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1.2. L’Iran et la langue persane

1.1.2.2. L’indo-européen ou la proto langue indo-européenne

On considère que parmi les langues utilisées dans le monde d’aujourd’hui une grande partie, correspondant approximativement à la moitié de la population mondiale, est issue d’une famille commune et unique qui est l’indo-européen ou la protolangue indo-européenne (PIE). Ceci a pu être démontré par des méthodes de linguistique comparative portant sur le lexique et la structure des langues récentes, appuyées par des données archéologiques (Renfrew 1993). La notion de langue indo-européenne est souvent associée aujourd’hui à une culture indo-européenne, de par les analogies et similitudes qu’on trouve

souvent dans les mythes et religions allant de l’Indus aux pays celtes. (Muller 1873, 1898 ; Sarkhosh Curtis, 1994).

La manière dont cette expansion culturelle, avec sa dimension linguistique, s’est réalisée dans le temps et dans l’espace à travers le monde est sujette à discussion. Car la migration de la branche aryenne des Indo-européens vers l’Inde et l’Iran n’est en aucune mesure comparable à celle des Européens lors de la découverte des Amériques au 15ème siècle, si ce n’est par une certaine supériorité technique (guerrière, agricole, …) qui leur a permis de s’imposer aux peuples déjà présents dans ces régions.

La notion de famille linguistique signifie que deux ou plusieurs langues sont issues de la même protolangue, suite à des changements dus aux parcours évolutifs différents et indépendants depuis les temps anciens. Chaque langue a pu donc évoluer suivant un conditionnement qui lui était propre, entraînant des différences linguistiques plus ou moins significatives.

Ainsi la manière de prononcer les voyelles, et/ou la structure des mots et/ou des phrases ont été plus ou moins modifiées, soit pour des raisons sociologiques, psychologiques ou par confrontation/proximité avec d’autres peuples ou ethnies qui parlaient d’autres langues. Malgré cela, les points essentiels dans la structure linguistique du PIE subsistent, ou du moins ont connu des évolutions si minimes qu’elles puissent être découvertes par l’analyse comparative des langues. A titre d’exemple, le Tableau 1.1. présente le verbe être à la troisième personne du singulier dans différentes langues issues de la famille indo-européenne.

Puisqu’il n’existe aucune preuve directe de l’existence d’une langue mère indo-européenne, cette langue demeure encore aujourd’hui une langue hypothétique. Mais par des analyses comparatives des langues anciennes issues de cette « super famille » des spécialistes ont pu jusqu’à un certain point recréer une hypothétique PIE. Beaucoup de langues parlées aujourd’hui à travers le monde

sont issues de cette protolangue comme présentée dans la Figure 1.2. Selon les mêmes spécialistes le verbe être à la troisième personne singulier se prononçait « esti » en PIE.

Sanscrit asti

Grec ancien esti

Lituanien esti Slave jesti Latin est Germain ist Français est Anglais is

Persan moderne ast (é)

Tableau 1.1. : La conjugaison du verbe être à la troisième personne du singulier dans différentes langues.

1.1.2.3. L’emplacement spatio-temporel du peuple indo-européen. Foyer originel : différentes hypothèses

L’existence d’une langue indoeuropéenne implique l'existence d'une société préhistorique qui la parle. Comme le déclare Renfrew (1987), la connaissance du lexique indo-européen conduisant à une certaine compréhension de la culture des locuteurs de cette langue va au-delà de ce que pourraient nous apprendre, si nous en disposions, les témoignages archéologiques.

Qu’il existe une forte ressemblance entre les langues issues du PIE concernant les mots jour, année, hiver, printemps, été, automne, mois / lune, soleil, étoile ne nous dit rien sur les coutumes des locuteurs. En revanche, le fait qu'il y ait eu un mot pour la neige nous dit quelque chose sur le climat de la région où la protolangue était parlée et des mots pour hêtre, pomme, cerise révèlent aussi une origine nordique. Il en est de même pour loup, castor, souris, saumon,

anguille. Les noms de plusieurs animaux domestiques nous renseignent sur le mode de vie (vache, mouton, agneau, chèvre, porc, chien, cheval). Des pratiques agricoles nous sont suggérées par des mots pour grain, et un autre qui peut avoir signifié blé; on a deux mots pour moudre, d'autres pour sillon,

charrue, joug, faucille, cueillir. Un mot signifiant cuivre et d'autres, moins sûrs, pour bronze, or, argent ont été attribués au peuple parlant le PIE et impliquent une connaissance de la métallurgie. Mais, faute d'un mot pour le fer on a vu en ce peuple des fermiers de l'âge du bronze ignorant encore l'usage du fer (entre -3000 et -2000). L'existence d'un mot pour axe, essieu qui semble tiré du nom du nombril, et d'un autre pour roue, tiré d'une racine signifiant tourner fait penser que les véhicules à roues étaient une innovation récente. (Meillet, 1937 ; Delamarre, 1984).

Des termes de parenté peuvent également être reconstruits, en particulier du point de vue de la femme : ceux des parents par alliance avec son époux, comme père, mère, frère, soeur du mari, femme du frère du mari. Ce n'est pas le cas pour les parents par alliance de la femme, ce qui implique l'existence

d'une famille élargie, patriarcale et patrilocale : la jeune fille intègre par mariage la famille de son mari qui, lui, reste sans lien avec la famille de son épouse.

Le langage reflétant les concepts essentiels autour desquels tournent les relations socio-économiques et l'idéologie sous-jacente à la structure interne de la société, il est possible de décrire, comme Benveniste (1969 ; 1973) l'avait entrepris, le système des relations personnelles en jeu dans la structure familiale, clanique et tribale des Indo-européens, de définir le système de parenté, de spécifier les obligations contractuelles impliquées dans l'échange des services et des biens, de poser les droits et devoirs des gouvernants, de retracer les manières d'honorer les dieux. De même, Dumézil (1959) a reconnu la hiérarchisation de la société en trois niveaux fonctionnels (du prêtre, du guerrier, et du producteur) qui éclaire la mythologie indo-européenne.

Outre flore, faune, type d'habitat et usages religieux, on a voulu déduire aussi l'emplacement du point de départ de la dispersion, sur la base de certains mots supposés désigner une espèce particulière. Mais la possibilité que celle-ci corresponde spécifiquement à une aire géographique stable à travers le temps et donc projetable sur l'époque préhistorique est bien sujette à caution. C'est pourquoi, au gré des théories, ce foyer a été placé en Inde, en Asie, au sud de la Russie, en Scandinavie, en Lituanie, en Hongrie, en Allemagne du Nord et en Afrique.

Toujours est-il qu’il est communément admis, grâce aux tablettes assyriennes et babyloniennes ainsi qu’à d’autres données archéologiques, que la branche iranienne du peuple indo-européen était présente dans le plateau iranien, s’étalant de l’Est de la Mésopotamie à la mer d’Aral d’une part et des monts du Caucase à l’Indus d’autre part, et cela vers 1 000 avant notre ère. Ils se seraient alors sédentarisés dans le plateau iranien dans trois régions, créant ainsi les trois entités iraniennes que sont la Perse, la Médie et la Parthie. La Perse était une région centrale autour de Persépolis près des monts Zagros, la Médie avait

comme pays frontière l’Assyrie, et la Parthie se situait entre le Khorasan iranien, le nord de l’Afghanistan jusqu’aux frontières de Samarkand. La Figure 1.4 montre l’implantation de ces trois entités. Notons toutefois que le peuple « iranien » doit être pris dans son sens le plus large et à ce titre nous devons y inclure d’autres peuples du monde iranien que sont par exemples les Scythes, les Ossètes, les Sogdiens ou les Bactriens.

La proximité de ces peuples (les Perses et les Mèdes) avec les grandes civilisations mésopotamiennes non indo-européennes (assyriennes, sumériennes, élamites et babyloniennes) a certainement conduit à une influence mutuelle entre ces peuples, dans les domaines culturel, linguistique, religieux ou scientifique. Citons à cet égard l’emprunt de l’alphabet cunéiforme akkadien pour l’expression écrite du vieux persan trouvé dans les tablettes Achéménides du Persépolis6. De plus le peuple iranien a été confronté à des événements historiques intenses qui ont transformé la langue de façon assez conséquente. Les spécialistes s’accordent à définir trois phases de développement linguistique : les langues iraniennes anciennes, les langues iraniennes moyennes, et les langues iraniennes modernes. Notons que cette classification est liée à la structure des langues et au degré de ses évolutions au cours du temps.

6 Ce site archéologique situé à 60 km. de Chiraz au centre d’Iran fut le palais royal de la dynastie Achéménide dont la construction débuta sous le règne de Cyrus vers 550 avant JC et fut détruit suite à l’invasion d’Alexandre en 323 avant JC

Figure 1.3 : L’implantation des trois entités iraniennes, Perses, Parthes et Mèdes