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Phase II : Le Persan Classique post Moghol : du 13 ème au 19 ème siècle

1.3. Le contact du persan avec le français

En comparaison à l'histoire de longue date de la civilisation persane, la France a émergé comme une entité puissante dotée de sa propre culture seulement au

15 Premier ministre de Nassereddin shah de 1848 à 1852

16 Rapport de l’UNESCO,

13èmesiècle, c’est-à-dire le grand siècle du christianisme. Fortement marqué par l’influence du français, ce siècle a également coïncidé avec les invasions Mogholes des grandes régions comprenant des terres iraniennes, arabes, caucasiennes, turques, et indiennes qui ont causé d’innombrables dégâts au secteur culturel persan.

Un laps de temps et une différence si considérables entre les influences culturelles respectives ont été naturellement reflétés dans les contacts réciproques. Comme partout en Europe, la Perse a été très tôt perçue par les Français principalement grâce aux légendes et aux anecdotes bibliques, tels que le roi Cyrus donnant asile aux Juifs persécutés, l’histoire du livre d'Esther, la légende du Mage persan venant à Bethlehem, etc. En raison des contacts des Mogholes et Chrétiens, la Perse a été visitée par beaucoup de missionnaires, négociants, et aventuriers européens. Les récits de voyages, avec leurs histoires réelles ou imaginaires, ont fourni des informations ardemment recherchées sur l'Orient et ses merveilles, comparables à celles trouvés dans les écrits arabo-persans de Ajâéb Al-Makhlouqât17 (les merveilles de la création). Un autre résultat de ces contacts a été la description de l'Europe fournie par Raæd-Al-Din Fazl-Allah (1318) dans le Tarikh-e Afranj (histoire des Francs), une partie de son histoire universelle (Al-Tawârikh o Jâmé). Tout en utilisant le terme générique d'Afranja (terre des Francs) pour l'Europe, Rad-Al-Din mentionne clairement la France comme Afransa. Sa chronique des Francs, souvent citée ou imitée, demeure une référence. Les observations détaillées en langue persane au sujet de l'Europe et de la France en particulier, ne sont apparues que vers la fin du 18ème et le début du 19ème siècles, et initialement en Inde.

Les Il-khanides18 ont maintenu des relations permanentes avec le christianisme, notamment avec une alliance projetée avec les Francs contre les Mamluks. Les Chrétiens sont restés cependant essentiellement attachés aux aspects

17 Encyclopédie sur les « merveilles de la création », comportant des descriptions de monuments, d'images, de statues et d'amulettes, de tombeaux de prophètes et de rois, de trésors royaux, etc. par TUSI-ye-SÂLMÂNI, Éd. : M. Sotude, Téhéran, 1345/1966.

18 Littéralement les "khans régionaux", vassaux du grand khan, dynastie Moghol mise en place par Houlagou Khan (1217-1265) petit fils de Gengis Khan

missionnaires de cette alliance. Les événements de l'ère Timurid ont marqué la culture française postérieure (Fourniau, 1987). Par la suite, tout au long du 15ème et du 16ème siècles les relations franco-persanes ont cependant été entravées par la politique durable, conçue par François 1er, d'une alliance franco-ottomane pour contrecarrer l'hégémonie européenne de Charles V. Alors que les cités et provinces italiennes et espagnoles entretenaient des relations diplomatiques avec la Perse, celles-ci n’ont été établies par la France qu’en 1626 et ont dû être placées très tôt sous l'égide des missionnaires catholiques français qui n’ont pas hésité à interférer dans les différentes activités des négociants et des diplomates. Les problèmes religieux et politiques entre l'Europe et la Perse sont demeurés un frein important à l'établissement des relations franco-persanes. Il y avait cependant une présence française en Perse, qui a stimulé la connaissance culturelle mutuelle. Les récits de voyages et autres écrits des Français sur la Perse, malgré les affiliations religieuses de leurs auteurs, demeurent la contribution la plus précieuse à la connaissance européenne de la culture persane contemporaine. La langue et la littérature persanes ont été étudiées et se sont fait connaître. Les précieux manuscrits persans ont enrichi les collections royales françaises. En rapportant le texte de l'Avesta, l’orientaliste Anquetil-Duperron (1721) a préparé le terrain pour le développement de la recherche philologique et archéologique persane. Bien que des relations permanentes n’aient été établies qu’en 1855, les contacts franco-persans ont pu en tirer bénéfice par l'envoi des étudiants persans en France ; par la coopération militaire française lancée par la mission de Gardane (1807-1809) ; ainsi que par l'intérêt français pour l'art et la culture persans. Un de ses résultats les plus exceptionnels a été la dotation en France d'un monopole pour l'exploration archéologique en Perse en 1895 (Nasiri-Moghaddam 2004).

La présence de la langue française en Perse s’est également manifestée par la création des écoles et des établissements qui, malgré la nature officiellement

laïque du gouvernement français après la révolution française, ont maintenu leurs liens avec des activités missionnaires. Contrairement à l’admiration générale que suscitait la France du 19e siècle auprès des Qadjar, la France avait une vision plutôt négative du shah et de son royaume, sentiment exprimé et véhiculé par les journalistes français et les principaux intellectuels dès les premières visites de Nâser-Al-Din Shah19 (1831-1896) en France (1873, 1878, 1889). D'autre part, les idées de « lumière » et de la révolution française, ainsi que le prestige de la période napoléonienne, ont influencé positivement le modernisme et le début du constitutionalisme en Perse. Depuis les Qadjar, un nombre de plus en plus important de sujets persans s’est installé en France ou dans les pays de langue française (comme la Belgique), avec une augmentation considérable après la révolution islamique de 1978-79. Tandis que la France essai de maintenir ses intérêts politiques et économiques en Iran, les contacts culturels et la curiosité intellectuelle demeurent une puissante excitation à la connaissance et la compréhension mutuelle.