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Partie I Synthèse

1.3 L'indice d'embonpoint – Un paramètre à mieux comprendre

L'utilisation de l'indice d'embonpoint existe depuis longtemps et s'applique à une variété d'organismes aquatiques allant des moules (Couillard et al., 1993) aux poissons (Munkittrick et Dixon, 1988; Lambert et al., 1994; Chellappa et al., 1995; Carter et al., 1998). Les raisons qui font que l'indice d'embonpoint est un paramètre si populaire sont la facilité de sa mesure et son utilité comme indicateur de santé. Plusieurs méthodes sont utilisées pour calculer l'indice d'embonpoint mais ce sont toutes des relations entre le poids de l'organisme et sa longueur. La simplicité de ces mesures, ainsi que le fait que leur détermination ne blesse pas l'organisme, font en sorte que plusieurs échantillons peuvent être récoltés rapidement avec un impact minime sur l'organisme et la population. Un fois calculé, l'indice d'embonpoint peut servir comme indicateur

pour plusieurs paramètres, incluant la survie post-stress (Dutil et Lambert, 2000), la survie à l'hivernage (Bennett et Janz, 2007), la participation à la reproduction (Engelhard et Helno, 2006), la qualité des œufs (Gagliano et McCormick, 2007) et la quantité de réserves énergétiques (Nelson et Magnuson, 1992).

Mais même si l'indice d'embonpoint est indicateur de plusieurs paramètres importants, peu de facteurs qui l'influencent sont quantifiés. Les deux composantes de l’indice d'embonpoint, le poids et la longueur, sont des mesures qui intègrent l'influence de plusieurs facteurs qui eux reflètent la qualité de l'environnement. La figure 1 présente un schéma des divers paramètres physiologiques qui affectent l'indice d'embonpoint chez les poissons. Les paramètres qui affectent positivement le poids d'un poisson (l'accumulation de protéines et des lipides, croissance des gonades) affectent positivement l'indice d'embonpoint. Mais ce ne sont pas toutes les formes de croissance qui augmentent l'indice d'embonpoint. Si, pour une quelconque raison, un poisson croît en longueur sans un investissement proportionnel pour augmenter son poids,

Figure 1 : Diagramme représentant les facteurs qui influencent l'indice d'embonpoint. Une fois l'énergie ingérée elle est soit déposée sous divers formes et augmente l'indice d'embonpoint (+) ou est dépensée et donc ne contribue pas à l'augmentation du facteur d'embonpoint (-). Une augmentation préférentielle de la longueur a aussi pour effet de diminuer l'indice d'embonpoint.

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ceci aura pour effet de diminuer son indice d'embonpoint. Des pertes de poids et d'énergie, qu'elles soient ponctuelles (reproduction) ou constantes (métabolisme, lié, ou non, à la contamination) ont une influence négative sur l'indice d'embonpoint.

Ces paramètres physiologiques sont affectés par une panoplie d'influences externes. La richesse et la diversité des proies disponibles ont une influence sur l'énergie qui sera ingérée et la qualité des proies aura une influence sur la proportion assimilée (Boisclair et Leggett, 1989; Pyle et al., 2005; Rennie et al., 2005). Les compétiteurs affecteront aussi la quantité et la qualité des proies qu'un organisme réussira à capturer, ce qui aura pour effet d'augmenter l'énergie dépensée à la recherche de cette nourriture (Persson et al., 1999; Pyle et al., 2005; Kaufman et al., 2006). Bien que les prédateurs rendent la recherche pour les proies plus ardue, leur présence a souvent l'effet contre intuitif d'augmenter l'indice d'embonpoint moyen d'une population (Pyle et al., 2005; Lippert et al., 2007) car ils éliminent les membres qui sont en moins bonne santé (et donc qui ont un indice d'embonpoint moindre) et causent probablement une réduction des populations des compétiteurs directs de la perchaude. Bien qu'ils soient connus, l'influence de ces facteurs sur l'indice d'embonpoint n'a pas été quantifiée, une tâche difficile et où les résultats ne seraient probablement applicables qu'au système dans lequel ils ont été déterminés.

Ces nombreuses interactions sont fort probablement la cause d'une autre limitation de l'indice d'embonpoint quand il est utilisé dans des études toxicologiques. Il existe une contradiction entre les résultats générés à partir d'expériences en laboratoire et les observations sur le terrain. Quand des poissons en laboratoire sont exposés à des métaux toxiques (Cd, Cu et Ni étant ceux d'intérêt principal dans cette thèse), des impacts négatifs sur l'indice d'embonpoint ne sont pas observés (Kamunde et al., 2001; Ptashynski et al., 2002) sauf à des concentrations très élevées (Scudder et al., 1988). Ceci est tout le contraire des études sur le terrain où un effet

négatif sur l'indice d'embonpoint est la norme (Farag et al., 1995; Eastwood et Couture, 2002; Pyle et al., 2008). Mais la multitude d'influences sur l'indice d'embonpoint chez les poissons sauvages fait en sorte que même dans les milieux contaminés en métaux on n’observe parfois aucun effet (Bennett et Janz, 2007) et dans certains cas l'indice d'embonpoint peut même être plus élevé (Audet et Couture, 2003; Pyle et al., 2005).

Dans le but de mieux comprendre l'influence de ces divers paramètres environnementaux sur l'indice d'embonpoint des perchaudes sauvages, plusieurs autres paramètres ont été examinés dans cette thèse. Le premier était le poids des cæca pyloriques. Ces organes, situés immédiatement postérieur à l'estomac, sont des projections qui servent à augmenter la surface intestinale en contact avec la nourriture (Buddington et Diamond, 1987). Les cæca pyloriques sont donc un site de grande importance pour l'absorption des nutriments (Bauermeister et al., 1979; Collie, 1985) et il y a des indications qu'ils participent à la synthèse des acides gras (Bell et al., 2003). Témoignant de cette grande importance dans le processus de digestion, plusieurs études ont aussi démontré que l'activité de plusieurs enzymes était plus élevée dans les cæca pyloriques que dans d'autres portions du tractus digestif (Ash, 1980; Mommsen et al., 2003; Krogdahl et Bakke-McKellep, 2005). Des expériences en laboratoire ont démontré qu'une augmentation du poids des cæca pyloriques était associée avec des augmentations du taux de croissance chez diverses espèces de poissons (Mann et McCart, 1981; Stevens et al., 1999; Bélanger et al., 2002) et aussi avec une augmentation de la consommation de nourriture (Collie, 1985; Krogdahl et Bakke-McKellep, 2005). Bien qu'aucune étude connue ne lie le poids des cæca pyloriques à l'indice d'embonpoint, les corrélations avec la croissance et la consommation indiquent qu'une telle association est fort probable. Les cæca pyloriques sont aussi très intéressants pour les études toxicologiques puisqu'ils sont un site important pour l'assimilation

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des métaux présents dans la diète (Farag et al., 1995; Ptashynski et al., 2001) et qu’ils réagissent à la présence de métaux en produisant des métallothionéines (Ptashynski et al., 2002).

Le deuxième paramètre qui a été examiné dans cette thèse pour améliorer notre compréhension des facteurs environnementaux qui affectent l’indice d’embonpoint est le poids des lipides viscéraux. Ce tissu est la réserve majeure de lipides chez la perchaude. Chez d'autres espèces, comme l'indice d'embonpoint, le poids des lipides viscéraux est un bon indicateur de la survie hivernale (Niva, 1999), de la capacité reproductrice (Henderson et al., 1996; Mackereth et al., 1999), de la consommation de nourriture (Weatherley et Gill, 1981; Weatherley et Gill, 1983; Niva, 1999) et de la composition de cette nourriture (Lin et al., 1977). Étant donné que les lipides viscéraux et l'indice d'embonpoint servent comme indicateur des mêmes paramètres, connaître les variations du premier pourrait servir à comprendre les changements chez le deuxième. Par exemple, si un poisson a un indice d'embonpoint élevé, mais peu de réserves lipidiques, ceci indiquerait qu'il utilise les lipides qu'il consomme pour maintenir sa condition physique et qu'il ne les accumule pas. De plus, il a été démontré que le poids des lipides viscéraux répond rapidement aux changements du régime alimentaire en milieu contrôlé (Weatherley et Gill, 1981) et sur le terrain (Mackereth et al., 1999) pour la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et l'achigan à petite bouche (Mircropterus dolomieu) respectivement.

Le troisième paramètre à être examiné était le statut métabolique de la perchaude. L'indice d'embonpoint est une représentation de l'activité de plusieurs voies métaboliques qui sont responsables de la production d'énergie, de l'anabolisme et de l'accumulation des réserves d'énergie. Bien que des changements d'activités enzymatiques puissent paraître minimes quand ils sont comparés à des variations au plan écologique, ces petits changements peuvent avoir un impact important sur les individus. Jared Diamond (1991) a démontré que l'absorption du

glucose dans l'intestin change en fonction de la concentration de glucose dans l'intestin. En démontrant cette capacité d'adaptation aux changements dans la concentration de glucose intestinal, il propose un modèle évolutif applicable aux autres aspects du métabolisme. La théorie est que la capacité de s'adapter aux changements environnementaux est un atout évolutif car elle permet de profiter des périodes où un grand taux métabolique est avantageux, sans maintenir inutilement de la machinerie cellulaire coûteuse.

Afin de caractériser le statut métabolique des perchaudes, deux tissus ont été ciblés pour l'analyse de l'activité enzymatique, le muscle blanc et les cæca pyloriques. Dans le muscle blanc des enzymes représentant plusieurs voies métaboliques ont été examinés. Deux enzymes cytosoliques de la voie glycolytique ont été dosés. La PK est le dernier enzyme impliqué dans la glycolyse et convertit le phosphoénol pyruvate en pyruvate, produisant de l'ATP. Si le pyruvate n'est pas acheminé vers des voies aérobies, la LDH peut convertir le pyruvate en lactate, recyclant le NADH produit durant la glycolyse, permettant la production d'ATP par glycolyse. En plus de permettre la production d'ATP de façon anaérobie, la LDH pourrait aussi représenter une réserve protéique (Houlihan et al., 1988).

Les étapes suivantes dans la production d'ATP, le cycle de Krebs et la chaîne de transport d'électron, sont représentées respectivement par la CS et la CCO. Les voies métaboliques auxquelles ces enzymes participent prennent place dans la mitochondrie des cellules et sont responsables de la production aérobie d'énergie. La CS est le premier enzyme dans le cycle de Krebs et est considérée comme l'étape limitante. En plus de l'ATP produit, les agents réducteurs générés par le cycle de Krebs (NADH et FADH2) seront ensuite acheminés vers la chaîne de

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en plusieurs étapes par une série de réactions avec des cytochromes et la réaction catalysée par la CCO est l'étape limitante de ce processus.

Le muscle blanc est aussi le site majeur pour la production de protéines, qu'elles soient structurales ou solubles. La NDPK a donc été mesurée pour nous donner une indication de la production de protéines dans le muscle des perchaudes. Puisque la synthèse de protéines exige la production parallèle d'ARN, la cellule doit produire des nucléotides pour synthétiser des protéines. La NDPK participe à cette étape en convertissant des nucléotides diphosphates en triphosphates, qui peuvent ensuite former une chaîne d'ARN et permettre la transcription des protéines.

Plusieurs études ont démontré que l'activité des enzymes musculaires varie avec le taux de croissance (Goolish et Adelman, 1987; Mathers et al., 1992; Pelletier et al., 1994; Guderley et al., 1996; Guderley, 2004). Mais ce constat n'est pas unanime (Kiessling et al., 1989; Pelletier et al., 1993; Bélanger et al., 2002) ce qui indiquerait que la cause du changement de taux de croissance (régime, température, saison, etc.) et le choix de la mesure pour exprimer l'activité de l'enzyme (spécifique, protéique, ARN etc.) peuvent avoir une importante influence sur les résultats obtenus (Pelletier et al., 1995). Un autre aspect intéressant des muscles blancs est que, malgré le fait que les métaux n'ont pas tendance à s'accumuler dans ce tissu, les poissons exposés à des concentrations élevées de métaux montrent des diminutions dans l'activité de certains enzymes (Almeida et al., 2001; Couture et al., 2008) et affichent aussi une baisse dans la synthèse de protéines (de Boeck et al., 1997). Ceci suggère que même si le muscle n’est pas directement affecté par les métaux (puisqu'ils s'y accumulent peu), les enzymes musculaires pourraient être de bons indicateurs des effets de ceux-ci chez la perchaude.

Plusieurs des enzymes examinés dans le muscle ont aussi été examinés dans les cæca pyloriques (CCO, CS et NDPK). La G6PDH a aussi été dosée car les cæca pyloriques sont potentiellement un site de synthèse des lipides (Bell et al., 2003). Le rôle de la G6PDH dans la synthèse des lipides est de générer les agents réducteurs requis pour l'élongation des chaînes d'acides gras. Bien que plusieurs enzymes soient impliqués dans la production d'agents réducteurs, la G6PDH est celle qui démontre la plus haute activité dans les tissus de poissons. Relativement peu d'études ont été faites examinant la réponse des enzymes dans les cæca pyloriques, mais ces études indiquent que l'activité des enzymes (notamment la CS, CCO et la NDPK) suit les changements du taux de croissance (Bélanger et al., 2002; Krogdahl et Bakke- McKellep, 2005).

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Objectifs et Hypothèses