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L’influence de l’appartenance communautaire

CHAPITRE I FONDEMENTS THEORIQUES

1.2 L’influence de l’appartenance communautaire

Au-delà de la forme de propriété, les entreprises publiques dans l’Union européenne sont dans une situation inconfortable. "…En ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles - les Etats - accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités..."1. Cet article rappelle que les entreprises publiques et les entreprises bénéficiant de droits spéciaux et exclusifs (tels les monopoles) ne doivent pas être traitées par les États de façon à empêcher, restreindre ou fausser la loi de la concurrence.

Ces firmes ont donc les mêmes obligations que les firmes privées, à titre d’exemple celles prévues aux articles 18 (interdiction de discriminations fondées sur la nationalité) et 101 à 109 inclus (règles de concurrence) du traité CE. Toutefois, la distinction est difficile entre une opération de sauvetage et de reconstitution de capitaux épuisés par des pertes, opération admise par l'article 345 du TFUE (ex-article 295 TCE), qui précise que les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres, et une opération d'aide, déguisée, par exemple, en prise de participation non rémunérée ou en autres avantages tombant sous l'interdiction de l'article 107, paragraphe 1 du TFUE (ex-article 86 § 3 TCE). L'article 106, paragraphe 3 du TFUE (ex-article 86 § 3 TCE) confère à la Commission la mission de veiller au respect de cette disposition et l'investit du pouvoir d'adresser, les directives ou décisions appropriées aux États membres2.

De toute façon, une grande transparence des relations financières entre les États et leurs entreprises publiques est nécessaire pour permettre à la Commission de déterminer la compatibilité avec les règles du traité des transferts de fonds publics en faveur de ces entreprises. Dans ce sens, une directive de la Commission oblige les États membres à communiquer à la Commission, sur sa demande, des informations sur les ressources publiques mises directement ou indirectement à la disposition des entreprises publiques, ce qui couvre non seulement les "transferts actifs" de fonds publics, tels que les apports de capitaux et la prise en charge des pertes, mais aussi les "transferts passifs", tels que la non-perception par l'État des revenus ou bénéfices ou d'une rémunération normale des fonds utilisés (Directive 2006/111).

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Article 106 (ex-article 86 TCE) du traité sur le fonctionnement de l'UE

2Certes, ce même article fait des exceptions à ce principe lorsque ces entreprises sont chargées de la gestion de “

services d’intérêt économique général ”, mais ces exceptions sont placées sous le contrôle de la Commission. Ainsi L'article 106 § 2 du TFUE (ex-article 86 § 2 TCE0 fait toutefois une distinction entre les entreprises publiques générales et les entreprises d'utilité publique, chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général (eau, énergie, transports, télécommunications) ou présentant le caractère d'un monopole fiscal. Pour ces entreprises, l'article 86, paragraphe 2, admet des exceptions à la règle générale, édictée à son premier paragraphe, pour ne pas faire échec "à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie". Encore faut-il que le développement des échanges européens ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union.

L’Union européenne sert ainsi comme un levier de changement pour faire passer plus facilement au niveau national des réformes qui ne pouvaient être réalisées en absence de cette « houlette » communautaire (cf. pour Renault changement de statut, la fermeture de sites, etc.) Cela peut engendrer une certaine « alliance » des managers d’entreprises publiques avec Bruxelles pour « faire pression » sur leur Etat afin d’accélérer des changements et la libéralisation de leur secteur.

Un autre aspect d’intervention concerne le statut juridique de ces sociétés publiques. On sait que le processus d’ouverture à la concurrence a conduit à la privatisation totale ou partielle d’un bon nombre de ces entreprises, ce qui a nécessité de changer leur statut juridique. Ce fut le cas de France Télécom (1996) et plus récemment de La Poste (2010). C’est à ce propos que la Commission avait attaqué l’ancien statut de La Poste. Ce statut d’EPIC représente une sorte de service administratif dont l’activité aurait une dominante commerciale. Actuellement il concerne une trentaine d’entreprises aussi différentes que la SNCF, la RATP, l’Opéra de Paris, le BRGM, l’ONF ou encore l’Établissement Français du Sang (CF. Encadré). En tant que partie de l’activité de l’État, ce statut ne prévoit pas la faillite, ce que la Commission interprète comme une garantie publique implicite illimitée : « Cette garantie est illimitée, non rémunérée et n’est pas limitée aux activités de service postal universel (…), conférant ainsi un avantage économique sur ses concurrents (…). La garantie fausse, dès lors, la concurrence sur les marchés postaux, ce qui la rend incompatible avec le marché unique » (IP/2010/51). Bien qu’ayant changé le statut de La Poste pour cette raison, la France a ensuite porté ce différend devant la CJUE. C’est donc un conflit apparemment dépassé que la CJUE vient de trancher, mais dont les conséquences concernent aussi d’autres entreprises de service public qui utilisent encore ce statut. La CJUE a confirmé le caractère d’aide publique illicite au regard du droit européen. La garantie implicite de ne pas faire faillite représente cependant un avantage dont le montant mériterait d’être évalué avant que d’être condamné. Il apparaît en outre acceptable pour deux raisons d’ordres très différents. D’une part, ces entreprises appartiennent à la sphère étatique, à ce titre elles ne devraient pas être jugées à l’aune des critères propres à la sphère privée. Le gain incriminé apparaît d’autre part justifié par leur objet. Il fait partie des contreparties liées à leurs obligations, ou à leur vocation particulière. Il faut par ailleurs noter que l’on serait bien en peine de faire apparaître le préjudice réel qu’il aurait occasionné, en particulier dans le cas de La Poste1

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Autre exemple, plus récemment, dans le cadre de l'aide financière à la Grèce par l'Union européenne, le ministère grec des Finances a pris des mesures pour améliorer la transparence concernant les conditions financières des entreprises publiques. Les états financiers vérifiés de 2009 pour 52 entreprises publiques ont été publiés sur le site Web du ministère.

Les relations Etat/entreprises publiques ne se décident plus en tête-à-tête. Une sorte de cogestion2 les remplace où interviennent les autorités communautaires mais aussi les autres Etats (par exemple s’il y a une enquête sur des éléments d’aide que pourrait contenir une décision nationale)…

A noter aussi que la dernière crise de 2008 qu’ont connue certains pays européens, et la

1 Damien Broussolle, « Après l'arrêt de la CJUE du 3 avril 2014, l'entreprise de service public « à la française »

est-elle encore compatible avec les traités européens ? », Bulletin de l’observatoire des politiques économiques en Europe, N° 30, 2014.

2 Prenant l’exemple de la France, cette cogestion a été d’une certaine façon constitutionnalisée à la veille de la

ratification du traité de Maastricht avec l’introduction dans la constitution de l’article 88 qui reconnaît des compétences partagées avec l’Union pour tout ce qui a trait à la mise en œuvre de l’U.E.M, et les accords de Schengen.

pression pour réduire leurs déficits publics ont poussé les gouvernements à envisager la cession de quelques entreprises publiques. Ainsi, en 2014-2015, le gouvernement italien envisageait la privatisation d’importantes firmes, y compris: Poste Italiano SpA (l'ancien monopole du service postal, avec des revenus de l'ensemble du groupe de plus de 26 milliards € en 2013) Ferrovie dello Stato SpA (l'opérateur principal du secteur des chemins de fer en Italie, avec des revenus de plus de 8 milliards € en 2013) et ENAV SpA (la société de gestion et de contrôle du trafic aérien civil en Italie, avec des revenus de plus de 800 millions € en 2012) (Cenzi Venezze, 2014). L'Espagne a également commencé la cession de sa participation majoritaire dans Bankia pour récupérer les 22,4 milliards € de fonds déjà investis dans son plan de sauvetage, et a annoncé le plan de valorisation du Aena Aeropuertos (plus grand exploitant de l'aéroport au monde en nombre de passagers, qui est évalué à plus de 10 billions €) sur la bourse de Madrid. Des plans similaires pour se débarrasser des entreprises publiques ont également été présentés par le Portugal et la Grèce (Cenzi Venezze, 2014).

D’un autre côté l’arrêté AMELO de la Cour européenne de la justice estime qu’en compensation des charges d’intérêt général qu’elle assume, l‘entreprise publique peut maintenir une position de monopole dans la distribution d’électricité. La perte des monopoles par les entreprises publiques, selon certains chercheurs, peut les conduire à se concentrer sur les activités lucratives au détriment de celles d’intérêt général.1

SECTION II –ASPECTS DE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES EUROPEENNES