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1. INTRODUCTION THEORIQUE

1.2 Les fonctions exécutives

1.2.5 L’inhibition : définition et développement chez l’enfant

Le concept d’inhibition en tant qu’objet d’étude scientifique est observé dans un large spectre de phénomènes psychologiques. Il s’agit d’un facteur explicatif important dans la compréhension d’une multitude de phénomènes cognitifs tels que l’attention, la perception, la mémoire, l’action, l’intelligence ou la personnalité (Boujon & Lemoine, 2002). L’inhibition est une composante centrale des FE. Elle exerce une influence considérable sur les différences individuelles et sur les changements développementaux dans le cadre du fonctionnement cognitif (Gorfein & MacLeod, 2007). Des déficits d’inhibition à l’origine de comportements impulsifs se rattachent aussi à des difficultés sociales et comportementales (Wright, Waterman, Prescott & Murdoch-Eaton, 2003).

Dans une acceptation générale, l’inhibition renvoie davantage à une famille de fonctions organisées selon différents niveaux de complexité qu’à une structure unitaire (Dempster, 1993 ; Harnishfeger, 1995 ; Nigg, 2000, cités par Booth, 2003 ; Miyake, 2000). Le fonctionnement de ces mécanismes cognitifs dépend, en grande partie, du lobe frontal, qui sélectionne et régule le comportement tout en supprimant ou en inhibant des stimuli et des associations qui ne sont plus pertinentes pour la tâche en cours (Dempster & Corkill, 1999).

L’inhibition regroupe plusieurs processus qui permettent de modifier des réponses maîtrisées connues, notamment dans des situations qui demandent de fournir des réponses alternatives (Wright et al., 2003). Elle favorise également la suppression active de représentations ou de réponses motrices non pertinentes et distractrices lorsqu’un but doit être atteint (Boujon, 2002). De plus, les mécanismes d’inhibition ont une action proche des systèmes attentionnels (Gorfein & Mac Leod, 2007). En effet, lorsque nous devons répondre correctement à une tâche, des mécanismes d’attention sont mis en œuvre afin de sélectionner les informations appropriées. Ces derniers semblent s’intégrer à des mécanismes inhibiteurs qui permettent de supprimer des réponses comportementales incorrectes. Ainsi, des erreurs rencontrées lors de la réalisation d’une tâche complexe peuvent s’expliquer par des déficits d’attention soutenue autant que par des difficultés d’inhibition (Both, 2003).

De nombreux modèles théoriques conceptualisent l’inhibition selon différentes taxonomies que Friedman et Miyake (2004) synthétisent dans une étude. Ils mentionnent tout d’abord le modèle cognitif élaboré par Barkley (1997), qui distingue trois processus interreliés dans l’inhibition d’une réponse. Le premier processus comprend l’inhibition d’une réponse dominante. Le second permet de stopper une réponse en cours ou de la retarder, alors que le dernier détermine la capacité à limiter l’interférence ou la distractibilité durant un stade de traitement précoce. Les auteurs évoquent ensuite le modèle de Harnishfeger (1995) qui propose également de définir l’inhibition selon deux axes. Le premier axe oppose inhibition intentionnelle et non volontaire. Cette classification permet de distinguer des tâches de type

« negative priming » dans lesquelles un stimulus préalablement pertinent doit être inhibé, par rapport à d’autres épreuves qui nécessitent la suppression de pensées. Le deuxième axe permet de déterminer si l’inhibition est mobilisée à un niveau comportemental ou cognitif.

L’inhibition comportementale se caractérise par l’inhibition d’une réponse motrice ou par le contrôle des impulsions. L’inhibition cognitive intervient, quant à elle, dans des processus mentaux tels que l’attention ou la mémoire. Elle permet de supprimer des pensées non appropriées ou non désirées, de lever le sens ambigu des mots et d’éliminer de l’information non pertinente en mémoire de travail. Le dernier modèle synthétisé par Friedman et Miyake (2004) est celui de Nigg (2000), qui conçoit quatre types d’inhibition. Il distingue tout d’abord une forme d’inhibition qu’il rattache à l’effet d’interférence. Elle est activée lorsque des ressources ou des stimuli entrent en compétition. Une deuxième catégorie d’inhibition agit au niveau des représentations en mémoire de travail et permet de supprimer des informations non appropriées. La troisième forme d’inhibition est de type comportemental et permet à

l’individu de se retenir d’exécuter une action. Enfin, l’inhibition de type oculo-motrice implique la suppression des saccades oculaires.

Suite à ces différents découpages, il est important de noter que les variations conceptuelles de l’inhibition, caractérisant les différents modèles que nous avons présentés ci-dessus, s’orientent sur plusieurs niveaux de traitement de l’information. En effet, Friedman et Miyake (2004) montrent que l’on considère généralement un stade perceptif « primaire » de l’inhibition, qui permet de sélectionner des informations appropriées et d’éliminer celles qui sont incorrectes. L’information est ensuite mémorisée à un niveau intermédiaire et l’inhibition caractérise des processus qui empêcheront l’entrée en mémoire de travail de données non pertinentes. Lors d’un stade plus avancé du traitement, certaines réponses comportementales seront sélectionnées ou alors supprimées et il s’agira de résister aux réponses incorrectes pouvant perturber la tâche en cours. De plus, certaines recherches sur l’inhibition s’intéressent davantage à des aspects passifs (automatiques/non-conscients), alors que d’autres se focalisent sur des processus d’inhibition plus actifs (contrôlés/conscients).

Parmi les différentes distinctions que nous venons d’évoquer, Miyake et al. 2000 proposent, dans le cadre des fonctions exécutives, de se centrer sur l’inhibition d’une réponse interférente, envisagée comme une activation automatique de représentations non pertinentes.

Ces auteurs considèrent que les mesures d’interférence constituent de bons indicateurs de l’inhibition. Elles impliquent le déploiement de réponses délibérées et intentionnelles d’informations externes ou internes qui pourraient interférer avec des actions en cours.

Dempster et Corkill (1993) définissent plus largement l’interférence comme une capacité à ignorer ou à inhiber une information non pertinente lors de la réalisation d’une action. Ces mêmes auteurs indiquent toutefois que la résistance à l’interférence ne forme pas un construit unitaire, car les patterns développementaux diffèrent selon les modalités motrices, perceptives et linguistiques propres à différentes tâches. Ils distinguent en effet trois formes d’interférence : l’interférence de type motrice caractérise l’aptitude à résister à la répétition routinière d’un geste moteur, qui par la suite devient non approprié. L’interférence de type perceptive définit la capacité de résistance face à des stimuli visuels saillants. Enfin, l’interférence peut se manifester à travers des composantes linguistiques dans des tâches au cours desquelles la lecture d’un mot interfère avec la réponse correcte, comme dans l’exemple du test classique de Stroop (Stroop, 1935). Jusqu’à l’âge de deux ans, l’enfant serait spécialement sensible à l’interférence motrice, puis le deviendrait progressivement à la forme

perceptive. Enfin, vers l’âge de 6 ans, l’enfant montre plus de sensibilité à l’interférence de forme linguistique.

L’âge auquel l’inhibition arrive à un niveau de maturité, c'est-à-dire lorsqu’elle atteint un niveau adulte, se situe aux alentours de 9-10 ans selon certains chercheurs, alors que d’autres estiment que son développement se poursuit jusque vers l’âge de 12 ans (Welsh, 1991 ; Levin, 1991, cités par Leon-Carrion et al. 2004). Chez les jeunes enfants, le contrôle de l’inhibition est qualifié de relativement « pauvre » (Wright et al. 2003). Les données de la littérature mentionnent toutefois un développement important dans le contrôle de l’inhibition durant les six premiers mois de vie. La période préscolaire est également marquée par une nette amélioration du contrôle de l’inhibition entre l’âge de 3 et 6 ans, ce qui s’observe aussi par un meilleur contrôle de l’enfant sur son affect et son comportement (Diamond & Taylor, 1996 ; Kochanska et al., 1996, Garon et al. 2008).

Les formes les plus simples d’inhibition émergent chez les nourrissons et permettent progressivement à l’enfant d’exercer un meilleur contrôle cognitif sur ses comportements.

L’amélioration de l’inhibition permettra de mieux gérer les contraintes en mémoire de travail, qui impliquent de réduire le conflit cognitif entre deux réponses concurrentes tout en inhibant une réponse automatique. C’est ainsi que vers l’âge de 2 ans, l’enfant devient capable de garder une règle en tête et de l’appliquer correctement (Garon et al. 2008). Le modèle élaboré par Diamond (1991) partage cette idée et considère que l’inhibition exerce une influence importante dans la mise en action d’éléments mémorisés, comme cela est le cas des tâches A non B. Elle considère que ce type d’épreuves peut être échoué de l’enfance à l’âge adulte, non pas en raison d’un manque de connaissance ou de difficultés en mémoire de travail, mais étant donné des difficultés d’inhibition. Elle déclare ainsi : “Cognitive development can be conceived of, not only as the progressive acquisition of knowledge, but also as the enhanced inhibition of reactions that get in way of demonstrating knowledge that is already present”

(cité par Houdé, 2000)

Durant la période préscolaire, deux catégories de tâches permettent d’évaluer l’inhibition selon l’âge d’administration et le type de comportement recherché. Un premier ensemble d’épreuves, administrables dès l’âge de quelques mois, évalue la capacité de l’enfant à retarder et à tempérer une certaine impulsivité dans ses comportements (Carslon &

Moses, 2001). L’étude de Garon et al. (2008) répertorie toute une série de tâches classées sous

la catégorie d’inhibition « simple ». Il s’agit d’épreuves mesurant des mécanismes d’inhibition dont la charge en mémoire de travail est faible. Monette (2008) propose similairement l’appellation d’inhibition « chaude » et décrit le caractère motivationnel des tâches classées comme telles. Cette première catégorie d’épreuves comprend une série de paradigmes testant la capacité de l’enfant à inhiber son comportement lorsque cela lui est demandé (par ex. renoncer à une activité amusante ou à une récompense directe). On évalue le délai d’attente que l’enfant est capable de s’imposer lorsqu’il est face à un objet attrayant. On peut aussi lui proposer de choisir entre une petite récompense « maintenant » ou une plus grande récompense « plus tard » afin de vérifier s’il est capable de patienter pendant un certain temps.

Une seconde catégorie de tâches qualifiées, au contraire, d’inhibition « froide » ou

« complexe », toujours selon les mêmes auteurs, se distingue de la première catégorie par sa charge émotionnelle davantage neutre, puis par une demande plus importante en mémoire de travail. Pour réussir ces tâches, les enfants doivent élaborer des règles plus abstraites leur permettant d’inhiber un comportement. Certains tests impliquant des conflits plus légers ont un âge de réussite situé aux alentours de deux ans, comme l’exemple de quelques tâches de type « Stroop ». Ces dernières proposent des degrés de conflits plus basiques impliquant la forme ou la grandeur de deux objets sémantiquement reliés. On peut par aussi demander à l’enfant d’inhiber ou d’activer un comportement suivant la présentation d’un objet ou d’un autre, comme dans le cas de la tâche de « l’ours et du dragon » lorsque l’enfant doit exécuter ce que l’ours demande et, à l’inverse, inhiber ce que le dragon indique (Garon et al., 2008).

Ces tests plafonnent généralement plus rapidement que d’autres tâches dont la charge cognitive est encore plus insistante. Par exemple, des variantes du test de Stroop, telles que

« Herbe-Neige » et « Jour-Nuit » (Carlson & Moses, 2001), ainsi que d’autres versions simplifiées se montrent plus appropriées d’un point de vue développemental. Pour chacune d’entre elles, un conflit est introduit entre l’information perceptive visuelle et la réponse à produire (Pennequin et al., 2004). Dans la version « jour-nuit », l’enfant voit des cartes représentant soit un soleil, soit une lune et doit, dans la condition interférente, dire « jour » s’il voit l’image de la lune ou dire « nuit » s’il voit l’image du soleil. Le principe est le même que pour le Stroop « Herbe-Neige », sauf que l’enfant doit, dans ce cas, pointer une carte blanche lorsque l’expérimentateur lui dit « herbe » et pointer une carte verte pour le mot « neige ».

Ces tâches, qui contournent les capacités limitées de lecture chez l’enfant, présentent un effet d’interférence similaire à celui obtenu dans la version originale du Stroop (Stroop, 1935).

Elles mesurent la suppression active d’une réponse très automatisée qui interfère avec une image lui étant sémantiquement reliée. Archibald et Kerns (1999) reprochent toutefois aux items utilisés dans la tâche « jour-nuit » d’ajouter un certain degré d’abstraction qui pourrait diminuer l’automaticité de la réponse prépondérante. Elles proposent de remplacer les réponses verbales « jour-nuit » par celles de « soleil-lune ». D’autres variantes motrices des paradigmes de type Stroop adaptés aux enfants comprennent des situations où on demande aux enfants d’imiter puis d’effectuer des mouvements inverses à ceux exécutés par l’expérimentateur. Par exemple dans l’épreuve Go/No-go (que nous avons malheureusement dû retirer de notre batterie en raison d’un effet plafond, cf. plus loin), l’enfant doit activer ou inhiber un comportement en fonction de la couleur de l’objet qu’il voit. Des études ont montré que, entre l’âge de 3 et 5 ans, une amélioration importante s’observait dans ce type de tâches (Archibald & Kerns, ibid).

Archibald et Kerns (ibid) concluent que les épreuves au format Stroop explorées dans le cadre de leur étude développementale, telles que le test « soleil-nuit » ainsi qu’une version du Stroop contenant des images de fruits, présentent des corrélations hautement significatives avec la version classique du Stroop (Stroop, 1935). Ces résultats suggèrent que ces mesures sont intéressantes du point de vue de l’étude de l’inhibition chez les enfants non lecteurs.

Nous avons également jugé utile, dans le cadre de notre travail de recherche, d’utiliser une version de Stroop « fruits » élaborée par Monette et Bigras (2008) que nous décrirons plus en détail dans la section 2.2.2.3 de notre travail.

1.3 La vitesse de traitement

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