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L’informalité comme seul moyen de maintien de l’activité

Chapitre 7 : Taille du secteur informel, causes de l’informalité et politique

2. Les coûts de la réglementation

2.4. L’informalité comme seul moyen de maintien de l’activité

Afin de mieux comprendre les raisons profondes qui poussent les (micro) entreprises informelles à contourner la réglementation socio-fiscale et à rester ainsi dans le cadre informel, nous avons examiné des études de cas portant sur l’analyse des comptes d’exploitation de trois entreprises informelles76 exerçant dans les branches de services et de l’artisanat (plomberie, tissage et coiffure).

2.4.1. Cas d’une micro-entreprise de prestation de services (indépendant et associé)

Tableau 102 : Indépendant et associé : services (plomberie)

Année 2006 Dinars

Total des ventes 956000

Vente de produits

Prestation de services 956000

Coûts directs 25000

Achat des produits

Main d'œuvre (mobilisable au besoin)

Autres 25000

Marge brute 931000

Coûts Indirects 782000

Salaires réguliers (nets) Charges sociales pour les salariés

Prélèvements du chef d'entreprise/associé 748000 Loyer, eau, électricité

Frais de bureau, téléphone 24000

Transport

Maintenance et réparation

Provisions pour dépréciation 10000

Bénéfice d'exploitation 149000

Frais financiers Impôts

Charges sociales chef d'entreprise

Bénéfice Net 149000

Source : élaboré à partir des données de l’enquête FIDES

Le bénéfice net (149 000 DA) correspond à 15,6% du chiffre d’affaires (956 000 DA).

Le chiffre d’affaires (CA) par tête s’élève à (950 000/2 =) 478 000 DA et le revenu de chaque actif (prélèvement du chef d’entreprise et de l’associé), dans l’hypothèse d’un revenu identique s’élève à 374 000 DA (748 000/2), soit l’équivalent de 2,5 SNMG (le SNMG annuel est de 144 000 DA).

76

Ces trois entreprises sont extraites de l’échantillon de l’enquête menée par la GTZ dans le cadre du programme DEVED (DEVeloppement Economique Durable) auprès de 186 entreprises dans quatre grandes villes (Alger-Blida, Oran, Annaba, Ghardaïa) et leur zone périurbaine en 2006. Les comptes d’exploitation ont été reconstitués à partir de données issues de l’enquête qualitative (portant sur une dizaine d’entreprises) ayant suivi l’enquête quantitative [Adair et Bellache, 2008].

Encadré 7 : Régimes fiscaux applicables aux entreprises

Le régime forfaitaire est applicable aux personnes physiques dont le CA est inférieur aux seuils suivants : CA < 2.5 millions de DA pour les activités d’achat et de revente et de production ; CA < 1.5 millions de DA pour les activités de prestation de services ; CA < 3 millions de DA pour les activités cumulées.

Le régime réel est applicable aux personnes morales (SNC, SARL, EURL, SPA) dont le CA est supérieur ou égal aux seuils suivants : CA ≥ 2.5 millions de DA pour les activités d’achat et de revente et de production ; CA ≥ 1.5 millions de DA pour les activités de prestation de services ; CA

Le bénéfice net avant déduction de l’impôt constitue la base de calcul des charges sociales (CASNOS) dont le taux de prélèvement est de 15% (minimum de 21 600 DA).

Si les charges sociales (CASNOS) étaient prélevées au taux de 15% (minimum de 21 600 DA), le bénéfice net s’élèverait à (149 000 - 21 600 X 2 =) 105 600 DA.

Le bénéfice net de l’entreprise (105 600 DA) correspondrait alors à 11,04% du chiffre d’affaires (956 000 DA), ce qui semble compatible avec la viabilité de l’entreprise, mais ne lui permet pas de financer de l’investissement d’équipement.

Pour maintenir un bénéfice net à 15,6%, le chef d’entreprise et l’associé devraient réduire le montant des charges sociales de leur revenu qui s’élèverait alors à (374 000 - 21 600 =) 352 400 DA.

L’entreprise est redevable de l’impôt forfaitaire de 12% qui s’applique à l’activité de prestation de services, lorsque le chiffre d’affaires (CA) est inférieur à 1,5 millions DA, ce qui est le cas.

Si l’impôt forfaitaire sur le chiffre d’affaires (CA) était prélevé au taux de 12%, le CA net d’impôt s’élèverait à (956 000 – 114 720 =) 841 280 DA.

Le prélèvement de l’impôt (114 720 DA) amputerait très fortement le bénéfice hors charges sociales (149 000 – 114 720) ou complètement le bénéfice, charges sociales déduites (105 600 – 114 720). Dans l’hypothèse où le bénéfice net est maintenu, le prélèvement de l’impôt amputerait le revenu du chef d’entreprise et de l’associé hors charges sociales (374 000 - 114 720 = 259 280 DA, soit 1,8 SNMG), et à fortiori le revenu charges sociales déduites (352 400- 114 720 = 237 680 DA, soit 1,65 SNMG).

Les prélèvements de charges sociales et fiscales représentent donc (374 000 - 237 680/ 374 000) 36,63% du revenu de l’entrepreneur.

2.4.2. Cas d’une micro-entreprise artisanale de production (travailleuse à domicile)

Tableau 103 : Travailleuse à domicile : artisanat (tisserande)

Année 2006 Dinars

Total des ventes 141250

vente tapis et gandouras 99250

commande broderies 40000

apprenties 2000

Coûts directs 27500

Achat pour tapis et gandouras 27500

Autres 0

Marge brute (113750)

Coûts Indirects 1000

Salaires réguliers (nets) 0

Prélèvements 0

Loyer, eau, électricité 0

Frais de bureau, téléphone 0

Transport 0

Maintenance et réparation 0

Provisions pour dépréciation 1000

Bénéfice d'exploitation 112000

Frais financiers 0

Impôts 0

Charges sociales chef d'entreprise 0

Bénéfice Net 112000

Source : élaboré à partir des données de l’enquête FIDES

Le bénéfice net (112 000 DA) correspond à 79,3% du chiffre d’affaires (141 250 DA). Ce ratio s’explique par l’absence de coûts d’équipement et de charges fixes.

Le bénéfice net avant déduction de l’impôt constitue la base de calcul des charges sociales (CASNOS) dont le taux de prélèvement est de 15% (minimum de 21 600 DA).

Si les charges sociales (CASNOS) étaient prélevées au taux de 15% (minimum de 21 600 DA), le bénéfice net s’élèverait à (112 000 - 21 600 =) 90 400 DA, soit 0,625 SNMG.

Le bénéfice net de l’entreprise (90 400 DA) ne lui permet pas de financer de l’investissement d’équipement.

L’entreprise est redevable de l’impôt forfaitaire de 6% qui s’applique à l’activité de production, lorsque le chiffre d’affaires (CA) est inférieur à 2,5 millions de DA, ce qui est le cas.

Si l’impôt forfaitaire sur le chiffre d’affaires (CA) était prélevé au taux de 6%, le CA net d’impôt s’élèverait à (141 250 – 8460 =) 132790.

Le prélèvement de l’impôt (8460 DA) amputerait le bénéfice hors charges sociales (112 000 – 8460 = 103 540) ou le bénéfice charges sociales déduites (90 400 – 8460 = 81 940). Dans le premier cas, le revenu de l’indépendante s’élèverait à 103 540 DA, soit 0,71 SNMG. Dans le second cas, le revenu de l’indépendante s’élèverait à 81 940 DA, soit 0,57 SNMG.

Les prélèvements de charges sociales et fiscales représentent donc (112 000 - 30 060/ 112 000), soit 26,8% du revenu de l’indépendante qui ne peut les financer.

2.4.3. Cas d’une micro-entreprise de prestation de services (coiffure à domicile)

Tableau 104 : Travailleuse à domicile : services (coiffure)

Année 2006 Dinars

Total des ventes 79000

Ventes de produits 0

Prestations de services 79000

Coûts directs 10000

Achats des produits 9880

Main d'œuvre (mobilisable au besoin) Autres

Marge brute 69000

Coûts Indirects 15000

Salaires réguliers 0

Prélèvements des associés 0

Loyer 0

Frais de bureau 0

Eau, Electricité, Téléphone 13000

Transport 0

Maintenance et réparation 0

Provisions pour dépréciation 2000

Bénéfice d'exploitation 54000

Frais financiers 0

Impôts et taxes 0

Charges sociales chef d'entreprise 0

Bénéfice net 54000

Source : élaboré à partir des données de l’enquête FIDES

Le bénéfice net (54 000 DA) correspond à 68,35% du chiffre d’affaires (79 000 DA). Ce ratio s’explique par l’absence de coûts d’équipement et de charges fixes.

Le bénéfice net avant déduction de l’impôt constitue la base de calcul des charges sociales (CASNOS) dont le taux de prélèvement est de 15% (minimum de 21 600 DA).

Si les charges sociales (CASNOS) étaient prélevées au taux de 15% (minimum de 21 600 DA), le bénéfice net s’élèverait à (54 000 - 21 600 =) 32 400 DA, soit 0,225 SNMG.

Le bénéfice net de l’entreprise (32 400 DA) ne lui permet pas de financer de l’investissement d’équipement.

L’entreprise est redevable de l’impôt forfaitaire de 12% qui s’applique à l’activité de prestation de services, lorsque le chiffre d’affaires (CA) est inférieur à 1,5 millions DA, ce qui est le cas.

Si l’impôt forfaitaire sur le chiffre d’affaires (CA) était prélevé au taux de 12%, le CA net d’impôt s’élèverait à (79 000 – 9480) = 69 520 DA.

Le prélèvement de l’impôt (9480 DA) amputerait le bénéfice hors charges sociales (54 000 – 9480) ou le bénéfice charges sociales déduites (32 400 - 9480). Dans le premier cas, le revenu de l’indépendante s’élèverait à 44 520 DA, soit 0,30 SNMG. Dans le second cas, le revenu de l’indépendante s’élèverait à 22 920 DA, soit 0,15 SNMG.

Les prélèvements de charges sociales et fiscales représentent donc (54 000 – 30 080/ 54 000) 57,55% du revenu de l’indépendante qui ne peut les financer.

L’analyse des comptes d’exploitation de ces trois entreprises informelles révèle ainsi leur précarité financière et leur incapacité (structurelle) à faire face aux charges socio-fiscales. Les calculs effectués montrent que les prélèvements77 de charges sociales et fiscales représentent un tiers voire plus de la moitié du revenu de la micro-entreprise. Le paiement de ces charges amputerait ainsi fortement le revenu du micro-entrepreneur (qui représenterait au moins 0,15 SNMG annuel et au plus 1,6 SNMG annuel) ou conduirait dans certains cas à la disparition de l’activité. L’informalité procède donc d’un calcul rationnel du micro-entrepreneur qui, pour assurer la pérennité de son activité et s’assurer un revenu suffisant, contourne totalement ou partiellement la réglementation.