de communication, mais les rédacteurs reconnaissent dans une déclaration solennelle du parti le « droit à l’existence nationale et au développement national », compris dans une solidarité de classe (« internationalement fraternelle et unie dans la lutte »)1434.

Les contradictions importantes de ce schéma essentiellement territorial et très souple, peinent surtout à masquer les profondes divergences entre les représentants allemands et tchèques1435. Cependant, dans cet Empire fragilisé, la crise est propice à un foisonnement intellectuel particulièrement fécond. Le Congrès avait posé les bases d’une réflexion audacieuse, « au-delà de l’horizon idéologique de la pensée socialiste

1432

Christian MERLIN, La Nation dans…, op.cit., p. 313. 1433

Christian MERLIN, ibid., p. 314.

1434 Reproduit in Christian MERLIN, ibid., pp. 326-327. 1435

de l’époque »1436

. Dans les dernières décennies du régime, le courant austro-marxiste, terme assez générique et tombé un temps dans l’oubli1437, contribue à enrichir le débat national1438 : il cherche une solution intermédiaire à l’assimilation ou à la sécession1439. Même si certains auteurs hongrois avaient précédemment envisagé ces questions, elles vont être enrichies et développées par les travaux d’Otto Bauer et surtout de Karl Renner1440, qui n’avait même pas participé aux débats du Congrès malgré ses travaux. Le modèle qu’ils proposent est singulier car il vise à dépasser le conflit latent qu’une lecture traditionnelle de la question nationale semble conforter. Pour Bauer1441, devant l’impossibilité de faire correspondre les frontières et les nations, il s’agit d’accorder aux minorités, au sein de chaque subdivision, une

personnalité juridique de droit public autonome1442 suivant le « système

personnel »1443. Karl Renner qui le complète, se montre plus ambitieux sur le plan institutionnel dont il donne plus de détails. Afin de « dépolitiser la question nationale »1444, il préconise une subtile combinaison territorialité/personnalité qui reviendrait, en résumé, à réserver le principe territorial à la démocratie politique et le principe de personnalité à la démocratie nationale (extraterritoriale)1445. Dans son projet, la nation, établie sur la base d’un répertoire, comme en Moravie en 1905, devient une institution juridique « constituée selon le principe de personnalité »1446, et l’État devient l’agrégat de cet ensemble interethnique. Au niveau des communes, entités administratives les plus proches, l’auteur prévoit, lorsqu’elles sont mixtes et suivant les mêmes modalités, une spécialisation en communes nationales agissant en commun à titre subsidiaire (commune politique) pour les matières d’intérêts

1436 Christian MERLIN, ibid., pp. 328.

1437 Il semblerait que ce terme soit apparu en 1907, sous la plume de l’américain Louis B. Boudin, avant que cette dénomination ne soit reprise par les intéressés. Mais l’auteur de la thèse préfère une approche plus conceptuelle. L’austromarxisme correspond alors à cette période « où un groupe de socialistes autrichiens commença à publier des ouvrages et des contributions théoriques indépendamment d es socialistes allemands » en réponse, « sur le plan philosophique, à la contestation du marxisme par les écoles néo-kantiennes […] aux arguments économiques des économistes marginalistes autrichiens […] [pour] appliquer la conception matérialiste historique à des phénomènes très complexes telle que la question nationale […] ». D’un point de vue chronologique, les dates de 1904, avec le lancement de la collection

Marx-Studien, et de 1907, avec la revue Der Kampf, lui semblent être les plus pertinentes ; Christian MERLIN, ibid., pp. 5-8.

1438 Hélène CARRÈRE D’ENCAUSSE, « Unité prolétarienne… », art.cit., p. 224.

1439Stéphane PIERRÉ-CAPS, « Le droit des minorités », in Norbert ROULAND (dir.), Stéphane PIERRÉ-CAPS, Jacques POUMARÈDE, Droit des minorités…, op.cit., p. 176.

1440 Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection…, op.cit., p. 49.

1441 Otto BAUER, La question des nationalités et la social-démocratie, tome 2, Guérin Littérature, Arcantère éd., Paris, Montréal, 1987, 592 p.

1442 André MANDELSTAM, « La protection… », art.cit., p. 392. 1443 Jacques FOUQUES-DUPARC, La protection…, op.cit., p. 49. 1444

Claudie WEILL, « Les Internationales… », art.cit., p. 502. 1445

Christian MERLIN, La nation dans…, op.cit., p. 323.

1446 Stéphane PIERRÉ-CAPS, « Le droit des minorités », in Norbert ROULAND (dir.), Stéphane PIERRÉ-CAPS, Jacques POUMARÈDE, Droit des minorités…, op.cit., p. 178.